Folia Veterinaria 2006 n°3

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Folia Veterinaria 2006 n°3
Folia veterinaria
RÉSISTANCE AUX ANTHELMINTHIQUES CHEZ LES RUMINANTS ET
LES CHEVAUX
Observations de résistance à travers le monde entier
Le nombre croissant de cas de résistance aux anthelminthiques chez les moutons, les chèvres et
les chevaux suscite de plus en plus d’inquiétude au niveau mondial. Même si la situation est
moins dramatique chez les bovins, on constate un nombre croissant de cas de résistance chez
cette espèce.
Des résistances sont surtout observées dans les régions où les traitements avec des vermifuges
sont intensifs, comme par exemple l’Australie et l’Afrique du Sud (moutons), la NouvelleZélande (moutons et bovins) et l’Amérique du Sud (bovins).
Les résistances rapportées apparaissent surtout chez les nématodes gastro-intestinaux des
moutons, des chèvres (Teladorsagia circumcincta et Haemonchus contortus), des chevaux
(Cyathostominae) et, dans une moindre mesure, chez les douves du foie des moutons (Fasciola
hepatica). La résistance chez les bovins est surtout citée pour Cooperia spp., et, à un degré
moindre, pour Ostertagia ostertagi.
Les résistances se développent, avec une incidence variable, vis-à-vis des trois grands groupes
d’anthelminthiques, à savoir les benzimidazoles, les imidazothiazolés et les lactones
macrocycliques.
Dans certaines régions d’Australie, d’Afrique du Sud et d’Amérique du Sud, l’apparition de
résistances menacerait la survie économique de certains secteurs de l’élevage.
La situation en Belgique
En Belgique, la résistance des nématodes gastro-intestinaux aux anthelminthiques n’a été
décrite jusqu’à présent que chez les petits ruminants et les chevaux (voir tableau 1). Aucune
résistance vis-à-vis de Fasciola hepatica n’a encore été signalée dans notre pays. Il faut
néanmoins signaler que, ces cinq dernières années, aucune étude systématique n’y a été
réalisée afin établir l’ampleur et l’importance de la résistance aux anthelminthiques chez les
grands animaux.
Tableau 1. - Principales résistances des nématodes chez les animaux domestiques en
Belgique
nématode
Haemonchus contortus
Cooperia curticei
Trichostrongylus spp.
Teladorsagia spp.
Cyathostominae
(petits strongyloïdes)
espèce animale
petits ruminants
petits ruminants
petits ruminants
petits ruminants
chevaux
produit
(pro)benzimidazoles
(pro)benzimidazoles
(pro)benzimidazoles
(pro)benzimidazoles
(pro)benzimidazoles
Facteurs favorisant la résistance
Plusieurs facteurs sont à la base du développement de la résistance aux anthelminthiques.
Parmi les plus importants notons:
1.
Le sous dosage
Le sous dosage d’anthelminthiques, surtout lié à la sous-estimation du poids corporel, est
considéré comme l’un des facteurs les plus importants contribuant à l’apparition de résistance.
2.
L’usage fréquent d’anthelminthiques du même groupe
L’usage alterné d’anthelminthiques de différents groupes ralentit le développement de
résistance. Cette alternance pourrait cependant, à long terme, entraîner une résistance multiple.
3.
La population refuge
Ces dernières années, l’accent est mis sur l’importance de la période de traitement et la présence
éventuelle d’une population refuge. On entend par «population refuge» cette partie de la
population de vers qui n’a pas été exposée à l’anthelminthique pendant le traitement. Il s’agit
(1) des œufs et des larves de vers (sensibles) présents sur les pâturages et (2), des vers présents
chez les animaux non traités (lorsque par exemple le cheptel n’est traité que partiellement).
Lorsque la population refuge est restreinte, les œufs/larves ayant survécu au traitement, et
éventuellement résistants, joueront un rôle important dans la contamination du pâturage
(pression de sélection élevée). Inversement, lorsque le nombre d’individus refuges est élevé, les
œufs/larves ayant survécu au traitement ne joueront qu’un rôle infime dans la contamination
du pâturage (pression de sélection basse). L’ampleur de la population refuge dépend de la
période de pâturage, de la proportion du cheptel traité et de l’espèce de vers. Ainsi,
Haemonchus ne survivant pas à l’hiver sur le pâturage, la quasi-totalité de la population des
vers est exposée à l’anthelminthique lors de la vermifugation des brebis au printemps (absence
de population refuge), ce qui contribue rapidement à l’apparition de résistance. En général, la
population refuge sur les pâturages est au plus bas d’avril à juin, et atteint son sommet dès le
mois d’août. Un traitement vermifuge préventif au printemps, moment où le nombre
d’individus refuges est restreint, augmente donc le risque de résistance. En traitant
volontairement le cheptel de manière partielle, on vise à sauvegarder suffisamment de vers
sensibles dans la génération suivante du parasite.
