ED 151 - Interview JC Millet - Espace Innovation des CCI de

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ED 151 - Interview JC Millet - Espace Innovation des CCI de
CARNETS DU DÉCIDEUR
CARNETS DU DÉCIDEUR
INTERVIEW
Jean-Claude Millet un innovateur drômois
Figure emblématique de l’innovation drômoise, Jean-Claude Millet affiche
un parcours entrepreneurial exceptionnel, émaillé d’aventures industrielles
étonnantes, guidées par son intarissable soif d’invention, de recherche
et de découverte. Derrière le retraité
actif aussi discret que fécond se
Profession serial créateur
Ingénieur de formation, initié dans l’industrie aux enjeux de la recherche et du développement, Jean-Claude
Millet découvre les arcanes de la création d’entreprise en
fondant en 1982 la société Imaje, qu’une croissance exponentielle va propulser parmi les leaders mondiaux de
l’impression à jet d’encre à usage industriel. Une aventure humaine basée sur une double innovation technologique et sociale qui s’achève pour lui en 1995 avec la
cession de l’entreprise, dont le montant dépassera le milliard de francs. Il crée aussitôt la société Eidos de conseil
et de soutien financier au service d’entreprises locales en
difficulté ou en phase de création ou de diversification.
Les sociétés Corima, Corima Modelage, Cordes à Nœuds
(CAN) ou Essenciel, aujourd’hui florissantes, vont ainsi
bénéficier de ses interventions. De même se penche-t-il
étroitement sur le devenir de PSMN, modeste entreprise
loriolaise de sous-traitance industrielle, qu’il va doter
d’une vocation propre autour des interfaces de confort
pour le corps humain. S’appuyant sur une démarche d’innovation conduite de manière scientifique, l’entreprise
rebaptisée Millet Innovation lors de son entrée en bourse
en 2006 va développer la gamme la plus complète au
monde de produits de podologie, commercialisés sous la
marque Epitact, qui la hissent au rang de leader. Parallèlement, Jean-Claude Millet fonde la société Osmooze
pour développer un concept innovant de nébulisation
piézo-électrique sans solvants ni tensio-actifs pour le
traitement de l’air à usage professionnel, que convoitent
aujourd’hui de grands groupes internationaux. Élu en
2004 membre de la prestigieuse Académie des Technologies, l’entrepreneur innovateur est aujourd’hui Président
du Conseil de surveillance d’Eidos et de ses deux filiales
Millet Innovation et Osmooze. Retraité
depuis 2008, il ne poursuit pas moins
son insatiable quête d’innovation au
travers de sa dernière société Œrœ
Sarl - prononcez heureux ! -, structure d’innovation et de valorisation de
l’innovation, qui accouche encore sans
cesse de nouveaux concepts et brevets… innovants !
cache en effet un serial créateur
qui, d’entreprises audacieuses en
réussites époustouflantes, a bâti un
véritable groupe industriel autour de
sa passion de l’innovation. Un moteur
puissant dont il nous livre aujourd’hui
 Jean-Claude Millet a publié en juin 2009 “Marquons notre temps“,
sa vision assurément éclairée…
l’innovation technologique dans les PME industrielles.
Économie Drômoise : Comment envisagez-vous
l’innovation ?
ÉD : L’innovation exige-t-elle une
méthode spécifique ?
Jean-Claude Millet : L’innovation est un acte créateur portant sur
une nouveauté technologique, commerciale ou organisationnelle,
passée du concept à l’usager dans des conditions positives
d’exploitation, c’est-à-dire sans produire de nuisances à moyen
terme, pour l’ensemble des acteurs concernés : actionnaires,
salariés, collectivité et usagers. En ce sens, elle constitue un
progrès. Elle s’impose avant tout comme une nécessité pour
l’entrepreneur, dont le premier devoir est de toujours se remettre
en cause avant que le marché ne s’en charge, dans un contexte où
les règles de la concurrence et le pouvoir des consommateurs, fort
heureusement grandissant, conduisent à l’obligation d’avoir à
vendre des différences. En effet, il n’est pas de situation qui puisse
résister au temps ; ceux-là mêmes qui en douteraient réclament
ici le plus d’attention.
