A - N° 183 / 3 octobre 2007

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A - N° 183 / 3 octobre 2007
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MEMORIAL
MEMORIAL
Journal Officiel
du Grand-Duché de
Luxembourg
Amtsblatt
des Großherzogtums
Luxemburg
RECUEIL DE LEGISLATION
A –– N° 183
3 octobre 2007
Sommaire
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF
Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg. – Audience publique du 13 juin 2007 . . . page 3376
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Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg. – Audience publique du 13 juin 2007.
Recours formé par la société à responsabilité limitée de droit allemand ARGUS Sicherheitsdienste Gmbh, Wuppertal
(Allemagne) contre le règlement grand-ducal du 21 septembre 2006 portant modification du règlement grand-ducal du
22 août 2003 portant exécution de certaines dispositions de la loi du 12 novembre 2002 relative aux activités privées
de surveillance et de gardiennage en matière d’acte réglementaire.
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 22111 et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 novembre 2006 par
Maître André MARC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société
à responsabilité limitée de droit allemand ARGUS Sicherheitsdienste Gmbh, établie et ayant son siège social à D-42103
Wuppertal (Allemagne), enregistrée au registre de commerce et des sociétés de Wuppertal sous le numéro 4.367,
représentée par ses gérants actuellement en fonctions, avec succursale dénommée «ARGUS SicherheitsdiensteNiederlassung Luxembourg», sise à L-1471 Luxembourg, 310, route d’Esch, inscrite au registre du commerce et des
sociétés de Luxembourg sous le numéro n° B 91.875, représentée par ses gérants de succursale actuellement en
fonctions tendant à l’annulation du règlement grand-ducal du 21 septembre 2006 portant modification du règlement
grand-ducal du 22 août 2003 portant exécution de certaines dispositions de la loi du 12 novembre 2002 relative aux
activités privées de surveillance et de gardiennage;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2007;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mars 2007 par Maître André MARC pour
compte de la demanderesse;
Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 avril 2007;
Vu les pièces versées en cause et notamment le règlement grand-ducal attaqué;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Anne MOROCUTTI, en remplacement de Maître André
MARC, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience
publique du 23 avril 2007.
Le 28 septembre 2006 a été publié à la page 3125 du Mémorial n° 172 de l’année 2006 le règlement grand-ducal du
21 septembre 2006 portant modification du règlement grand-ducal du 22 août 2003 portant exécution de certaines
dispositions de la loi du 12 novembre 2002 relative aux activités privées de surveillance et de gardiennage. En vertu de
ce règlement l’article 10 du règlement grand-ducal du 22 août 2002 portant exécution de certaines dispositions de la
loi du 12 novembre 2002 relative aux activités de surveillance et de gardiennage est complété par un paragraphe 7
nouveau, libellé comme suit:
«Chaque entreprise de gardiennage, agréée ou ayant introduit une demande en vue d’être agréée pour exercer une ou
plusieurs des activités visées par les sections II à IV de la loi, doit disposer de son propre central privatif. Toute convention ayant
comme objet l’exploitation commune, la mise à disposition partielle ou toute autre sorte de partage d’un central entre plusieurs
entreprises de gardiennage est considérée comme nulle et non avenue aux termes du présent règlement».
Le règlement grand-ducal précité dispose en outre que les entreprises de gardiennage actuellement agréées doivent
se conformer aux dispositions ainsi introduites dans un délai de six mois à partir de l’entrée en vigueur du règlement,
prévue pour le 1er octobre 2006.
Estimant que le règlement grand-ducal en question est illégal, la société à responsabilité limitée de droit allemand
ARGUS Sicherheitsdienste Gmbh, ci-après désignée par la «société ARGUS Gmbh», société agréée pour l’activité privée
de gardiennage et de surveillance de biens mobiliers et immobiliers au Luxembourg, exploitant un tel central en
commun avec une autre firme de gardiennage et tombant dès lors directement sous l’application du règlement, a
introduit, le 6 novembre 2006, un recours en annulation dirigé contre ledit règlement.
