Éric-Emmanuel Schmitt

Transcription

Éric-Emmanuel Schmitt
Classiques
& Contemporains
Éric-Emmanuel Schmitt
Monsieur Ibrahim
et les Fleurs du Coran
LIVRET DU PROFESSEUR
établi par
JOSIANE GRINFAS-BOUCHIBTI
professeur de Lettres
SOMMAIRE
DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE
La confrérie des derviches tourneurs
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POUR COMPRENDRE :
quelques réponses, quelques commentaires
Étape 1
Étape 2
Étape 3
Étape 4
Étape 5
Étape 6
Étape 7
Étape 8
Le récit rétrospectif d’une adolescence ..................
Une rencontre ............................................................................
À la recherche d’une identité ..........................................
Un récit d’apprentissage
par la conversation ............................................................
En quête de spiritualité ..................................................
Un réalisme poétique .......................................................
Un conte .......................................................................................
Du récit au film .....................................................................
Conception : PAO Magnard, Barbara Tamadonpour
Réalisation : Nord Compo, Villeneuve-d’Ascq
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DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE
La confrérie des derviches tourneurs
Le mot « derviche » vient du persan ; son synonyme en arabe est faqir. Il
désigne l’homme qui devient « pauvre en esprit », qui se dépouille de luimême dans la voie vers Dieu.
La confrérie des derviches a pour berceau l’Anatolie, et plus précisément
la ville de Konya où se trouvent le mausolée de Djelâleddîn Mevlânâ Rûmi
et la maison mère des derviches, construite au XIIIe siècle et agrandie à
l’époque ottomane.
C’est après la mort de Mevlânâ que le groupe de ses disciples prend la
forme d’un ordre avec des règles et des rites bien définis, centrés sur la danse
et le concert spirituels appelés semâ.
Les principales règles des tekke (couvents de derviches) sont les suivantes : les « frères » sont astreints à des prières en commun et en privé, à la
lecture du Coran, à l’accueil des pèlerins et des pauvres. Ils renoncent aux
biens matériels mais ne doivent pas mendier. Le mevlevî (disciple de
Mevlânâ) porte un haut bonnet de feutre brun, le sikke (image de la pierre
tombale), une chemise longue et sans manches, une veste, une ceinture et
un ample manteau noir qui représente la tombe.
Le semâ ou concert spirituel est un moment fort de la vie du groupe.
Dans la tradition soufie, cette audition permet au derviche d’accéder à un
état de grâce proche de l’extase, de plonger en lui-même et de nourrir son
âme. Dans son ouvrage intitulé Mystique et poésie en Islam, Djalal-ud-Din
Rûmî et l’ordre des derviches tourneurs (Desclée de Brouwer, 1972), Eva de
Vitray-Meyerovitch décrit ainsi la danse des derviches au son du ney
(la flûte rituelle) : « Les danseurs laissent tomber en un geste triomphal leur
manteau noir dont ils jaillissent habillés de blanc, comme libérés de leur
enveloppe charnelle pour une deuxième naissance. Le cheykh se lève ; le
chef des derviches, suivi des danseurs, s’avance vers lui, s’incline et lui baise
la main droite ; tous font de même, ils sollicitent ainsi la permission de
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danser. Le cheykh donne son acquiescement en baisant leur coiffe. Les derviches, les bras croisés, les mains sur leurs épaules, se mettent à tourner lentement, puis ils étendent les bras comme des ailes, la main droite tournée
vers le ciel pour y recueillir la grâce, la main gauche vers la terre pour y
répandre cette grâce qui a traversé leur cœur et qu’ils redonnent au monde
après l’avoir réchauffée de leur amour. En dansant autour d’eux-mêmes, ils
tournent autour de la salle : ce tour représente l’union dans la pluralité, et
aussi les cercles de l’existence, de la pierre à l’homme. Il figure aussi la loi
de l’univers, les planètes tournant autour du soleil et autour d’elles-mêmes.
[…] À un certain moment, le cheykh se met à danser avec les derviches, le
rythme s’accélère. […] La cérémonie se termine par un dernier salut, une
psalmodie du Coran et par l’invocation soufie à Dieu.»
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POUR COMPRENDRE : quelques réponses,
quelques commentaires
Étape 1 [Le récit rétrospectif d’une adolescence, p. 68]
13 Le prophète Moïse apparaît dans le Pentateuque – nom donné par la
tradition grecque aux cinq premiers livres de la Bible et qui, dans le
judaïsme, constituent au sens strict la Torah : Genèse, Exode, Lévitique,
Nombres et Deutéronome. Il est le chef et le guide des Hébreux hors
d’Égypte ; il appartient à la tribu de Lévi, a grandi dans la maison du pharaon ; il est l’homme qui conduit les Hébreux à la liberté au nom d’un dieu
unique et tout-puissant qu’ils ignoraient jusque-là.
