132 Dom Moreau, aumônier sans peur et sans reproche

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132 Dom Moreau, aumônier sans peur et sans reproche
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la grande guerre des hommes de dieu
Dom Moreau, aumônier sans peur et sans reproche
François, Marie, Henri, Léon Moreau est né le 8 décembre 1881 à
Châtellerault (Vienne). Il entre en 1899 à Saint-Martin de Ligugé dont le
père abbé est alors Dom Joseph Bourigaud.
Encore postulant à l’abbaye bénédictine de Ligugé, François Moreau est
contraint par les lois Combes de quitter la France pour un pays plus tolérant,
la Belgique. De là, son Père abbé l’envoie poursuivre ses études à Rome. Il
est ordonné prêtre à Saint-Jean-de-Latran le 12 mars 1910. Il enseigne alors
comme professeur de droit canonique et de liturgie au Collège pontifical grec
de Saint-Athanase. C’est là que le surprend la déclaration de guerre. Exilé,
il se préparait à exercer son apostolat en Orient – il avait appris le grec et
Dom François Moreau célébrait dans le rite grec – et aurait donc pu ignorer l’ordre de mobilisation.
Mais non. À l’instar de l’immense majorité de religieux expulsés, il rentre en
(1881-1944)
France où il est incorporé comme brancardier au 66e Régiment d’infanterie
(R.I.) et non comme aumônier, comme il l’avait espéré.
Dans un combat de la Marne, le 8 septembre 1914, il prend le commandement d’un petit groupe
pour retarder l’avance ennemie. Blessé à la jambe et fait prisonnier, il est délivré le 10 septembre
et rejoint à nouveau le front. La citation de sa médaille militaire délivrée le 26 juin 1915 indique :
« Assure son double service de brancardier et d’aumônier avec un cœur vibrant et un zèle inlassable.
Blessé le 8 septembre, revenu sur le front encore incomplètement guéri, s’est à nouveau particulièrement distingué dans les combats du 27 au 30 avril. »
C’est dans ces combats qu’il est gravement atteint par des gaz ypérites (“gaz moutarde”).
Brièvement soigné, il repart une fois encore pour participer aux batailles de l’Yser et de Champagne.
On le voit ensuite au tristement célèbre Chemin des Dames en novembre 1917, à Verdun en
janvier-mars 1918, puis sur les fronts de Soissons et Sermoise, enfin dans les troupes d’occupation de
la Rhénanie. En novembre 1923 seulement, il est libéré du service militaire pour connaître, espérait-il,
le repos spirituel d’une vie contemplative. Mais…
Après l’armistice, on lui refuse de partir en Pologne comme aumônier, il est affecté à l’armée
d’occupation du Rhin en 1919 et réside à Coblence. Il rejoint sa communauté qui est de nouveau
à Ligugé depuis 1923, mais ne reste pas longtemps en son sein, une fois encore, car le nouveau
gouvernement radical-socialiste ravive la guerre antireligieuse. Il a gardé du front une mentalité de
combattant et envisage avec horreur un nouvel exil. C’est ainsi qu’il fonde drac en juillet 1924,
avec l’aide d’un réseau de défense religieuse déjà actif, et avec la bénédiction et le soutien de son
abbé, Dom Léopold Gaugain. Les notes de travail de Dom Moreau révèlent sa clairvoyance quant
à l’influence des loges maçonniques dans la politique gouvernementale, et ses inquiétudes au sujet
des crimes commis par les communistes contre les chrétiens d’Europe orientale. Son activité à la
tête de la ligue est inlassable et harassante comme il le confie dans ses lettres à sa sœur religieuse, aux
prières de laquelle il se recommande beaucoup. Il organise les réunions, entretient une abondante
correspondance, participe aux commémorations, prend la parole lors des meetings… À un correspondant trop critique, il répond que s’il pouvait, il laisserait volontiers sa place pour retourner dans son
abbaye et s’adonner en paix à la contemplation. Cependant, sa vision du monachisme est très orientée
par l’apostolat auprès du prochain, davantage que par la vie solitaire qu’il laisse aux Chartreux. Il
parvient à faire reconnaître par les anciens combattants la légitimité des revendications de drac
et plaide la cause des religieux auprès de tous les ministères jusqu’en 1942.
À partir du printemps 1939, les dommages causés à ses poumons par les gaz, doublés de difficultés
cardiaques croissantes, l’obligent à se retirer dans une maison de soins chez les Filles de MarieImmaculée en Auvergne. C’est là qu’il s’éteint, le jour de Noël 1944, à l’âge de 63 ans, ayant reçu
d’un confrère envoyé par le Père abbé de Ligugé, Dom Basset, les derniers sacrements et le salut de
ses frères en religion.
D’après Jean Rovolt, c.j.m., Dom Moreau, moine bénédictin de l’abbaye de Ligugé, fondateur
de la ligue des Droits du religieux ancien combattant, 1881-1944, Paris, 1945.