Développement psychomoteur du nourrisson : la séméiologie

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Développement psychomoteur du nourrisson : la séméiologie
réalités pédiatriques # 150_Mai 2010
Mises au point interactives
Développement psychomoteur
du nourrisson :
la séméiologie clinique revisitée
tant en avant de multiples processus
développementaux plus complexes
que la mise en place des seules performances motrices et du langage.
cessus de stabilisation initiés in utero
(mort cellulaire, régression neuritique
et élimination des synapses redondantes).
Développement cérébral
Développement
du langage oral
Il s’agit d’un processus long et continu
qui, dans l’espèce humaine, débute
dès la conception et se poursuit bien
au-delà de la naissance.
➞
1. Pendant la grossesse
B. CHABROL
Service de Neurologie Pédiatrique,
Hôpital d’Enfants, CHU Timone,
MARSEILLE.
étude du développement
psychomoteur constitue l’un
des socles de l’enseignement
pédiatrique depuis toujours. Ces dernières années, grâce aux progrès
conjoints de la neuropsychologie, des
études développementales, mais également de l’apport des nouvelles techniques d’electrophysiologie et d’IRM
fonctionnelles… on ne peut plus considérer le développement psychomoteur
comme étant seulement le reflet ou plutôt comme un moyen d’évaluation du
phénomène de maturation cérébrale.
L’
Gesell [1] considérait ainsi le développement moteur comme séquentiel et
présentant un ordre immuable pour
tous les enfants. Des études récentes
donnent une approche différente met-
Plusieurs étapes successives ou
simultanées ont lieu :
– individualisation de la plaque neurale et fermeture du tube neural jusqu’à
7 semaines post-conceptionnelles,
– production des cellules neurales,
– constitution des différentes couches
neuronales corticales par migration
des neurones le long des fibres gliales
radiaires (à partir de la zone germinative) jusqu’à 20-23 semaines postconceptionnelles,
– gliogenèse, croissance des neurites,
synaptogenèse, maturation fonctionnelle des neurones et myélinisation
dans la deuxième moitié de la grossesse.
2. Après la naissance
Le développement se poursuit par la
persistance des processus de croissance et de différenciation (axonogenèse, dendritogenèse, synaptogenèse
et myélinisation), ainsi que des pro-
Le développement du langage s’inscrit
dans le développement cognitif et de la
communication. Il est étroitement
associé à la communication non verbale par le regard, les mimiques, les
gestes intentionnels. Cette construction du langage et de la langue maternelle se réalise par l’interaction entre
les aptitudes innées du langage et de
l’environnement, plus précisément les
informations linguistiques de l’entourage dans un contexte socioculturel [2].
Au niveau développemental, il est
observé une asymétrie du planum temporal, le gauche étant plus développé,
dès la 29e semaine de vie fœtale. La spécialisation hémisphérique est précoce,
ainsi, dès le 4e jour de vie, en écoute
dichotique, on observe une réaction
aux changements de syllabes au niveau
de l’oreille droite et une réaction aux
changements de timbre musical au
niveau de l’oreille gauche. Très récemment, il a été démontré l’influence du
langage maternel sur le développement
des réseaux neuronaux [3].
D’autres études ont montré une préférence à partir d’indices prosodiques
pour la voix de la mère dès le 1er jour
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réalités pédiatriques # 150_Mai 2010
Mises au point interactives
de vie, pour la langue maternelle dès
le 4e jour de vie.
Une autre étude avait comme objectif
de visualiser l’organisation des
régions cérébrales activées par
l’écoute de courtes phrases grâce à
l’IRMf (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle), portant sur 10
nourrissons âgés de 3 mois. Il a été mis
en évidence une activation en cascade
des régions temporales et frontales,
permettant ainsi au nourrisson d’accéder à la structure emboîtées des phrases. Le nourrisson de 3 mois, bien
qu’incapable de répéter des phrases
entières, possède déjà le circuit neuronal qui lui permet de repérer certains
éléments répétés de la phrase [4].
D’autre part, à la naissance et dans les
premiers mois, le nourrisson perçoit
tous les “sons” ou contrastes phonétiques de toutes les langues. Cette perception des unités phonétiques est
“catégorielle”, elle est indépendante
des variations d’intensité ou de
vitesse. Malgré toutes les sources de
variabilité (locuteurs différents,
contexte, rapidité…), les nourrissons
perçoivent la similarité phonétique au
sein d’une catégorie. Aucun ordinateur n’a été capable d’apprendre ce
type de catégorisation.
Kuhl et al. ont montré que dans un
groupe d’enfants de 9 mois américains
exposés à du chinois mandarin, soit
en direct, soit à la TV, seul le groupe
exposé en “live” a appris à discriminer les phonèmes du mandarin [5].
Le langage maternel est important, le
langage destiné aux nourrissons est
plus lent, a une hauteur tonale
moyenne plus haute et des contours
exagérés : il favorise leurs performances phonologiques.
Enfin, les capacités cognitives et de
communication précèdent et participent à l’élaboration du langage. L’at-
2
tention conjointe doit toujours être
recherchée lors de l’examen d’un
nourrisson à partir de 9 mois. Elle
comporte deux éléments : l’attention
visuelle conjointe qui permet de suivre la direction du regard ou de diriger le regard vers autrui, et le pointing : pointage de l’index vers l’objet
montré ou réclamé, premier moyen de
référence, corrélé à la compréhension
verbale.
