resister aux "nouveaux " programmes de techno

Transcription

resister aux "nouveaux " programmes de techno
Guy Blanès
Professeur de Technologie
Collège A. Rimbaud
77250 Nemours
jeudi 30 avril 2009
A M. Le Recteur de l’Académie de Créteil
S/c de M. Le Principal du Collège
s/c de M. les IA-IPR de Technologie
Monsieur le Recteur,
Nous en sommes aujourd'hui à plus de 10000 signatures (sur un total de 18000 profs de techno privé
et public confondus) à avoir signé la pétition qui demande de surseoir à la mise en place des
nouveaux programmes de techno à la rentrée 2009. (texte de la pétition lisible et téléchargeable à:
http://lettre-ouverte-technologie-ministre.new.fr ).
Qu'allons nous faire après que le Ministre de l'Education Nationale, M. Darcos, ait accusé réception
de cette lettre pétition le 23 Mars et l’ait renvoyé à la D.G.E.S.C.O. (Direction de l'Enseignement
Scolaire sous direction Collège), la même qui a poussé à la mise en place de ces "nouveaux
programmes" !?.
Qu'allons-nous faire alors que se prépare dans les Académies "la mise en place simultanée de ces
nouveaux programmes" à tous les niveaux pour la rentrée scolaire 2009 ?
Nous sommes désabusés, déstabilisés, désorientés, et en colère. Comment ne pas l’être ?
Désabusés !
Malgré les réticences partagées et exprimées largement par les professeurs de technologie (au
cours par exemple de la consultation proposée sur ces nouveaux programmes), malgré
l’opposition des syndicats et de 2 associations sur 3, malgré un consensus du refus, la
« réforme » veut passer en force.
Déstabilisés !
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Peu d’expérimentations menées et éprouvées sur le site national de la techno, des
« exemples » réduits à la portion congrue,
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pas de formation préalable des professeurs alors qu’on veut généraliser une nouvelle
démarche (la « démarche d'investigation » portant sur l’observation et l’analyse d’objets
en vue d’illustrer un principe technique), et qu’on introduit de nouveaux domaines
d’activités (énergie et transports, habitat et BTP, domotique),
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un "oubli" de nos domaines d'origine de connaissances (mécanique, gestion
informatique, électronique),
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une surcharge prescriptive : aux nouveaux programmes sur tous les niveaux, il faut
ajouter le socle commun de connaissances, les axes de convergences avec les disciplines
scientifiques (avec entre autres, le développement durable), le B2i, le cartable en ligne et
d'autres broutilles...
Désorientés !
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S'est-on soucié de la faisabilité de ce projet de nouveaux programmes alors que cette
question est au cœur même de la discipline ? La main gauche des rédacteurs des
programmes a oublié la main droite de la mise en place...
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Quid de « l’organisation en groupes allégés", certes recommandée dans un document
d’accompagnement des nouveaux programmes, mais en perte réelle sur le terrain?
Quid des "heures fléchées" pour aborder les compétences TICE inscrites !?
S'est-on soucié de tirer le bilan du passé : des réussites et des difficultés de la discipline,
pour orienter le "changement" ?
S'est-on soucié du coût du "changement" : réorganisation des salles, financement des
matériels et matériaux, stockage et élimination des "réalisations collectives" sous l'angle
du développement durable ?
Quelle est donc cette volonté qui ne craint pas la "mise en échec" des professeurs de technologie ?
D'où notre colère.
Pourquoi parle-t-on de « changement » alors qu’il s’agit de refonte et de rupture !?
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« Le nouveau programme est caractérisé par des finalités et des objectifs
différents » (exit les « documents ressources pour la classe », documents de travail
version du 23/11/2008.)
« La discipline devient une discipline d’acquisition de connaissances », alors que pour
l’ancien programme, elle était une discipline d’acquisitions de compétences.
« Les activités d’enseignement s’appuient sur l’étude des objets techniques proches de
l’environnement de l’élève et non plus sur les pratiques de l’entreprise » ; l’entreprise
était une référence choisie et scénarisée pour les anciens programmes, mais non des
« pratiques » à transposer !?
