LE MAGOT DE FRANKIE Marcel Bourton avait fini par cracher le

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LE MAGOT DE FRANKIE Marcel Bourton avait fini par cracher le
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LE MAGOT DE FRANKIE
Marcel Bourton avait fini par cracher le morceau. Frankie Paul avait inscrit l’endroit où
il avait planqué le magot au recto d’une page de garde d’un bouquin. Et ce bouquin était
peut-être encore sur l’une des étagères de la Mme Louise Marcellin, la mère de Georges
qui s’était dessoudé lors de l’attaque de l’agence du Crédit de l’Ouest, à Morlaix. La
vieille et le bouquin se trouvaient à Fleury. Un bled dans le Calvados.
17, rue…
Henry Bergot, 36 ans, dit « Riton », alias « le Flingue » ou « le Barge », se voyait
contraint de revenir sur son passé qu’il n’avait pas complètement effacé de sa mémoire.
La gomme était usée et avait trop servi.
Bourton, faussement rangé des voitures, vivait à Grandville avec un nouveau blaze et
avait l’apparence d’un rentier, ou tout simplement d’un retraité pépère, qui avait de
pouvoir de vivre assez chichement dans une bicoque qui donnait sur la mer. Il ne
commettait plus d’erreurs. Il évitait de porter des costumes trop voyants, des godasses
hors de prix, des bagouses en or à ses anciennes initiales et de conduire des cabriolets
un peu trop luxueux. Le malfrat s’affichait cependant au bras d’une petite bourgeoise
joviale, discrète et veuve. Il fréquentait une brasserie où il dinait une fois par semaine et
franchissait parfois le seuil du Casino. Cependant, malgré qu’il soit précautionneux,
d’anciennes connaissances, moins servies par la chance ou la fortune, l’avaient croisé et
dévisagé sur le port, à la terrasse de troquet, à hippodrome. Bouton avait pris du ventre
et avait de manières de bourgeois, de vieux commerçant. Tout le contraire du porteflingue et ami de Paul qui avait assez de chou pour ne pas se faire doubler. Surtout par
ses amis.
Riton, qui vivait d’expédients entre Saint-Ouen et la place Clichy, avait été affranchi.
Illico, Bergot avait dressé un plan de campagne, le retrouver. Lui qui fréquentait la
Haute et qu’il ne craignait plus de s’afficher en public. Sans doute c’était-il acheter une
nouvelle conduite, une honorabilité, avec des faux-papiers.
Bourton fixait le plafond de son salon. Un surin était planté dans le cœur. Du travail
propre. Un boulot de pro.
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Il ne servait plus à rien. Et pas besoin qu’il prévienne qui que ce soit. Un gars de la
bande ou même un roussin.
« Le Barge », lui, il avait cruellement besoin du magot que Frankie avait plaqué
quelque-part. Curieusement, il avait noté sur une page d’un livre dont l’ignorait. Bergot
se souvenait vaguement de la couverture du bouquin. Pour quelle raison avait-il rédigé
ce pensum. Mystère. Etait-il peu sûr de sa mémoire ou songeait-il à ses filles qui à
l’époque avaient à peine 10 ans.
Le Caïd, qui était devenu courtier en assurances, un an plus tôt, était mort d’une crise
cardiaque au volant de sa bagnole. Et entre deux rendez-vous professionnels : une
extension de garantie chez un entrepreneur et un avenant à un contrat. La voiture s’était
immobilisée à la sortie de la Conserverie de la Manche, bloquant l’accès.
Bergot l’avait appris alors qu’il était sur coup.
Frankie « le caïd », Marcel Bourton et « le Flingue c’était une longue histoire. Jalonnée
de coups de foireux de dénonciations. Pendant l’Occupe les affaires étaient florissantes.
Paul avait ses entrées au château de la Motte, chez Mme Clotilde, dans la maison de
campagne de René, au domicile de Hantz et du responsable de la question Juive.
Certains s’étaient remplis les poches. D’autres beaucoup moins. Riton avait fait
bombance, fréquenté les deux maisons closes qui s’accommodaient de sa clientèle ainsi
que le Lido, fui la route d’Harcourt et la cité-jardin.
12 ans s’étaient écoulés.
Toute la bande, ou presque, avait échappé à l’épuration.
Frankie avait en poche un bon carnet d’adresses et c’était un as du chantage ainsi que du
racket.
