4 - Globalisation financière et mondialisation

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4 - Globalisation financière et mondialisation
4 - Globalisation financière et mondialisation
Cette fiche parcourt la période qui va des accords de la fin de la seconde guerre
mondiale à nos jours en caractérisant les évolutions du système financier
international qui ont marqué la période.
La mondialisation se traduit par une inflexion profonde des rapports de force entre les
marchés et les Etats, entre les lois de l’accumulation du capital et celles qui régissent les
sociétés. Cette inflexion est d’autant plus frappante qu’elle intervient à l’issue d’une période
dite « keynésienne » caractérisée par un encadrement institutionnel de l’activité économique
au sein de chaque Etat. Cette période, qui débute aux Etats-Unis avec le New Deal1 en
1933, prend fin avec l’effondrement du système de Bretton Woods que signe la suppression
de la convertibilité or du dollar le 15 août 1971 (voir plus loin). L’ensemble des réponses
« rassurantes » apportées durant ces quarante années par l’Etat providence aux effrayants
bouleversements induits par la révolution industrielle, l’irruption du machinisme et la
soumission du travail, de la terre et de la monnaie aux mécanismes du marché va être
balayé en quelques années.
Le phénomène de mondialisation apparaît ainsi comme une revanche de l’économique sur le
politique et le social visant à mettre à bas les compromis sociaux élaborés par l’Etatprovidence keynésien justifiant la qualification de « restauration du pouvoir de la finance »
par laquelle Gérard Duménil2 le qualifie. La grande vague de déréglementation qui va sévir à
partir de la fin des années soixante-dix aura pour conséquence de mettre en concurrence
les Etats entre eux pour la localisation des investissements et l’allocation de l’épargne.
Compromis keynésien
Il caractérise la situation née de la crise des années 30 reposant sur l'accroissement simultané de
la productivité du travail et des salaires, combiné à l'émergence des systèmes de protection
sociale. Il a perduré pendant toute la période dite des « Trente glorieuses » des deux côtés de
l’Atlantique. L’Etat y joue un rôle essentiel en augmentant les dépenses publiques et en menant
une politique redistributive d’où le concept « d’Etat-providence » (ou Welfare Sate) issu de cette
période. L’économiste John Maynard Keynes, qui fut l’un des négociateurs de la Conférence de
Bretton Woods, a largement inspiré ce modèle auquel son nom reste attaché.
Bretton Woods : des accords issus du compromis keynésien
Le système financier international mis en place après la seconde guerre mondiale lors de la
conférence de Bretton Woods (1944) est un système de financement public bilatéral et
multilatéral des déséquilibres de paiement internationaux. Il répond, pour les Américains, à
la volonté d'éviter les crises monétaires, dont ils pensaient qu'elles avaient entraîné le
protectionnisme, le nationalisme et la guerre. Deux organismes créés par la conférence
incarnent cette nouvelle architecture financière internationale :
le Fonds Monétaire International (FMI) qui veille au respect de la stabilité
monétaire internationale et finance les déséquilibres temporaires des
balances de paiement : il dispose de ce fait d’un droit de regard sur les
politiques économiques des pays membres ;
La Banque Mondiale (BM) qui finance la reconstruction des pays détruits et
le développement des pays nouvellement indépendants.
Il n’y a pas de marché international des capitaux significatif et les seules possibilités de
financement extérieur pour les pays membres en déficit consistent à exercer leur « droit de
1
Le New Deal (« Nouvelle donne » en français) est le nom donné par le président américain Franklin Delano Roosevelt à sa
politique interventionniste mise en place , en 1933, pour lutter contre les effets de la Grande Dépression aux États-Unis.
2
G. Dumesnil et D. Levy, Economie marxiste du capitalisme La Découverte, Coll. Repères
tirage » sur le FMI ou à contracter un emprunt auprès de la Banque Mondiale. De ce fait, les
déficits restent contenus en dessous de 1% du PIB.
FMI et droit de tirage.
Chaque État doit verser au FMI une certaine somme, nommée « quote-part » et dont le montant
est déterminé par sa puissance économique. 25 % de cette quote-part doivent être payé en or, le
reste en monnaie nationale. En cas de déséquilibre de sa balance des paiements risquant de
menacer l’équilibre monétaire sur le marché des changes, chaque pays membre peut obtenir
automatiquement 25 % de sa quote-part (« droit de tirage »), lui permettant de soutenir, par
l'achat, sa monnaie nationale.