4.
autres facteurs
D’autres facteurs déterminant le degré de résistance sont propres au parasite, tels que par
exemple :
•
la base génétique de la résistance et les chances de survie éventuellement supérieures des
vers résistants par rapport aux vers non résistants (lorsque par exemple les gènes de
résistance sont liés aux gènes dits «fitness genes» («gènes d‘adaptation»)
•
la gravité de la pathologie pour l’hôte, et par conséquent la nécessité d’un traitement
•
la présence de stades inhibés susceptibles d’échapper au traitement (considérés aussi par
certains comme refuges) garantissant la présence de vers sensibles dans la génération
suivante.
Selon la capacité des animaux de se constituer rapidement une protection naturelle contre les
infestations, un traitement sera nécessaire ou non. En général, chez les bovins, seuls les veaux
seront traités de manière préventive (= pression de sélection élevée). Après une première
saison de pâture, les bovins ont élaboré une résistance suffisamment grande contre la plupart
des nématodes et ne doivent être traités qu’à l’occasion, de manière curative (= pression de
sélection basse). Chez les ovins, les animaux adultes (brebis) constituent une source de
contamination importante pour les agneaux et doivent donc aussi subir un traitement préventif
(= pression de sélection élevée).
2
Prévention de la résistance
Parmi les mesures à prendre pour diminuer le risque de résistance, on cite :
-
l’usage
alterné
d’anthelminthiques
appartenant
à
différents
groupes
pharmacologiques et présentant un mécanisme d’action différent. L’apparition de
résistance vis-à-vis d’une substance donnée compromettra aussi l’action d’autres
substances du même groupe pharmacologique et possédant un même mécanisme
d’action.
-
veiller à ce que le dosage et l’administration soient corrects. A cet effet, le poids
corporel de l’animal à traiter doit être déterminé le plus précisément possible. Lors
d’un traitement de groupe, le poids des animaux doit plus ou moins s’équivaloir, et le
dosage doit être basé sur le poids des animaux les plus lourds (et non sur la moyenne
de poids). Lorsque le poids corporel des animaux du cheptel présente de grandes
différences, de petits groupes homogènes peuvent être constitués en vue du traitement.
Cette méthode profite à la fois au coût du traitement et à la sécurité des animaux. Les
sous dosages apparaîtraient fréquemment chez les chèvres en raison de l’extrapolation
aux chèvres des doses destinées aux moutons, alors que les substances actives du
médicament présentent une biodisponibilité plus basse et une action plus faible chez la
chèvre. Ainsi, les doses de lévamisole et des benzimidazoles devraient être
respectivement de 1,5 à 2 fois plus élevées chez les chèvres.
-
éviter une surprotection qui entrave la constitution d’une immunité permettant de
résister aux infections naturelles. Les formules longue durée ne se contentent pas de
prévenir les contaminations parasitaires mais peuvent aussi diminuer le
développement immunitaire contre ces mêmes parasites (nématodes et strongles
pulmonaires) si leur utilisation n’est pas adaptée à la gestion du pâturage (à utiliser
seulement lors de longues saisons de pâture sur une même pâture).
-
maintenir la population refuge. Pour que la génération de vers suivante reste
partiellement sensible à l’anthelminthique, on peut par exemple choisir de ne pas
traiter les animaux plus tolérants à une infestation de vers et se contenter de
vermifuger ponctuellement les animaux présentant des signes cliniques ou plus
susceptibles d’en présenter (par exemple les veaux durant leur première saison de
pâturage). De cette façon, la pression de sélection globale pour les vers résistants reste
basse alors que le nombre d’individus dans la population de vers toujours sensibles à
l’anthelminthique utilisé reste suffisamment élevé. Lorsqu’on déplace cependant les
animaux vermifugés vers une prairie « saine », les œufs des vers ayant survécu au
traitement peuvent contaminer cette prairie et l’apparition de résistance est ainsi
facilitée.
-
une gestion de pâturage adapté. D’un côté, le pâturage de vaches allaitantes avec leurs
veaux ou le changement de pâturage des veaux vers une prairie fauchée peut par
exemple contribuer à diminuer la pression d’infection et la nécessité de traiter.
