TouT sur la généraTion C

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TouT sur la généraTion C
 DOSSIER :
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Technologies de l’information
Tout sur la
génération C
L’arrivée prochaine de la génération C aura un effet comparable à celui de la révolution
industrielle, mais en accéléré. Votre entreprise est-elle prête à s’adapter à
ce groupe imposant de cliqueurs compulsifs ?
.
Auteurs : Roman Friedrich, Michael Peterson
et Alex Koster
strategy+business
L’avis de
Yanick Bédard
Directeur des opérations
interactives chez Sid Lee
« Plusieurs diront que le
portrait de 2020 ne sera pas
si différent de celui de 2011.
Mais j’en doute ! Pensez à
toutes les innovations qui ont
vu le jour en seulement neuf
ans : iPod (2001), BlackBerry
(2002), Xbox 360 (2005),
Facebook (2006), iPhone
(2007), Kindle (2007), Netflix
(2008) et iPad (2010). »
Nous sommes en 2020. Nathan a 20 ans. Il étudie en informatique et vit à Londres
avec deux colocataires. Amateur de sports, de musique et de jeux vidéo, il peut,
grâce à son appareil numérique principal (ANP), rester branché 24 heures sur 24, où
qu’il soit. Il s’en sert pour télécharger et enregistrer de la musique, des vidéos et
d’autres types de fichiers, tant pour son plaisir que pour ses études, ainsi que pour
garder le contact avec sa famille, ses amis et un nombre grandissant de connaissances. Inséparable de son ANP, il assiste à des conférences, accède aux lectures obligatoires, effectue des recherches, compare ses notes avec celles de ses confrères et
passe même ses examens sans jamais quitter le confort de son appartement. Et,
quand il se rend sur le campus, son ANP se connecte automatiquement au réseau
Wi-Fi de l’université, puis télécharge les fichiers susceptibles de l’intéresser.
Même s’il préfère magasiner en ligne, dès qu’il s’arrête dans une boutique,
Nathan se raccorde automatiquement à son réseau Wi-Fi, ce qui lui permet de
consulter les évaluations de produit qu’ont faites d’autres internautes. Fidèle, son
ANP lui permet ensuite de régler ses achats avant de quitter le réseau.
Illustration : Michael Cho
X
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DOSSIER : Technologies
L’avis de
Yanick Bédard
Selon moi, le défi
grandissant que
pose l’accélération
technologique
concerne le débat
(ou l’absence de
débat) sur
la protection des
renseignements
personnels. En fait,
jamais le secteur
privé n’aura eu
accès à autant
d’informations
sur nous.
En tant
que citoyen, je
trouve que
le manque de
protection
des renseignements personnels
est inquiétant.
En revanche,
à titre d’expert
marketing, j’estime
que l’ubiquité,
l’omniprésence
et l’accès à
l’information
personnelle
permettent de
mieux cibler
les clients et
d’augmenter
la pertinence
des messages et
des offres.
On s’approche en
fait du marketing
véritablement
personnalisé.
de l’information
À l’heure actuelle, on dénombre,
à l’échelle de la planète, 4,6 milliards
d’utilisateurs d’appareils mobiles
(67 % de la population mondiale)
et 1,7 milliard d’internautes.
Qui est Nathan ? Il appartient à la génération C,
comme tous ceux qui sont nés après 1990 et qui
ont vécu leur adolescence après 2000. Pourquoi
« C » ? Parce que ces jeunes sont connectés,
communicatifs, centrés sur le contenu et la
communauté : bref, ce sont des cliqueurs
compulsifs ! D’ici 2020, ils représenteront 40 %
de la population des États-Unis, de l’Europe et
des pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine)
— mais seulement 10 % du reste de la planète.