Le tribunal étant compétent par application des dispositions de l’article 7 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996
portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, pour statuer sur les recours dirigés pour incompétence,
excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les
actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l’autorité dont ils émanent, le tribunal est compétent pour
connaître du recours en annulation introduit. Ledit recours est également recevable pour avoir été par ailleurs introduit
dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours la société ARGUS Gmbh fait exposer qu’elle exerce l’activité de surveillance au GrandDuché de Luxembourg sur un immeuble appartenant à la société Clearstream, faisant partie du groupe Deutsche Börse
et qu’elle est liée à son client, Deutsche Börse, par un contrat exigeant la fourniture de prestations en matière de
gardiennage et de surveillance dans tous les pays dans lesquels ce client se trouve implanté à travers ses succursales ou
ses établissements. La mission de gardiennage et de surveillance réalisée pour son client au Luxembourg consisterait en
la mise à disposition d’agents de surveillance, lesquels assureraient une présence constante dans les locaux du prédit
client. Nonobstant le fait qu’elle disposerait d’un central fortifié en Allemagne, elle aurait été contrainte d’assurer la
disposition d’un central fortifié au Luxembourg moyennant une convention de collaboration avec une société locale
pour obtenir l’autorisation d’établissement requise en la matière. Cette société locale étant tombée en faillite, elle aurait
cependant pu trouver dans les 48 heures une nouvelle société agréée dans la gestion des alarmes de sécurité et la
convention y relative aurait été continuée immédiatement au ministre de la Justice par courrier du 13 juillet 2006. Elle
relève que dans ce contexte serait intervenu le règlement grand-ducal litigieux du 21 septembre 2006 qui aurait comme
conséquence de rendre économiquement impossible ou dissuasif le maintien de son activité au Luxembourg.
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En effet, le prédit règlement, exigeant la possession d’un «central privatif», impliquerait un surcoût énorme pour
chaque entreprise agréée au Luxembourg.
Pour conclure à l’annulation du règlement grand-ducal litigieux, la demanderesse soulève d’abord une irrégularité au
niveau du processus réglementaire, en faisant valoir que le règlement litigieux n’a pas été soumis pour avis au Conseil
d’Etat, alors qu’aucune raison ne justifierait une «urgence» et qu’aucune considération d’ordre public n’expliquerait ou
justifierait la précipitation avec laquelle la mesure a été prise. Se référant à la jurisprudence du tribunal administratif,
elle estime qu’il appartiendrait en tout état de cause à la partie défenderesse de rapporter la preuve de l’urgence. Elle
se prévaut à ce titre des dispositions de l’article 2 (1) de la loi du 12 juillet 1996 portant réforme du Conseil d’Etat qui
prévoit qu’aucun projet ni aucune proposition de loi ne sont présentés à la Chambre des députés et, sauf le cas
d’urgence à apprécier par le Grand-Duc, aucun projet de règlement pris pour l’exécution des lois et des traités ne sont
soumis au Grand-Duc qu’après que le Conseil d’Etat n’ait été entendu en son avis.
Le délégué du Gouvernement estime de son côté que la procédure d’urgence aurait valablement pu être suivie en
l’espèce, étant donné que la faillite de l’entreprise propriétaire du central aurait montré à suffisance de droit la
dangerosité et l’insécurité créée pour les clients de l’entreprise tombée en faillite. Cette situation serait encore pire si
une deuxième société de gardiennage et de surveillance dépendait du central dont le propriétaire serait tombé en
faillite. Il estime dès lors qu’il y aurait eu urgence pour le ministre de la Justice d’intervenir et de remédier à cette
situation, raison pour laquelle il aurait élaboré le projet de règlement grand-ducal litigieux, destiné à prévenir une telle
situation dans la mesure où la sécurité des personnes et des biens d’autrui serait directement concernée par l’existence
d’un central. Il fait encore valoir que le projet de règlement grand-ducal était accompagné d’une note à l’attention du
Grand-Duc, note dans laquelle étaient expliqués les motifs qui auraient rendu indispensable une réglementation
nouvelle. Tant le gouvernement que le Grand-Duc appelé à signer le règlement grand-ducal auraient estimé que la
motivation justifiait en l’occurrence le recours à l’urgence.
