écologie sans frontière - Ecologie Sans Frontiere
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écologie sans frontière La guérilla juridique contre toutes les pollutions Le scandale de l’air contaminé Par Michel Tarnier Extraits Une survivante devant les tribunaux Les pouvoirs publics sont-ils apathiques face aux questions de pollutions urbaines ? C’est ce que pense Franck Laval. La « ville malade », cela fait longtemps qu’il l’observe. « J’ai commencé aux Amis de la Terre dans les années 70, avec René Dumont, Brice Lalonde et Antoine Waechter. Nous militions contre le nucléaire, pour les énergies renouvelables. Nous avons poussé les premiers cris d’alarme contre la pollution urbaine, contre le toutautomobile. L’ère Pompidou, c’était quelque chose d’inimaginable aujourd’hui. A Paris, on a vécu de grandes bagarres : contre la voie express, prévue sur la rive gauche de la Seine, contre l’autoroute Richard-Lenoir, qui devait relier Roissy au cœur de Paris. C’était des projets dignes des régimes soviétiques. J’avais seize ans à l’époque. On s’enchaînait à des arbres pour arrêter les projets en cours, et on avait de bons avocats » Vingt-cinq ans ont passé. Franck Laval s’est assagi, a milité un temps chez les Verts. Mais la pollution est toujours là. « J’ai l’impression qu’on s’est trompé de tactique. On n’a rien obtenu en vingt ans d’action » avoue le militant. « Il n’y a pas assez de résultats. Le dossier n’avance pas. J’ai décidé de ne plus faire de politique, et de porter l’affaire devant les tribunaux ». Franck Laval a donc décidé de changer son fusil d’épaule. Il a fondé une association, avec d’anciens compagnons de route. Tous bien décidés à faire avancer le dossier de l’environnement. Jusqu’à ce qu’une législation internationale se mette en place. « Parce que les lois sont au-dessus des Etats, parce que les politiques, j’ai de plus en plus de mal à leur faire confiance. Il y a quatre manières d’agir : informer, manifester, pratiquer le terrorisme ou porter plainte. Nous avons choisi ce dernier mode d’action. Nous allons harceler les pouvoirs publics, les assigner en justice jusqu’à ce qu’on prenne les questions d’environnement au sérieux». L’association est hébergée dans le sous-sol d’un hôtel du Sud de Paris1.Un local exigû, qui paye si peu de mine qu’on a du mal à croire que le changement puisse sortir de là. Et pourtant… La première salve a été tirée le 22 septembre 2000, à l’occasion de la journée « Un jour sans ma voiture ». Le facteur déclenchant a été la publication par le Lancet du fameux rapport OMS2, le 1 septembre 2000. 1 2 Ecologie Sans Frontière, BP 545 75667 Paris Cedex 14 Voir chapitre 1 « Les résultats de cette étude étaient connus depuis l’été 1999 » tempête Franck Laval. « Or, les pouvoirs publics sont restés strictement les bras croisés. Il n’y a eu aucune campagne de sensibilisation du public, aucune mesure, rien. J’ai été, nous avons été, scandalisés par cette apathie. La pollution tue en masse, rend des gens malades, coûte des milliards au système de sécurité sociale, et l’Etat ne fait rien. Nous réclamons une campagne d’information, de la même ampleur que celle qui tente de prévenir les accidents de la route, parce que selon nous, ce sont deux fléaux de la même ampleur. Ce ne sont pas les rapports officiels qui vont nous contredire. Nous ne nous appuyons que sur des rapports d’experts ». Ecologie Sans Frontière, dans une lettre-réquisitoire, mettait en demeure trois ministres (Santé, Transports et Environnement) « d’informer la population sur l’étendue des dangers actuellement encourus du fait de la pollution ( …) et de prendre le plus rapidement possible des mesures appropriées (…) ». Cette mise en demeure était assortie de menaces de poursuites judiciaires. Trente jours après, l’association n’ayant pas reçu de réponse des trois ministères incriminés, une nouvelle lettre fut adressée à Jacques Chirac, Président de la République, et Lionel Jospin, Premier Ministre. Qui se déchargea sur Dominique Voynet, Ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, qui hérita de la coordination du dossier. Suite à cette « relance », la réponse des trois ministres, qui signent de concert la même lettre, arrive le 5 décembre à Ecologie Sans Frontière. Et là, stupeur de Franck Laval : « A notre grande surprise, les ministres ne nient pas que la pollution fait des morts. C’est incroyable ». La longue lettre du ministère expose en effet les vues du gouvernement sur les questions de pollution, et tente de remettre les pendules à l’heure. « Vos accusations nous surprennent », écrivent les ministres, « dans