FOCUS9_La naissance du Bektachisme

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FOCUS9_La naissance du Bektachisme
La pluralité islamique dans la Turquie contemporaine
PROF CLAUDIO MONGE
Université de Fribourg
Faculté de Théologie
AA. 2012-2013 – SP
La naissance du Bektachisme
Hadji Bektash Veli (descendant seyyid du Prophète par l'Imam Riza d'après
le Villayet Name) est arrivé en Anatolie quelques années avant la fin de l’Empire
Seldjoukide. Il fait parti des disciples d’Ahmed Yesevi (grand maître soufi en Asie
Centrale, à l’origine de divers courants religieux comme le bektachisme, le babaïsme) et a
été éduqué par Lokman Parende.
Avant l’arrivée en Anatolie de Hadji Bektash, Baba Ishah était un grand opposant au
pouvoir seldjoukide. Baba Ishak a résisté contre ce pouvoir despotique et oppressif et a été
l’auteur de plusieurs révoltes dont le plus célèbre est la révolte baba’i de 1239 à 1240) qui
l’ont affaibli.
Hadji Bektash Veli arrive en Anatolie dans un contexte de révolte populaire et a été
influencé notamment par ces Baba’i. En dépit de leur clandestinité, les Bektashi ont
profondément marqué la vie littéraire, musicale et spirituelle de l'Anatolie et des pays
balkaniques. Leurs poètes, qu'on appelait les Ashik (troubadours ou chantres,
littéralement l'amoureux), propageaient la tradition bektashi au moyen de leur art. Et leurs
poèmes influencèrent fortement la population paysanne, car, contrairement à beaucoup
d'autres confréries, les Bektashi n'utilisaient que la langue turque dans toute sa simplicité.
L'Anatolie est un carrefour que les conquérants venus de l'est ont balayé de leur
puissance. Son histoire est remplie d'émeutes, de massacres et de misère. La population ne
trouvait alors un réconfort à ses maux qu'auprès des confréries et de leurs saints. Le
monde, considéré comme un dragon, pouvait seulement être dominé par les prodiges des
saints. Cette période de terreur connut son apogée au treizième siècle. D'un côté l'invasion
des hordes mongoles, de l'autre les révoltes incessantes des beys contre le sultan, en
minaient la puissance des sultans seljoukides. Pour les populations, la miséricorde divine
se manifesta par l'apparition de deux grands maîtres, Bektash et Djelaleddin Roumi (à
l'origine de la confrérie mevlévie ou des derviches tourneurs). Bektash, du fait de la
simplicité de son expression, connut à son époque une influence immense. Le fait que son
enseignement soit aisément accessible aux couches les plus simples de la population a
permis à certains commentateurs de prétendre que Bektash n'avait fait qu'adapter les
anciennes traditions chamans à l'Islam. La seule lecture du Villayet name suffit à ruiner
cette hypothèse tant y est sans cesse présente la référence islamique. Ce qui est certain,
c'est que Bektash fut l’un des rares islamisants à s'adresser aux populations dans leur
propre langage. De même, les successeurs de Bektash qui s'installèrent dans les pays
balkaniques surent toujours s'adapter au langage autochtone; à un tel point que dans des
pays comme la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie, qui sont aujourd'hui des pays
chrétiens, ses successeurs sont considérés autant comme des saints chrétiens que comme
des saints musulmans.
La pluralité islamique dans la Turquie contemporaine
PROF CLAUDIO MONGE
Université de Fribourg
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AA. 2012-2013 – SP
Trois siècles après la mort de Bektash, l'un des successeurs, Baloum Sultan (devenu
maître en 1502), établit le rite actuel des confréries bektashi, rite qui contredit la vie
islamique orthodoxe de façon brutale. Baloum Sultan était d'origine chrétienne et c'est
pour cela que de nombreux rites bektashi qui dérivent des rites chrétiens lui sont
communément attribués.
Quoi qu’il en soit, les Bektashi sont restés dans l'imagination populaire sous l'aspect
de poètes, possédant une bonne réponse pour chaque question, sales et mal vêtus, rebelles
à toute norme aussi bien sociale que religieuse. C'était un plaisir de provoquer par des
questions leurs réponses insolites. (voir les Dits de Bektashis) Ces réponses sont restées
dans les mémoires sous la forme d'anecdotes qui font partie de l'humour populaire turc.
La réputation douteuse des Bektashi provient de leur pratique d'une tradition du
Khorassan (Iran) nommée malameti (voie du blâme) : ils agissent de manière à attirer un
regard défavorable sur eux. Ce n'était pas une confrérie mais simplement une attitude
particulière dans la pratique du soufisme.
Au dix-huitième siècle, le sultan Mahmoud II fit exterminer l’armée des janissaires et
supprima du même coup les confréries bektashi qui y étaient fortement implantées. De
nos jours, bien que quelques confréries subsistent dans le secret, le mot Bektashi désigne
davantage un type de personnalité, individualiste et excentrique, du moins en Turquie
même. Dans les Balkans, certaines de ces confréries sont toujours en activité.
Bien que l’enseignement de Bektash et de ses confréries ait surtout été transmis oralement,
il se trouve quelques écrits au sujet de leurs rites, leur littérature et leurs traditions. Les
plus importants de ces ouvrages sont : Hadji Bektash, Risale-i Ahlak, traité d’éducation
formé de recommandations recueillies par les disciples du maître; Bahr-Ul Hakayik
(L'océan de vérité), ouvrage qui traite du sixième Imam, Djafer Sâdik; Risale i Tarikat, traité
sur les confréries; Villayet name (Louanges et remerciements à Dieu) qui raconte la vie et les
prodiges du Maître Hadj Bektash el Khorassani.

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