Causes et impacts du phénomène des enfants des rues à
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Causes et impacts du phénomène des enfants des rues à
clinique sirocco Causes et impacts du phénomène des enfants des rues à Alexandrie Entretiens comparés avec des enfants institutionnalisés et d’autres non institutionnalisés Notre étude descriptive a pour objectif de mettre en exergue le phénomène des enfants des rues à Alexandrie, ceci afin d’évaluer les causes de cette problématique et son impact physique et psychologique sur les mineurs. Ce travail concerne 30 enfants âgés de 8 à 18 ans (12 filles et 18 garçons). Des entretiens individuels ont été réalisés, et seuls 10 témoignages ont été exploitables. Mariam Bedwani *, Jérôme Palazzolo**, Christian Mesenge*** * Psychiatre, Université internationale Senghor, Alexandrie, Égypte ** Psychiatre libéral, Nice Professeur au Département Santé, Université internationale Senghor, Alexandrie, Égypte *** Directeur du Département Santé, Université internationale Senghor, Alexandrie, Égypte 12 L ’analyse de ces témoignages met en évidence le - des programmes de formation destinés aux profesfait qu’une telle dynamique est multifactorielle, seurs pour la prévention, la détection précoce du des éléments personnels et familiaux étant retard scolaire et le traitement de ses causes, retrouvés : - un renforcement de la présence d’un psychiatre Les éléments personnels concernent 6 enfants, dont dans les services qui viennent en aide aux enfants, 4 ont un comportement déviant et 2 une intelligence - des programmes d’éducation destinés à la société moyenne. tout entière pour changer son regard vis-à-vis de ces Les éléments familiaux comprennent le divorce des enfants et pour sensibiliser les organisations gouparents dans 5 cas, la pauvreté dans 5 cas, la vio- vernementales et non gouvernementales dans le but lence au sein de la famille dans 5 cas, la présence de réhabiliter et d’éduquer ces enfants. e phénomène d’un illettrisme familial dans 4 cas, et une défaillance des enfants « sans abri » est en croissance constante à Alexandrie, comme dans plusieurs pays du monde. On du système éducatif dans 3 cas. Sur le plan physique, on retrouve la présence de estime leur nombre à plus de 250 000. Certains de ces blessures, de marques diverses, de malnutrition, de enfants sont « dans la rue », mais maintiennent d’asproblèmes de santé et d’abus sexuel. sez bons contacts avec leurs familles, qu’ils retrouvent Sur le plan psychologique, on retrouve la présence souvent chaque soir. S’ils sont dans la rue, c’est souvent d’une importante impulsivité, une hétéro-agressivité, pour travailler, s’amuser, passer du temps, ou en raison un comportement antisocial, une symptomatologie de l’exiguïté de leur logis où ils n’ont fréquemment dépressive, anxieuse, en lien avec un stress post- qu’une petite place pour dormir. traumatique, des troubles de sommeil, de l’énurésie, D’autres sont véritablement des « enfants des rues », où du tabagisme et de la toxicomanie. ils séjournent 24 heures sur 24 ; ils n’ont pas d’autre Les enfants institutionnalisés apparaissent en foyer. Certains y cherchent leur identité. meilleur état physique que les enfants laissés dans Ce groupe d’enfants marginalisés n’a pas ce que la les rues, tandis qu’ils soufrent des mêmes problè- société considère comme des relations appropriées mes psychologiques, ce qui met en évidence une avec les institutions majeures de l’enfance telles que la carence de soins psychiatriques. La question de la famille, l’éducation, et la santé (OMS, 1993). santé mentale joue un très grand rôle dans l’appa- L’exposition continue à l’environnement hostile de la rition et la perpétuation du phénomène des enfants rue, tout comme leur mode de vie désocialisé, met leur des rues à Alexandrie, et nécessite une prise en bien-être mental, physique, social et spirituel en danger, charge spécifique. et les expose à de nombreux