La Bible raconte que l’Éternel lui parle sur le mont Sinaï et lui donne
deux tables du Témoignage, deux tables de pierre écrites du doigt de Dieu.
Ce sont les tables de la Loi, que les Hébreux finissent par accepter après une
longue période de doutes et d’errances dans le désert.
Les élèves peuvent découvrir le personnage dans l’Exode, Le Roman de la
momie de Théophile Gautier, les Contes et Récits bibliques édités chez
Nathan, et dans la Bible.
On peut montrer aux élèves Les Dix Commandements, film culte de Cecil
B. De Mille. Au sujet de Moïse, il faut lire aussi le livre de Sigmund Freud,
L’Homme Moïse et la religion monothéiste (Gallimard, « Folio essais », 1939).
Muhammad est le prophète de l’islam. Il est né le 17 juin 569 à
La Mecque, dans une famille de caravaniers commerçants. À partir de
35 ans, il se met à faire des retraites annuelles, passant tout un mois à méditer dans une grotte, à l’instar de son grand-père. Dans la nuit du
22 décembre 609, à l’intérieur de la grotte, l’archange Gabriel lui annonce
que Dieu fait de lui son messager auprès du monde entier, il lui transmet le
premier fragment du Coran et lui montre comment se purifier rituellement
et comment célébrer l’office de prière. Pour échapper à un complot et à une
menace d’assassinat, Muhammad s’installe à Médine le 31 mai 623. Après
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dix années plus heureuses, il y rend son dernier soupir le 25 mai, soit le
4 juin de l’an 632 de l’ère chrétienne. Selon le Coran, Muhammad est le dernier des messagers de Dieu, l’ultime prophète. À sa mort, il laisse une religion comptant déjà un demi-million d’adeptes, un État théocratique où les
non-musulmans (arabes non islamisés, juifs et quelques chrétiens) sont parfaitement tolérés et jouissent d’une autonomie à la fois religieuse et juridique, un code écrit de lois divines (le Coran) contenant des prescriptions,
nationales et internationales, pour tous les aspects de la vie.
14 Les C.E.S. (collèges d’enseignement secondaire) sont créés en 1963 ;
dans le même temps, l’examen d’entrée en 6e est supprimé.
L’année de la généralisation de la mixité est 1966.
Momo est dans un établissement non mixte. La seule fille de l’établissement est la fille du concierge, Myriam (cf. p. 36, l. 584-588).
15 Ce roman a pour titre L’Enfant. Il est publié en 1879 et son héros se
nomme Jacques Vingtras. Il mêle étroitement la fiction aux souvenirs autobiographiques et se veut un réquisitoire contre l’enfance maltraitée. Il est le
premier volet d’une trilogie, dont les deux autres titres sont Le Bachelier
(1881) et L’Insurgé (1886), publié un an après la mort de Jules Vallès, le
14 février 1885.
16 Cet auteur est Nathalie Sarraute (1900-1999). Dans ce récit publié
en 1983, elle retrace sa vie depuis les premières années de l’enfance jusqu’à
l’entrée au lycée. Le texte prend la forme d’un dialogue entre la narratrice
et son double, et s’interroge sur la relation entre l’écriture et la reconstruction du passé.
Étape 2 [Une rencontre, p. 70]
13 Il s’agit des Limbes du Pacifique et de Vendredi ou la vie sauvage.
14 Le mot « cleptomane » est construit sur deux radicaux grecs : klepto,
qui signifie « je vole », et mania, qui signifie « folie ».
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Dans son ouvrage intitulé La Folie, histoire et dictionnaire (Robert
Laffont, « Bouquins »), le professeur Jean Thuillier définit ainsi la cleptomanie : « Impulsion obsédante à voler qui conduit le sujet à accumuler des
objets sans qu’aucune idée de commerce ne préside à ce geste. Pour que la
cleptomanie soit constituée, il faut que le vol n’ait pas de caractère nettement utilitaire et qu’il échappe à la volonté de son auteur, voire s’exécute à
son insu, dans un état second. »
On considère que l’acte de voler a pour fonction de combler, de réparer
un manque dont le sujet a souffert dans son enfance (manque de soins,
manque d’amour maternel).
