Ossessione - « Les amants diaboliques » Luchino Visconti

Transcription

Ossessione - « Les amants diaboliques » Luchino Visconti
Mars
2010
185
Luchino Visconti
Ce tourment incessant,
sans répit pour la conscience...
Fiche d’analyse de film
Clara CALAMAI
Massimo GIROTTI
Juan de LANDA
Dhia CRISTIANI
Elio MARCUZZO
Ossessione - « Les amants diaboliques »
Italie
• 1942•Noir et Blanc •2h20
Scénario Mario ALICATA, Antonio PIETRANGELI, Gianni PUCCINI,
Giuseppe De SANTIS, Luchino VISCONTI
d’après l’œuvre originale de James M. CAIN : The postman rings always twice
Photographie Aldo TONTI, Domenico SCALA
Montage Mario SERANDREI
Son et Musique Arrigo USIGLI, Tommaso BARBERINI / Giuseppe ROSATI
L’histoire
Gino Costa, un vagabond qui a travaillé
comme docker et mécanicien, arrive un jour
dans un relais routier, une « trattoria » de
la basse plaine du Pô non loin de Ferrare. Le
patron, le vieux Bragana, est marié à une femme
sensuelle et plus jeune que lui, Giovanna. Dès
le premier regard entre Giovanna et Gino,
une attirance physique très forte les enchaîne.
Afin de retenir Gino vers lequel elle se sent
irrésistiblement attirée, Giovanna l’accuse
de ne pas avoir payé son repas. Mécanicien,
Gino sabote volontairement la camionnette
de Bragana et propose ainsi de la réparer.
Bragana part à bicyclette avec le curé du village,
Don Rémigio, pour aller chercher la pièce de
rechange. Pendant ce temps, Giovanna et
Gino deviennent amants.Gino sympathise
avec Bragana, tous deux ayant servi dans les
« barsaglieri ». Bragana lui offre l’hospitalité.
Gino répare la camionnette, la pompe à eau.
A chaque éloignement du mari, les amants se
jettent dans les bras l’un de l’autre. Giovanna se
plaint de Bragana, hypocrite et avare qu’elle a
épousé par intérêt. Gino la convainc de s’enfuir.
Profitant d’une sortie à la pêche de Bragana,
les deux amants projettent de s’enfuir mais
Giovanna change d’avis en cours de route et
rebrousse chemin, préférant encore retourner
à la promiscuité avec Branaga qui la dégoûte
plutôt que suivre l’existence aventureuse et
désargentée que lui offre l’avenir avec Gino.
Seul, Gino prend le train pour Ancône ; un
voyageur surnommé « l’espagnol », qui travaille
de foire en foire, lui paie son billet au moment
où le contrôleur passe. L’espagnol l’invite à
l’accompagner. En ville, ils louent une chambre
pour deux et Gino ne peut s’empêcher de
parler du compagnon de Giovanna qui le hante.
L’espagnol lui conseille de prendre la mer mais
Gino ne l’écoute pas. Ensemble, ils travaillent
à la foire de Ferrare ; l’espagnol vend des
parapluies et Gino fait l’homme sandwich.
C’est alors que parmi la foule, Giovanna et
Bragana le rencontrent. Bragana lui reproche
de l’avoir quitté pour un travail misérable. Puis,
tandis qu’il participe à un concours lyrique dans
un café, Giovanna et Gino refont connaissance.
Vainqueur du concours, Bragana fête son succès
en buvant. Il est ivre quand tous trois sortent du
café. Sans se parler Giovanna et Gino ont scellé
leur destin. Ils repartent en camionnette dans
la nuit noire, Gino prend le volant. La camionnette sera retrouvée au bas de la route ; prés
du véhicule, le cadavre de Bragana. Les deux
amants ont organisé le meurtre du mari en
le camouflant en accident. Gino est indemne.
Giovanna dit à la police qu’elle a pu sauter à
temps. Les autorités concluent provisoirement
à l’accident.
Les deux amants rentrent ensemble au
relais. Ils n’y sont pas vraiment heureux. Le
souvenir du mari les obsède. L’oisiveté pèse à
Gino qui se met à boire. Il voudrait persuader
Giovanna de vendre l’établissement mais elle a
trop peur de la pauvreté. Lors d’un bal organisé
au relais, l’espagnol réapparaît. Il propose à Gino
de l’emmener à Gênes ou en Sicile. Gino refuse
et lorsque l’espagnol émet certains soupçons,
il le frappe. L’espagnol s’en va et essaie de
dénoncer Gino à la police, il n’y arrive pas. Les
deux hommes ne se reverront jamais.
A Ferrare, dans un jardin public où il
attend Giovanna, Gino rencontre Anita, une
prostituée, qui le séduit par sa douceur.