problèmes de santé qui Plusieurs actions sont proposées : ne sont pas caractéristiques des autres populations de - un programme d’éducation des parents concer- même classe d’âge. nant les méthodes pédagogiques appropriées pour Ces enfants sont plus susceptibles d’être victimes d’abus prévenir la maltraitance des enfants, et par suite la physique, émotionnel et/ou sexuel, d’être victimes de promotion de leur santé mentale, violences, de souffrir de maltraitance ou de devoir quit- Synapse N ° 237 septembre-octobre 2008 ter les zones rurales pour des zones urbaines, de vivre Bek avec un autre garçon que j’ai rencontré. Lui, il snifdans la pauvreté, de se prostituer, de consommer des fait de la colle, il était complètement coupé du monde. substances comme l’alcool et/ou le cannabis, voire d’être Moi, je n’ai jamais essayé : j’ai trop vu les dégâts causés infectés par le virus du VIH. Par ailleurs, ils ont peu par ce comportement. Ensuite, un compagnon de galère recours aux services de santé existants, qu’ils considè- m’a parlé d’un centre d’accueil de jour, alors j’y suis allé rent avec méfiance et qu’ils évitent. avec lui. Les éducateurs m’ont proposé de travailler à Par ailleurs, cette situation constitue un important fac- l’hôpital, et voilà 6 ans que j’y exerce une petite activité teur de risque vis-à-vis de la survenue d’une sympto- d’entretien. J’y mange, je dors là-bas, et le week-end je matologie psychique problématique telle qu’un stress le passe à l’accueil de jour avec mes copains ». post-traumatique chez un enfant qui a été victime d’un Les éducateurs ont essayé de ramener Ahmed chez ses abus, ou un trouble de l’estime de soi au vu de l’exclu- parents il y a un an, mais il s’est de nouveau enfui. sion sociale et de la critique subies quotidiennement Aujourd’hui, Ahmed n’aime pas qu’une femme lui (OMS, 2006). donne des ordres au travail (« Ça me rappelle ma L’objectif de notre étude est de mieux comprendre le mère »). Son comportement est caractérisé par une pourquoi de la présence de ces enfants dans la rue. Il certaine impulsivité : s’il se met en colère, il ne parvient s’agit d’une analyse de leur situation, des causes qui pas à se contrôler. les ont poussées à se retrouver là, des alternatives qui leur sont offertes par l’État, les différentes institutions • Sherif : et les centres de santé. Cette analyse est le prérequis Shérif est un garçon âgé de 13 ans. Ses parents ont nécessaire à toute action d’accompagnement visant divorcé il y a 4 ans, et se sont remariés chacun de leur à élaborer un projet de réinsertion familiale, scolaire, côté. Lorsque Sherif va chez son père, il est battu par sociale et/ou professionnelle. sa belle-mère ; lorsqu’il va chez sa mère, il est battu par son beau-père. Ne sachant pas où aller, il s’est retrouvé Entretiens individuels dans la rue. Il a alors quitté Le Caire, et a pris le train Nous nous sommes entretenus avec 30 enfants âgés de pour Alexandrie. Là, il a rencontré un garçon de la rue qui l’a guidé vers un centre de santé. Il vit actuellement 8 à 18 ans (âge moyen : 14 ans), et seuls 10 témoignages ont été exploitables. en foyer, a repris une scolarité normale et a de bons Les enfants : résultats. Il rend régulièrement visite à ses parents, mais •Ahmed : présente un épisode dépressif majeur. Ahmed est un garçon âgé de 18 ans. Il a deux frères et une sœur, et il a quitté sa maison à l’âge de 9 ans en • Yousry : raison, selon ses dires, de la sévérité extrême de sa mère, Yousry est un garçon âgé de 16 ans. Nous l’avons renqui ne savait ni lire ni écrire. Il ne voulait pas aller à contré dans un centre d’accueil de jour, ce qui signifie l’école, et on le forçait à s’y rendre. Lorsqu’il revenait de qu’il vit encore dans la rue. Il refuse d’être institutionl’école et que sa mère le voyait jouer, elle « le mettait au nalisé. Son père a quitté le domicile conjugal, abancoin » : il restait debout le nez contre le mur jusqu’à ce donnant