tribunal administratif de lille n°1404157

Transcription

tribunal administratif de lille n°1404157
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE LILLE
N°1404157
___________
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
LIGUE FRANCAISE POUR LA DEFENSE DES
DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN
___________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
M. Vanhullebus
Juge des référés
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Le juge des référés,
Ordonnance du 18 juillet 2014
___________
Vu la requête, enregistrée le 2 juillet 2014, présentée pour la Ligue française pour la
défense des droits de l'homme et du citoyen (LDH), dont le siège est au 138, rue Marcadet à Paris
(75048), par Me Calonne Marie-Hélène ; la LDH demande au juge des référés :
- d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice
administrative, la suspension de l’exécution de l’arrêté n° 2014-1153 du 26 mai 2014 par lequel le
maire de la commune de Hénin-Beaumont a réglementé l’occupation de certaines dépendances
domaniales de la commune, jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la légalité de cette décision ;
- de mettre à la charge du maire de la commune de Hénin-Beaumont une somme de
1 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La LDH soutient que :
- sa requête est recevable au regard de l’intérêt à agir et de la qualité pour agir ;
- la condition d’urgence est remplie eu égard à l’atteinte grave et immédiate à l’intérêt des
personnes susceptibles de pratiquer la mendicité sur le domaine public ;
- l’arrêté est entaché d’une insuffisance de motivation ;
- il est entaché d’erreur dans la qualification juridique des faits, l’interdiction mise en place
n’étant ni nécessaire ni proportionnée aux atteintes portées à la liberté d’aller et venir et à celle
d’utiliser le domaine public ;
- l’arrêté est entaché de détournement de pouvoir, ayant été pris uniquement en vue de
satisfaire l’intérêt personnel des commerçants du centre ville ;
Vu la décision dont la suspension est demandée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 16 juillet 2014, présenté pour la commune de
Hénin-Beaumont qui conclut au rejet de la requête et à ce que l’association requérante lui verse une
somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative ;
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La commune soutient que :
- l’association requérante ne justifie pas de sa qualité à agir dès lors que l’arrêté contesté ne
met en cause aucun des principes mentionnés dans ses statuts ;
- la condition d’urgence n’est pas remplie eu égard au caractère tardif de la demande de
suspension et à la dénaturation des termes de l’arrêté contesté par l’association requérante ;
- l’arrêté est suffisamment motivé ;
- l’arrêté est justifié par les risques d’atteinte à l’ordre public résultant d’actes de mendicité
agressive et son application est limitée dans le temps et dans l’espace ;
Vu le mémoire, enregistré le 16 juillet 2014, présenté pour la LDH qui conclut aux mêmes
fins que la requête, par les mêmes moyens ;
La LDH soutient, en outre, que seule la présence de Roms dans certains quartiers de la
commune a motivé la prise de l’arrêté municipal contesté ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu la copie de la requête par laquelle la LDH demande l’annulation de l’arrêté n° 20141153 du 26 mai 2014 du maire de la commune de Hénin-Beaumont ;
Vu la décision en date du 29 mars 2014, par laquelle le président du tribunal a désigné
M. Vanhullebus, président, pour statuer sur les demandes de référé ;
Après avoir convoqué à une audience publique :
- Me Calonne, avocat de la LDH ;
- la commune de Hénin-Beaumont ;
Après avoir, à l’audience publique du 17 juillet 2014 à 9 h 30, présenté son rapport, s’être
assuré du respect du caractère contradictoire de la phase écrite de la procédure, et avoir entendu
Me Dassa-Le Deist, avocat de la commune de Hénin-Beaumont ;
Après avoir prononcé, à l’issue de l’audience et en présence de Me Dassa-Le Deist, la
clôture de l’instruction ;
1.
Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en
réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de
l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait
état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la
décision ... » ;
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2.
Considérant que la LDH demande au juge des référés d’ordonner, sur le fondement
des dispositions précitées de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de
l’exécution de l’arrêté n° 2014-1153 du 26 mai 2014 par lequel le maire de la commune de HéninBeaumont a réglementé l’occupation de certaines dépendances domaniales de la commune ;
3.
