La Cour de cassation rappelle le statut des enfants nés sans vie
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La Cour de cassation rappelle le statut des enfants nés sans vie
Lettre d’information et d’analyse sur l’actualité bioéthique N°99 : Mars 2008 La Cour de cassation rappelle le statut des enfants nés sans vie Par trois arrêts rendus le 6 février 2008 1, la Cour de cassation vient de rappeler que l’établissement d’un acte d’enfant sans vie n’est subordonné ni au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse. les enfants pour qui il n’est pas possible d’établir ce certificat médical. Ce dernier alinéa apporte une réponse au douloureux problème humain causé par la perte d’un enfant à naître. Les faits Inscription sur le livret de famille Trois mères ayant prématurément accouché d’un enfant décédé in utero (à 18 et 21 semaines d’aménorrhée), avaient en vain demandé la rédaction d’un acte d’enfant sans vie. Les parents avaient alors saisi le tribunal de grande instance qui a rejeté leur demande, tout comme la Cour d’appel de Nîmes. Ces refus se fondaient sur la circulaire ministérielle du 30 novembre 2001, intégrant la définition de la viabilité de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de 1977, selon laquelle un acte d’enfant sans vie ne peut être établi que pour les enfants mort-nés âgés d'au moins 22 semaines et pesant plus de 500 grammes. Les fœtus ne répondant pas à ces critères, étaient donc, dans la plupart des cas, incinérés avec les déchets du bloc opératoire. Le droit : l’acte d’enfant sans vie La Cour de cassation, en rappelant la hiérarchie des sources du droit, a cassé ces décisions. La circulaire n’ayant pas force de loi, c’est donc l’article 79-1 du code civil, issu de la loi du 8 janvier 1993, qui s’applique en l’espèce. L’alinéa 1 er de cet article dispose que "lorsqu’un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l’état civil, l’officier d’état civil établit un acte de naissance et un acte de décès sur production d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable", dans le but d’attester le décès d’une personne juridique ; l’alinéa 2 prévoit qu’"à défaut de certificat médical prévu à l’alinéa précédent, l’officier d’état civil établit un acte d’enfant sans vie". Non seulement le texte ne pose aucunement la condition de la viabilité de l’enfant, mais il l’exclut expressément puisqu’il concerne L’acte d’enfant sans vie permet d’inscrire l’enfant mort in utero dans l’histoire de sa famille et, depuis l’arrêté du 26 juillet 2002, cet acte est porté sur le livret de famille. Il convient cependant de rappeler que cet acte ne détermine aucune filiation ; le nom de famille, qui est un attribut de la personnalité juridique et ne peut concerner qu’un enfant né vivant et viable, n’étant pas indiqué. Rites funéraires Cet acte permet aussi aux parents de procéder aux rites funéraires (décret n°2006-965 du 01/08/06, article R.1112-75 du code de la santé publique). Ces dispositions ont été prises après la découverte de 300 fœtus dans un hôpital parisien (cf. Gènéthique n°65) et après l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) saisi à cette occasion : "La mort d’un fœtus ou d’un enfant mort-né est le plus souvent vécue par ses parents comme la mort d’un enfant. En tout état de cause cette mort impose aux soignants et à l’administration le respect du corps et la nécessité d’un accompagnement "2. L’avortement mis en cause ? Cette décision jurisprudentielle de la plus haute instance juridique française a provoqué un débat entre ceux qui considèrent qu’elle porte atteinte au "droit à l’avortement" et ceux qui estiment qu’elle n’est en rien un bouleversement puisqu’elle ne fait que rappeler le droit. D’aucuns voudraient faire penser que, du fait de la loi dépénalisant l’avortement, l’embryon n’est plus un être humain. Pourtant, la loi du 17 janvier 1975, relative à l’avortement, ne nie pas l’humanité de l’embryon et garantit dans son article 1er "le respect