Cass. Soc, 3 décembre 2014, n°13-23170

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Cass. Soc, 3 décembre 2014, n°13-23170
Cour de cassation, Chambre sociale, Arrêt nº 2078 du 3
décembre 2014, Pourvoi nº 13-23.170
Nº de Arrêt: 2078
Nº de Pourvoi: 13-23.170
Juridiction: Judiciaire
TEXTE
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 juin 2013), que Mme X... a été engagée le 21 mars 1977 par la Bank
Melli Iran en qualité d'hôtesse standardiste puis d'employée de bureau ; qu'elle a été licenciée pour motif
économique le 27 novembre 2008 ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui n'est pas de nature à permettre l'admission du
pourvoi ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée une somme à titre de
dommages-intérêts pour omission de faire connaître les critères d'ordre des licenciements, alors, selon le
moyen, que, par définition, le critère d'ordre des licenciements concerne une procédure de licenciement
collectif ; qu'en condamnant l'employeur pour ne pas avoir répondu à une demande de communication des
critères d'ordre d'un licenciement individuel, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-43 du code du travail ;
Mais attendu qu'aux termes de l'article L. 1233-7 du code du travail, lorsque l'employeur procède à un
licenciement individuel pour motif économique, il prend en compte, dans le choix du salarié concerné, les
critères prévus à l'article L. 1233-5 ; que c'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a retenu que le
manquement de l'employeur à son obligation d'indiquer au salarié qui le demande les critères retenus en
application de l'article L. 1233-5 du code du travail cause nécessairement à ce dernier un préjudice
distinct de celui réparant l'absence de cause réelle et sérieuse ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée une somme à titre de
préjudice moral distinct, alors, selon le moyen, que les décisions qui ne sont pas motivées sont déclarées
nulles, et que la contradiction de motifs constitue un défaut de motifs ; que la cour d'appel a considéré que
la salariée avait éprouvé un préjudice moral distinct de celui découlant de l'absence de cause réelle et
sérieuse de son licenciement en raison du fait que, peu après, l'employeur avait mis en place un plan
d'incitation au départ volontaire dont elle n'avait pas pu bénéficier ; que dans la mesure où il est
contradictoire de sa part de dire que ce préjudice était déjà indemnisé au titre du licenciement, tout en
ajoutant une indemnité complémentaire de 3 000 euros, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de
procédure civile ;;
Mais attendu que la cour d'appel a, sans contradiction, relevé que le préjudice économique de la salariée
était déjà indemnisé au titre du licenciement et condamné l'employeur au paiement d'une somme
supplémentaire au titre du préjudice moral distinct subi par celle-ci ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Bank Melli Iran aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à Mme X... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience
publique du trois décembre deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour la société Bank
Melli Iran.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Sté Bank Melli Iran, employeur, à payer à
Madame Micheline X..., salariée, la somme de 68.000 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE la lettre de licenciement datée du 26 novembre 2008, dont les termes
fixent les limites du litige, était ainsi motivée : « A la suite des mesures arrêtées à l'encontre de la BANK
MELLI IRAN par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, le Conseil de l'Union Européenne du 23 juin
2008, a pris la décision de geler les activités économiques de toutes les succursales et filiales de la BANK
MELLI IRAN, et un administrateur provisoire a donc été désigné par la Commission Bancaire pour
administrer la succursale de Paris.
Cette situation a conduit ; dès le 24 juin à la suspension de toute nouvelle opération avec la clientèle, et
depuis cette date, à l'extinction de celles qui étaient en cours au jour de la décision. Il s'ensuit une réduction
significative du travail pour l'ensemble des postes de la succursale, et particulièrement du vôtre, affecté par
l'arrêt de la fréquentation des clients et visiteurs.