Le dollar est la devise clé de ce système. Il est la seule monnaie internationale avec deux
caractéristiques :
- Il n’y a que lui qui soit convertible en or au taux de 35 dollars l’once;
- les autres monnaies sont convertibles en dollar sur la base d’un taux de change
fixe.
De la parité fixe au flottement des monnaies
En 1945, les Etats-Unis possèdent les trois-quart des réserves mondiales en or. Les sorties
de capitaux des Etats-Unis s’accroissent de façon modérée dans les années cinquante
fournissant à l’économie mondiale les moyens de la reconstruction.
A la fin de cette période, la sortie de capitaux américains dépasse les besoins de
financement des autres pays industrialisés. Les réserves en dollars ainsi constituées à
l’extérieur des USA vont provoquer une accélération de la demande de conversion en or
entraînant la baisse des réserves américaines. En 1960, les engagements extérieurs des
Etats-Unis dépassent, pour la première fois, la valeur de leur stock d’or. La spéculation se
déchaîne contre la monnaie américaine dont la parité-or ne pourra être défendue qu’avec le
soutien des autres banques centrales.
Cette situation n’est plus acceptable par les autres puissances industrielles maintenant
reconstruites, Elles refusent de continuer à accumuler des réserves dans un dollar
largement surévalué. L’évolution du rapport de force qui s’en suit entre les Etats-Unis d’une
part, et le Japon et l’Europe d’autre part se matérialise par la dégradation du solde des
échanges (différence entre le montant des exportations et le montant des importations).
Largement excédentaire dans les années cinquante, il devient négatif en 1971. Le 15 août
1971, Richard Nixon décide unilatéralement de la suppression de la convertibilité-or du
dollar mettant fin ainsi à toute demande de conversion des réserves en dollars accumulées
ici et là. Cette décision met fin au système de parité fixe des monnaies mis en place à
Bretton Woods. C’est dorénavant le régime des changes flexibles, régi par la loi de l’offre et
de la demande, qui s’impose.
Vers la libre circulation des capitaux
Désormais chaque pays est libre de laisser fluctuer le taux de change de sa monnaie au gré
de l’offre et de la demande. Dès lors, les obstacles à la libre circulation des capitaux vont
commencer à tomber d’autant plus que les Etats sont preneurs des capitaux que les
investisseurs étrangers peuvent leur apporter. L’administration américaine ouvre la voie à la
fin des années soixante-dix suivie par Margaret Thatcher au début des années quatre-vingt
en mettant fin au contrôle sur la circulation des capitaux. Les Etats-Unis contraignent le
Japon (1983-84) à ouvrir son système financier avant que la France ne fasse de même en
1989. Enfin, le démantèlement des systèmes nationaux de contrôle des changes en Europe
met en place le marché unique des capitaux en 1990.
Flottement des monnaies : le credo des monétaristes
Pour Milton Friedmann, chef de file des monétaristes, le flottement des monnaies restitue à
la politique monétaire son autonomie ce qui signifie, dans son esprit, donner la priorité
absolue à la lutte contre l’inflation pour préserver la situation des rentiers.
Selon les monétaristes, l’autre avantage du flottement des monnaies est qu’il libère les
« vertus stabilisantes de la spéculation ». L’effet stabilisant tiendrait au fait que les
spéculateurs, agents supposés rationnels, achètent quand les cours sont bas et vendent
quand les cours sont hauts.
Mais ces vertus stabilisantes n’ont jamais été au rendez-vous depuis 1973 et, loin d’avoir
modéré l’instabilité intrinsèque du régime des changes flexibles, la spéculation, facilitée par
la globalisation financière, l’a poussée à son paroxysme.
95 % des opérations réalisées sur les marchés des changes correspondent à des
mouvements financiers indépendants des opérations sur biens et services.
La dynamique des 3 «D »
Si la déréglementation a été l’un de moteurs de la globalisation financière, elle n’en a pas
été le seul. La « désintermédiation » et le « décloisonnement » ont été les deux autres. C’est
la raison pour laquelle on parle souvent de la règle des 3 « D ». Par « désintermédiation » on
entend le recours direct des entreprises aux marchés financiers afin notamment d ‘aller y
chercher des financements, sans passer par le crédit bancaire.
Le « décloisonnement » des marchés correspond à la disparition des frontières
réglementaires entre les marchés interdisant notamment qu’un même établissement puisse
être à la fois banque de dépôt (celle ou est versé notre salaire) et banque d’affaire (celle
dans laquelle notre patron place le montant de la vente de ses stock-options). Ce
« décloisonnement » s’opère vers l’extérieur (ouverture des marchés nationaux) d’une part
mais aussi à l’intérieur par un éclatement des compartiments existant entre marché
monétaire (court terme), marché financiers, marché des changes, marchés à terme.
