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stratégie L’avenir de Deutsche Bank s’éclaircit En réglant son litige américain, le groupe éloigne le spectre d’un appel au marché. http://www.agefi.fr/dossiers par Jessica Berthereau, à Berlin J uste avant Noël, Deutsche Bank a annoncé pouvoir régler l’un de ses problèmes juridiques les plus épineux. La première banque allemande a trouvé un accord de principe avec le ministère américain de la Justice (DoJ) pour solder les poursuites sur la vente de titres adossés à des créances hypothécaires résidentielles (RMBS) aux Etats-Unis entre 2005 et 2007. Deutsche Bank et le DoJ sont tombés d’accord sur un montant de 7,2 milliards de dollars – soit deux fois Le Français Philippe Vollot devient responsable de la lutte contre la délinquance financière et le blanchiment d’argent. Rattaché à Sylvie Matherat, patronne de la conformité de Deutsche Bank, il remplace Peter Hazlewood qui ne sera resté que six mois dans ses fonctions. Un titre chahuté En euros Cours de l’action Deutsche Bank en 2016 25 moins que celui qui aurait été envisagé au début des négociations (14 milliards de dollars) – divisés en une amende de 3,1 milliards (environ 2,97 milliards d’euros) payable immédiatement et 4,1 milliards de dédommagements des clients, principalement sous forme d’aménagement de leurs prêts, et étalés sur cinq ans au minimum. Deutsche Bank s’en sort moins bien que Goldman Sachs (5,1 milliards de dollars), qui avait pourtant une part du marché des RMBS supérieure à la sienne, ou que Citigroup (7 milliards de dollars). Mais c’est le soulagement qui prévaut au sein de la première institution financière allemande, comme l’a indiqué le président du conseil de surveillance de l’établissement, Paul Achleitner, dans une interview au Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung en début d’année. Il en a profité pour écarter le « fantasme d’une fusion paneuropéenne » ainsi que l’idée d’un renflouement par l’Etat, deux éventualités évoquées lors de la crise de confiance qui s’est abattue sur la banque cet automne et a envoyé son titre sous les 10 euros (voir le graphique). Un impact gérable 20 10 Source : société 15 janvier 2016 18 décembre 2016 L’agefi hebdo / du 12 au 18 janvier 2017 « La grosse épée de Damoclès qui était suspendue au-dessus de Deutsche Bank est enfin levée », estime Ingo Frommen, analyste chez LBBW, jugeant le règlement avec le DoJ globalement positif, notamment parce que « l’impact immédiat semble gérable sans avoir à faire une nouvelle augmentation de capital ». Même son de cloche pour l’agence de notation Standard & Poor’s : « Bien que significatif, l’ampleur de l’amende est tout à fait conforme à nos attentes et nous pensons que la banque sera capable d’absorber ces coûts sans mettre significativement en danger son capital ou ses résultats. » Selon Deutsche Bank, l’amende de 3,1 milliards de dollars représentera une charge de 1,17 milliard de dollars sur le résultat avant impôts du quatrième trimestre. Quant aux indemnités destinées aux clients, elles « ne sont pas censées avoir un impact important sur les résultats de 2016 », précise Deutsche Bank. L’impact sur le ratio de fonds propres common equity tier 1 (CET1), qui s’établissait à 11,1 % à la fin du troisième trimestre, se limiterait à 30 points de base (pb), selon les analystes de JPMorgan, et à 20 pb, selon ceux d’UBS. D’après les calculs de Morgan Stanley, qui évaluait les besoins en capital de Deutsche Bank à 7,3 milliards d’euros d’ici 2019 avant l’annonce, le ratio CET1 se monterait à Bloomberg De gauche à droite, John Cryan, codirecteur général de Deutsche Bank, Paul Achleitner, président du conseil de surveillance, et Juergen Fitschen, codirecteur général. Vers un accord définitif avant l’investiture de Donald Trump à la Maison-Blanche Principales amendes payées par Deutsche Bank Litige 11,4 % à la fin du quatrième trimestre (en comptant la vente de ses 20 % dans la banque chinoise Hua Xia pour 23,2 milliards de yuans, soit 3,17 milliards d’euros). Deutsche Bank a par ailleurs reçu un coup de pouce de la Banque centrale européenne (BCE), qui a abaissé ses exigences de solvabilité à 9,51 % à compter de janvier 2017, contre 10,76 % actuellement. Même si le spectre d’une nouvelle augmentation de capital s’est éloigné dans l’immédiat, la question de la solvabilité est loin d’être résolue pour Deutsche Bank, qui s’est fixé un objectif minimum pour son ratio CET1 de 12,5 % d’ici fin 2018. « ‘Est-ce que Deutsche va devoir faire une autre augmentation de capital ?’ reste l’une des principales questions que nous posent les investisseurs », témoignent les analystes d’UBS. Selon eux, la réponse à cette interrogation lancinante dépendra Date Amende Manipulation du Libor et de l’Euribor (Commission européenne) décembre 2013 725 millions d’euros Vente de RMBS à Fannie Mae et Freddie Mac (FHFA) décembre 2013 1,4 milliard d’euros Manipulation du Libor (régulateurs britanniques et américains) avril 2015 2,175 milliards de dollars et 226,8 millions de livres Surévaluation des « leveraged super senior » (SEC) mai 2015 55 millions de dollars principalement de quatre éléments : l’évolution du bénéfice sous-jacent, Vente de titres adossés à des RMBS aux Etats-Unis décembre 2016 7,2 milliards de dollars l’inflation des actifs pondérés (qu’ils évaentre 2005 et 2007 (DoJ) luent à 75 milliards d’euros), l’avenir de sa filiale de banque de détail Postbank Fraude fiscale aux janvier 2017 95 millions de dollars et les charges liées aux litiges toujours Etats-Unis en cours. « Nous pensons que le plus Sources : Deutsche Bank, Reuters grand risque pour Deutsche Bank est tefois que la banque n’a trouvé aucune l’incapacité potentielle à synchroniser preuve de violation des sanctions améses mesures prévues de création de capiricaines. A la fin du troisième semestre tal avec les vents contraires, comme les 2016, Deutsche Bank avait litiges ou l’inflation des actifs constitué des réserves de pondérés », indiquent-ils. 5,9 milliards d’euros en vue Pour ce qui est des litiges La Russie, des paiements liés aux litiges. toujours en cours, le plus litige le plus urgent Une fois l’amende liée aux important et le plus urgent à RMBS comptabilisée, ces régler est celui lié à la Russie, à régler provisions se monteraient où Deutsche Bank est accusé encore à environ 4 milliards d’avoir violé les sanctions d’euros, un « matelas correct » estiment américaines en aidant des clients russes les analystes de JPMorgan. à sortir des fonds du pays. Un mémo Bien qu’il puisse être plus judicieux interne vu par le quotidien économique d’attendre le règlement de l’affaire allemand Handelsblatt indiquerait toudu 12 au 18 janvier 2017 / L’agefi hebdo 19 u stratégie Rester une grande banque d’investissement Le défi de la rentabilité Deutsche Bank compte en revanche rester une grande banque d’investissement, soutient Paul Achleitner : « Qu’entendon précisément par banque d’investissement ? Ce terme éblouit et chacun y voit quelque chose de différent. Nous définissons la banque d’investissement dans le monde d’aujourd’hui comme des services aux acteurs des marchés de capitaux. Nous conseillons les entreprises sur les acquisitions, les fusions et les OPA, nous émettons pour eux des obligations, nous menons à bien des opérations de financement, nous les aidons à gérer les risques liés aux taux « Un ou deux milliards d’euros de cessions pourraient aider » Ce règlement est-il une bonne ou une mauvaise nouvelle pour Deutsche Bank ? De notre point de vue d’investisseur, c’est plutôt une bonne nouvelle parce que les incertitudes ont diminué. Il s’agit d’un compromis : les autorités judiciaires américaines voulaient vraiment punir Deutsche Bank mais elles ont réalisé qu’elles ne pouvaient pas le faire d’un seul coup, d’où l’approche en deux étapes. La somme destinée à dédommager les clients est gérable même si elle est de nature à fragiliser l’activité de Deutsche Bank aux Etats-Unis, qui n’était déjà pas dans une situation de force par rapport à ses homologues. Deutsche Bank doit-elle adapter sa stratégie ? Nous voyons la nécessité d’adapter la stratégie sur certains points, notamment aux Etats-Unis, et nous avons besoin de plus de clarté