la mère de Yousry avec ses 4 enfants. Trois qu’il tombe d’inanition, à bout de force. Sa petite sœur ans plus tard, la mère se remarie et part à son tour de était également victime de maltraitance, se faisant brûler la maison. Yousry vit alors avec son frère aîné, qui est la jambe au fer rouge lorsqu’elle ne faisait pas ce que sa marié. Mais l’épouse de ce dernier est violente vis-à-vis du jeune homme, qui prend alors la décision de partir mère lui disait. Ahmed souligne : « Je la voyais faire cela à ma sœur, et je ne voulais surtout pas qu’il m’arrive la vivre dans la rue. Il envisage de retourner chez son frère même chose ! Je n’ai jamais aimé l’école, je n’aime pas lorsqu’il sera âgé de 19 ans : « Je serai grand et fort, et à ma mère non plus. Jamais je ne retournerai à la maison, partir de ce moment là ma belle-sœur ne pourra plus je suis bien mieux comme ça. Un jour, j’ai pris le train me maltraiter », souligne-t-il. pour Le Caire, je voulais voir la capitale dont tout le Yousry apparaît violent, agressif vis-à-vis des autres : monde parlait ! J’ai vécu là-bas pendant un mois chez « Lorsque quelqu’un ma taquine dans la rue, il peut une famille qui m’a trouvé en train d’errer tout seul m’arriver de le frapper. Et le problème, c’est qu’à partir dans la rue le soir. Ils ont essayé de me ramener dans de ce moment-là, je ne parviens plus à me contrôler. Je souhaiterais que l’on puisse m’aider à mieux gérer mes ma famille ; ils ont même fait passer une annonce dans le journal. Alors, je me suis enfui et je me suis rendu à émotions », rajoute le jeune homme. Alexandrie, où j’ai élu domicile sous le pont Moharrem Par ailleurs, un épisode dépressif d’intensité moyenne À l’occasion d’une prise de LSD, le bad trip peut durer entre quatre et vingt-quatre heures ; pour une prise d’ecstasy, il faut compter entre quatre et huit heures ; pour les champignons, de deux à douze heures, enfin, pour le speed, la durée du bad trip peut aller jusqu’à douze heures. Synapse N ° 237 septembre-octobre 2008 13 sirocco Les phénomènes de reviviscences intrusives ont le caractère subjectif des perturbations perceptives et des affects vécus lors de l’intoxication aux hallucinogènes. C’est une répétition spontanée et transitoire, parfois permanente, de certains aspects de l’expérience induite par l’hallucinogène en son absence. 14 est mis en évidence, lorsque Yousry évoque son quotidien : « Le fait de dormir sur le trottoir me fait me sentir mal dans ma peau. Je ne supporte pas le regard des passants ; je voudrais leur expliquer que je ne suis pas un mauvais garçon, mais que ce sont les circonstances qui m’ont poussé là. Il m’arrive d’avoir des idées noires, de me dire que la mort serait une sorte de soulagement ». Le jeune homme fume du cannabis de manière quotidienne, consomme des benzodiazépines de manière anarchique, et a arrêté de sniffer de la colle il y a trois semaines. Ibrahim est un garçon âgé de 13 ans, qui vivait jusqu’alors avec ses parents et ses frères. Son père est illettré ; il ramasse des morceaux de cuivre qu’il va revendre sur le marché. Il transporte ce cuivre sur une carriole tirée par un cheval. Ibrahim voulait lui aussi un cheval, mais son père lui a signifié qu’il ne pouvait pas lui en acheter un pour l’instant. Frustré, le jeune garçon a quitté le domicile familial. Nous avons rencontré Ibrahim dans un foyer, cela faisait 2 ans qu’il était dans la rue. Le projet le concernant était un retour imminent chez ses parents. Très vite, nous avons pu mettre en évidence un retard mental moyen chez ce garçon. Il venait de passer son certificat d’étude égyptien, avec une moyenne générale de 4 sur 30… Ibrahim consomme du cannabis de manière quotidienne. • Moustafa : Moustafa est un garçon âgé de 15 ans, il a une sœur aînée et un frère cadet. Il vivait au Caire, mais a fui le domicile familial car il ne voulait pas aller à l’école alors • Khaled : que sa famille le forçait à s’y rendre. Ses