Les 3 « D » (désintermédiation, dérégulation, décloisonnement) fleurons de la globalisation
financière témoignent du recul en ordre dispersé des Etats face à la dynamique de
l’intégration financière lancée dans les années soixante. Ce faisant, non seulement les Etats
ont accepté de supprimer les entraves à la circulation de masses considérables de capitaux
mais pour tenter de les attirer sur leurs territoires, ils ont aussi renoncé à la majeure partie
de leurs prélèvements fiscaux sur les revenus du capital.
Les évangélistes du marché3
Il est évident que ces mutations sont la conséquence d’une série de choix de nature
politique. Ils sont été inspirés par une idéologie que l’on désigne généralement par le terme
néolibérale. Ce courant s’est organisé très tôt autour d’un certain nombre d’hommes dont
l’un premier est sans doute l’économiste autrichien Friedrich Von Hayeck qui créa dès 1949
la société du Mont Pèlerin dans laquelle on retrouve nombre d’intellectuels comme Milton
Friedmann qui fondera l’école de Chicago, obtiendra le prix Nobel d’économie et sera
l’inspirateur de la politique monétariste chère à Thatcher et à Reagan. La pensée néolibérale
se diffusera en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis tout d’abord par le biais des think tanks
[boîte à penser]. Les plus connus étant l’Institut of Economic Affairs en Angleterre et la
Heritage Foundation aux USA. A ces think tanks viendront s’ajouter le travail de conquête
mené dans les Universités dont l’Ecole de Chicago ou l’Institut des Hautes Etudes
Internationales de Genève sont des exemples et celui conduit dans les médias. C’est
lorsque Margaret Thatcher va prendre le pouvoir en 1979 que cette « logique » va enfin se
transformer en programme de gouvernement avant qu’à son tour, en 1982, Ronald Reagan
ne fasse de même.
3
Keith Dixon, Les évangélistes du Marché, Raisons d’Agir, 1998
5- La financiarisation de l’économie
Cette fiche s'emploiera à faire le point sur les évolutions des techniques et des
instituions financières qui ont permis de mettre en place une globalisation financière
permettant aux détenteurs de capitaux de spéculer partout et à tout moment et
accroitre ainsi leur capacité à accaparer les richesses produite.
L’avénement du régne du marché
Nous voici donc passé d’une situation réglementée dans le cadre d’un coopération
intergouvernementale à une situation ou la seule instance de régulation est « la main
invisible du marché ». Nous sommes dans la dernière décennie du XXe siècle face à un seul
marché des capitaux, totalement « décompartimenté » avec un groupe d’opérateurs privés
[grandes banques internationales, compagnies d’assurances, fonds d’investissement et de
pension anglo-saxons] qui a la possibilité de « faire le marché ». C’est-à-dire de tirer profit
des variations des différents taux pour monter des opérations fructueuses entre les places
internationales. Une des conséquences de cette libéralisation c’est l’explosion de la «
titrisation ». Elle désigne la possibilité offerte aux institutions financières d’émettre sur le
marché des titres représentant les créances qu’elles détiennent en leur faisant subir des
mutations substantielles. Ainsi les gros emprunts sont fractionnés en titres d’un petit
montant, les créances longues sont transformées en titres court terme renouvelables [on
passe d’un « compartiment » du marché à une autre], ce qui a pour effet de transformer les
taux fixes en taux variables, etc.
Zinzins et Hedge Funds
Les investisseurs institutionnels, connus aussi sous le nom de « zinzins », sont représentés par les
banques, les compagnies d'assurance et les fonds de pension. Il s'agit d'investisseurs qui peuvent
détenir une part significative du capital d'une entreprise. Ils sont souvent considérés comme des
actionnaires à long terme ce qui ne les empêchent pas de pratiquer le chantage à la rentabilité
plus souvent qu’à leur tour. Les Hedge Funds, ou fonds spéculatifs, ou fonds alternatifs (si, si !)
sont une autre catégorie d’investisseurs, souvent créés par les premiers, et dont l’objectif est la
recherche du profit maximum en recourant à toutes les techniques que l’ingénierie financière a
développé pour eux depuis 10 à 20 ans. Les zinzins sont tenus à un minimum de règles et opèrent
généralement sur un marché identifié (Bourse), toutes leurs transactions passant par une chambre
de compensation. Les fonds spéculatifs n’ont aucune règle à respecter et leurs transactions sont
totalement opaques puisqu ‘elles s’opèrent généralement sur un marché de gré à gré (on parle de
marché OTC).