Aucune estimation de retour à une situation de fonctionnement normal n'étant possible compte tenu du
caractère particulier de la décision ayant conduit à la situation décrite ci-dessus, nous avons, pris la décision
de supprimer votre poste de travail » ; qu'en application de l'article L 1233-3 du code du travail, est
constitutif d'un licenciement pour motif économique, le licenciement effectué par un employeur pour un ou
plusieurs motifs non-inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation
d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail,
consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ; lorsqu'une
entreprise fait partie d'un groupe, les difficultés économiques de l'employeur doivent s'apprécier tant au
sein de la société, qu'au regard de la situation économique du groupe de sociétés exerçant dans le même
secteur d'activité, sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés ou entreprises situées sur le territoire
national ; qu'une réorganisation de l'entreprise ne constitue un motif de licenciement que si elle est
effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe dont elle
relève, en prévenant des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi du salarié
licencié ; que la sauvegarde de compétitivité ne se confond pas avec la recherche de l'amélioration des
résultats, et dans une économie fondée sur la concurrence, la seule existence de celle-ci ne représente pas
une cause économique de licenciement ; que pour infirmation, la société BANK MELLI IRAN fait valoir
qu'elle a dû cesser son activité suite à la décision du Conseil des ministres de l'Union européenne ; que le
poste d'hôtesse d'accueil standardiste de Madame Micheline X... a été supprimé, aucune clientèle ne se
présentant plus ; que si Madame Micheline X... avait été avisée en 2006 dans son transfert au « back-office
», elle n'avait en fait jamais rejoint ce service et aucun avenant à son contrat de travail n'avait été signé ;
que pour confirmation, Madame Micheline X... fait valoir que par courrier du 23 mars 2006, il lui avait été
notifié qu'elle était mutée à un poste d'employée de bureau, ce qu'elle avait accepté, qu'à la date de son
licenciement, la banque ne rencontrait aucune difficulté économique, que son licenciement a eu lieu avant
la mise en place de la politique d'incitation au départ ; que le licenciement vise le gel des activités
économiques de la banque suite à la décision du Conseil de l'Union européenne du 28 juin 2008 et l'arrêt de
la fréquentation des clients et visiteurs ; que toutefois Madame Micheline X... avait été affectée à un poste
d'employée de bureau, dont les tâches lui avaient été précisées, ce qu'elle avait accepté par courrier du 20
avril 2006, son poste d'hôtesse d'accueil standardiste ayant été supprimé suite à l'automatisation du standard
téléphonique et de la sécurité, mutation confirmée par l'organigramme de l'agence ; que le motif de l'arrêt
de la fréquentation de l'agence par des clients, qui renvoie à une fonction d'hôtesse standardiste qu'elle
n'occupait plus en 2008, est dès lors inopérant ; que la société BANK MELLI IRAN n'établit pas que
Madame Micheline X... n'aurait pas quitté son poste de standardiste, d'autant que la mutation de celle-ci
était due, en partie, à la mise en place d'un nouveau standard ne nécessitant plus sa présence et pour l'autre
part à l'absence de visiteur, qui n'est pas démentie ; que si la lettre de licenciement mentionne une «
réduction significative des postes de la succursale », elle ne précise pas en quoi le poste d'employée de
bureau, dont les tâches sont précisées dans la lettre du 23 mars 2006, était concerné par la décision du
Conseil de l'Union européenne ; que par ailleurs, les autres employés de la succursale ont été destinataires
de propositions de départ volontaire dans le cadre de la procédure de rupture conventionnelle en février
2009, Madame Micheline X... en étant ainsi écartée ; qu'au vu de ces constatations, le caractère économique
du licenciement de Madame Micheline X... n'est pas justifié ; que le jugement du conseil de prud'hommes
sera confirmé en ce qu'il a dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement de Madame Micheline X... ; ET
AUX MOTIFS RÉPUTÉS ADOPTÉS QUE le licenciement économique est défini par l'article L. 1233-3
ainsi rédigé « Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur
pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou
transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de
travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l'une
des causes énoncées au premier alinéa » ; que la lettre de licenciement est ainsi rédigée : « À la suite des
mesures arrêtées à l'encontre de la BANK MELLI IRAN par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, le
Conseil de l'Union Européenne du 23 juin 2008, a pris la décision de geler les activités économiques de
toutes les succursales et filiales de la BANK MELLI IRAN, et un administrateur provisoire a donc été
désigné par la Commission Bancaire pour administrer la succursale de Paris.
Cette situation a conduit, dès le 24 juin, à la suspension de toute nouvelle opération avec la clientèle, et
depuis cette date, à l'extinction de celles qui étaient en cours au jour de la décision. Il s'ensuit une réduction
significative du travail pour l'ensemble des postes de la succursale, et particulièrement du vôtre, affecté par
l'arrêt de la fréquentation des clients et visiteurs.
Aucune estimation de retour à une situation de fonctionnement normal n'étant possible compte tenu du
caractère particulier de la décision ayant conduit à la situation décrite ci-dessus, nous avons, pris la décision
de supprimer votre poste de travail » ; que la BANK MELLI IRAN reconnaît qu'au cours du mois de mars
2006, soit plus de 30 mois avant le prononcé du licenciement, avoir procédé à une restructuration interne
suite à la modernisation de son standard téléphonique ; que cette modification a, de fait, entraîné la
suppression partielle du poste de Madame X... ; que cette modification n'a été accompagnée d'aucun
avenant, mais seulement d'une proposition par courrier en date du 23 mars ; qu'il est offert un délai de
réflexion d'un mois à Madame X... ; que Madame X... accepte de façon explicite la suppression de son
poste et son affectation sur un emploi de bureau auprès du back-office par un courrier en date du 20 avril
2006 ; que dès lors, il est acquis que le poste de standardiste hôtesse d'accueil est supprimé, Madame X...
assumant désormais des fonctions d'employée de bureau de service back4 office ; que dans les faits,
Madame X... a continué à exercer, au moins partiellement, ses anciennes fonctions ; que plus de 2 ans
après, la BANK MELLI IRAN considère que suite à la décision de la Commission des Communautés
Européennes, elle serait en droit de supprimer un poste qui l'est depuis mars 2006 ; que pour justifier de
cette opportunité, la société BANK MELLI IRAN ne produit que copie de la désignation de Monsieur Y...