Considérant qu’il ressort des termes de l’article 1er des statuts de l’association LDH
que celle-ci est destinée à défendre les principes énoncés notamment dans la déclaration des droits
de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et que son objet social vise ainsi notamment à défendre
les libertés publiques ; que cette association justifie dès lors d’un intérêt lui donnant qualité pour agir
contre l’arrêté du 26 mai 2014 du maire de la commune de Hénin-Beaumont ; que la fin de nonrecevoir opposée par la commune doit être écartée ;
4.
Considérant que l’arrêté du 26 mai 2014 qui porte « interdiction de la mendicité sur
les places Jean Jaurès, Carnot et de la République », interdit, du 1er juin 2014 au 31 août 2014, entre
8 h 30 et 19 h 30, du lundi au samedi, sur ces trois places ainsi que dans une partie des rues Elie
Gruyelle, Montpencher et de l’Abbaye, « toutes occupations abusives et prolongées … lorsque ces
occupations sont de nature à entraver la libre circulation des personnes ou de porter atteinte à la
sécurité publique » ;
5.
Considérant que deux seulement des cinq fiches de main courante versées au dossier
par la commune de Hénin-Beaumont constatent des faits de mendicité, sans d’ailleurs relever aucun
acte de mendicité agressive pouvant se traduire notamment par l’usage de menaces ou d’invectives ;
que la note du chef de la police municipale du 26 mai 2014, si elle mentionne des interventions
d’agents de la police municipale pour faire cesser une mendicité agressive, ne décrit toutefois aucun
fait précis de nature à établir le caractère agressif de la mendicité signalée ; que le point 166 du
document d’une cellule de veille qui se borne à faire état de l’exaspération des habitants et usagers
des parcs publics de stationnement causée par la mendicité, ne caractérise aucun fait de mendicité
agressive ; qu’enfin, la signature d’une pétition par 52 commerçants se déclarant « favorable[s] à un
arrêté limitant la mendicité agressive » ne permet pas de démontrer, en l’absence de tout élément
circonstancié, l’existence d’une mendicité agressive sur les espaces et voies publiques concernés par
l’arrêté du 26 mai 2014 ; qu’ainsi, en l’état de l’instruction, en l’absence de mendicité agressive ou
même massive, le moyen tiré de ce que l’interdiction prononcée par cet arrêté n’est ni nécessaire ni
proportionnée aux atteintes portées à la liberté d’aller et venir et à celle d’utiliser le domaine public
est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
6.
Considérant que l’atteinte excessive portée à la liberté d’aller et venir est constitutive
d’une situation d’urgence ; que la circonstance que l’interdiction contestée s’applique depuis le
1er juin 2014 n’est pas de nature à faire disparaître cette urgence dès lors que l’arrêté du 26 mai 2014
a vocation à produire ses effets jusqu’au 31 août 2014 ;
7.
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu, dans les circonstances
de l’espèce, d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté n° 2014-1153 du 26 mai 2014 par
lequel le maire de la commune de Hénin-Beaumont a réglementé l’occupation de certaines
dépendances domaniales de la commune ;
8.
Considérant que les conclusions présentées par la LDH et tendant à ce que soit mis à
la charge du maire de la commune de Hénin-Beaumont le versement d’une somme de 1 000 euros en
application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être regardées comme
dirigées contre la commune ; que dans les circonstances de l’affaire, il y a lieu de mettre à la charge
de la commune de Hénin-Beaumont le versement à l’association requérante de la somme de
1 000 euros qu’elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que
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les dispositions de l’article L. 761-1 font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions que la
commune, partie perdante, a présentées sur le même fondement ;
ORDONNE
Article 1er : L’exécution de l’arrêté n° 2014-1153 du 26 mai 2014 du maire de la commune
de Hénin-Beaumont est suspendue.
Article 2 : La commune de Hénin-Beaumont versera à la LDH la somme de 1 000 euros en
application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la Ligue française pour la défense des
droits de l'homme et du citoyen et à la commune de Hénin-Beaumont.
Copie en sera transmise au procureur de la République près le tribunal de grande instance
de Béthune.
Fait à Lille, le 18 juillet 2014.
Le juge des référés,
signé
T. VANHULLEBUS
La République mande et ordonne au préfet du Pas-de-Calais en ce qui le concerne, et à tous
huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties
privées, de pourvoir à l’exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
Le greffier,