C’est bien parce que cette
conviction nourrit l’émergence
d’entreprises innovantes que
celles en place doivent préparer
leur défense. Pour autant,
l’innovation
demeure
un
moyen de l’entreprise et non sa
finalité. À l’inverse l’absence
d’innovation est la négation
même de l’entreprise.
J-CM : En premier lieu, je pense que l’innovation
passe par un état d’esprit où l’impulsion
des dirigeants de structures, qu’elles soient
commerciales, associatives ou publiques et
les désirs d’accomplissement des salariés se
rejoignent dans un but collectif partagé. Par
ailleurs, “comme il n’y a pas de liberté sans
contrainte, il y a peu d’espace pour l’invention
sans méthode“ ; une idée que j’exprime dans mon
premier livre intitulé “Marquons notre temps“. Je
consacre justement un second ouvrage à paraître
prochainement à l’innovation technologique
dans les PME industrielles dont je vous livre ici
les idées-forces. Pour moi, l’innovation réclame
un champ de réalité de l’entreprise clairement
défini : il faut coller à sa vocation et pas aux
soi-disant
opportunités.
Un
plan
de
développement structuré et un budget
correspondant s’imposent également. La
structuration que je recommande est la suivante :
disposer d’un pont vers l’amont scientifique
du domaine dans lequel l’entreprise s’exprime,
rechercher une autonomie technologique qui
procure des moyens de différenciation, construire
les produits et les services en s’appuyant sur
Il y a peu d’espace pour
l’invention sans méthode
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N° 151 SEPTEMBRE OCTOBRE 2009
qui relate l’aventure Imaje et inaugure la collection “Propos d’innovateurs“ au sein des éditions Publibook, avant la parution prochaine d’un second ouvrage consacré à
cette autonomie technologique et s’assurer de
la capacité à produire dans des conditions de
qualité totale. Il faut aussi accepter l’idée que le
budget d’innovation n’est pas un poste facultatif.
En outre, il importe de se mettre en mesure de
protéger l’innovation par des brevets et une
organisation permettant de conserver ses secrets
de fabrique.
ÉD : Quels moyens l’innovation
réclame-t-elle ?
J-CM : La question des moyens n’est acceptable
qu’au regard de son pendant : combien est-ce que
cela rapporte ? L’innovation n’est pas un coût
d’exploitation mais un investissement d’ailleurs
très largement subventionné par l’Etat avec le
Crédit d’Impôt Recherche et souvent soutenu
par l’organisme exemplaire que constitue Oséo
Anvar. L’acte fondateur peut ne rien coûter et l’on
peut construire des projets de développement
innovants sur des dépenses initiales faibles.
Le détournement d’usage procure des briques
technologiques permettant de créer des produits
nouveaux sans avoir à développer de nouvelle
technologie. Millet Innovation utilise ainsi en
podologie plusieurs matériaux développés pour
des usages industriels. Pour la diffusion d’actifs
dans l’air, Osmooze reprend quant à elle une
technologie inventée pour le jet d’encre. Les
brevets de base passant dans le domaine public
offrent également l’opportunité d’interpréter
20 ans plus tard la technologie avec des moyens
très nouveaux. C’est ce que nous avions fait pour
Imaje en interprétant le brevet Sweet. Quant
au facteur temps, de l’entrée dans un projet à
son aboutissement, les délais peuvent parfois
être courts. Pour autant, il y a également de
nombreux cas d’échec ; une règle du “jeu“ à
admettre dès le départ. À titre d’exemple, pour
Imaje, nous avons abouti en 7 mois et demi avec
250 000 € quand Osmooze a nécessité plus de
5 ans et 4 M€ d’investissements. Enfin, il s’agit
de s’appuyer sur une équipe active réclamant
trois types de profils essentiels : des techniciens
parfaitement maîtres de leur métier, des
managers capables de conduire des équipes en
ayant des bases culturelles sérieuses du ou des
métiers de l’entreprise doublées d’une capacité
de coordination et d’entraînement, ainsi qu’au
moins un responsable qui en plus des capacités
précédentes soit à même de proposer une vision
du futur à l’entreprise.
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