Étape 3 [À la recherche d’une identité, p. 72]
14 Le texte de la Convention relative aux droits de l’enfant a été adopté
par l’Assemblée des Nations unies le 20 novembre 1989. Il contient
42 articles, dont voici des extraits tels qu’ils ont été publiés par l’ELCEM
(Élus locaux contre l’enfance maltraitée).
« Article 1 : définition de l’enfant
La Convention concerne tous les enfants de moins de 18 ans sauf si leur
pays leur accorde la majorité plus tôt.
Article 2 : le droit à la non-discrimination
Tous les droits énoncés par la Convention doivent t’être accordés, quelle
que soit ton origine ou celle de tes parents, de même qu’à tous les autres
enfants, filles et garçons. Les États ne doivent pas violer tes droits et doivent les faire respecter pour tous les enfants.
Article 3 : le droit au bien-être
1. Toutes les décisions qui te concernent doivent prendre en compte ton
intérêt.
2. L’État doit te protéger et assurer ton bien-être si tes parents ne peuvent le faire.
3. L’État est responsable des institutions chargées de t’aider et de te protéger.[…]
Article 8 : le droit à la protection de ton identité
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L’État doit t’aider à préserver ou à rétablir ton identité, ta nationalité,
ton nom et tes relations familiales.
Article 9 : le droit de vivre avec tes parents
1. Tu as le droit de vivre avec tes parents sauf si cela est contre ton intérêt (par exemple si tes parents te maltraitent ou te négligent).
2. Tu as le droit de donner ton avis et de participer à toute décision
concernant une éventuelle séparation de tes parents. Ceux-ci ont également
le droit de donner leur avis et de participer à une telle décision.
3. Si tu es séparé de tes parents ou de l’un d’eux, tu as le droit de le (ou
les) voir régulièrement, sauf si cela est contraire à ton intérêt.
4. Tu as le droit de savoir où se trouvent tes parents, sauf si cela est
contraire à ton intérêt. »
15 Dans la Genèse, Abraham est le premier des trois patriarches : la promesse divine lui a assuré une prospérité abondante, un « grand peuple ». De
lui sont issus Isaac, son fils Jacob et les douze fils de celui-ci, devenus plus
tard les chefs éponymes des douze tribus d’Israël.
L’époque présumée d’Abraham se situe entre 1800 et 1700 avant JésusChrist. Le récit biblique décrit les pérégrinations des patriarches à travers le
Croissant fertile. Partis d’Our, près de l’embouchure de l’Euphrate,
Abraham et son clan se déplacent vers le nord-ouest. Le but ultime du
voyage est le pays de Canaan. Mais une fois arrivés, ils continuent à parcourir la région – Hébron, Bersabée, l’Égypte. Isaac, fils d’Abraham, se fixe
à Bersabée.
Le sacrifice d’Abraham est raconté dans la Genèse (22). En voici le texte :
« Il arriva, après ces faits, que Dieu éprouva Abraham. Il lui dit :
“Abraham !” Il répondit : “Me voici”. Il reprit : “Or ça, prends ton fils, ton
fils unique, celui que tu aimes, – Isaac ; achemine-toi vers la terre de Moria,
et là offre-le en holocauste sur une montagne que je te désignerai.” Abraham
se leva de bonne heure, sangla son âne, emmena ses deux serviteurs et Isaac,
son fils ; et, ayant fendu le bois du sacrifice, il se mit en chemin pour le lieu
que lui avait indiqué le Seigneur. Le troisième jour, Abraham, levant les yeux,
aperçut l’endroit dans le lointain. […] Abraham prit le bois du sacrifice, le
chargea sur Isaac son fils, prit en main le feu et le couteau, et ils allèrent tous
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deux ensemble. Isaac, s’adressant à Abraham son père, dit : “Mon père !” Il
répondit : “Me voici, mon fils.” Il reprit : “Voici le feu et le bois, mais où est
l’agneau de l’holocauste ?” Abraham répondit : “Dieu choisira lui-même
l’agneau de l’holocauste, mon fils !” Et ils allèrent tous deux ensemble. Ils arrivèrent à l’endroit que Dieu lui avait indiqué. Abraham y construisit un autel,
disposa le bois, lia son fils Isaac et le laça sur l’autel, par-dessus le bois.
Abraham étendit la main, et saisit le couteau pour immoler son fils. Mais un
envoyé du Seigneur l’appela du haut du ciel, en disant : “Abraham !