parents sont de Khaled est âgé de 16 ans. Originaire de Damietta à classe socio-économique moyenne, le père de Moustafa Alexandrie, ses parents ont divorcé lorsqu’il avait 5 ans. ne sachant cependant ni lire ni écrire. Chacun d’eux s’est remarié, et le jeune enfant a alors Le jeune homme présente un comportement déviant : été victime de maltraitance dans ses deux nouveaux avant de vivre dans la rue, il avait déjà fait de nom- foyers. Il s’est alors retrouvé dans la rue, et a été pris en breuses fugues, et se conduisait de manière désadaptée. charge dans un foyer d’accueil, où il est resté plusieurs Ainsi, « pour rire », il lui est arrivé de mettre le feu à l’un années. Il est ensuite retourné dans son quartier. Nous de ses camarades de classe. Le responsable du centre le rencontrons au foyer, où il est venu rendre visite à de santé le prenant en charge souligne, en parlant de ses éducateurs. Maintenant, Khaled vit seul dans une Moustafa : « Ce gamin nous a tous rendu fous ! C’est un chambre meublée dans la même rue que sa mère. Il inconditionnel des problèmes divers et variés : chaque travaille chez un coiffeur, et il est fiancé. Il ne cesse de jour il a des soucis avec les passants, les forces de l’ordre, raconter des histoires, fruits de son imagination : il se met en scène de manière héroïque, soulignant comment les autres jeunes de la rue ». Le jour de notre entretien, Moustafa devait retourner il s’est vengé des maltraitances dont il a été victime vivre chez ses parents, qui l’acceptaient à la seule condi- lorsqu’il était petit. Khaled abuse du cannabis et des tion qu’il cherche un travail. Moustafa consomme du benzodiazépines. cannabis de manière pluri-quotidienne, et des benzodiazépines très régulièrement. Il est décrit comme « très • Amal : impulsif » : « Il lui est déjà arrivé à plusieurs reprises de Amal est une jeune fille de 14 ans. Sa mère ne sait ni tout quitter sur un coup de tête », rajoute le responsable lire, ni écrire. Elle a été trouvée dans la rue, et recueillie du centre de santé. par des touristes au beau milieu d’une violente dispute. Amal a alors été hospitalisée en psychiatrie, car per• Mahmoud : sonne n’a souhaité l’accueillir, et il n’existe aucun foyer Mahmoud est un garçon âgé de 11 ans. Son père tra- d’accueil pour fille à Alexandrie. Elle présente un retard vaille en Arabie Saoudite ; il vit avec sa mère et ses deux mental moyen. Incurique, elle souffre d’incontinence frères. Aucune maltraitance n’est relevée, mais le jeune urinaire. Amal fume du cannabis de manière quotigarçon souligne : « Je me sentais étouffé à la maison, à dienne, sniffe de la colle et présente des crises clastiques l’école. La plupart du temps, je ne savais pas quoi faire, lorsqu’elle est frustrée. À présent, l’hôpital est devenu je m’ennuyais. Alors j’ai quitté la maison ; j’ai pris le pour elle un lieu de vie, où elle est prise en charge sur train pour Alexandrie. Je dormais dans un kiosque près le plan physique et sur le plan psychique. de la citadelle. Une association caritative m’a proposé une chambre dans un foyer. Je suis bien ici, je ne veux • Sayeda : pas retourner à la maison ; je suis une formation pour Sayeda est une jeune fille âgée de 15 ans. Ses parents ont divorcé lorsqu’elle avait 7 ans. Son père a quitté devenir mécanicien, et j’aurai un diplôme à la fin ». le domicile conjugal, et sa mère s’est remariée. Elle a alors placé Sayeda chez un couple comme employée de • Ibrahim : Synapse N ° 237 septembre-octobre 2008 sirocco Références ❚ Bayti : Enfants des rues – Alerte mondiale. http://www.bayti.net, 2006. ❚ Comité International de la Croix-Rouge : Rapport de la CroixRouge sur les enfants des rues, 1999. http://www.geocities.com/ joelmermet/enfants_des_rues. ❚ Greka LP, Rie N, Islam AB, Maki U, Omori K : Growth and health status of street children in Dhaka, Bangladesh. 