Le représentant étatique fait ensuite valoir que si le tribunal était compétent pour annuler un règlement grand-ducal
dans les cas où le recours à l’urgence était imputable à la négligence ou à l’inaction prolongée du gouvernement ayant
omis de réglementer une situation déterminée, tel ne serait néanmoins pas le cas en l’espèce, où les événements ayant
trait à une faillite d’une société de gardiennage et de surveillance auraient été à l’origine de la réglementation qui a dû
être prise d’urgence. Dans ces conditions, le reproche formulé par la demanderesse selon laquelle l’urgence aurait été
inexistante et factice serait contredit par les faits, de sorte que l’argument de la nullité de procédure pour recours abusif
à la procédure d’urgence serait à rejeter pour être dénoué de tout fondement.
Dans son mémoire en réplique, la société ARGUS Gmbh constate que l’existence d’une note resterait à l’état de
pure allégation, étant donné qu’elle n’a pas été versée en cause. Elle retient ensuite que l’urgence ne pourrait pas être
invoquée si elle était dénuée de tout élément de justification vérifiable. Pour le surplus, elle estime que les motifs
invoqués à l’appui de l’urgence devraient être objectivement justifiés, sinon du moins ne pas résulter d’une erreur
manifeste d’appréciation des faits. A ce titre, elle fait valoir que la faillite d’une société de gardiennage et de surveillance,
qui selon les termes du délégué du Gouvernement, aurait entraîné que du jour au lendemain la société n’aurait plus de
central à sa disposition, alors que pourtant la loi subordonne la délivrance de l’agrément à l’existence d’un central, aurait
«conduit à une prise de conscience». Toutefois, elle estime que depuis l’événement déclenchant la prise de conscience et
la date à laquelle chaque entreprise de gardiennage et de surveillance doit obligatoirement disposer d’un central privatif,
8 mois se seraient écoulés, ce qui relativiserait «singulièrement la dangerosité et l’insécurité pour les clients». Elle soutient
en outre que l’exigence d’un central privatif ne résoudrait pas le problème du risque de faillite, qui devrait être combattu
par d’autres moyens. Elle souligne finalement que la situation de son client n’aurait pas été meilleure s’il avait
directement contracté avec l’entreprise en faillite, qui disposait du central privatif. L’exigence d’un central privatif
imposée de manière généralisée, sans égard aux types d’activités de surveillance et de gardiennage exercées, s’avérerait
injustifiée au regard des objectifs poursuivis, dans la mesure où cette exigence ne réduirait pas le risque pour une
société de gardiennage et de surveillance de tomber en faillite. Elle conclut partant que le motif de l’urgence pour
expliquer l’adoption précipitée du règlement serait dépourvu d’une réelle justification.
Le délégué du Gouvernement verse à l’appui de son mémoire en duplique la note adressée au Grand-Duc pour
justifier le recours à l’urgence.
Il appartient au tribunal administratif de vérifier, dans le cadre du contrôle de légalité à effectuer par rapport à un
acte administratif à caractère réglementaire lui soumis, si le cas d’urgence inscrit à l’article 2 (1) de la loi du 12 juillet
1996 précitée a légalement pu être invoqué. La condition de l’urgence étant en effet directement inscrite dans la loi, le
tribunal est appelé à vérifier, dans le cadre d’un recours introduit sur base de l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre
1996 précitée, l’hypothèse y expressément énoncée de la violation de la loi, étant donné qu’en l’absence de disposition
légale excluant cet aspect du contrôle de légalité du champ de compétence des juridictions administratives, tout moyen
de violation de la loi invoqué à l’appui d’un recours est en principe à examiner avec une même rigueur (cf. trib. adm.
12 juillet 2006, n° 20976 du rôle, www.ja.etat.lu).
L’urgence ne peut être invoquée si elle est dénuée de tout élément de justification vérifiable. En l’espèce, le délégué
du Gouvernement a versé à l’appui de son mémoire en duplique une note intitulée «note à l’attention de Son Altesse Royale
le Grand-Duc», libellée comme suit:
«Règlement grand-ducal portant modification du règlement grand-ducal du 22 août 2003 portant exécution de certaines
dispositions de la loi du 12 novembre 2002 relative aux activités privées de surveillance et de gardiennage.