Abraham !” Il répondit : “Me voici”. Il reprit : “Ne porte pas la main sur ce
jeune homme, ne lui fais aucun mal ! car désormais j’ai constaté que tu
honores Dieu, toi qui ne m’as pas refusé ton fils, ton fils unique !” Abraham,
levant les yeux, remarqua qu’un bélier s’était embarrassé les cornes dans un
buisson. Abraham alla prendre ce bélier et l’offrit en holocauste à la place de
son fils. […] L’envoyé de l’Éternel appela Abraham une seconde fois du haut
du ciel et dit : “Je jure par moi-même, a dit l’Éternel, que, parce que tu as agi
ainsi, parce que tu n’as pas épargné ton fils, ton fils unique, je te comblerai
de mes faveurs ; je multiplierai ta race comme les étoiles du ciel et comme le
sable du rivage de la mer, et ta postérité conquerra les portes des ennemis.”
Dans le Coran, Abraham est présenté par le Coran comme le premier
« soumis » (en arabe littéraire muslim, c’est-à-dire « musulman »). L’islam est
donc, étymologiquement, la religion d’Abraham et celui-ci un prophète
arabe comme Muhammad, le dernier de la série, celui que le Coran appelle
« le sceau des prophètes » (cf. sourate II, verset 118 : « Lorsque Dieu tenta
Abraham par des paroles, et que celui-ci eut accompli ses ordres, Dieu lui
dit : “Je t’établirai l’Imam des peuples” »).
Voici le texte qui évoque le sacrifice dans la sourate XXXVII, versets 97
à 109 :
« “Je me retire, dit Abraham, auprès de mon Dieu, il me montrera le sentier droit. Seigneur ! donne-moi un fils qui compte parmi les justes.”
Nous lui annonçâmes la naissance d’un fils d’un caractère doux.
Lorsqu’il fut parvenu à l’âge de l’adolescence, son père lui dit : “Mon
enfant, j’ai rêvé comme si je t’offrais en sacrifice à Dieu. Réfléchis un peu,
qu’en penses-tu ?
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– Ô mon père ! fais ce que l’on te commande ; s’il plaît à Dieu, tu me
verras supporter mon sort avec fermeté.”
Et quand ils se furent résignés tous deux à la volonté de Dieu, et
qu’Abraham l’eut couché, le front contre terre, nous lui criâmes : “Ô
Abraham ! Tu as cru à ta vision et voici comment nous récompensons les
vertueux. Certes, c’était une épreuve décisive.”
Nous rachetâmes Isaac par une hostie généreuse.
Nous avons laissé un souvenir glorieux d’Abraham jusqu’aux siècles
reculés.
Que la paix soit avec Abraham. »
La circoncision est un acte fondamental dans les traditions juive et
musulmane. Elle est un commandement de Dieu. Dans la Bible (Genèse,
17), on peut lire : « Dieu dit à Abraham : “Pour toi, sois fidèle à mon
alliance, toi et ta postérité après toi, dans tous les âges. Voici le pacte que
vous observerez, qui est entre moi et vous, jusqu’à ta dernière postérité : circoncire tout mâle d’entre vous. Vous retrancherez la chair de votre excroissance, et ce sera un symbole d’alliance entre vous et moi. À l’âge de huit
jours, que tout mâle dans vos générations soit circoncis par vous ; même
l’enfant né dans ta maison, ou acheté à prix d’argent parmi les fils de
l’étranger, qui ne soit pas de ta race. Oui, il sera circoncis l’enfant de ta maison ou celui que tu auras acheté ; et mon alliance, à perpétuité, sera gravée
dans votre chair. Et le mâle incirconcis, qui n’aura pas retranché la chair de
son excroissance, sera supprimé lui-même du sein de son peuple, pour avoir
enfreint mon alliance.” »
Chez les musulmans, la circoncision, pratiquée entre 3 et 7 ans, donne
lieu à une fête marquée par un banquet auquel sont conviés tous les
membres de la famille.
16 Les communautés juive et arabe cohabitent depuis longtemps dans
l’Est parisien, plus particulièrement autour de Belleville et de
Ménilmontant. Ces quartiers correspondent aux XIXe et XXe arrondissements.
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Étape 4 [Un récit d’apprentissage par la conversation, p. 74]
7 Le dialogue didactique (du grec didaskein, « apprendre ») met en scène
deux partenaires dont l’un désire acquérir le savoir de l’autre. Il prend alors
la forme d’une suite de questions-réponses.
Le dialogue polémique met en scène des personnages dont les affirmations rejettent celles de leur interlocuteur au nom d’une vérité. Il est marqué par un lexique dévalorisant.