sur le capital. La direction actuelle a suffisamment de crédibilité pour adapter la stratégie, donc elle doit le faire, sans quoi sa crédibilité en souffrira. Deutsche Bank a toujours une structure de coûts élevée et des charges à venir liées aux litiges. Il faut réduire le bilan et les actifs risqués, mais aussi avoir de véritables perspectives de revenus. Et si Deutsche Bank veut rester une banque d’investissement mondiale, elle doit se maintenir aux Etats-Unis. Donc je n’envisage pas de retrait de ce marché. Deutsche Bank aura-t-elle besoin de lever des capitaux ? Je ne crois pas qu’il y aura d’augmentation de capital dans les prochaines semaines. A moyen terme, c’est possible mais cela dépendra de jusqu’où ils peuvent aller en termes de cessions et de réduction des coûts. Admettons qu’ils arrivent à dégager un ou deux milliards d’euros de capital via des cessions, cela pourrait aider. de change ou aux taux d’intérêt… », a-t-il déclaré au Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung. Une banque dorénavant moins risquée et moins complexe. Reste que Deutsche Bank vise une rentabilité sur fonds propres tangibles après impôts supérieure à 10 % d’ici 2018, alors que celle-ci n’atteignait que 1,2 % sur les neuf premiers mois de 20 DR Une amende de 5 milliards de dollars pour Credit Suisse Au lendemain de l’accord entre Deutsche Bank et le ministère américain de la Justice (DoJ), Credit Suisse (photo) a lui aussi annoncé avoir trouvé un règlement de principe avec le DoJ pour mettre un terme aux potentielles poursuites civiles sur la vente de RMBS en 2007. Selon les termes de l’accord, Credit Suisse devra s’acquitter d’une amende civile de 2,48 milliards de dollars et dédommager les consommateurs à hauteur de 2,8 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années, soit un total de 5,28 milliards. La banque prévoit par conséquent une charge avant impôts d’environ 2 milliards de dollars L’agefi hebdo / du 12 au 18 janvier 2017 de... Ingo Speich, gestionnaire de portefeuille chez Union Investment DR russe avant de modifier sa stratégie de restructuration à l’horizon 2020, Deutsche Bank pourrait le faire dès janvier, rapporte le Handelsblatt. Outre la poursuite du plan de réduction des coûts, qui passe notamment par la diminution de 10 % de sa masse salariale, la banque devrait continuer à se désengager des marchés les moins rentables. Elle s’est ainsi défait il y a peu de quelque 3.400 clients de sa division de courtage Global Markets. Une réintégration de Postbank, que le groupe ne parvient pas à vendre, et un retrait partiel du marché américain seraient en discussion, selon le Handelsblatt. L’avis sur ses résultats du quatrième trimestre. Etant donné que Credit Suisse présentait une perte de 91 millions de francs suisses sur les neuf premiers mois de l’année 2016, l’établissement devrait terminer l’exercice dans le rouge. Selon les analystes de JPMorgan, cette charge devrait par ailleurs avoir un impact de 75 points de base sur le ratio de fonds propres CET1 de Credit Suisse, qui s’établissait à 12 % à la fin du troisième trimestre. l’année 2016. « Le plus grand défi pour Deutsche Bank est d’augmenter sa rentabilité à long terme sans s’engager dans des activités trop risquées ou à la limite de la légalité », juge Horst Löchel, professeur à la Frankfurt School of Finance & Management. « Le principal problème de Deutsche Bank reste sa faible rentabilité, abonde Jon Peace, analyste chez Credit Suisse. Nous prévoyons un rendement des fonds propres tangibles de 4,9 % en 2018, qui serait dilué par toute augmentation de capital. » Chez UBS aussi, les analystes craignent que Deutsche Bank reste « une banque avec une rentabilité structurellement faible, étant donné son portefeuille d’activité ». Selon eux, la banque d’investissement et la banque de détail en Allemagne, un marché très concurrentiel, « auront du mal à générer une rentabilité sur fonds propres supérieure au coût des capitaux propres ». La plus risquée des banques systémiques mondiales, ainsi que l’a qualifiée le Fonds monétaire international, n’est pas au bout de ses peines. n