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L’objectif du règlement est de compléter le règlement en cause par une condition supplémentaire visant à obliger
chaque entreprise de gardiennage, exerçant l’activité de surveillance de bien mobiliers et immobiliers, de gestion de
centres d’alarmes et/ou de transports de fonds ou de valeurs, de disposer dorénavant de son propre central fortifié et de mettre
ainsi un terme à la pratique consistant dans le «partage» d’un central fortifié par plusieurs entreprises de gardiennage. Au vu de
l’absence actuelle d’une telle obligation, il y a des entreprises qui se «partagent» un central.
Or, force est de constater que d’un point de vue sécurité, cette situation n’est pas satisfaisante, et cela à plusieurs égards.
Premièrement, dans le cadre des relations entre le client et son cocontractant – c.à.d. l’entreprise de gardiennage «souslocataire» du central - le client risque, en cas d’incident, de se retrouver en présence d’agents de sécurité d’une entreprise de
gardiennage avec laquelle il n’a pas conclu de contrat et qui lui est inconnue.
Deuxièmement, en cas d’incident plus sérieux nécessitant l’intervention de la Police grand-ducale, la clarification de la situation
relationnelle entre le client et les deux entreprises de gardiennage en cause risque de causer une perte de temps pouvant être
dangereuse dans ces circonstances.
Troisièmement – hypothèse restée heureusement théorique jusqu’à présent – la situation est également insatisfaisante, d’un
point de vue sécurité juridique cette fois-ci, alors qu’en cas d’incident ayant causé un dommage matériel ou corporel, le client, qui
veut se retourner contre l’entreprise de gardiennage qui à son avis a presté un service défectueux, risque d’être confronté à deux
entreprises de gardiennage qui se rejettent mutuellement la responsabilité du client.
Etant donné que ces risques auxquels sont exposés les particuliers peuvent se réaliser chaque jour et à chaque moment et
que la pérennisation de la situation actuelle va manifestement à l’encontre de l’objectif de toutes les dispositions légales et
réglementaires existant en la matière, il a partant été jugé approprié de recourir à la procédure d’urgence».
Il y a lieu de constater que le recours à la procédure d’urgence a fait l’objet d’une motivation précise de la part du
gouvernement, avalisée par le Grand-Duc, de sorte que la procédure d’urgence a été respectée d’un point du vue
formel.
Quant au fond, il n’appartient pas au tribunal de procéder à un examen de l’opportunité des motifs politiques à la
base du recours par le gouvernement à la procédure d’urgence, dès lors qu’il ne se dégage pas des éléments
d’appréciation soumis au tribunal qu’il y ait eu recours abusif à la procédure d’urgence, caractérisé le cas échéant par
l’absence d’éléments de motivation soumis au Grand-Duc à l’appui de l’urgence invoquée ou erreur manifeste
d’appréciation des faits à la base de l’urgence.
En l’espèce, il est constant que le recours à l’urgence est dû au fait que le gouvernement se voyait confronté à une
situation qu’il estimait objectivement et subjectivement urgente de réglementer, de sorte que les moyens de la société
ARGUS Gmbh tendant, d’une part, à contester l’existence de l’urgence invoquée et, d’autre part, l’opportunité de la
prise de ce règlement, ne sauraient affecter sa légalité.
Il se dégage des considérations qui précèdent que le premier moyen d’annulation fondé sur un prétendu recours
abusif à la procédure d’urgence laisse d’être vérifié en fait.
La société ARGUS Gmbh soulève comme deuxième moyen à l’appui de son recours que la loi précitée du 12
novembre 2002 «ne fixe aucune disposition ou principe qui permettrait de justifier pour son application l’exigence impérative
d’un central privatif de surveillance pour l’activité de surveillance de biens mobiliers ou immobiliers exercée par la présence de
gardiens». A ce titre, elle fait valoir que les termes mêmes de la loi n’imposent ni la possession d’un central ni a fortiori
d’un central privatif, de sorte qu’en tout état de cause, la mise à disposition d’un central pourrait résulter d’un contrat
de collaboration avec un prestataire de service agréé. Elle conclut que le règlement grand-ducal litigieux allant au-delà
des prévisions de la loi, procéderait d’un excès du pouvoir exécutif chargé «d’exécuter les lois et non d’en prendre
l’initiative».