de tout être humain dès le commencement de la vie". Si l’embryon porté par une femme n’était pas un être humain, la loi Veil n’aurait pas été nécessaire pour dépénaliser l’avortement. Cette loi confirme donc, s’il en était besoin, "en creux", l’humanité de l’embryon. L’idéologie et la fiction juridique Axel Kahn craint que "les conséquences perverses" de cet arrêt soient plus importantes que le bien qu’il procurera aux familles dont on reconnaît la douleur ; "les conséquences perverses" étant, selon lui, une remise en cause implicite de l’avortement. Pris dans les contradictions de notre société, il reconnaît que notre droit est fondé aujourd’hui sur une fiction juridique, fiction qu’il juge nécessaire. "Notre droit est rempli de fictions et celle-ci [celle selon laquelle nous existons à la naissance, NDLR] a tellement d’avantages qu’il est imprudent de la remettre en question."3 Déni de souffrance Selon Maïté Albagly, secrétaire générale du mouvement français pour le planning familial (MFPF), en évoquant la souffrance liée à la perte d’un fœtus, "on culpabilise les femmes qui avortent". Il faut pourtant se rendre à l’évidence : un nombre croissant de femmes recherchent une prise en charge psychologique après un avortement et plusieurs psychiatres, tel le Dr Stéphane Clerget (auteur de "Quel âge aurait-il aujourd’hui ? Le tabou des grossesses interrompues" - cf. Gènéthique n°97) plaident pour un accompagnement des deuils anténataux 4. 1. Arrêts n°128, 129, 130 du 06/02/08, Cour de cassation, 1ère chambre civile 2. Avis n°89, 22/09/05 3. L’Humanité, 09/02/08 4. Le Monde, 28/11/07 Gènéthique - n°99 –Mars 2008 Qu’est-ce que l’euthanasie ? Alors que le débat sur la fin de vie est relancé en France, Mgr Jacques Suaudeau, membre de l’Académie pontificale pour la Vie, a accordé à Zenit un long entretien sur l’euthanasie. Définition de l’euthanasie Forgé au XVIIème siècle par Francis Bacon, le mot "euthanasie" trouve son origine dans les locutions grecques "eu" et "thanatos" qui désignent une "mort facile et douce". Depuis, sa signification a évolué et, aujourd’hui, on pourrait définir l’euthanasie comme "l’acte de supprimer délibérément la vie d’un malade incurable pour mettre fin à ses souffrances ; ou bien encore pour éviter la prolongation d’une vie pénible ; ou encore pour mettre fin à une vie estimée non digne d’une personne humaine, et tout cela pour un motif de pitié". Parallèlement, de nouvelles définitions apparaissent et troublent la réflexion. Ainsi parle-t-on d’euthanasie "active", qui serait donner directement la mort, et d’euthanasie "passive". Par euthanasie "passive", certains entendent "laisser mourir" le patient selon l’évolution de sa maladie, sans le charger de traitements inutiles. Dans ce cas précis, l’euthanasie dite "passive" n’est pas euthanasie, puisque le non-acharnement thérapeutique n’est pas de l’euthanasie. Il convient donc de ne pas utiliser le mot "euthanasie" dans ce cas. L’euthanasie, qu’elle soit directe (par injection) ou indirecte (par arrêt de l’alimentation), est toujours "active" et se définit par une volonté de donner la mort. Il existe par ailleurs une myriade de termes euphémiques et techniques utilisés pour adoucir le terme d’euthanasie mais qui désignent en fait une même réalité violente ; citons l’"arrêt de nutrition par sonde", l’"arrêt d’une alimentation hydratation", l’"analgésie en fin de vie"… L’euthanasie dans l’histoire Dans l’Antiquité païenne, cette pratique était généralement bien perçue car considérée comme une "mort digne". Puis, avec l’avènement du christianisme, l’idée d’affronter sa mort avec dignité et confiance en l’Au-delà s’est répandue. Mais ensuite, cette conception a laissé place aux doutes et l’euthanasie a été portée au pinacle par le nazisme et son opération "Aktion T4 euthanasia" qui a fait environ 200 000 victimes. Lobby pro-euthanasie Après ce drame, le mouvement en faveur de l’euthanasie s’est tu, cédant la place au mouvement pour l’avortement, le