« Il faut distinguer la réalisation et fabrication […]. La réalisation n’est pas forcément
l’obtention d’un objet technique complet et fini […] ceux-ci peuvent être des objets
techniques réels ou des objets maquettisés » : ils n’ont pas même finalité !
La force et la spécificité de la techno réside (ait) dans la démarche de projet technique et industriel ;
elle est remplacée par deux démarches : une "démarche d'investigation" qui s’inspire en apparence du
dispositif « Main à la Pâte», mis en place à l’école primaire et animé par des scientifiques et une
démarche dite de résolution de problèmes techniques.
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L'intérêt pour l’objet technique est ramené à son observation (y aura-t-il possibilité des
montages –démontages, réglages et autres en situation réelle de classe ?) ;
la manipulation virtuelle prend le pas sur la confrontation avec la matière, les outils, les
machines ;
la fabrication est limitée à la fabrication de maquettes supports d'interrogation ;
la "réalisation collective" remplace "l'objet individuel", "gadget" comme le dit
l'Inspecteur Général de l’Education Nationale Sciences et Techniques Industrielles, M.
Perrot.
En fait, la maquette remplace l'objet technique et le « chef de projet » qu’était le
professeur se mue en « directeur de recherche »
A quel rôle est convié l'élève ? Au rôle de "curieux scientifique" ? Abandonnés donc
les différents rôles proposés par la techno : agent de production, technicien, concepteur
ingénieur, consommateur « informé »!
« Les activités d’observation, de manipulation, d’expérimentation et de réalisation
d’objets techniques, résultant de la démarche d’investigation ou de résolution de
problèmes techniques, sont le coeur de l’enseignement en technologie ; elles doivent
mobiliser l’élève plus de deux tiers du temps consacré cet enseignement » ce qui en
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réalité ramène les tâches de production au mieux à 1/3 du temps contre 2/3 du temps
dans les programmes de 1995 !
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Que reste-t-il de l'éducation manuelle et technologique ? (Des savoir-faire et des
compétences liés au projet de fabriquer un objet ou de produire un service ?).
Que deviennent ces élèves qui avaient trouvé d’autres voies de réussite scolaire ou qui
entraient dans l’apprentissage des connaissances par le « faire quelque chose d’utile ou
motivant »?
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Et comment assurer la maîtrise des Technologies de l’Information et de la
Communication alors que la plupart des compétences B2i du collège sont dans ces
programmes de techno (98%) ?
« Les connaissances et capacités à acquérir en TIC le seront exclusivement à l’occasion
d’un travail sur les cinq autres approches » définis par les nouveaux programmes !?
Peut-on sincèrement, dans un même moment pédagogique, poursuivre un objectif de
connaissance technologique et de compétence TIC ?
Peut-on sincèrement introduire une culture informatique sans temps d’action réflexion et
d’acquisition de notions comme celles par exemple d’arborescence, fichier, réseau,
recherche d’information et communication numérique… ?
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Et y aura-t-il du temps pour le temps des apprentissages réels des élèves ?
Dans le tableau récapitulatif des « connaissances et capacités » abordés et à acquérir par
les élèves de collège (on notera l’introduction du terme : capacités alors qu’on
caractérise la nouvelle technologie comme une discipline de connaissances !) il y en a
plus de 40 par niveau (sauf en 4ème : 38) alors que dans une année scolaire, il y a
quelques 30 à 35 semaines efficaces…
Et notre liberté pédagogique pourra t-elle encore s’exercer ?
Il n’y a plus de choix de scénario pédagogique (les programmes de 1999 le prévoyaient),
et les conditions requises pour élaborer des supports nouveaux ne sont pas réunies :
temps, formation, réorganisation
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Dans les « documents ressources pour la classe » déjà cités, il est écrit : « Illustrer des
concepts théoriques par des activités et des manipulations nécessite une organisation
pédagogique particulière » et plus loin « cette organisation déjà connue des filières
Sciences et Techniques de lycée et classe préparatoire aux grandes écoles est appelée
centre d’intérêt».