Le dialogue dialectique est le plus complexe : il met en scène des interlocuteurs qui sont sur un pied d’égalité et qui tentent d’atteindre un certain
niveau de savoir.
Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran présente les trois types de dialogue.
16 Un « mentor » est un guide, un conseiller sage et avisé. Le mot est, à
l’origine, un nom propre, celui d’un personnage de l’Odyssée d’Homère.
Dans son livre intitulé La Grèce archaïque d’Homère à Eschyle (Seuil,
« Points », 1984), Claude Mossé le range parmi les personnages qui font
« appel à une opinion populaire qui s’opposerait à celle du roi ou du héros ».
C’est « le sage Mentor » qui « harangue ceux qui sont présents sur l’agora,
les gens d’Ithaque, pour les inviter à agir contre les prétendants ». On peut
lire dans l’Odyssée, chant II : « Dans l’assemblée se leva Mentor, que l’irréprochable Ulysse avait pour compagnon, et à qui, partant sur ses vaisseaux,
il avait confié toute la maison : on devait obéir au vieillard qui garderait
tout intact. Inspiré par la bienveillance, il prit la parole et dit dans l’assemblée : “Écoutez maintenant ce que je vais dire, Ithaciens. À quoi bon,
pour un roi porteur de sceptre, suivre son penchant à la douceur et à la
clémence, montrer des sentiments d’équité ? Qu’il soit plutôt cruel et que
ses actes soient iniques, puisque personne n’a souvenance du divin Ulysse
dans ce peuple dont il était le roi et pour lequel il avait la douceur
d’un père. […] C’est le peuple dont la conduite m’indigne : comment !
vous restez là sans souffler mot ni adresser de reproches à cette poignée de
prétendants, sans mettre un terme à leurs excès ; vous êtes le nombre
pourtant !” »
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Un peu plus loin dans le texte, alors que Télémaque invoque Athéna
avant de partir pour s’enquérir du retour de son père, celle-ci « avait
emprunté la figure et la voix de Mentor ; prenant la parole, elle lui adressa
ces mots ailés : “Télémaque, tu ne manqueras à l’avenir ni de vaillance, ni
de sens, si la belle ardeur de ton père s’est installée en toi ; ah ! qu’il excellait à mener au terme action et parole ! Si tu lui ressembles, ton voyage ne
sera pas un vain projet et tu n’y renonceras point. Mais si tu n’es pas le fils
d’Ulysse et de Pénélope, je n’espère pas que tu achèves jamais ce que tu
médites. Peu d’enfants sont pareils à leur père : la plupart sont pires ; il en
est peu qui aient plus de mérite. Mais, puisque tu ne lui seras inférieur ni
en courage ni en esprit, que la prudence d’Ulysse ne te fera nullement
défaut, il y a lieu d’espérer que tu mèneras à bien ces projets. Pour le présent, n’aie cure ni des desseins ni des pensées des prétendants insensés ; ils
n’ont aucune prévoyance, aucune justice, nul pressentiment de la mort et
de la noire kère, qui pourtant approche et les enlèvera tous un jour. Le
voyage que tu médites ne sera plus longtemps retardé : crois-en le fidèle
compagnon de ton père ; je vais équiper pour toi un vaisseau rapide et je
t’accompagnerai en personne. Toi, retourne à ton manoir te mêler aux prétendants ; […] moi, je me hâterai de rassembler dans le pays un équipage
de volontaires. Il y a beaucoup de vaisseaux dans Ithaque cernée des flots,
des neufs et des vieux. Je verrai moi-même quel est le meilleur ; nous l’armerons sans tarder et le lancerons sur la vaste mer” ».
Un peu plus loin encore, toujours dans le chant II, c’est Athéna-Mentor
qui exhorte Télémaque à prendre le départ : « Télémaque, déjà tes compagnons aux bonnes jambières sont assis à leur place, la main sur la rame, et
n’attendant plus que ton signal. Allons, ne retardons pas le départ !” »
17 L’auteur de L’Âge d’homme est Michel Leiris (1901-1990), romancier,
essayiste, poète et ethnologue proche du mouvement surréaliste. À 34 ans,
il entreprend un travail autobiographique ; dans la préface intitulée De la
littérature considérée comme une tauromachie, il écrit : « Entre tant de romans
autobiographiques, journaux intimes, souvenirs, confessions, qui connaissent depuis quelques années une vogue si extraordinaire, […] L’Âge
d’homme vient donc se proposer, sans que son auteur veuille se prévaloir
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d’autre chose que d’avoir tenté de parler de lui-même avec le maximum de
lucidité et de sincérité. […] Mettre à nu certaines obsessions d’ordre sentimental ou sexuel, confesser publiquement certaines des déficiences ou des
lâchetés qui lui font le plus honte, tel fut pour l’auteur le moyen – grossier
sans doute, mais qu’il livre à d’autres en espérant le voir amender – d’introduire ne serait-ce qu’une corne de taureau dans la littérature.»