la mesure où, tout particulièrement depuis 1997, le Gouvernement a fait de la lutte contre la pollution de l’air une de ses priorités en raison des risques et des impacts qu’elle engendre sur la santé de l’homme et son environnement ». La lettre précise entre autres que la branche française de l’étude publiée par le Lancet a été financée par le Ministère de l’Environnement. Et insiste bien sur le fait que ses résultats « représentent une étape intéressante dans la connaissance du risque à long terme des effets sur la santé de la pollution atmosphérique », mais méritent « d’être réajustés à l’avenir, en fonction de l’évolution des connaissances ». On ne saurait mieux jouer la montre. Sur le volet de l’information du public, le Ministère plaide également non coupable : selon lui, de nombreuses brochures ont été mises à la disposition du public, et ajoute que l’on peut trouver sur l’Internet les données de pollution en temps réel. Soit. Sauf qu’à peine 20% des Français connaissent Internet, et que les brochures publiées, à de rares exceptions près, obnubilées par la réglementation en vigueur, assurent que tout ne va pas si mal. Sur ce plan, le gouvernement a raison. Pour la plupart des polluants présents dans l’atmosphère urbaine, des seuils à ne pas dépasser ont été fixés, par les instances nationales ou européennes. Et, si l’on se conforme à ces objectifs de qualité, tout, effectivement, ne va pas si mal. C’est là, patatras, que tout se casse la figure : alors même que les études les plus récentes indiquent que ces niveaux « normaux » tuent , on continue, au niveau de l’information du public, à les considérer comme « normaux ». Les villes sont polluées, mais c’est « normal ». Pourquoi ? Parce que les étalons qui ont servi à l’élaboration de ces normes sont des individus en bonne santé, et non des asthmatiques souffreteux. Pour eux, on ne saurait conseiller qu’une chose : « allez vous en, la ville n’est pas faite pour les femmelettes ». C’est le deuxième point sur lequel va s’appuyer Ecologie Sans Frontière. L’association collecte les témoignages de victimes de la pollution, et entend bien les faire témoigner au tribunal, y compris devant la Cour de Justice de la République. Laurence Husson, 39 ans, mère de trois enfants, est l’une de ces victimes. Elle ne fume pas, mais elle est parisienne. Sportive, elle pratiquait l’escrime. Artiste, elle chantait régulièrement, pour son plaisir. Ecolo, elle s’est mise au vélo en 1996. Les symptômes sont apparus en 1998. Ses crises ont commencé par des expectorations, des quintes de toux. Plusieurs bronchites ont suivi. Direction : le pneumologue, qui détecte une hyper-réactivité bronchique, et lui conseille d’arrêter la bicyclette, en précisant « Vous ne vous rendez pas compte des saletés que vous avalez à pédaler dans les rues ». Et bien non, justement, Laurence Husson ne se rendait pas compte. Après coup, elle s’est renseignée. « Je suis médecin, mais il a fallu que je fasse un courrier à l’association APPA3 , qui m’a envoyé une brochure, pour apprendre que le dioxyde d’azote, le monoxyde de carbone et les particules en suspension avaient des effets nocifs sur la santé. Ca m’a mis dans une colère noire. Si j’avais su ce qui m’attendait, je n’aurais jamais fait de vélo dans Paris. L’information n’est pas diffusée. La brochure de l’APPA , que j’ai obtenue gratuitement grâce à mon statut de médecin, coûte normalement dix francs. Est-ce bien raisonnable ?». Suite à cette « contamination », dont elle est persuadée qu’elle est sinon due, en tout cas aggravée par la pollution, madame Husson est obligée de suivre un traitement médical lourd. Elle ne comprend pas ce lui arrive. Elle ne fait plus d’escrime, ne peut plus chanter autant qu’elle le souhaiterait. En quatre ans, elle s’est considérablement affaiblie, et présente tous les symptômes d’un asthme aggravé. « Certains jours, j’étais si épuisée que j’allais me coucher à 16H00 », témoigne la jeune mère de famille, en proie à une rage compréhensible. « J’ai sonné à de nombreuses portes, et me suis rendue compte qu’aucune association ne jugeait nécessaire d’alerter la population. On se contente d’informer, et encore, avec des petits moyens ». En 1999, un fort épisode de pollution envoie Laurence Husson à l’hôpital. On lui annonce qu’elle est asthmatique. C’est le comble. En octobre 2000, elle découvre l’action d’Ecologie Sans Frontière, au détour d’un article de journal. Son engagement est immédiat. « Ca faisait longtemps que je me demandais comment agir. Je voulais absolument que ce qui m’arrive n’arrive à personne d’autre. C’est trop