Les premiers mots ont également un
rapport direct avec l’expérience de
l’enfant : demandes, désignations
d’objets, noms d’animaux, d’aliments,
de personnes. Les petits enfants français, américains, suédois et japonais
ne privilégient pas les mêmes mots en
début de développement. Ainsi, les
bébés français nomment davantage la
nourriture, les vêtements, les petits
Américains utilisent beaucoup de termes de bienvenue, les petits Suédois
les termes d’action, les petits Japonais
les éléments de la nature et les onomatopées du vocabulaire poétique [6].
Développement de la motricité
La posture (qui constitue l’ancrage de
l’activité motrice de déplacement) et
le tonus sont à la base de l’organisation et de l’exécution des praxies.
L’évolution de la posture est donc un
événement fondamental dans le
développement psychomoteur permettant à l’enfant de progressivement atteindre la station assise puis
debout, de libérer la motricité de
l’épaule et de la main, d’orienter son
corps et d’initier des interactions
avec l’environnement. Les processus
posturaux ne doivent plus être considérés comme réflexes, mais comme
des constructions motrices soumises
aux contraintes de l’environnement
et à la perception qu’en a l’individu,
soulignant ainsi le lien existant entre
posture et comportement sensorimoteur [7].
Il a été également démontré que des
expériences sensorimotrices nouvelles
ont une influence sur les processus
cognitifs utilisés dans la résolution de
taches précises [8]. Chez le nourrisson,
il existe une corrélation entre l’accès
au déplacement autonome et la résolution d’épreuves de recherche manuelle
d’objets cachés, la locomotion active et
autonome étant considérée actuellement comme un important organisateur du développement psychologique, en particulier dans le domaine de
la cognition spatiale. Lors d’épreuves
de recherche d’un objet caché, les
nourrissons qui ont déjà acquis un
déplacement autonome obtiennent de
meilleures performances que ceux qui
sont à un stade prélocomoteur (sans
déplacement autonome). Différentes
hypothèses ont été formulées pour rendre compte de ces résultats.
1. Hypothèse de la maturation
neurologique
Les meilleures performances des nourrissons locomoteurs seraient liées à
une maturation neurologique plus
avancée. En fait, cette hypothèse ne
peut être retenue. Des nourrissons qui
n’ont pas acquis une locomotion autonome, mais à qui on fournit une aide
technique de déplacement (trottebébé), présentent des performances
spatiales supérieures à celles des
bébés prélocomoteurs qui ne bénéficient pas d’une telle aide technique.
2. Hypothèse attentionnelle
L’attention jouerait un rôle clé dans la
résolution des épreuves de recherche
d’objets cachés et l’accroissement de
l’attention visuelle serait meilleure en
cas de déplacement à 4 pattes que lors
du ramper.
3. Hypothèse du flux visuel
L’intégration des informations issues
du déplacement, celles propriocepti-
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ves et vestibulaires permettent au
nourrisson de retrouver un objet caché.
Ces deux dernières hypothèses permettent de rendre compte de l’existence d’une corrélation entre l’accès
à la locomotion autonome et la résolution d’épreuves de recherche
manuelle d’objets cachés. Enfin,
l’acquisition de la marche est souvent présentée comme l’étape
ultime d’un développement posturo-moteur céphalocaudal s’appuyant sur un accroissement du
contrôle du tonus musculaire et de
la coordination des mouvements,
déterminant la séquence bien
connue d’étapes de développement
– maintien de la tête, position
assise, position debout – qui serait
le reflet direct de la maturation du
système nerveux. En fait, lors de
l’acquisition de la marche, l’enfant
doit apprendre, non seulement à
maîtriser les forces gravitaires, mais
aussi à les utiliser afin d’optimiser
le mouvement qui conduit à la marche, et lui permettre à tout instant
une adaptation optimale aux aléas
de l’environnement [9].
Conclusion
Pour le pédiatre, il est essentiel d’évaluer le développement psychomoteur
de tout enfant qu’il examine quelle
qu’en soit la raison. Lorsqu’elles existent, les anomalies de développement
doivent être toujours corrélées aux
données de l’examen neurologique
pour guider au mieux la démarche
diagnostique [10].
Bibliographie
01. GESELL AL. L’embryologie du comportement. Les débuts de la pensée humaine.
PUF, 2007, Paris.
02. LIVET MO. Développement du langage oral.
In Neurologie Pédiatrique. Flammarion
Médecines/Sciences, 2010, Paris: pp. 48-51.
03. DEHAENE-LAMBERTZ G, MONTAVONT A,
JOBERT A et al. Language or music, mother
or Mozart ? Structural and environmental
influences on infants’language networks.
Brain Lang, 2009.
04. DEHAENE-LAMBERTZ G, DEHAENE S, HERTZPANNIER L. Functional neuroimaging of
speech perception in infants. Science,
2002 ; 298 : 2 013-5.
05. KUHL P. Early language acquisition :
cracking the speech code. Nat Rev Neurosci, 2004 ; 5 : 831-43.
06. BOYSSON BARDIES B. Comment la parole
vient aux enfants. O. Jacob, 1996, Paris.
07. RIVIERE J. Locomotion autonome et cognition spatiale : le paradoxe de l’amyotrophie spinale infantile Arch Ped, 2007 ; 14 :
279-84.
08. JOVER M. Perspectives actuelles sur le
développement du tonus et de la posture.
In Le développement psychomoteur du
jeune enfant. Solal éditeur, 2000, Marseille : pp. 17-52.
09. BRIL B. La genèse des premiers pas. In Le
développement psychomoteur du jeune
enfant. Solal éditeur, 2000, Marseille : pp.
53-85.
10. ASSAIANTE C, CHABROL B. Développement
et troubles de la marche chez l’enfant. Rev
Neurol, 2010 ; 166 : 149-57.
L’auteur a déclaré ne pas avoir de conflit d’intérêt concernant les données publiées dans
cet article.
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