18 La maïeutique socratique est l’art d’accoucher les âmes : la mère de
Socrate était sage-femme et le philosophe travaille les esprits comme il
voyait sa mère travailler les corps. La maïeutique désigne la façon dont
Socrate, en interrogeant son interlocuteur, l’amène à retrouver la vérité par
son propre effort, sans qu’elle lui soit enseignée ou transmise. « Je ne peux,
dit Socrate, que faire naître en toi-même et si tu le veux, les pensées qui sont
cachées au fond de toi. »
Socrate, infatigable questionneur, pratique cette méthode de l’investigation par demandes et par réponses jusque dans son procès, quand il force
Mélètos à lui répondre.
Dans la philosophie de Platon, la maïeutique est liée à la théorie de la
réminiscence, selon laquelle l’âme a contemplé les vérités éternelles avant de
les oublier en séjournant dans le corps, et donc selon laquelle apprendre
n’est rien d’autre que se souvenir.
Dans le Ménon, nous pouvons découvrir une illustration des merveilles de
cette méthode : il semble au premier abord qu’il n’est guère possible de faire
démontrer à un jeune esclave ignorant comment on peut doubler un carré.
Socrate s’y prend si adroitement que l’esclave semble trouver tout seul la solution. Puis Socrate interroge Ménon au sujet de ce qu’il a pu observer :
« Socrate : Que t’en semble, Ménon ? Y a-t-il dans les réponses de ce garçon une seule opinion qui ne soit pas de lui ?
Ménon : Non, elles sont toutes de lui.
Socrate : Et, cependant, il ne savait pas, nous l’avons reconnu il y a un
instant.
Ménon : C’est vrai.
Socrate : Ces opinions se trouvaient donc en lui, n’est-ce pas ?
Ménon : Oui.
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Socrate : Ainsi donc celui qui ignore une chose, quelle qu’elle soit, a en
lui des opinions vraies sur la chose qu’il ignore ?
Ménon : Apparemment.
Socrate : C’est ainsi que, chez cet esclave, ces opinions viennent de surgir comme en songe. Mais si on l’interrogeait souvent et de diverses
manières sur les mêmes sujets, sois sûr qu’à la fin, il en aurait une connaissance aussi exacte que personne au monde. »
Platon expose donc ses idées sous la forme du dialogue (la dialectique).
Dans une notice sur la vie et les œuvres de Platon, Émile Chambry écrit :
« Ce qui distingue particulièrement les dialogues de Platon de ceux que son
exemple a suscités, c’est la vie qu’il a su donner aux personnages qu’il met
en scène. […] Les plus remarquables à ce point de vue sont les sophistes,
notamment Protagoras, Gorgias, Hippias, Prodicos. […] Il fait rire à leurs
dépens par le simple contraste qui paraît entre l’opinion qu’ils ont d’euxmêmes et celle qu’ils donnent au public.
Aux sophistes avides de briller s’oppose le groupe des beaux éphèbes
ingénus et modestes. Ce sont des fils de famille avides de s’instruire, qui
s’attachent à Socrate pour profiter de ses leçons, qui rougissent à ses questions et y répondent avec une déférence pleine de grâce. […]
D’autres, plus âgés, sont des disciples tendrement attachés au maître
qu’ils vénèrent, et pour qui rien n’est plus doux que de parler et d’entendre
parler de lui » (Platon, Premiers dialogues, Garnier-Flammarion, 1967).
Étape 5 [En quête de spiritualité, p. 76]
16 L’humanisme est, au XVIe siècle, une réaction à l’enseignement sclérosé des universités, fondé sur la philosophie scolastique, la logique formelle et la rhétorique (ou l’art de construire des discours). Des érudits veulent revenir aux textes originaux, grecs et latins, les utiliser pour rénover la
culture et développer l’esprit critique.
Le mot latin humanitas, qu’on peut souvent lire chez Cicéron, désigne la
culture générale de l’esprit, toutes disciplines confondues, et la « politesse
des mœurs ». Le mot « humanisme » désignera tout ce qui fait d’un homme
15
un homme : idéal de sagesse, réflexion sur l’existence grâce à la lecture des
philosophes et à la pratique des arts.