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La compréhension physique, psychologique et sociale de l’enfant et de l’adolescent en situation à risque. Paris, 2006 ❚ UNICEF Égypte : Une nouvelle approche pour les enfants des rues égyptiennes. http://www. unicef.org, 2005 ❚ UNICEF Géorgie : Un nouveau refuge pour les enfants des rues en Géorgie. http://www.unicef. org, 2006 ❚ UNICEF : La situation des enfants dans le monde. http:// www.unicef.org, 2006a ❚ UNICEF : Action humanitaire de l’UNICEF Malawi. http://www. unicef.org, 2006b 16 maison à plein-temps. La petite fille a alors été victime saire d’intégrer le soin et la prise en charge psychiatrique de maltraitance, et est retournée vivre chez sa mère. au sein de cette dynamique. Par ailleurs, il apparaît Celle-ci l’a alors placée chez une dame (qui la maltrai- important de souligner que la prévention primaire est tait également), et récupérait la totalité de son salaire. actuellement loin d’être satisfaisante. Sayeda s’est enfuie, et est partie vivre dans la rue. « Je Les axes des stratégies préventives (secondaire, tertiaire) passais mes nuits assise sur le trottoir, effrayée par ce existantes se présentent comme suit : qui pouvait m’arriver. Je me réveillais plusieurs fois durant la nuit, tellement j’avais peur. Je mangeais du 1. La prévention secondaire : pain et des fèves, je n’ai pas avalé un morceau de viande Il s’agit de promouvoir la santé mentale des enfants pendant les 3 années où j’ai vécu dans la rue. J’ai mendié des rues en répondant à leurs besoins primaires, leur au début, jusqu’à ce que je gagne 3 livres égyptiennes prodiguer des soins médicaux et psychologiques, ainsi avec lesquelles j’ai acheté des Kleenex. J’ai alors revendu que l’aide sociale nécessaire. des mouchoirs en tirant un maigre bénéfice à chaque fois. Puis j’ai rencontré un jeune homme qui habitait Les besoins primaires : le quartier où je dormais. Il m’a proposé de me marier Pour les enfants déjà dans la rue : et de vivre avec lui, et j’ai accepté. Trois jours plus tard, • De la nourriture, des vêtements à disposition dans les un homme est venu lui rendre visite. Il était absent. centres d’accueil de jour, pour encourager les enfants L’homme s’est énervé, et il m’a violée. Lorsque mon à y venir. mari est rentré, il m’a alors chassée de la maison, en • Un abri pour ceux qui le veulent, car souvent ces criant que je n’étais qu’une traînée. Je suis donc repar- enfants ont des difficultés à s’adapter à la vie institutie vivre dans la rue. J’ai pu trouver une place dans un tionnelle. foyer au Caire (car à Alexandrie il n’existe aucun foyer pour les filles), et me voilà actuellement en formation Les soins médicaux : pour apprendre à faire des tapis ». Sayeda présente un Pour les enfants qui sont dans la rue : épisode dépressif caractérisé d’intensité moyenne. Elle Des unités mobiles vont jusqu’à eux. La présence d’un a fait 3 tentatives de suicide à la suite de son viol. médecin et d’une infirmière est bien souvent nécessaire. • Mohamed : Pour les enfants qui visitent le centre d’accueil du Mohamed est un garçon de 8 ans. Ses parents sont jour : divorcés, son père s’est remarié et sa belle-mère l’a mal- • Présence d’un médecin généraliste et d’une infirmière, traité à plusieurs reprises. Il a alors quitté le domicile pour les soins de santé primaires ; familial, il a rencontré d’autres garçons qui l’ont orienté • Avis d’un dermatologue en cas de besoin ; vers un foyer d’accueil. Il poursuit une scolarité normale, • Éducation sanitaire pour les enfants ; et tient un discours cohérent et adapté. Son humeur est • Éducation sexuelle ; syntone. Mohamed souffre d’énurésie. • Participation à un groupe d’échange dont l’objectif est que les enfants des rues puissent, entre eux, échanger Les problématiques mises en évidence leurs propres expériences. Le phénomène des enfants des rues est important en Pour les enfants institutionnalisés : Égypte, surtout dans les grandes villes comme Le Caire • Examen médical périodique, éducation sanitaire. et