en qualité d'administrateur provisoire par la Commission Bancaire ; qu'il n'est produit aucun élément
économique, chute de l'activité ou statistiques de fréquentation de l'établissement ; qu'il n'est pas plus
produit d'éléments sur les critères de licenciement retenus par la banque ; qu'il n'est pas sérieusement
démontré en quoi l'impact de la décision du Conseil de l'Europe aurait eu pour conséquence la suppression
du poste de la demanderesse ; que si chute brutale il y a eu, elle s'impose à tous, quelle que soit la fonction
exercée, et dès lors, il pourrait être envisagé que pas seulement le poste, fictif puisque supprimé depuis
deux ans, d'hôtesse d'accueil soit impacté ; qu'ainsi il peut être imaginé que le service CREDOC, renforcé
par un salarié affecté en février 2007, pouvait lui aussi être concerné par la chute d'activité ; qu'au surplus,
la lettre de licenciement se contente d'annoncer la suppression du poste de Madame X..., poste dont la
banque se garde bien de préciser l'intitulé ; qu'il n'est pas précisé que la suppression serait consécutive
notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ; que la décision de la
Commission Européenne ne peut être assimilée à une difficulté économique, elle n'est pas plus assimilable
à une mutation technologique ; que la lettre de licenciement n'est pas motivée, elle ne permet ni à la partie
en demande, ni au juge de connaître la véritable raison ayant conduit au licenciement de Madame X... ; que
dans les faits, le poste de la salariée était supprimé depuis plus de 2 ans ; qu'un poste de travail n'est pas un
Phénix qui pourrait renaître de ses cendres pour légitimer un licenciement portant sur un motif économique
; que dès lors, le Conseil dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
1º) ALORS QU'ayant constaté que le licenciement économique de Madame Micheline X... avait été
prononcé en conséquence du gel des avoirs de la Sté Bank Melli Iran, ce qui avait nécessairement supprimé
toute activité en lien avec la clientèle, la cour d'appel, en disant ce licenciement dépourvu de cause réelle et
sérieuse aux motifs inopérants que deux ans auparavant, la salariée était passée d'un poste d'hôtesse-
standardiste à celui d'employée par suite de la suppression du standard, a violé l'article L 1233-3 du code du
travail, ensemble les articles L 1232-1, L 1232-6, L 1235-1 et L 1235-3 du même code ;
2º) ALORS AU DEMEURANT QUE le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en disant
que le licenciement avait pour motif que « le poste d'hôtesse d'accueil standardiste de Madame Micheline
X... a été supprimé, aucun client ne se présentant plus » (Arrêt, p. 5, 3e attendu), quand la lettre de
licenciement ne faisait pas référence à un poste de standardiste, mais se fondait sur « une réduction
significative du travail pour l'ensemble des postes de la succursale, et particulièrement du vôtre, affecté par
l'arrêt de la fréquentation des clients et visiteurs » (Prod.), la cour d'appel a violé le principe susvisé.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Sté Bank Melli Iran, employeur, à payer à
Madame Micheline X..., salariée, la somme de 100 € à titre de dommages et intérêts pour omission de faire
connaître les critères d'ordre des licenciements ;
AUX MOTIFS QUE Madame Micheline X... a demandé, par son conseil, à son employeur, de lui
communiquer les critères d'ordre des licenciements, demande à laquelle il n'a pas été répondu ; que
l'absence de tout élément sur le préjudice matériel qui en est résulté, celui-ci, de principe, sera évalué à la
somme de 100 € ;
ALORS QUE, par définition, le critère d'ordre des licenciements concerne une procédure de licenciement
collectif ; qu'en condamnant l'employeur pour ne pas avoir répondu à une demande de communication des
critères d'ordre d'un licenciement individuel, la cour d'appel a violé l'article L 1233-43 du code du travail.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Sté Bank Melli Iran, employeur, à payer à
Madame Micheline X..., salariée, la somme de 3.000 € au titre d'un préjudice moral distinct ;
AUX MOTIFS QUE Madame Micheline X... fait valoir un préjudice moral distinct ; que Madame
Micheline X... fait valoir que son licenciement a été entrepris quelques mois avant que soit mis en place un
plan d'incitation au départ volontaire dont elle n'a pu bénéficier ; que toutefois cette circonstance, qui peut
être ressentie comme un agissement déloyal, est réparée au plan matériel par l'indemnité ci-dessus fixée ; le
préjudice moral, distinct de celui résultant de la seule rupture, sera équitablement réparé par une indemnité
de 3.000 € ;
ALORS QUE les décisions qui ne sont pas motivées sont déclarées nulles, et que la contradiction de motifs
constitue un défaut de motifs ; que la cour d'appel a considéré que la salariée avait éprouvé un préjudice
moral distinct de celui découlant de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement en raison du
fait que, peu après, l'employeur avait mis en place un plan d'incitation au départ volontaire dont elle n'avait
pas pu bénéficier ; que dans la mesure où il est contradictoire de sa part de dire que ce préjudice était déjà
indemnisé au titre du licenciement, tout en ajoutant une indemnité complémentaire de 3.000 €, la cour
d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.