Celui qu’on donne comme le modèle de l’humanisme est Érasme (14671536) : né à Rotterdam, il séjourne longtemps en France et influence les
esprits novateurs. Il critique l’ensemble des institutions médiévales ; pour
lui, la sagesse se nourrit de la littérature antique et de la Bible.
Parmi les grands humanistes de langue française, citons Guillaume
Budé, François Rabelais et Joachim du Bellay.
Le mysticisme est le propre d’un « type particulier d’agrégation socioreligieuse qui se déploie en réseau et qui paraît être transversal […] par rapport à des traditions religieuses différentes les unes des autres, occidentales
ou orientales. Tel est le cas du soufisme dans l’islam. On a affaire ici au
mysticisme ou bien au spiritualismus […]. Apparemment, le mysticisme
n’organise pas, ne s’organise pas lui-même. […] Il n’a pas besoin d’expressions visibles, parce qu’il est avant tout recherche individuelle et collective
d’un contact direct avec la divinité, dans l’invisibilité de la communion des
croyants » (Grand Atlas des religions, Universalis).
La science alchimique est occulte : elle est née de la fusion de techniques
chimiques gardées secrètes et de spéculations mystiques. Elle s’attache au
travail des métaux, à leur transmutation (notamment celle du plomb en
or), dans leur matière concrète et symbolique.
17 Les différents courants de l’islam se trouvent en Afrique du Nord, de
l’Ouest et de l’Est, dans le golfe Arabo-Persique, au Soudan, en Turquie et
dans les anciennes provinces ottomanes, Inde, Indonésie, Iran, Irak, Syrie,
Pakistan, Liban.
Le soufisme, né dans la région de Bassora et de Bagdad (actuel Irak), existe
dans presque toutes les régions du monde islamique, sunnite et chiite. Il est
encore particulièrement développé en Égypte et en Afrique noire.
18 On peut lire sur ce sujet le livre récent d’Eva Cantarella, Les Peines de
mort en Grèce et à Rome, origines et fonctions des supplices capitaux dans
l’Antiquité, paru chez Albin Michel dans la collection « Bibliothèque
Histoire ».
16
Socrate fut contraint de boire la ciguë (399 avant J.-C.), qui était réservée aux crimes politiques et d’impiété. Il s’était attiré l’inimitié et la calomnie d’accusateurs qui le dénonçaient comme un impie et comme un corrupteur de la jeunesse. Sa mort fait partie des morts exemplaires puisqu’elle
fut conforme à son idée selon laquelle l’homme sage ne craint pas la mort.
Dans le livre III de La République, Platon fait dire à Socrate : « Nous disons que
l’honnête homme ne regarde pas la mort comme terrible pour un autre honnête homme, dont il est le camarade. Nous le disons en effet. Donc il ne pleurera pas sur lui comme sur quelqu’un qui aurait souffert quelque chose de terrible. […] Moins que tout autre, aussi, il se lamentera, et c’est avec le plus de
douceur possible qu’il supportera un tel malheur lorsque celui-ci l’atteindra. »
Sénèque est un philosophe stoïcien, précepteur de l’empereur Néron.
Après avoir soutenu celui-ci alors même que la longue série de crimes avait
commencé, il finit par s’en écarter et s’éloigne de la cour. Impliqué, en 65,
dans la conjuration de Pison, Néron le contraint au suicide. Il meurt en
imitant Socrate, c’est-à-dire en philosophant jusqu’aux derniers moments.
Dans le Grand Atlas des religions (éditions Universalis), Giuliana Lanata
écrit : « Quand on parle de persécutions et de martyre pour les premiers
siècles du christianisme, on pense principalement à la sanglante répression
dont ce dernier fut alors la cible, à ses martyrs enfermés dans les prisons ou
jetés dans les arènes. […] Les édits de 303-309, qui déchaînèrent ce que l’on
a appelé la “grande persécution”, prévoyaient la destruction des églises, l’interdiction des réunions, l’arrestation des membres du clergé, la peine de
mort et la confiscation des biens pour qui refusait de sacrifier aux dieux
romains. Ces mesures furent appliquées presque sur tout le territoire de
l’Empire, et s’accompagnèrent de sévices et d’atrocités de tous genres : on en
trouve un catalogue impressionnant dans les Martyrs de Palestine d’Eusèbe. »
Étape 6 [Un réalisme poétique, p. 78]
11 Les quartiers les plus cosmopolites de Paris sont ceux qui correspondent aux arrondissements du Nord et de l’Est parisien : les XIIIe, XVIIIe, XIXe
et XXe arrondissements montrent une forte présence des populations d’origine africaine, maghrébine, indienne et asiatique.
