La retraite en Belgique
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La retraite en Belgique
Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références retraites La retraite en Belgique Par Jacques Bichot, économiste, professeur émérite à l’université Lyon 3 Le gouvernement Michel a adopté le 3 avril un nouveau projet de loi relatif aux retraites par répartition en Belgique, projet en cours d’examen par le Parlement. Depuis quelques années, les réformes paramétriques se succèdent pour les pensions belges affrontées au vieillissement de la population. Le système belge, bien différent du système français, et ses changements, peuvent d’autant plus utilement être étudiés de ce côté du Quiévrain que nos voisins ont réussi à faire fortement progresser leur taux d’emploi pour les personnes âgées de 50 à 64 ans : il est passé de 42,4 % en 2003 à 55 % en 2014 1. Les Belges disposent des trois “piliers“ classiques en matière de retraites : un premier pilier composé de régimes “légaux“ fonctionnant en répartition, et deux piliers (plus développés que leurs homologues français) ayant recours à la capitalisation, à savoir les retraites complémentaires (assurances de groupe souscrites par les entreprises) et l’épargne-pension individuelle. Le premier pilier, objet de la présente “synthèse“, est divisé en trois régimes : celui des salariés du secteur privé, celui des fonctionnaires et celui des travailleurs indépendants. Seront présentés ici le régime général des salariés, géré par l’Office national des pensions (ONP), et (très brièvement) le régime des fonctionnaires. Pensions de survie – en France, on dirait “de réversion“ – comprises, les anciens salariés belges du secteur privé titulaires d’une pension percevaient en moyenne 950 € par mois et par personne en janvier 2013. C’est nettement moins qu’en France où, sans compter la réversion, leurs homologues ont obtenu en moyenne, en 2012, 1 140 € par mois. Mais ce dernier montant inclut les pensions Arrco et, le cas échéant Agirc : le régime général français sert des pensions en moyenne moindres que son homologue belge. Principes du régime salarié belge Ce régime ne fonctionne ni par points, comme la retraite allemande, ni par annuités, comme le régime général français. Il procède par addition des droits acquis durant chacune des années de travail salarié de l’assuré social. Chaque année donne droit à une sorte d’arrérage, dit “revenu de pension“ ou “produit de pension“, et la pension est la somme de ces montants millésimés. Cette technique additive permet de modifier les règles 22 pour l’avenir sans trop toucher au passé. À la fin d’une année de travail, le salarié belge sait ce qu’il a engrangé cette année-là comme droits à pension, un peu comme dans un régime par points, tandis que dans le régime général français la valorisation de chaque année dépend très fortement du reste de la carrière. En gros, 5 périodes sont à distinguer : avant 1955 ; de 1955 à 1967 ; de 1968 à 1978 ; de 1979 à 1991 ; et de 1992 à aujourd’hui. Pour chaque année l’arrérage est, dans le cas le plus simple, une fraction de la rémunération annuelle, retenue dans la limite d’un plafond, et réévaluée d’après un indice qui reflète, soit le coût de la vie, soit “le niveau du bien-être général“. Cette fraction résulte de deux opérations : premièrement une division de la rémunération annuelle retenue par le nombre d’années constituant une “carrière complète“, paramètre qui peut servir de variable de commande comme en France le “nombre trimestres requis pour le taux plein“ ; et deuxièmement une multiplication par 0,6 ou 0,75 selon la situation de famille. Actuellement la “carrière complète“ est de 45 ans – soit 180 trimestres, bien plus que les 165 trimestres de la durée requise en France pour les personnes nées en 1953 (celles qui commencent en 2015 à pouvoir liquider leur pension), et encore 2 années de plus que les 172 trimestres vers lesquels évolue la règle française. 