Alexandrie. C’est un phénomène global, qui n’est pas particulier aux pays en voie de développement (OMS, La promotion de la santé mentale des enfants des 2000) et qui concernerait près 250 000 enfants. rues : En analysant les 10 témoignages précités, on peut La présence d’un psychologue dans les centres d’accueil constater que dans la plupart des cas il s’agit d’une de jour et dans les foyers permet de détecter l’éventuelle problématique multifactorielle, comme l’a décrit Lewis présence de troubles psychiques chez les enfants, et de Aptekar (Rapport Croix Rouge, 1999) : « La pauvreté ne mettre en œuvre une éventuelle thérapie individuelle, peut expliquer à elle seule ce phénomène, c’est plutôt ainsi que des groupes de parole. un ensemble de facteurs qui semble être à l’origine de Le support social : la décision de l’enfant de vivre dans la rue ». Grâce à la présence d’une assistante sociale qui interQuelle prévention ? vient au sein des centres d’accueil de jour et des instiDans le contexte alexandrin, malgré la qualité des pré- tutions, les enfants peuvent trouver un certain étayage ventions secondaire et tertiaire existantes, il est néces- leur permettant de mieux gérer leurs difficultés quoti- Synapse N ° 237 septembre-octobre 2008 sirocco diennes, voire d’être réinsérés dans leur famille. Par ailleurs, un soutien éducatif est proposé, soutien permettant d’aider les familles à modifier la situation à l’origine du départ de l’enfant. Il s’agit alors : - d’aider les parents à apporter des soins plus appropriés à leur enfant ; - de convaincre la famille d’accepter le retour de l’enfant fugueur, voire de trouver un proche qui l’accueille (oncle, tante, grands-parents…) ; - de permettre aux adolescents de plus de 16 ans de bénéficier de papiers d’identité. L’assistante sociale est dans bien des cas considérée par l’enfant comme une figure parentale dont l’objectif est de donner à ce dernier des repères, lui apporter un soutien externe et un certain confort moral. Lorsque l’enfant bénéficie d’un tuteur, un « guide de parrainage » est mis en place pour l’accompagner et essayer d’orienter l’expérience afin qu’elle soit la plus bénéfique possible pour l’enfant. Un suivi du tutorat est assuré par diverses ONG, telles CARITAS à Alexandrie, ou Médecins du Monde au Caire. L’objectif final est généralement de proposer un emploi aux adolescents de plus de 16 ans. Les soins spécifiques pour les filles déjà dans la rue : Les soins médicaux : • Consultations gynécologiques pour prévenir ou dépister une éventuelle maladie sexuellement transmissible ; • Rencontre éventuelle avec un obstétricien pour tout ce qui concerne le soin prénatal, natal et postnatal ; • Éducation sexuelle, abord de méthodes pédagogiques de base afin d’aider les jeunes mamans à prendre soin de leurs enfants pour ne pas créer une nouvelle génération d’enfants des rues. Le soutien psychologique : L’objectif est ici d’aider les adolescentes à surmonter un éventuel traumatisme causé par un viol, une maternité non désirée, et de prévenir toute tentative de suicide. Les thérapies comportementales et cognitives sont généralement utilisées, en individuel, en groupe, et un traitement pharmacologique est proposé lorsque cela est nécessaire. 2. La prévention tertiaire : La réhabilitation : Il apparaît nécessaire de donner à ces enfants le droit à l’éducation. La scolarisation doit être une priorité, et pour les enfants plus âgés l’enseignement d’un métier leur permettra de se réinsérer socialement. La mise en œuvre d’une « thérapie vocationnelle » : Des activités telles que le sport, le dessin, la musique, l’artisanat… leur permet de découvrir leurs dons et de les encourager ; l’un de ces enfants nous avoua : « On a des dons, et quelques-uns d’entre nous seraient assez intelligents pour devenir de brillants médecins ou ingénieurs, si les circonstances étaient tout autres… ». Recommandations Afin de complémenter les stratégies