Soutien aux pratiques en amateur : quelle finalité

Transcription

Soutien aux pratiques en amateur : quelle finalité
Soutien aux pratiques en
amateur : quelle finalité ?
Alors qu’un projet de nouveau décret concernant les pratiques en amateur était abandonné en 2006, la COFAC (Coordination des fédérations des associations de culture et
de communication regroupant 28 200 associations, soit plus de 134 000 bénévoles et
près de deux millions d’adhérents) élaborait en 2011 un document sur la législation des
pratiques en amateur. Le guide d’information juridique “Les pratiques en amateur et
la législation” fait notamment un point historique sur l’apparition de la problématique
des amateurs, du Front Populaire à aujourd’hui, mettant ainsi en perspective les débats
actuels autour de l’article 11A de la loi LCAP. Quelques problématiques soulevées par un
texte remarquable.
Définitions : qu’est-ce qu’un amateur ? Dès les pre-
mières pages du document de travail de la COFAC,
cette remarque à propos de la définition courante de
l’amateur qui encadre jusqu’à aujourd’hui les pratiques (décret de 1953). On considère que l’amateur
tire ses moyens habituels d’existence d’une autre
activité. Il s’agirait donc d’une activité de loisirs
ou de professionnalisation. « Ces deux notions (loisirs/professionnalisation) bornent le monde éclaté
des artistes amateurs. » Or, remarque la COFAC,
cette approche « oublie le cas d’artistes professionnels qui voudraient pratiquer dans leur propre
discipline dans un contexte non professionnel ».
Une définition négative – ne vit pas de… – semble
en effet insuffisante.
Tel est sans doute l’un des nœuds insolubles de la
question des amateurs : si un professionnel peut
pratiquer son art en amateur, celui-là même dont il
tire ses moyens de subsistance, c’est que le terme
“d’amateur” ne qualifie pas des personnes mais des
situations dans lesquelles les personnes pratiquent
une expression artistique. Si le professionnel peut
pratiquer en amateur (il a le droit de jouer bénévolement), inversement, l’amateur ou considéré
comme tel peut pratiquer en situation professionnelle : il a alors le droit d’être rémunéré. Toute la
difficulté est alors de distinguer entre la situation
professionnelle et la situation en amateur.
Qu’est-ce qu’un artiste ? Il y a donc une question
de définition dont prend acte la COFAC : « Il ne
Analyse
s’agit pas d’opposer amateurs et professionnels »
mais d’identifier ce qui les réunit : « l’exigence
artistique, culturelle et intellectuelle est au centre
de leur activité », qu’ils soient professionnels ou
amateurs. Une remarque à mettre en écho avec la
définition de “l’artiste” proposée par la Recommandation relative à la condition de l’artiste (Belgrade, Unesco, 1980) : « On entend par “artiste”
toute personne qui, crée ou participe par son interprétation à la création ou à la recréation d’œuvres
d’art, qui considère sa création artistique comme
un élément essentiel de sa vie, qui contribue ainsi
au développement de l’art et de la culture, et qui est
reconnue ou cherche à être reconnue en tant qu’artiste, qu’elle soit liée ou non par une relation de
travail ou d’association quelconque. »
L’art n’est pas seulement l’objet d’une profession,
donc réglée par le Code du travail, mais pour ainsi
dire il est l’objet d’un projet de vie. En revanche,
c’est bien l’exploitation d’artistes quels qu’ils
soient qui exige une législation, toute situation professionnelle devant être soumise à la présomption
de salariat. Se pose alors la question de la finalité
du soutien aux pratiques en amateur.
De la finalité du soutien aux pratiques en amateur.
Si la finalité est lucrative, la rémunération s’impose. Si elle relève d’un projet d’accompagnement
et de valorisation des amateurs (termes utilisés par
la loi LCAP), elle peut faire exception, même en
cas de spectacle mixte, aux obligations du Code
La Lettre d’Echanges n°144
avril-mai 2016
FNCC
Analyse
Soutien aux pratiques en amateur : quelle finalité ?
du travail (la question étant alors de s’assurer que
cette finalité d’ordre pédagogique ne masque pas
d’autres objectifs plus intéressés). D’où l’idée,
portée notamment par la CGT, d’une obligation de
conventionnement avec des personnes publiques.
Une finalité collective. On peut noter deux remar-
