Entourés par le ciel

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Entourés par le ciel
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GES
Randonnées
Nordostdeutschland
Entourés par le ciel
Texte et photos: Stefanie Stäuble
J
uste après notre arrivée, le coucou se met à chanter. Je regarde
l’heure et fais le compte. Non, ce
n’est pas une pendule qui sonne
dans le village.
Rieth am See est la ville la plus
au nord-est de l’Allemagne. Les
plaques de rue affichent des noms
pompeux comme «boulevard»
ou «avenue du château». Elles
ajoutent au charme des quelques
maisons de briques rouges.
La Dorfstrasse est couverte de
vieilles dalles de l’ancienne République démocratique d’Allemagne. Une aire de baignade
entourée d’arbres et une place
de jeux sont aménagées au bord
du lac. Non loin de là se trouve
un petit stand de poissons. Deux
femmes aux bras vigoureux s’en
occupent, bien qu’il y ait à peine
cinq personnes autour des longues tables. Les deux femmes
portent un tablier comme celui
de ma grand-mère allemande
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Au nord de l’ex-RDA, le ciel est infini, le paysage est intact et l’air est frais.
Deux semaines de vacances au bord d’un lac de rêve, dans un cadre pittoresque
traversé par la piste cyclable Oder-Neisse.
dans les années septante.
Les nouveaux Länder ont un
rythme différent du reste du pays.
La vie s’écoule ici plus paisiblement qu’à l’ouest. L’ancienne RDA
n’était pas obnubilée par l’essor
économique et l’État avait d’autres
préoccupations.
L’environnement en a bénéficié, du moins ici:
les alentours de Rieth forment
une immense réserve naturelle.
«Notre» village est situé sur la
rive du lac Neuwarper, lui-même
relié à la lagune de Szczecin, une
étendue de quelque 900 km2 d’eau
douce. Celle-ci entoure une partie
de l’île côtière d’Usedom. Mais
contrairement aux rives de la
mer Baltique, on peut goûter ici
à la tranquillité même pendant
la haute saison. Ce dimanche,
une vingtaine de personnes se
baignent dans l’aire forestière. On
entend des bribes d’allemand et de
polonais. Il faut dire que la frontière passe par le lac.
Un magasin de location, dans
la toute proche localité d’Ueckermünde, nous fournit des vélos.
Flâner à bicyclette: c’est l’idéal
ici, sur la piste cyclable OderNeisse qui traverse la région.
Nous commençons par rejoindre
Luckow, un des villages voisins.
Encore ce ciel qui n’en finit pas!
Puis une étape d’environ sept
kilomètres nous emmène dans
de lumineuses forêts de chênes
et de bouleaux, tapissées de fougères. La piste est couverte tantôt de sable, tantôt de ces cahoteuses plaques de l’ex-RDA, voire
parfois de terre rougeâtre ou
d’asphalte. Mais on n’y est pas
dérangé par le trafic motorisé.
Le ciel s’assombrit d’une belle
teinte violet foncé. Et soudain,
l’orage nous claque aux oreilles.
Nous nous abritons sous une
ancienne charrette à foin. L’eau
dégouline à travers le bois pourri,
ce qui incite la chienne qui nous
accompagne à lancer des regards
inquiets vers le ciel.
Il est possible de suivre la piste
cyclable Oder-Neisse jusqu’à
Ueckermünde ou jusqu’à Usedom. Nous avons opté pour le
ferry qui part d’Ueckermünde
tous les matins à huit heures
dix, pour traverser la lagune de
Szczecin.
La traversée avec la navette
de Kamminke prend une heure
vingt. La lagune s’étend à perte
de vue, comme la mer ; une impression que viennent renforcer les embruns sur nos visages
endormis. Semblables à une colonne de fourmis, des centaines
de cormorans noirs volent devant
nous en frôlant l’eau, pour se régaler de poissons. Ces oiseaux se
sont vivement multipliés dans la
lagune de Szczecin ces dernières
années: une calamité pour les pêcheurs. M. Döring, chez qui nous
ATE MAGAZINE / mars 2013
VOYAGE S
Allemagne du Nord-Est
Avec son joli marché, Greifswald possède un charme maritime – mouettes et
péniches comprises – comme beaucoup de villes de la Hanse. Quant à Rieth
am See, le lieu semble tout droit sortir d’un rêve de la Belle au Bois Dormant.
avons acheté à Rieth un sandre
incroyablement frais, nous apprend que les tonnes de filets de
perche servis dans les restaurants
en Suisse proviennent, pour la
plupart, de la lagune de Szczecin. Les cormorans sont donc en
train de chiper, devant nos yeux,
les filets de perche des gastronomes helvétiques.
A Usedom, la localité principale de l’île du même nom,
nous retrouvons la terre ferme
au port de Kamminke. L’autre
côté de l’île — celui que borde
la mer Baltique — nous attire.
Nous montons alors dans le bus
pour les plages des «bains de
l’empereur»: Ahlbeck, Heringsdorf et Bansin. C’est un jour gris,
les chaises longues sont presque
toutes vides. Apparemment
étanches à la pluie, deux enfants
s’amusent dans le sable. Au tournant du 20e siècle, la haute société
venait ici en masse en quête de
fraîcheur pendant l’été. La fraîcheur, certes, mais l’été? Un vent
frais siffle à nos oreilles.
A l’extrémité sud de la lagune
se trouve Szczecin, dont le nom
ATE MAGAZINE / mars 2013
allemand est Stettin. Il s’agit de
la septième plus grande ville
polonaise, dans laquelle vivent
environ un demi-million de personnes, à 50 kilomètres seulement de Rieth. Pour le moment,
la voix féminine avenante de
notre système de navigation nous
emmène dans la forêt profonde,
où un chemin très grossièrement
pavé secoue les entrailles. Effectué au rythme de la marche, le
trajet sera un peu plus long que
prévu.
Szczecin est sensée abriter une
magnifique vieille ville. Il ne resterait pratiquement aucune trace
de la dévastation de la seconde
guerre mondiale; nous lisons que
les restaurateurs auraient ressuscité les anciens édifices. Hélas,
nous ne trouvons pas l’entrée de
cette vieille ville si admirable :
Szczecin refuse de s’ouvrir à
nous. Dans ses rues bruyamment
envahies de véhicules à moteur,
les piétons semblent bien peu
considérés. Ce n’est que sur la
Terrasse Wały Chrobrego, promenade du début du 20e siècle
au bord de l’Ober, que nous pouvons nous aérer un peu.
Nous respirons mieux le soir
une fois revenus à Rieth, notre
port tranquille sous un ciel sans
fin. Le pêcheur Döring, qui a
grandi ici, ne tarit pas d’éloges
sur cet endroit. Chaque fois que
lui et sa femme se rendent dans
les montagnes pour quelques
jours de détente, ils se disent sur
le chemin du retour «qu’il est bon
d’avoir un horizon infini comme
ici.» Randonnée cycliste Oder-Neisse
Itinéraire: De la source de la Neisse jusqu’à Ahlbeck (Usedom): 630 km.
Avec le ferry Ueckermünde–Kamminke (Usedom): 82 km de moins.
Trajet en train: Avec les vélos en City Night Line de Zurich à Dresde, puis
en régional jusqu’à Zittau. Retour d’Usedom via Berlin (train de nuit) ou, en
haute saison, directement depuis Züssow le samedi soir.
Web: www.oder-neisse-radweg.de
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