L’évolution de la titrisation
Nombre de prêts titrisés,
en milliers de milliards de dollars
et en pourcentage du total des prêts
Source Alternatives Economiques
Les produits dérivés
Dans ce contexte qui a vu exploser les transactions sur les marchés financiers le marché
des produits dérivés s’est développé à une vitesse foudroyante. C’est le plus sophistiqué et
celui qui a valu à cette économie d’être qualifiée « d’économie casino ».
Un produit dérivé est un contrat dont la valeur est "dérivée" du prix d'autre chose, on dit
d’un actif « sous-jacent » tels que actions, obligations, instruments monétaires, ou matières
premières. Le produit dérivé d'une action, par exemple, peut donner le droit d'acheter une
action à un prix fixé jusqu'à une date donnée. Dans ces conditions, la valeur de ce droit est
directement liée au prix de l'action "sous-jacente". Si le prix de l'action monte, alors le droit
d'acheter à un prix fixe devient plus intéressant; si elle baisse, le droit d'acheter à un prix
fixe devient moins intéressant.
A l’origine, un produit dérivé a vocation à protéger d’un risque, à « se couvrir à terme ».
C’est donc une opération presque aussi ancienne que le commerce. Ainsi, au XIVème
siècle, en réponse à l’interdiction pontificale du prêt à la Grosse, (en Grèce antique à
l'époque classique, un prêt consenti à un taux très élevé par un particulier pour financer le
voyage d'un négociant au long cours) les marchands transforment leurs contrats en ventes
à terme optionnelle : celui qu’on appellerait aujourd’hui « l’assureur » achète au comptant la
marchandise et le vaisseau à « l’assuré » et les revend à terme avec une prime. Si le navire
arrive, l’assuré lève l’option et rachète son bateau, acquittant la prime d’assurance. Sinon
l’assureur est quitte pour régler le sinistre.
Mais on conçoit qu’un produit dérivé peut aussi avoir un tout autre objectif. Celui de la
recherche du profit le plus élevé, le plus immédiat. La prolifération financière a donné
naissance à toutes sortes de contrats de produits dérivés, basés sur un grand nombre
d'instruments financiers différents: par exemple, le cours des actions, le marché des
changes, les taux d'intérêt, le différentiel entre deux prix, ou même les produits dérivés de
produits dérivés. C’est dans le compartiment du crédit que la prolifération des produits
dérivés est la plus forte. On peut en prendre la mesure avec l’explosion des CDS (voir
encadré). Créés en 1995, l’encours des CDS est de 3,58 trillions de dollars fin 2003. Il passe
à 42,6 trillions en juin 2007 et atteint 62 trillions en juin 2008.
CDS : Crédit Default Swap. Contrat d’assurance de la valeur d’un titre financier. En échange d’une
prime, le « vendeur de protection » s’engage à dédommager l’acheteur de toute perte résultant
d’un incident de paiement sur le titre assuré. C’est un outil rentable qui rapporte à partir de rien
puisque le « vendeur de protection » reçoit des primes périodiques et augmente ses avoirs sans nul
investissement en capital. C’est un outil flexible dont on peut se débarrasser à tout moment. Il va
donc pourvoir voyager de main en main au gré des transactions successives sans que jamais
l’acheteur de protection initiale ne sache où il se trouve ni qui est sa contrepartie, ni bien sûr si elle
sera en capacité de faire face à ses obligations si l’incident survient…
Ainsi, « on est passé sans même s’en rendre compte des couvertures de risques de l’économie
réelle à la création d’un jeu spéculatif presque entièrement autonome » comme le précise
Frédéric Lordon4. Et, il poursuit « la part des transactions spéculatives par rapport aux
opérations de couverture « réelle » peut s’évaluer en comparant les 43 trillons (milliers de
milliards) de dollars du PIB mondial et les 676 trillions d’encours de produits dérivés ».
4
Frédéric Lordon, Jusqu’à quand ? pour en finir avec les crises financières, Raisons d’Agir, 2008
L’explosion du marché des dérivés
70% des transactions de produit
dérivés portent sur produits jouant sur
les variation de taux d’intérêt.
En juin 2007, 87% des contrats sont de
« gré à gré »
Source Alternatives Economiques