Puis, Giovanna lui apprend que Bragana avait
contracté une assurance vie. Gino, fou de rage,
accuse Giovanna de l’avoir manipulé pour se
débarrasser de son vieux mari. Il part retrouver
Anita chez elle et lui confie son crime avant de
s’apercevoir qu’il est suivi. Il fuit par les toits et
retourne au relais. Giovanna, qui avait menacé
de le dénoncer, ne l’a pas fait. Elle lui annonce
qu’elle est enceinte et les deux amants se
réconcilient. Ils décident de fuir définitivement
le passé. Leur camionnette aura un accident
dans le brouillard. Gino ramène le cadavre
de Giovanna sur la route. Il est arrêté par des
policiers qui avaient pris en chasse le véhicule.
Tout l’accuse du meurtre de Giovanna…
Pistes de réflexion
Un pays concret, ouvert aux signifi•cations
Un pays
concret,
ouvert
infinies,
met
bas aux
les significations
masques…
infinies, met bas les masques…
« Vers midi, ils m’ont vidé du camion
à foin… »
JAMES CAIN
« La littérature américaine est la seule qui
coïncide depuis sa naissance, avec l’époque
moderne et se puisse appeler complètement
moderne »
ELIO VITORINI
Ossessione , réalisé en 1942, sous le régime
de Mussolini, est au départ une adaptation du
roman de James Cain « Le facteur sonne toujours
deux fois » (The postman rings always twice)
écrit en 1934. Mais Visconti n’en garde que
l’épure tragique, le noyau dur en somme. Ce
choix singulier de transposer dans la plaine de
Ferrare et sur les rives du Pô la nouvelle éthique
romanesque venue d’Amérique donnant la
priorité aux actes, recensant les comportements
(behaviorisme) procède avant tout d’un parti pris
esthétique, philosophique et politique novateur
de la part du jeune cinéaste
de 36 ans. Car, durant
cette période du fascisme,
dans le contexte italien, la
référence à la littérature
américaine est un recours
polémique, une ligne de
résistance idéologique.
De fait, ces héros frustes
et rebelles, ces vagabonds
souffrant leur passion qui
peuplent les romans d’outre
atlantique paraissent bien plus réels et familiers
que tous les surhommes chimériques dont le
régime entretenait la fiction et en particulier au
travers d’une cinématographie de pacotille.
Au-delà, par l’audace des thèmes tabous
abordés : le chômage, la passion adultère,
le meurtre, l’homosexualité, la prostitution,
l’importance accordée aux élans et frustrations
des personnages, Ossessione constitue une
adresse aux spectateurs avertis de l’époque. Par
petites touches, en dévoilant un autre visage de
l’Italie que celui de la surface, Visconti plante ses
banderilles dans l’imaginaire fasciste.
C’est une certaine « Italie interdite » qui est à
découvrir là dans la noirceur de ton, le laconisme
et derrière la profondeur de champ et les très
longs plans : celle des gens de peu, du peuple,
des laissés pour compte de la vie, des petits
refoulés qui pour survivre ont recours à toutes
sortes de petits métiers, des plus anodins aux
plus sordides. Ainsi, derrière Giovanna durant la
scène de la première séparation des amants en
fuite sur la route, loin dans l’arrière plan, comme
une miniature du quattrocento, est montré un
groupe de laboureurs battant le blé. Toutes les
scènes restaurent cet autre visage de l’Italie, que
ce soit le bal villageois, le concours de chant, la
scène du train....
La galerie de portraits qui défilent au plus
près des préoccupations minuscules, réhabilite
le pays souterrain, esquisse et annonce l’Italie
de l’après guerre : Bragana, le garagiste obèse
et paternaliste, qui décide de garder Gino
lorsqu’il apprend qu’il a fait partie comme
lui des « Barsagliere », corps prestigieux de
l’infanterie italienne, Giovanna femme plus
âgée que Gino, sensuelle mais sombre, sans
glamour, presque négligée tant son (non) choix
de vie la révulse, le personnage du curé et les
chasseurs tout droit sortis des
romans provinciaux, le beau
personnage de jeune fille sage
entourée de marmaille, Anita,
rencontrée dans un jardin
public et dont le récit nous
apprend
progressivement
et subtilement qu’elle se
prostitue. En marge, apparaît
Spagnolo, dont le nom évoque
à lui seul une autre guerre
(celle d’Espagne) et une cause
n’ayant pas droit de cité (l’homosexualité).
Ce personnage, vagabond et saltimbanque,
invite discrètement la foule à prendre sa vie en
main durant son numéro à la fête de Ferrare.