difficile à supporter. Je ne réclame pas d’argent. Je souhaite l’information du public à la hauteur des enjeux. Il faut penser à nos enfants. La pollution est beaucoup plus grave qu’on ne le dit. Il faut prendre des mesures pour rendre les villes respirables. Quand Airparif annonce un niveau de pollution « moyen », mes crises commencent. Ce niveau n’est donc pas « moyen » mais « mauvais ». Il faut tout reprendre à zéro». Laurence Husson sera t’elle la première asthmatique à manifester contre la pollution ? Son initiative marque t’elle le réveil des laissés-pour-compte de la pollution ? « Je suis sûre que je ne suis pas la seule victime de la sorte. Ecologie Sans Frontière compte bien fédérer tous les plaignants. Ensemble, nous serons plus forts », avertit la plaignante. Un témoignage corroboré par une autre asthmatique, institutrice : « Des gens sont plus sensibles que d’autres. Pour certains, et j’en fais partie, la pollution est véritablement pénalisante. Par moments, je passe toute mon énergie à tout simplement essayer de respirer correctement. Je pense que l’importance du facteur psychosomatique n’est pas négligeable. Le stress, les contrariétés, n’arrangent rien. Or mon travail avec les enfants m’en donne beaucoup. Je travaille en Zone d’Education Prioritaire, et beaucoup de mes écoliers réclament, au-delà des cours, de la tendresse et de l’attention. Etre asthmatique, dans ces conditions, n’est pas un avantage, bien au contraire. Pour ces raisons, si l’on considère le 3 Association pour la Prévention de la Pollution Atmopshérique nombre très élevé d’asthmatiques en France, il faut absolument consacrer beaucoup d’efforts à la dépollution des villes ». La démarche peut aller très loin. Ecologie sans Frontière, malgré la vétusté de ses moyens actuels, est déterminée à mener une « guérilla » juridique, à harceler sans relâche les pouvoirs publics, pour que la pollution de l’air urbain cesse. De jeunes avocats ont rejoint le mouvement, et vont se faire les dents sur ce dossier plein d’épines. Mécontente de la réponse de madame Voynet, l’association a porté, en date du 7 février 2001, une nouvelle injonction au gouvernement, qui porte sur douze points, et non des moindres : 1/ Interdire les véhicules consommant plus d’un litre aux cents kilomètres dans les villes de plus de 50 000 habitants dans les trois ans à venir. 2/ Interdire le Diesel dans les trois ans à venir (en raison de sa contribution à la pollution de l’air et de ses propriétés cancérigènes et nocives pour le fœtus). 3/ Réduire de moitié les taxes fiscales sur l’essence, et affecter intégralement ces taxes à la lutte contre la pollution atmosphérique (informations, recherches épidémiologiques, scientifiques et technologiques). 4/ Interdire le benzène, en raison de ses propriétés cancérigènes 5/ Interdire l’ozone 6/ Réduire les seuils d’alerte édictés dans le décret du 6 mai 1998, car ils reposent sur des textes anciens : - à 50g/m3 pour le dioxyde d’azote - à 50 g pour le dioxyde de soufre 7/ Lancer une campagne d’information afin de mettre en garde le grand public sur les dangers de la pollution atmosphérique 8/ Avertir le public sur les dangers du Diesel et notamment les populations particulièrement exposées (chauffeurs de taxis, VRP, policiers…) 9/ Elargir la réglementation à d’autres polluants (dioxines, furanes, HAP, COV, PS 2,5) 10/ Convoquer une conférence rassemblant tous les acteurs de la pollution de l’air (Etat, constructeurs, pétroliers, associations, juristes, scientifiques, Caisse Primaire d’Assurance Maladie) afin de repenser les politiques de lutte contre la pollution de l’air 11/ Ordonner une commission d’enquête sur les systèmes d’informations concernant la pollution atmosphérique afin de contrôler l’exactitude des données induisant la politique de protection de l’atmosphère 12/ Défiscaliser totalement les énergies propres telles que le Gaz de Pétrole Liquéfié ou le gaz naturel. Ni plus ni moins. Si les politiques manquaient d’idées pour lutter contre la pollution, les voilà servis. L’association a mis la barre très haut, mais les propositions sembles réalistes. C’est une question de volonté politique et de moyens. « La volonté politique, je n’y crois pas beaucoup », analyse Franck Laval. « La voiture rapporte beaucoup d’argent à l’Etat. Abaisser la consommation des véhicules, cela signifie d’énormes rentrées fiscales en moins. Le trio Etat-Constructeurs-Pétroliers, grâce à sa puissance financière , dirige notre pays et nos modes de vie . Ils sont infiniment mieux armés que nous. Pour nos avocats, le combat s’annonce difficile mais passionnant .