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Étape 7 [Un conte, p. 80]
11 L’Orient est très présent dans l’imaginaire des écrivains des Lumières,
surtout depuis la traduction par Antoine Galland des Mille et Une Nuits
(1704-1717), qui excite leur imagination. Sur les vingt-six contes et romans
que Voltaire a écrits, onze sont nourris de la matière orientale : Zadig, Le
Monde comme il va, Memnon, Lettre d’un Turc, Histoire d’un bon bramin, Le
Blanc et le Noir, Aventure indienne, La Princesse de Babylone, Les Lettres
d’Amabed, Le Taureau blanc, Le Crocheteur borgne.
12 L’abandon prend plusieurs formes et a des causes multiples : dans
Le Petit Poucet de Charles Perrault (1628-1703), les enfants sont conduits
dans la forêt parce que leurs parents ne peuvent plus les nourrir et cet abandon est le reflet d’une réalité socioéconomique de la France du XVIIe siècle.
Voici le début de ce conte : « Il était une fois un bûcheron et une bûcheronne, qui avaient sept enfants, tous garçons. […] Ils étaient fort pauvres,
et leurs sept enfants les incommodaient beaucoup parce qu’aucun d’eux ne
pouvait encore gagner sa vie. […] Il vint une année très fâcheuse, et la
famine fut si grande, que ces pauvres gens résolurent de se défaire de leurs
enfants. »
L’abandon peut prendre la forme d’une absence de soins, voire d’une
aversion affirmée, comme dans Les Fées ou Cendrillon ; dans les deux cas,
l’enfant persécuté est le reflet du parent rendu absent par la mort.
Dans La Petite Fille aux allumettes, de Hans Christian Andersen, l’héroïne appelle sa grand-mère, « la seule personne qui avait été bonne pour
elle, mais qui était morte maintenant. »
Dans les contes rassemblés par les frères Grimm, l’abandon peut être le
résultat d’une promesse faite à une sorcière, comme dans Rapunzel.
On peut lire à ce sujet le classique et contesté livre de Bruno Bettelheim
Psychanalyse des contes de fées, l’incontournable bilan de Françoise Dolto La
Cause des enfants et, publié récemment (2003), le livre de Jenny Aubry sur
les effets de la carence de soins maternels, Psychanalyse des enfants séparés,
études cliniques 1952-1986, aux éditions Denoël.
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13 Le mot « fable » vient du latin fabula (« récit, fiction »). Le mot
désigne un récit d’imagination tendant à illustrer une leçon morale. À la
fois dramatique et didactique, la fable utilise généralement la fiction allégorique et la transfiguration anthropomorphique dans lesquelles les personnages sont représentés, entre autres, par des animaux ou des végétaux.
L’apologue, genre connu depuis l’Antiquité, est un récit court qui a pour
objet un enseignement moral rendu sensible par un recours à une allégorie.
La parabole est une forme de l’apologue, qui exprime par l’intermédiaire
d’une image une vérité d’ordre religieux. Certains textes du Mesnevi (recueil
de contes soufis) sont des paraboles.
Étape 8 [Du récit au film, p. 82]
11 Né dans les Landes en 1950, François Dupeyron a d’abord réalisé des
documentaires. Son premier long métrage, Drôle d’endroit pour une rencontre (1988), réunissait Catherine Deneuve et Gérard Depardieu. En
1994, il adapte un roman fantastique de René Belletto intitulé La Machine.
La Chambre des officiers, réalisé en 2001, est son cinquième film et
Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran son dernier.
Omar Sharif devient une légende du grand écran en interprétant le
poète-médecin russe du film culte Docteur Jivago, de David Lean. Il compte
à sa filmographie plus d’une soixantaine de longs métrages.
Il est né à Alexandrie en Égypte et a étudié le métier d’acteur à la Royal
Academy of Dramatic Art de Londres. Son premier rôle au cinéma lui a été
donné par le réalisateur égyptien Youssef Chahine.
Parmi ses rôles les plus célèbres, on peut citer La Chute de l’Empire
romain, d’Anthony Mann ; Mayerling, de Terence Young ; Les Cavaliers, de
John Frankenheimer ; Le Casse, d’Henri Verneuil. Son film le plus récent est
Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran. Omar Sharif a été nommé au
Golden Globe du meilleur film étranger et a reçu le César du meilleur
acteur pour son interprétation.
© Éditions Magnard, 2004
www.magnard.fr