Il s’agira alors du plus important groupe homogène de consommateurs à l’échelle mondiale :
des jeunes réalistes et matérialistes, très libéraux
sur le plan culturel, mais pas forcément progressistes dans le domaine politique. Bien que de
plus en plus mobiles, ils vivent avec leurs parents
plus longtemps que les jeunes des générations
précédentes. C’est sur Internet qu’ils établissent
plusieurs de leurs relations sociales, parce qu’ils
se sentent libres d’y exprimer leurs opinions et
de rester eux-mêmes. Ils ont grandi sous l’influence de Harry Potter, de Barack Obama et des
omniprésents iPod, iTunes, iPhone et iPad…
Des consommateurs connectés, avant tout
En 2020, il sera tout naturel de rester continuellement branché sur le Web. En fait, il s’agira
même d’un préalable pour s’intégrer à la société.
À l’heure actuelle, on dénombre, à l’échelle de
la planète, 4,6 milliards d’utilisateurs d’appareils mobiles (67 % de la population mondiale) et
1,7 milliard d’internautes. En 2020, 6 milliards
de personnes auront un cellulaire, soit près de
80 % de la population mondiale, et 4,7 milliards
auront accès à Internet, principalement au
moyen d’appareils mobiles. Parmi les jeunes
Européens, 52 % disent déjà qu’ils se sentent
coupés du monde s’ils n’ont pas leur cellulaire
avec eux, et 91 % le gardent à portée de main
jour et nuit.
La puissance grandissante d’Internet aura
des impacts socioéconomiques majeurs : la frontière entre travail et vie personnelle deviendra
de plus en plus floue — on magasinera autant au
bureau qu’ailleurs, par exemple. D’où l’inévitable corollaire : devenant plus rare, le temps
passé hors ligne prendra davantage de valeur.
Animal social 2.0. Les technologies de l’information (TI) et les médias sociaux (Facebook et
autres Twitter) évoluant rapidement, les relations humaines prendront une nouvelle tournure. Nos réseaux comprendront des contacts
allant bien au-delà des groupes traditionnels que
forment aujourd’hui la famille, les amis et les
collègues de travail : s’y ajouteront les amis des
amis, les connaissances en ligne et les membres
anonymes de groupes d’intérêts communs.
D’ores et déjà, 49 % des Européens de 16 à 24 ans
sont des utilisateurs assidus des réseaux sociaux.
En conséquence, on assistera à l’émergence de
nouveaux phénomènes politiques et commerciaux, à l’image du raz-de-marée d’appuis glanés
en ligne par Barack Obama au cours de la campagne présidentielle américaine de 2008. Par
exemple, l’internaute moyen aura en 2020
de 200 à 300 « contacts », avec lesquels il
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L’avis de
Yanick Bédard
Le Canadien moyen
a 190 amis sur
Facebook et visite
le site 43 fois par
mois — ce qui
représente près de
30 % de tout le
temps qu’il passe
sur Internet.
De plus, l’utilisation
de téléphones
intelligents et
de tablettes
numériques
multiplie le nombre
de visites
quotidiennes.
communiquera chaque jour grâce à différents
réseaux Internet. Même au sein de la famille, le
besoin de proximité physique diminuera au profit des interactions numériques.
Osmose de l’information numérique. Le Web
comme source de nouvelles prendra une place
beaucoup plus importante, et ce, même si une
grande partie de l’information qu’on y trouvera
ne sera ni vérifiée ni vérifiable. Les internautes
pourront, parmi d’innombrables sources, choisir celles qui leur conviennent et la manière de
s’en servir. Dans une recherche souvent citée,
Cisco estime que, d’ici 2013, le trafic sur Internet
sera multiplié par dix et atteindra 667 exaoctets
(soit 716 milliards de gigaoctets).
Il en ira de même pour les entreprises, qui
verront notamment débouler les données pointues sur leurs clients. Pas étonnant, quand on
sait par exemple (selon une étude publiée dans
The Economist) que Walmart traite déjà plus
d’un million de transactions de vente par heure
et les achemine à des bases de données estimées
aujourd’hui à plus de 2,5 pétaoctets (2,5 millions
de gigaoctets).
Confidentialité des données. À mesure que
les systèmes de protection des données se
perfectionneront, et que les consommateurs
percevront les avantages de la transparence
comme étant supérieurs aux risques qu’elle présente, ceux-ci se préoccuperont de moins en
moins de la confidentialité et de la sécurité des
renseignements personnels. Résultat ? Les entre­
prises auront accès en temps réel à une pléthore
de renseignements personnels sur les internautes : géolocalisation, statut en ligne, moyens de
communication préférés, réseaux d’amis, intérêts, passions et habitudes de consommation.