existantes, nous recommandons l’intégration des axes suivants : 1. En prévention primaire : Dans un premier temps, il s’agit de mettre en œuvre des programmes d’éducation pour les familles, dans le but de les aider à mieux gérer leurs relations avec leurs enfants, leur donner quelques informations sur la santé mentale infantile et prévenir toute rupture définitive de la communication intrafamiliale. Ces programmes doivent être diffusés par les médias, relayés par les chefs religieux dans les églises et les mosquées, être disponibles sous forme de brochures chez les obstétriciens (durant le soin prénatal, à l’accouchement), dans les centres de santé, chez les pédiatres… Dans ce cadre, il s’agit également d’encourager la mise en œuvre de programmes d’information destinés aux enseignants, programmes axés sur la détection précoce du retard scolaire afin de mettre en évidence au plus vite d’éventuels troubles psychologiques chez l’enfant. Ainsi, la présence d’un psychologue en école primaire est de plus en plus courante à Alexandrie, ce qui permet de détecter un hypothétique TDAH, une dépression, un trouble anxieux…, et favoriser la mise en œuvre d’un suivi approprié. ❚ UNICEF : Un monde digne d’enfants. http://www.unicef.org, 2006c ❚ World Health Organization : Working with street children. Geneva, 2000a ❚ World Health Organization : Responsibilities of street educators. Geneva, 2000b ❚ World Health Organization : Understanding substance use among street children. Geneva, 2000c ❚ World Health Organization : Understanding sexual and reproductive health including HIV/AIDS and STDs among street children. Geneva, 2000d ❚ World Health Organization : Determining needs and problems of street children. Geneva, 2000e ❚ World Health Organization : Responding to the needs and problems of street children. Geneva, 2000f ❚ World Health Organization : Implementing a street children project. Geneva, 2000g ❚ World Health Organization : Involving the community. Geneva, 2000h ❚ World Health Organization : A profile of street children. Geneva, 2000i 2. En prévention secondaire : La visite périodique d’un psychiatre au sein des unités mobiles, des centres d’accueil de jour et des centres de détention est préconisée, ce qui permet de prendre en charge un trouble du comportement, une toxicomanie, un stress post- traumatique… L’objectif est de favoriser la réinsertion de ces enfants dans leurs familles respectives, et ensuite de maintenir des relations intrafamiliales de bonne qualité. La prise en charge des filles-mères : C’est à la fois une prévention secondaire pour les filles des rues (les nouvelles jeunes mamans) qui bénéficient alors du soutien de leur entourage, et une prévention primaire pour tout ce qui concerne la promotion de la santé mentale de leur enfant. Il s’agit donc à la fois d’une solution au problème actuel, et d’une prévention de ce phénomène pour la future génération. Il s’agit donc Synapse N ° 237 septembre-octobre 2008 17 clinique - d’établir un certificat de naissance, - de parer aux besoins primaires (nourriture, vêtements, vaccination…), - d’envisager un placement en orphelinat pour les bébés que certaines jeunes mamans refusent d’assumer. Conclusion Quelle que soit la cause de l’arrivée d’un enfant dans la rue, la situation de rupture sociale qui en découle a un impact indéniable sur son psychisme. Cette dynamique n’est à l’heure actuelle quasiment pas prise en compte à Alexandrie. Ce qui montre l’importance de la mise en œuvre de recommandations, à l’origine de programmes éducationnels qui serviront à promouvoir la santé mentale des enfants des rues. Nous conclurons sur cette phrase prononcée par Maxime Gorki, à propos du programme pour la jeunesse de Makarenkov : « Ce qui frappe, c’est la présence d’enfants doués dans cette bruyante foule de vagabonds. On sait qu’un grand nombre d’entre eux deviendront des hommes remarquables ».● exergue 18 Synapse N ° 237 septembre-octobre 2008