Est-ce donc « un petit lycée » ou plutôt une « petite grande école préparatoire » que l’on
veut expérimenter par la techno au collège ?
Si « la désaffection des jeunes pour les études scientifiques et technologiques longues
interpelle les décideurs et les sociétés savantes » comme l’écrit M. Norbert Perrot,
IGEN STI, inspirateur des nouveaux programmes, dans une lettre du 5 septembre 2007,
la technologie au collège à qui on demande une « contribution notable » serait-elle la
solution miracle ? Cette illusion s’est déjà manifestée dans l’histoire de notre jeune
discipline.
Peut-être y a-t-il un "non-dit", qui est d'aller vers un regroupement de disciplines
comme les SVT, La Physique et la Techno dans un « pôle scientifique ».
Non seulement on nous force à prendre un rôle pour lequel nous ne sommes pas
préparés et pour lequel d’autres (profs de SVT, Physique, Maths…) seraient
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probablement mieux placés, mais on dénie notre savoir-faire et notre réussite.
Est-ce une articulation de disciplines ou une con-fusion de disciplines que l'on veut ?
Je suis rentré dans l’enseignement à la fin des TME (Travaux Manuels Educatifs), j’ai enseigné
l’EMT (Education Manuelle et Technique) avant de me reconvertir à la Techno. Bien que j’aie
regretté cette « rupture » introduite par programmes de 1985 (j’étais partisan d’une évolution
nécessaire et progressive), j’ai « milité » pour cette discipline et j’ai fait partie d’un Centre Ressource
Techno.
Il y avait une formation préalable d’un an, elle fonctionnait en groupe allégé, elle permettait de
développer une pédagogie du projet en action et elle visait la réussite de tous les élèves au collège.
Les nouveaux programmes de 1999 ont « ajusté » la démarche de projet grâce à la mise en place des
scénarios.
Cette discipline était (est encore ?) un peu à part et c’était à nous, profs de techno, de lui faire sa place
dans le collège : participation au Conseil d’administration, gestion du parc informatique, implication
dans des projets multiples et variés…
En 2006, avec le nouveau programme de 6ème, j’ai volontairement joué le jeu et me suis confronté à
la démarche d’investigation …Elle est en soi prometteuse mais, dans les conditions brutales et sans
recul de sa généralisation, le risque est une pratique « formelle », déformée et sans lien avec la
fabrication…. Faut- il déjà prévoir de modifier les programmes pour éviter les « dérives » ? Les
professeurs seront-ils tenus pour responsables de cet échec ?
Aujourd'hui « une nouvelle rupture » est imposée en dépit du bon sens… la « discipline » va-t-elle
rentrer dans le rang comme le veulent certains, c'est-à-dire devenir un ersatz de "sciences et
techniques industrielles " et donc perdre sa substance, son identité, sa raison d’être ?
Va-t-on continuer à assister au « dégoût » de certains collègues ? Combien se sont déjà se sont
« reconvertis » (choix d’une autre discipline ou de personnel de direction ou autre) faute d’avoir pu
supporter les changements constants et de cette discipline ?
Aussi, il me semble que résister est légitime : résistance active et intelligente pour maintenir ce qui
est possible au collège : garder les heures pour l'apprentissage des TICE, chercher des solutions et /ou
des produits qui peuvent s'inscrire dans le développement durable, vert et équitable, par exemple ...
Le possible reste ouvert... Je garde en mémoire un texte de 1983 paru dans les Cahiers de l’Education
Nationale: il s’agit de « mettre en place un enseignement qui permettre l’acquisition d’une démarche
habituant l’élève à un va-et-vient entre théorie et pratique, pensée et action en mobilisant des
éléments de connaissance appartenant à des disciplines différentes en vue de la résolution de
problèmes réels que pose la réalisation d’un projet »
Je vous prie de croire; Monsieur le Recteur, à mes sentiments les plus respectueux.
Guy Blanès
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