Idéalement, les veaux devraient être déplacés toutes les 3 semaines vers un pâturage
sain, ce qui reste une utopie pour la plupart des exploitations en Belgique. D’un autre
côté, le cycle de vie de certains vers (par exemple Haemonchus, Teladorsagia) est
interrompu lorsqu’on alterne sur le pâturage les moutons et les bovins ou les chevaux.
La littérature conseille parfois d’alterner les vaches laitières et les veaux, mais on doit
cependant craindre les risques d’infection par des strongles pulmonaires chez les
veaux. On se souviendra que sur les prairies marécageuses, aussi bien les moutons que
les bovins sont des hôtes de Fasciola hepatica. Dans ce cas-là, l’hôte intermédiaire peut
être éliminé par extermination avec de la cyanamide calcique ou par la destruction de
son biotope grâce au drainage ou à la pose de clôtures autour des parties humides de la
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prairie. Par ailleurs, en ôtant régulièrement les excréments des pâturages pour chevaux,
la pression d’infection pour les strongles peut être diminuée.
-
la quarantaine et le traitement préventif avec plusieurs anthelminthiques des animaux
nouvellement arrivés sur l’exploitation, permettent d’éviter l’introduction de parasites
et de vers éventuellement résistants. L’efficacité du traitement doit être vérifiée par
l’analyse des fèces. On doit surtout être sur ses gardes à l’achat d’animaux issus de
pays où la résistance constitue un problème sérieux.
Jusqu’à aujourd’hui, les alternatives à l’usage des anthelminthiques (par exemple moisissures
nématocides, supplémentation protéique, addition d’extraits de plantes à l’alimentation et
vaccination) n’offrent pas des options pratiques et ne peuvent donc pas contribuer à prévenir
la résistance.
Quand soupçonner de la résistance ?
L’anamnèse constitue un élément important dans la détermination de la résistance. Si, à partir
des informations rassemblées sur l’anthelminthique, sur la méthode de son utilisation et la
gestion des pâturages, une résistance est suspectée, il faut dès lors contrôler l’action de cet
anthelminthique par le test de la réduction de l’OPG (Œufs Par Gramme) en comparant les
comptages parasitaires avant et après traitement (‘faecal egg count reduction test’). Les
techniques in vitro existantes (telles que le ‘egg hatch assay’ ou le ‘larval motility assay’) ne
fonctionnent que pour certains groupes d’anthelminthiques (benzimidazoles et lévamisole) et
sont moins reproductibles.
Lorsque la résistance est confirmée, des anthelminthiques appartenant à un autre groupe
pharmacologique et ayant un mécanisme d’action différent, doivent être utilisés. D’autres
mesures peuvent être prises pour optimaliser par exemple la gestion des pâturages.
Conclusion
Le danger de la résistance aux anthelminthiques est réel et peut être qualifié de sérieux, même
en Belgique. Des dosages corrects et l’usage alterné de différents groupes d’anthelminthiques
aident à diminuer le risque de résistance. Une bonne gestion des pâturages peut entraîner une
réduction du nombre de traitements avec un anthelminthique et permet ainsi de maintenir la
pression de sélection pour les vers résistants à un bas niveau. Les alternatives aux
anthelminthiques actuels (tels que des vaccins effectifs ou de nouvelles molécules) ne sont pas
prévues dans un avenir proche, il importe donc de conserver aussi longtemps que possible
l’activité des molécules actuelles.
Bibliographie
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1993 World Association for the Advancement of Veterinary Parasitology (WAAVP) second edition of guidelines for evaluating
the efficacy of anthelmintics in ruminants (Bovine, Ovine, Caprine)
http://www.apvma.gov.au/guidelines/WAAVP_anthelmintics_ruminants.pdf
Répertoire Commenté des Médicaments à usage vétérinaire, Fascicule 2 (2000) pp. 23 – 27
Coles GC; Vet Res. 2002 Sep-Oct; 33(5):481-9. Cattle nematodes resistant to anthelmintics: why so few cases?
Sayers G, Sweeney T. Anim Health Res Rev. 2005 Dec; 6 (2):159-71: Gastrointestinal nematode infection in sheep--a review
of the alternatives to anthelmintics in parasite control.
Wolstenholme AJ, Fairweather I, Prichard R, von Samson-Himmelstjerna G, Sangster NC. Trends Parasitol. 2004
Oct;20(10):469-76 Drug resistance in veterinary helminths
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