temps que ces actes nazis soient oubliés. Ce lobby pro-euthanasie est un mouvement international, porté par des figures comme le Dr Jack Kevorkian aux Etats-Unis ou Philip Nitschke en Australie, et très organisé. Il a avancé par étapes, en introduisant de nouvelles sémantiques, du "meurtre par pitié" au "droit de mourir" en passant par le "mourir dans la dignité" et en utilisant un cas difficile pour généraliser (Vincent Humbert, en France). La mort niée L’euthanasie est aujourd’hui d’autant plus admise en Occident que notre rapport à la mort est bouleversé : on est passé de la mort intégrée et prise en charge à la mort cachée et déshumanisée. La douleur, la souffrance, la mort sont des réalités humaines que nos sociétés cherchent à nier ; en découle la tentation de fuir les derniers moments de la vie. Les personnes en fin de vie ont besoin d’être accompagnées. Si les soins palliatifs accompagnent ces personnes, il ne faut pas pour autant que le reste de la société se désintéresse d’elles : l’assistance au mourant concerne tout le monde. L’accompagnement est d’autant plus nécessaire que les derniers instants de la vie sont importants pour vivre tout à fait sa mort. Et cela ne peut être que si la relation médecin-patient fondée sur la confiance réciproque n’est pas entamée par une possibilité euthanasique. Demande d’euthanasie déboutée Soutenue par l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), Chantal Sébire, une patiente âgée de 52 ans et atteinte d’une esthésioneuroblastome (tumeur évolutive et incurable des sinus et de la cavité nasale) a demandé à la justice, le 12 mars, de pouvoir "bénéficier d’un suicide médicalement assisté". Droit à la vie Suivant les réquisitions du procureur de la République, le vice-président du tribunal de grande instance de Dijon a débouté Chantal Sébire, jugeant sa demande contraire "au code de déontologie médicale, lequel dispose que le médecin n'a pas le droit de délibérément donner la mort", ainsi qu'au code pénal et à la Convention européenne des droits de l'Homme. Plusieurs ministres ont réagi à cette demande, exprimant leur volonté de ne pas modifier la loi sur la fin de vie. Le Premier ministre, F. Fillon, a évoqué les "avancées considérables" permises par la loi en vigueur, ajoutant qu’"il faut avoir la modestie de reconnaître que la société ne peut pas répondre à toutes ces questions". Par nature, une loi pose des interdits et si on allait vers une loi plus libérale sur l’euthanasie, celle-ci serait à son tour mise à mal par des cas particuliers. Pour la ministre de la Justice, R. Dati, une loi légalisant l’euthanasie serait contraire à notre droit : "nous avons fondé notre droit, et aussi bien la Convention européenne des droits de l’homme, sur le droit à la vie". R. Bachelot, ministre de la Santé, a rappelé que les médecins doivent soulager les patients et donc leur intervention "ne peut avoir pour effet dans notre droit et dans notre philosophie de la vie de mettre fin à la vie des patients" ; "la mort ne peut en aucun cas procéder d'un projet auquel le corps médical est associé". "Nous n'avons pas le droit d'interrompre volontairement la vie", conclut Nicolas Sarkozy. Dans Le Figaro, Martine Perez dénonce le paradoxe de cette demande : "alors qu'un nombre croissant de pays bannissent la peine de mort, au nom du respect absolu de la vie, la demande d'élimination des malades incurables et qui souffrent fait paradoxalement le chemin inverse". A l’heure où nous écrivons, nous apprenons la mort de Chantal Sébire. Les circonstances de son décès ne sont pas encore connues. Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune – 37 rue des Volontaires, 75725 Paris cedex 15. Siège social : 31 rue Galande, 75005 Paris - www.genethique.org – Contact : [email protected] - Tel : 01.44.49.73.39 Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Aude Dugast - Imprimerie PRD S.A.R.L. – N° ISSN 1627 - 4989 Gènéthique - n°99 –Mars 2008 Gènéthique - n°99 –Mars 2008