Le délégué du Gouvernement estime que les développements de la société ARGUS Gmbh mettraient en doute la
nécessité même de disposer d’un central équipé d’une chambre forte qui doit être sous surveillance permanente. Or,
tel ne serait pas l’objet du débat, étant donné que le règlement grand-ducal litigieux n’aurait pas imposé comme
condition nouvelle l’existence d’un central équipé, mais aurait précisé que ce central équipé devrait être privatif. Il relève
que si la société ARGUS Gmbh estimait que la nécessité de l’existence d’un central ne serait pas justifiée, elle aurait dû
introduire un recours contre la décision ministérielle lui imposant une telle condition.
En ce qui concerne l’argument de la partie demanderesse que le règlement grand-ducal aurait imposé des conditions
«extra- ou contra légales», le représentant étatique se réfère à l’article 15 de la loi précitée du 12 novembre 2002 pour
réfuter ce moyen, étant donné qu’il résulterait clairement de ce texte que la société ARGUS Gmbh devrait disposer
d’un central équipé d’une chambre forte. Comme le texte n’aurait pas envisagé la possibilité d’avoir un central commun
à différentes entreprises, le pouvoir exécutif aurait pu, sans violer la loi et sans aller au-delà du texte légal, préciser que
le central équipé doit être privatif.
Dans son mémoire en réplique, la société ARGUS Gmbh relève que le nouveau règlement confirmerait
implicitement l’exigence d’un central équipé, prévue dans le règlement grand-ducal antérieur du 22 août 2003, en
ajoutant la condition supplémentaire tenant au caractère privatif dudit central. Elle considère cependant que dans les
matières réservées à la loi par la Constitution, comme en l’occurrence celles touchant à la liberté du commerce et de
l’industrie, tout règlement serait subordonnée à la loi et devrait se borner à mettre en œuvre celle-ci, ne pouvant ni
l’étendre, ni la restreindre, ni la modifier. En vertu de l’article 95 de la Constitution et à défaut de toute disposition
légale habilitante, le tribunal administratif devrait être amené à sanctionner des dispositions d’un règlement grand-ducal
non-conformes à la loi. Dans la mesure où la loi n’exigerait nullement que le central de surveillance soit privatif, elle
n’aurait pas exclu la possibilité d’avoir recours à une entreprise tierce pour disposer d’un central. Elle conclut que dans
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les matières qui s’inscrivent dans le cadre de la liberté du commerce et de l’industrie consacrée par l’article 11 de la
Constitution, «faute de dispositions contraires prévues, la liberté constitue le principe, toute limitation devant par conséquent
être conçue de façon restrictive».
Le délégué du Gouvernement entend réfuter ce moyen en constatant que la loi précitée du 12 novembre 2002 aurait
expressément prévu que les entreprises «doivent disposer» d’un central. Or, le mot «disposer» signifierait que l’entreprise
doit pouvoir gérer son central en toute indépendance, et cela par rapport à d’éventuels clients ou tiers et par rapport
à d’autres entreprises de gardiennage, ce qui aurait été précisé par le règlement grand-ducal entrepris. Il soutient que
cette précision ne porterait pas atteinte à une matière réservée par la Constitution.
Il n’est pas contesté que la loi à la base du règlement grand-ducal litigieux est la loi précitée du 12 novembre 2002,
comme y étant visée par le préambule.
Il est constant que le pouvoir réglementaire fait partie du pouvoir exécutif chargé, comme l’indique son nom,
d’exécuter les lois et non d’en prendre l’initiative. Le pouvoir général du Grand-Duc d’exécuter la loi trouve sa cause
d’ouverture dans l’article 36 de la Constitution, qui dispose que «Le Grand-Duc fait les règlements et arrêtés nécessaires
pour l’exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution». En vertu de ce
texte, le règlement est restreint à l’exécution de la loi, de même qu’il est subordonné à la loi, dans ce sens qu’il doit se
borner à la mettre en œuvre, sans l’étendre, ni la restreindre, ni la modifier. La loi est une source souveraine, le
règlement est une source subalterne par rapport à la loi. (cf V. Pierre Pescatore, Introduction à la science du droit, n°
95 et s.).