1. Ce résultat est d’autant plus remarquable qu’il coïncide avec une très forte progression de cette tranche d’âge : de 1,82 million en 2004 à 2,22 millions en 2014. La population active occupée âgée de 50 à 64 ans est ainsi passée de 792 000 en 2004 à 1 212 000 en 2014, soit 53 % d’augmentation en une décennie. // N°488 Juin 2015 // Revue Française de Comptabilité Comme en France, il existe en Belgique un “lit de Procuste“ où l’on coupe ce qui dépasse : le coefficient de proratisation français (qui rend la pension proportionnelle à la durée d’assurance) ne peut outrepasser la valeur 1, et le nombre d’années retenues en Belgique ne peut excéder la durée de carrière “complète“. Quand il y a plus de 45 années validées, on élimine les moins bons millésimes. La disparition de ce couperet, qui décourage les personnes susceptibles de prolonger leur activité, est actuellement envisagée, ainsi que la suppression des forts obstacles actuels au cumul emploi/retraite et l’augmentation de la durée d’une “carrière complète“. Le taux dépendant de la situation de famille est le « taux de ménage » (75 %) si le conjoint du salarié qui liquide sa pension est inactif et ne reçoit aucun revenu de remplacement. Le “taux d’isolé“ (60 %) est applicable en l’absence de conjoint, ou si le conjoint perçoit une pension dépassant 15 % de la moyenne des rémunérations ayant servi au calcul de la pension de la personne concernée. Dans la situation intermédiaire, une pension “de ménage“ est accordée, mais minorée du montant perçu par le conjoint. L’ONP donne l’exemple suivant : « un homme a droit à une pension au taux ménage de 10 000 € par an. Son épouse bénéficie d’une pension service public de 1 000 € par an : le mari recevra 9 000 € ». Ce mode de calcul est dissuasif pour une personne mariée qui serait tentée de travailler juste un petit peu, puisque ce qu’elle gagnera comme pension sera soustrait de la pension de son conjoint. L’âge de liquidation L’âge “légal“ ou “normal“ de la retraite est 65 ans. C’est le cas depuis longtemps pour les hommes, mais seulement depuis 2009 pour les femmes, qui ont perdu pour cause d’égalité homme/femme l’avantage dont elles bénéficiaient auparavant (retraite à 60 ans). Le projet de loi mentionné plus haut, s’il est voté en l’état, portera cet âge à 66 ans en 2025 puis 67 ans en 2030. Il est possible de liquider sa pension plus tôt, mais pas avant un certain âge, si l’on dispose d’une durée de carrière – en France, on dirait “d’assurance“ – suffisante. Ces liquidations anticipées ne semblent donner lieu à aucune décote : l’ONP explique simplement aux per- Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références retraites sonnes qui y songent que leur pension sera moindre parce qu’ils n’auront vraisemblablement pas les 45 “revenus de pension“ correspondant à une carrière complète. Cette absence de neutralité actuarielle joue en faveur des personnes qui choisissent une retraite anticipée. C’est probablement la raison pour laquelle la réforme des modalités d’anticipation est à l’ordre du jour. L’âge minimal fut 60 ans jusqu’en 2012 inclusivement ; il augmente depuis, ainsi que la durée de carrière minimale requise, qui fut longtemps égale à 35 ans : il est passé à 60 ans et 6 mois en 2013 et, par paliers de 6 mois, doit atteindre 62 ans en 2016. Parallèlement, la condition de carrière se durcit : 38 ans (au lieu de 35) en 2013, puis 39 en 2014 et 40 à partir de 2015. Des exceptions, formule très utilisée en Belgique comme en France, existent pour les “longues carrières“ : en 2013 on a pu encore partir à 60 ans (au lieu de 60 ans et 6 mois) si l’on avait 40 ans de carrière ; en 2015 cela reste possible, mais sous condition de 41 ans de carrière ; et en 2016 on pourra partir à 60 ans si 42 ans de carrière, et à 61 ans si 41 ans de carrière. La Belgique n’en a pas pour autant fini avec les mesures visant à reculer l’âge de départ à la retraite. Le conseil des ministres du 3 avril 2015 a en effet approuvé un projet de loi (annoncé dès sa formation par la coalition au pouvoir d’où est issu le gouvernement Michel) portant relèvement de l’âge légal à 66 ans en 2025 puis 67 ans en 2030. Le même texte prévoit aussi un relèvement de l’âge permettant de prendre une retraite anticipée, qui passerait à 62 ans et 6 mois en 2017, puis à 63 ans en 2018. Le décompte des durées et des rémunérations De nombreuses mesures servent à rendre moins sévère le calcul des “produits de pension“ relatifs aux différentes années de la carrière. Des périodes de chômage, de maladie, d’invalidité, de service militaire, ou d’interruption pour des raisons telles que la maternité sont dites “assimilées à des périodes d’activité“, ce qui permet premièrement de les compter comme des années de carrière pour l’accès à la liquidation anticipée, et deuxièmement de leur attribuer une rémunération fictive assimilable à un salaire pour le calcul du “produit de pension“ de l’année concernée. Les 35 années de carrière nécessaires depuis 2005 pour avoir droit à une retraite anticipée s’entendent d’années durant lesquelles a été exercée une acti- vité dite “habituelle et en ordre