Henry, quant à lui, sans fric, il avait un intégré une bande. Même s’il était employé dans
un grand magasin, il ne s’avait faire que deux choses, - peut-être trois -, torturer, tuer…
et… jalouser.
C’était un envieux compulsif doublé d’un tueur qui rêvait de fortune.
Alors, le pensum posthume de Frankie : cela tenait du miracle. Il avait besoin de l’or qui
dormait bêtement. En Uruguay, un pays qui le fascinait, ou sur la côte, sans blé tu n’es
rien.
Riton avait pris le train à Grandville et avait changé à Flers.
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Direction Caen avec un arrêt prudent à Feugerolles. Il ne fallait surtout pas se faire
coincer stupidement. Sa tronche devait s’afficher chez les poulagas et les pandores.
« Dix-huit mois de tôle et une interdiction de séjour. Les salauds de juges. »
L’attaque de l’agence bancaire en Bretagne avait foiré. Maigre butin et deux macchabés
sur les bras. On les avait abandonnés dans un chemin forestier. Sans oraisons funèbres,
sans curé mais en faisant leurs poches.
Un complice l’attendait devant la gare avec une charrette capable de faire ses 175 km
dans l’heure. Un second faisait le guet devant la cambuse de Mme Louise Marcellin, 55
ans, veuve et un petit emploi à la mairie.
Riton avait sonné. La femme sourit en lui ouvrant. Ce fut son dernier.
Le trio s’engouffra dans la maison. Le guetteur ferma derrière lui et empocha les clefs.
Henry posa une question. Il était pour l’attaque brutale. Il avait été bien formé.
« Le bouquin ! la vieille.
- Celui de Frankie.
- Je ne comprends pas.
Il renouvela sa question. Louis fit la même réponse.
Une baffe l’envoya dans les pommes. Riton et des deux autres guignols se mirent à rire.
Le bouquin, le bouquin, Frankie disait Bergot qui s’énervait. Il ne devait pas s’attarder
dans ce bled. On le connaissait ici. Trop même. Depuis l’école primaire…
Louise Marcelin revenait à elle. Elle ne portait plus que ses dessous, son portejarretelles et ses bas. Les deux gus la maintenait ferment. C’était l’heure du supplice de
la baignoire. Riton, un flingue dans une pogne des ordres. Ils replongèrent la femme
dans l’eau froide.
Louise s’évanouit une quatrième fois.
Elle avait reconnu.
Ce timbre de voix, ses yeux de rapaces, ses petites lèvres, ses tics quand il perdait
contenance. La fascination qu’il exerçait sur son fils. L’argent facile, les filles. La
présence de Frankie que lui avait imposée. La bande s’était mise à l’abri. Les allemands
déguerpissaient comme des rats. Les FFI et les hommes du général Baxter à leurs
trousses. Elle se rappelait vaguement le livre que consultait le caïd à l’époque. Un
roman d’aventure que lisaient des enfants de familles juifs qu’elle cachait avec d’autres
amies et qui fréquentait la classe de Mme Villard.
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Louise rouvrit un œil et la même question revint.
« Les bouquins ? »
Trois baffes se succèdent.
- Je les ai donnés, murmura-t-elle.
- A qui ?
- Une asso…cia… tion… qui gère la biblio.
Le « Volant » crocheta la serrure. Ils firent la lumière. D’innombrables livres occupaient
les étagères. Riton détestaient lire.
Il ignorait donc que c’était un excellent roman d’aventure d’une édition Tallandier avec
une couverture due à Maurice Toussaint de la Collection Bleue. L’ouvrage était exposé
dans une vitrine au côté de « l’As » publié par les frères Offenstadt.
« Que les romans qui ont été édités avant 45. La date figure sur une page avant… au
début, à la fin. »
- Dès qu’on trouve un truc écrit… à la main ça va s’en dire. « Le Barge » maniait
parfois une certaine dérision. Vous m’l’donner. J’suis seul à connaitre l’écriture de
Frankie.
Il poursuivait :
- Inutile de ranger. On a trop affaire après.
Docile Volant et Guetteur commencèrent à inspecter les étagères. L’un les romans
étrangers, le second ceux de jeunesse. Riton se hasardant à s’attaquer aux romans
français. Il attaqua par les classiques.
La bibliothèque en possédait plus onze mille.