Du coup, les opérations de marketing évolueront, les campagnes traditionnelles cédant le pas
au marketing viral et aux évaluations de produits
et services faites par les consommateurs dans les
médias sociaux.
iPartout. Les membres de la génération C pourront évoluer dans l’univers numérique où qu’ils
se trouvent, grâce à l’avènement de l’informatique en nuage, qui permet d’accéder à des
ressources informatiques par l’intermédiaire de
réseaux plutôt que grâce à la mémoire d’un appareil numérique — cellulaire, tablette numérique, ordinateur portable et autres gadgets
électroniques. Ce phénomène s’amplifiera
d’autant plus vite que les prix de tous ces
appareils continueront de baisser, année après
année. Cela étant, en 2020, les services sans fil à
large bande coûteront toujours plus de 50 dollars
américains par mois.
Fossé des générations. Aujourd’hui, une personne de 65 ans ne passe que deux ou trois
heures en ligne par semaine ; en 2020, cela grimpera à huit heures par semaine. Bien sûr, ce sera
encore très loin de ce que feront les 16-24 ans
qui, aujourd’hui déjà en moyenne, sont en ligne
environ 13 heures par semaine. C’est pourquoi,
sur le plan technologique, le fossé générationnel
continuera de se creuser.
La génération C au travail
La génération C bouleversera à coup sûr les
façons de faire dans les milieux de travail. Parmi
les changements prévisibles figure l’importance
croissante qu’y occuperont les TI : d’après un
récent sondage de Booz & Co., aux États-Unis, la
moitié des directeurs de l’informatique croient
que, d’ici trois à cinq ans, la plupart des employés préféreront apporter leur portable au
travail plutôt que d’utiliser les ordinateurs
offerts par leur employeur.
D’ici 2020,
la génération C
du monde entier
constituera le plus
important groupe
homogène de
consommateurs.
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DOSSIER : Technologies
L’avis de
Yanick Bédard
Je ne suis pas
d’accord avec les
auteurs quand ils
recommandent
d’élaborer des
stratégies à long
terme. Il me semble
plus profitable
d’être à l’écoute
de nos clients
et de nos
employés, et de
faire preuve
d’agilité en affaires.
On peut ainsi
corriger le tir
annuellement —
trimestriellement
même — pour
apprendre de
nos erreurs et être
en phase avec
la réalité
technologique
de l’heure.
de l’information
Le secteur économique le plus touché
par la montée de la génération C
sera celui des télécommunications,
puisqu’il se trouvera au cœur même
de la vie de ceux qui en font partie.
Dans le même esprit, la composante virtuelle
des entreprises se développera, puisque les
nouveaux employés voudront rester continuellement branchés sur Internet pour faire différentes
choses — qui dépasseront le cadre du travail. La
structure hiérarchique traditionnelle en prendra
un coup, le personnel évoluant dans des sphères
et des communautés autres que celles de
l’entreprise.
D’ici 2020, la moitié des employés des grandes sociétés travailleront en équipes virtuelles
formées de personnes vivant un peu partout sur
la planète. Ce phénomène représentera pour les
pays émergents une porte d’entrée dans le
monde occidental, et, inversement, il offrira aux
Occidentaux l’accès à de nouvelles idées et à
différentes façons de travailler. Du coup, les
voyages d’affaires deviendront un luxe, dont ne
profiteront bien souvent que les cadres supérieurs, le reste des employés se retrouvant plus
sédentaires que jamais.
Des secteurs économiques bouleversés
Le secteur économique le plus touché par
la montée de la génération C sera celui des
télécommunications, puisqu’il se trouvera au
cœur même de la vie des membres de cette
génération. Mais d’autres secteurs seront aussi
appelés à changer considérablement, comme
le commerce de détail et l’industrie du voyage.