ques faites par la COFAC. Un arrêté de 1964 exigeait en effet que les ciné-clubs – premières initiatives en amateur objets d’un cadrage légal, après
le théâtre – soient affiliés à une fédération. Ce qui
était déjà vrai pour le théâtre, puisque le décret de
1953 ne reconnaissait une activité bénévole de production et de diffusion de spectacle vivant « qu’à
condition que le groupement soit agréé par le
ministère de l’Education nationale ou affilié à une
fédération de théâtre amateur, elle-même agréée ».
Alors, l’idée de l’individu amateur ne faisait pas
sens, d’où la focalisation sur le théâtre, pratique
par essence collective. Ce n’est qu’en 1989 que les
enquêtes du Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de
la Culture font apparaître des indicateurs de réelles
activités non collectives comme l’écriture, la peinture ou la photographie.
Une finalité individuelle. Aujourd’hui, en revan-
che, la finalité semble essentiellement considérée
comme individuelle, la pratique collective contribuant au développement des personnes. L’alinéa 3
de l’article 2 de la loi LCAP pose parmi les objectifs des politiques culturelles publiques cet engagement : « Favoriser, notamment au travers des initiatives territoriales, les activités de création artistique
pratiquées en amateur, sources de développement
personnel et de lien social. » La finalité du soutien
aux pratiques en amateur est donc psychologique
(épanouissement personnel) et sociale (épanouissement social de la personne). Ce n’a pas toujours
été le cas.
Une finalité politique. « Le décret de 1953 préci-
sant les conditions des pratiques en amateur a vu le
jour dans un contexte bien particulier : celui de la
fin de la Seconde Guerre mondiale, préparée par le
programme du Conseil national de la Résistance, et
celui de l’essor de l’éducation populaire, à la suite,
notamment des initiatives du Front Populaire. »
Parmi les mesures à appliquer dès la libération du
territoire, le programme du CNR (Des jours heu-
reux) indique, dans les réformes indispensables,
« la possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la
culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à
tous ceux qui auront les capacités requises pour les
exercer et que soit ainsi promue une élite véritable,
non de naissance mais de mérite, et constamment
renouvelée par les apports populaires. »
Ici la finalité n’est donc ni sociale ni psychologique
mais proprement politique : le projet n’est pas celui
de l’épanouissement personnel mais celui de l’épanouissement politique de la société, ce qui exige de
convoquer les arts pour préparer chacun et chacune
à l’exercice du pouvoir. Un projet dans le droit fil de
ce qu’écrivait Condorcet en 1792 dans L’Organisation générale de l’institution publique : « L’instruction permet d’établir une égalité de fait et de rendre
l’égalité politique reconnue par la loi. »
Une finalité artistique ? On peut noter enfin qu’en
France du moins, aucun texte ne fait mention
d’une finalité proprement artistique des pratiques
en amateur. Il faudra attendre le travail de l’Unesco
pour reconnaître que les sociétés se nourrissent
symboliquement de toutes les formes de pratiques
expressives, que la création n’est pas seulement un
fait singulier ou collectif mais une force créatrice
ou spirituelle. Principe énoncé dans la Recommandation de Nairobi sur la participation citoyenne à
la culture (Unesco, 1976) : « L’accès et la participation ont pour finalité d’élever le niveau spirituel et culturel de la société dans son ensemble sur
la base des valeurs humanistes et de donner à la
culture un contenu humaniste et démocratique. »
Perspectives. Ces quelques éléments mis à jour
par l’étude de la COFAC ne fournissent pas de
solution au cadrage pertinent des pratiques en
amateur. Cependant les questions qu’elle soulève
montrent l’urgence de sortir d’ambiguïtés nées
de l’histoire : l’ampleur de ces équivoques, liées
notamment à l’absence de définition claire de
nombreux termes, persiste. En l’état actuel de la
réflexion, une loi est-elle en capacité de trancher
sur ces questions complexes ? Quoi qu’il en soit, la
COFAC, qui réunit un très grand nombre de fédérations ou d’associations, semble ici un interlocuteur incontournable. La Lettre d’Echanges n°144
avril-mai 2016
FNCC

Documents pareils