Incarnation du choix assumé et de la liberté,
ses apparitions, ses gestes, comme ce billet
de train qu’il offre à Gino sans que rien ne lui
soit demandé, cette chambre d’hôtel sorte de
petit paradis masculin à Ancône, retentissent
comme des appels à un autre monde possible,
un nouvel ordre amoureux, un chemin de
liberté sans femme, un monde itinérant voué
à sa propre errance... Une offre, que Gino tout
en l’enviant déclinera en choisissant, pour sa
part, de défier sa misère en plongeant dans la
passion avec Giovanna.
Les plaintes de la passion sont
•
Les plaintessèches
de et
la fatales.
passion
languissantes,
languissantes, sèches et fatales.
sont
C’est dans la plaine du Pô (la plainte du
Pô?), où s’égraine la misère sociale des petites
vies provinciales sans avenir que le héros
Ainsi les détectives buttent sur une énigme.
Et lorsque Gino sort Giovanna de la voiture
au plan final et la traîne sur la route, la gorge
tranchée, inerte comme un pantin tragique,
le policier lui dit seulement, sobrement
« Andiamo » tandis que le visage de Gino
exprime une maturité désespérée. L’accident
c’est finalement cette passion, le remords
de la contrition. Dans l’avant-dernière scène
quand Gino repêche le cadavre désarticulé
de Giovanna, c’est une croix qu’il hisse sur les
berges du Pô. Les deux accidents sont similaires,
la pénitence analogue au crime. Après la mort
de Bragana dans la voiture, une contre-plongée
assez élaborée unit dans un même mouvement
de caméra les deux amants meurtriers et leur
victime ; la civière portée par deux infirmiers
traverse un champ en diagonale ; le sommet de
la digue est hérissé de silhouettes de policiers
et curieux. Leur immobilité dans le paysage
est une menace, plastiquement ne sont-ils
pas disposés comme les piques d’une grille
infranchissable? Derrière, il y a le ciel...
Autour des deux amants, le cinéaste
construit peu à peu, dans une noirceur
du style et une sécheresse de ton, un vide
psychologique que rien ne pourra sauver et
surtout pas leur première séparation qui en
rajoutant à leurs frustrations les conduira au
meurtre non prémédité au moment où le
trio s’est reformé par hasard. Une lumière
constante isole les amants, irradie brutalement
leur visage, ils forment silencieusement par
leurs regards une cathédrale érotique que
sa puissance seule menace à chaque instant.
Tout le film est traversé par cette évidence
affolante d’une attraction irréductible à toute
explication qui en impose à tous.
« Le monde romanesque n’est que la
correction de ce monde-ci, suivant le désir profond
de l’homme. Car il s’agit bien du même monde. La
souffrance est la même, le mensonge et l’amour.
Les héros ont notre langage, nos faiblesses, nos
forces. Leur univers n’est ni plus beau, ni plus
édifiant que le nôtre. Mais eux, du moins, courent
jusqu’au bout de leur destin et il n’est jamais de
si bouleversants héros que ceux qui vont jusqu’à
l’extrémité de leur passion”
Nous contacter
apollinien et à l’allure d’un « disoccupato »
énigmatique, surgit dans la station service. La
tension érotique du personnage est mise en
évidence, dans une certaine nonchalance de
son attitude puis en offrant dans l’embrasure
des portes, son torse d’athlète mouillé de
sueur sur un linge de corps crasseux. Son
arrivée emplit de désir le moindre recoin de
cette trattoria sordide et son corps robuste
bouche chaque issue. Sa seule présence
disqualifie avec cruauté jusqu’au dégoût le
corps obèse exigeant massages au saindoux
d’un Bragana qui n’est jamais plus qu’un bœuf
mené à l’abattoir.La scène où les deux amants
croisent leur premier regard est amenée
dans une intensité érotique exceptionnelle.
Rien n’existe autour d’eux, ni les hommes
accoudés au bar, ni les chiens. Le visage
solaire de Gino, la voix de Giovanna comme
un chant de sirène, puis les regards échangés
lorsque Giovanna le sert à table et que leurs
corps se frôlent. La violence érotique allume
ses braises dans la nudité masculine soulignée,
les yeux fous d’une Giovanna aux lèvres, en
gros plans, humectées d’Asti spumante, et
toujours ce fétichisme sudatoire...
Certes les héros nous ressemblent, ils
possèdent nos faiblesses et nos forces.
ALBERT CAMUS - « L’homme révolté »
Anita Lindskog
U n r é s e a u d ’ am i s r é u n i s p a r l a p a s s i o n d u c i n é m a
6 Bd de la blancarde - 13004 MARSEILLE
Tel/Fax : 04 91 85 07 17
E - mail : [email protected]

Documents pareils