Louise Marcelin revenait à elle. Le froid de l’eau la baignoire la saisit. Son visage était
tuméfié. On l’avait rouée de coups. Elle parvint à s’extraire de la baignoire et tomba sur
le carrelage. Elle rampa jusqu’à la porte et parvint à se redresser. L’employée de mairie
tituba au lavabo. Elle se saisit d’une serviette de bain. Elle se frictionna avec la plus
grande vigueur qu’il lui restait.
La femme coula un regard anéanti sur le miroir. Une autre femme, nue, la fixait.
Il lui fallut plusieurs minutes pour prendre conscience que c’était elle.
Les bouquins s’empilaient sur la table de la bibliothèque.
C’était un travail de patients, de types persévérants. Les deux hommes de Riton
abattaient méticuleusement leurs besognes.
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200 mille balles pour le job par bonhomme pour faire le job. Puis, une aide
financièrement pour pouvoir ouvrir un garage. Réparations toutes marques. Une affaire.
C’est ce qu’avait promis Bergot fin mars avant de prendre la route de Grandville. Dès
qu’il aurait mis la main sur le butin de Paul, il serait temps de se débarrasser de ces deux
gêneurs.
Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Ce n’est pas parce que la lumière lui
qu’elle est pour tout le monde !
Louise Marcellin, vêtue d’une robe, tir sur les poignées d’un tiroir de sa commode. Sous
une pile de sous-vêtement, elle attrapa une petite boîte en carton. Le portrait d’une
femme était peint sur le couvercle.
La bibliothèque de l’association ressemblait à un champ de foire. Plusieurs tas de livres
étaient aux pieds des étagères. Pas trace de l’écrit « Paul ». L’épitaphe qui devait mener
Riton vers la fortune.
« le Flingue » fulminait intérieurement. Et, si Marcelin s’était foutu de lui. Impossible
songea-t-il. Après la baignoire on est docile et on ne garde rien pour soi. On parle, on se
délivre. On a besoin d’un sursis. Que tout s’arrête.
Egalement, dès qu’il aurait trouvé le magot, il reviendrait buter la vieille. Il se reproche
de l’avoir as fait quand elle dans la flotte.
Il haussa les épaules et posa les yeux sur la vitrine.
Mme Marcelin plissait une feuille blanche sur laquelle elle avait retranscris les notes de
Frankie Paul. Elle l’avait fait le lendemain de leur départ et elle en avait oublié
l’existence.
Riton tenait enfin le fameux sésame. Il touchait au but. Une maison ville du côté
Bayeux. « Le Flingue » sourit. Il filerait après par la route de Cherbourg et donnerait
rencart aux deux caves dans un endroit discret, quelques heures avant son départ vers
d’autres horizons,
Tenant le petit feuillet, Louise Marcelin descendit péniblement l’escalier et se dirigea
vers le téléphone.
La maison de ville, à la façade ordinaire, était située dans un faubourg d’Isigny et pas
très loin la rivière Aure. Un endroit calme pour de paisible retraité. Des tas de sable et
de gravier étaient dans la coin, à côté d’une bétonnière.
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Henry Bergot se faufila entre une palette de briques et une brouette, suivi par ses
hommes. Il donna ne dernières fois ses ordres. Trouver la cave qui se trouvait à
l’extérieur de la baraque. On pouvait y accéder par une sorte de tunnel depuis le soussol. Il fallait faire vite. On était certes dimanche mais les proprios allaient sûrement se
pointer et des curieux rappliquer.
De concert, le trio prit la direction de la bicoque.
« Alors, Riton t’es encore tricard ! »
Henry avait reconnu la voix de l’Inspecteur principal Lacroix. Celui qui l’avait cravaté
cinq plutôt et qui avait des accointances avec le réseau d’Hector.
« Le Barge » jura la garce de Marcelin en sortant son soufflant. Il tira au jugé. Un flic
riposta. Deux bastos envoyèrent Riton sur le sable et trop loin maintenant des rivages de
l’Uruguay.
L’inspecteur, Mme Marcelin, les proprios et un contremaître faisaient cercle autour du
maçon qui frappait à l’aide d’une masse un pan de mur de la cave.
La dernière partie tomba et, enveloppés dans un nuage de poussière, ils virent la pile
d’une vingtaine de lingots d’or et plusieurs sacs de Napoléon. Puis, deux macchabés.
Les derniers aides de Frankie Paul. Deux élégants qui fréquentaient également le
château de ma Motte.

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