principal“. Le critère utilisé est le tiers d’un temps plein. Pour déterminer si cette condition est réalisée, différents éléments sont retenus selon qu’il s’agit de périodes plus ou moins anciennes. Pour les années 1992 et suivantes, le compte individuel de pension mentionne le nombre de jours et d’heures travaillées, ainsi que le nombre d’heures correspondant à une occupation à plein temps dans l’entreprise considérée. En cas de travail à temps partiel le liquidateur regarde, en effectuant une “compression des jours prestés 2“, si le temps de travail effectif correspond à au moins 104 jours pleins dans la ou les entreprises où la personne a effectué un travail salarié. Si l’entreprise module la durée dite “temps plein“ d’après l’intensité ou la pénibilité du travail, un tel dispositif permet de tenir compte de ces facteurs et donc de ne pas désavantager les salariés qui y sont soumis. La complexité de cette méthode est encore accrue du fait qu’il existe des jours prestés réels et des jours prestés théoriques, ces derniers étant retenus pour qualifier l’année de complète ou incomplète. Un exemple donné par l’ONP montre le passage des uns aux autres. « Vous travaillez comme ouvrier 4 jours par semaine pendant 9h1/2 par jour. Dans votre entreprise l’occupation à plein temps s’élève à 38 heures par semaine. Votre compte individuel mentionne 200 jours prestés et 18 jours de maladie. Lors du calcul de la pension ce nombre sera porté à (200/4) x 6 = 300 jours prestés. Étant donné que vous prouvez plus de 285 jours d’occupation, 12 jours assimilés sont ajoutés à vos 300 jours d’occupation effective, de sorte que l’année complète (312 jours) vous est accordée ». Le remplacement des rémunérations réelles par des rémunérations dites fictives ou forfaitaires intervient dans une variété de situations : travailleurs handicapés, reprise partielle d’activité par un travailleur malade, travailleur qui après un licenciement accepte un travail de durée équivalente mais moins bien payé, salarié dont les horaires et la rémunération diminuent dans le cadre d’une “redistribution du travail“ (destinée par exemple à éviter des licenciements), etc. Ces règles permettent de gérer bien des situations de façon humaine, mais elles rendent délicat le travail de liquidation des pensions. Malgré cette complexité, les frais de gestion de l’ONP se limitent à 140 M€ pour 21,7 Md€ de prestations versées : ce ratio de 0,65 %, même s’il n’inclut pas les frais d’encaissement des cotisations (travail effectué par l’ONSS, Office national de sécurité sociale) est assez raisonnable, grâce à l’unicité du régime. La retraite des fonctionnaires La pension d’un fonctionnaire était calculée sur la base de la moyenne M de ses traitements des 5 dernières années. Ce nombre a été porté à 10 pour les fonctionnaires dont l’âge au 1er janvier 2012 était inférieur à 50 ans. La formule de calcul de la pension est théoriquement simple : M est divisé par 60 et multiplié par le nombre d’années de service. Les complications interviennent notamment dans le décompte de ces années et dans l’âge de départ, qui dépend des fonctions occupées. Le résultat est très favorable si on le compare aux pensions des salariés du privé : en 2013, la pension moyenne des anciens fonctionnaires s’élevait à 2 100 € contre 950 € pour celle des anciens salariés. Même en tenant compte du fait que les administrations, à la différence des entreprises, n’organisent généralement pas de “second pilier“, l’écart est considérable, plus important qu’en France. La garantie de revenus aux personnes âgées (GRAPA) Le “revenu garanti“ en vigueur depuis 1969 a été remplacé en 2001 par la GRAPA, qui est un droit plus individuel que l’ancienne formule. Néanmoins, pour des personnes mariées, les ressources prises en considération pour l’attribution de la prestation et son calcul sont celles des deux conjoints, chacun étant réputé bénéficier de la moitié du total. Le montant “de base“ maximal pour une personne vivant en couple est de l’ordre de 7 100 € par an ; il est majoré de 50 % pour les isolés. La générosité du dispositif est comparable à celle de l’Allocation de solidarité aux personnes âgées française. Pour en savoir plus 2. Jours où une prestation (de travail) a eu lieu, que ce soit à plein temps ou à temps partiel. • Site de l’Office national des pensions, ONP, www.onp.fgov.be, et notamment le memento “Les pensions du régime salarié“ (192 p.). • Site de la sécurité sociale belge : www.socialsecurity.fgov.be Revue Française de Comptabilité // N°488 Juin 2015 // 23