La loi précitée du 12 novembre 2002 vise 4 activités différentes de gardiennage et de surveillance. La section I
reprend les dispositions générales communes à toutes ces activités, les sections II, III et IV contiennent des obligations
particulières pour ceux qui souhaitent exercer les activités respectivement de surveillance de biens mobiliers et
immobiliers, de gestion de centres d’alarmes et de transport de fonds ou de valeurs.
L’activité de surveillance de biens mobiliers et immobiliers se trouve définie dans la Section II, article 14, aux termes
duquel «on entend les activités qui consistent à assurer à titre professionnel la sécurité des immeubles et des biens mobiliers, soit
par la présence de gardiens, soit par des moyens techniques reliés à un central de surveillance, et à assurer une intervention
adéquate en cas d’intrusion non autorisée dans les immeubles concernés (…)».
Au titre de l’article 15, «pour obtenir l’autorisation d’exercer l’activité de surveillance de biens mobiliers et immobiliers, le
requérant doit disposer de trois voitures de service au moins et avoir une équipe de quinze agents de surveillance au moins sous
contrat. Il doit en outre disposer d’un central équipé d’une chambre forte qui doit être sous surveillance permanente».
Le terme «central» n’est pas repris dans une des définitions consacrées par le règlement grand-ducal du 22 août 2003.
Il ressort néanmoins de l’agencement du texte que le terme «central» n’a pas la même signification selon le type
d’activité exercée. En effet des obligations particulières selon le type d’activité exercée sont prescrites, notamment dans
le domaine de la gestion de centres d’alarmes et le transport de fonds ou de valeurs, où l’exigence d’un central «fortifié»
est retenue.
En l’espèce pour l’activité de surveillance de biens mobiliers et immobiliers, la loi précise uniquement que le
demandeur «doit disposer d’un central équipé d’une chambre forte».
Il convient ainsi d’analyser si l’ajout au règlement grand-ducal litigieux de la condition que «chaque entreprise de
gardiennage doit disposer de son propre central privatif» constitue une restriction par rapport au texte de loi à sa base, de
sorte à restreindre la portée de la loi ou si au contraire cet ajout constitue une simple précision, tel que soutenu par
le délégué du Gouvernement.
Force est de constater que le terme «disposer» utilisé par le législateur est un terme générique qui n’exclut pas la
possibilité de partager un central entre plusieurs entreprises, aussi longtemps que l’entreprise est en mesure de
bénéficier de toutes les facilités que doit lui procurer un tel central. Or, la seule condition légale étant l’exigence d’avoir
à sa disposition un central équipé d’une chambre forte. Il ne résulte pas du libellé de ce texte que l’activité de
surveillance de biens mobiliers et immobiliers soit subordonnée à l’exigence d’un central privatif exploité exclusivement
par le titulaire de l’agrément. Si l’intention du législateur avait été d’exiger que chaque entreprise soit le propriétaire
ou locataire à titre exclusif d’un central, il lui aurait appartenu de préciser cette volonté, mais il n’incombe pas au
pouvoir exécutif de prendre cette initiative, qui, d’après les arguments pertinents exposés par la société demanderesse,
restreint considérablement sa liberté d’action par l’adjonction d’une condition contraignante non prévue par la loi.
Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que le règlement grand-ducal précité du 21 septembre
2006 encourt l’annulation pour excéder le cadre légal en la matière, de sorte qu’il devient superflu d’examiner les autres
motifs invoqués à l’appui du recours en annulation.
Par ces motifs,
le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond, le déclare justifié;
partant annule le règlement grand-ducal du 21 septembre 2006 portant modification du règlement grand-ducal du
22 août 2003 portant exécution de certaines dispositions de la loi du 12 novembre 2002 relative aux activités privées
de surveillance et de gardiennage pour violation de la loi;
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ordonne la publication de ce jugement conformément aux dispositions de l’article 7(3) de la loi modifiée du
7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif;
condamne l’Etat aux frais;
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 juin 2007 par:
Mme Lenert, vice-président,
Mme Lamesch, premier juge,
Mme Thomé, juge,
en présence de M. Schmit, greffier en chef.
Editeur:
Service Central de Législation, 43, boulevard F.-D. Roosevelt, L-2450 Luxembourg
Imprimeur: Association momentanée Imprimerie Centrale / Victor Buck