Les télécommunications. D’après nous, trois
changements majeurs sont à prévoir dans ce
domaine. Tout d’abord, la demande pour une
connexion permanente au Web créera le besoin
d’un accès à large bande universel dans les pays
développés. Résultat : les opérateurs de télécommunications qui espèrent croître en offrant des
services reposant sur la large bande doivent
investir à l’échelle de leur pays pour construire
les infrastructures de prochaine génération qui
s’imposeront. Ensuite, comme aujourd’hui une
grande partie des habitants des pays émergents
ne sont pas connectés au Web, les opérateurs
désireux de croître doivent viser davantage — et
au plus vite — ces marchés. Enfin, la génération C
a des besoins précis en matière de télécommunications, besoins qui évoluent avec le temps et
les avancées technologiques, ce qui repré­sente
des occasions d’affaires intéressantes pour
les opérateurs disposés à élargir leur offre
de service.
Le commerce de détail. Les magasins de
demain vont devoir combiner univers réel et
virtuel, en vue d’aboutir à une forme de « réalité augmentée » dans laquelle les produits
seront présentés de manière plus élaborée
qu’actuellement. Il leur faudra tenir davantage
compte des évaluations de produits diffusées
sur le Web par les consommateurs, et les médias
sociaux joueront un rôle essentiel dans la notoriété des marques. Il s’ensuivra notamment une
dynamique du « au plus fort la poche » chez les
détaillants, déjà typique du commerce sur
Internet. Les détaillants de produits électroniques perdront du terrain, puisque les consommateurs achèteront logiciels et autres services
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en ligne, ou auront recours à l’informatique
en nuage.
L’industrie du voyage. Dans les prochaines
années, l’industrie du voyage telle qu’on la
connaît aujourd’hui périclitera en raison de l’aug­
mentation des coûts et de l’émergence de
technologies facilitant la communication
virtuelle. On assistera à une nette diminution du
nombre d’intermédiaires traditionnels comme
les agents de voyages. De plus, les évaluations et
les commentaires des internautes deviendront un
facteur déterminant dans le choix d’une destina­
tion vacances. Tout cela se traduira, entre autres,
par un engouement pour les voyages personnali­
sés, pendant lesquels on aura accès à des
informations et à des conseils en temps réel.
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Votre entreprise est-elle prête ?
On sent déjà des changements se produire autour
de nous, mais, parmi les gens d’affaires, très peu
saisissent vraiment l’ampleur que ces boulever­
sements auront, et ce, plus vite qu’on ne le croit.
L’arrivée de la génération C aura un effet compa­
rable à celui de la révolution industrielle, à cela
près qu’il se produira beaucoup plus rapidement.
C’est pourquoi il est vital de commencer aujour­
d’hui même à prévoir à long terme si l’on ne veut
pas voir son modèle d’affaires s’effondrer d’un
coup. Car planifier les prochains trimestres,
voire les prochaines années, ne suffit plus : il faut
maintenant anticiper 10 à 15 ans à l’avance.
Les dirigeants d’entreprise doivent élaborer
dès à présent un plan stratégique comportant
une analyse des effectifs et des compétences
dont ils auront besoin durant la prochaine
décennie et même au-delà. Pour cela, il faut
d’abord s’assurer que l’ensemble du personnel
se rend compte que des transformations sont à
prévoir, puis établir quels employés sont déjà
directement touchés et les mettre à contribution
pour amorcer le virage qui s’annonce.
L’avenir sera régi par la génération C, à
mesure que ses membres gagneront en nombre,
en maturité et en pouvoir. C’est votre façon
d’aborder ce phénomène qui déterminera votre
réussite, voire votre capacité à survivre, au cours
des prochaines décennies.
Roman Friedrich est un associé de
Booz & Co. Il exerce ses activités à
Düsseldorf et à Stockholm.
Michael Peterson est un associé
de Booz & Co. Il se partage entre
Düsseldorf et Londres.
Alex Koster est directeur de
Booz & Co. Il vit à Zurich.
adapté de :
Publication trimestrielle du groupe
new-yorkais Booz & Co., strategy+business
rejoint un lectorat de quelque 150 000
personnes. Sa mission : « établir un pont entre
la théorie et la pratique en affaires » pour
les entrepreneurs de haut niveau.