lire un extrait - La Librairie de la Toile
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PROLOGUE Un soleil matinal perce la brume d'automne et fait ressortir les couleurs sang et or des vignes. Hier les vendanges se sont achevées. Je contemple songeur, depuis la fenêtre, cette énorme pierre qui domine le fond du parc. Nos amis sont restés là une partie de la nuit, à méditer près de ce dolmen, la porte vers un autre monde selon eux. Ils sont partis dans la matinée, pour rejoindre Paris et l'avion qui les ramènera vers les moiteurs tropicales. Le récit de cette étrange aventure, ils me supplient de le publier : « Des histoires extraordinaires comme celle-là, il y en a sûrement des milliers à travers le monde, mais bien peu osent en parler, car le merveilleux fait peur ». Les épisodes de cette incroyable aventure, je les ai notés consciencieusement. Doivent-ils rester au fond d’un tiroir ? L’enveloppe est prête, il suffit de la déposer, pourtant j’hésite. Qui pourrait accorder le moindre crédit à des passages qui relèvent du fantastique ? Sur la table sont ouverts des ouvrages sur Carl Gustav Jung, le psychiatre suisse, fondateur de l’école de psychologie analytique. Plusieurs citations ont été soulignées : « - En chacun de nous existe un autre être que nous ne connaissons pas. Il nous parle à travers le rêve et nous fait savoir qu’il nous voit bien différents de ce que nous croyons être. - L’inconscient de l’homme renferme et dissimule une personnalité féminine et l’inconscient de la femme une personnalité masculine. - L’âme (...) est semblable à l’eau ; c’est du ciel qu’elle vient, c’est au ciel qu’elle monte, et il lui faut redescendre sur terre en un changement éternel ». Je me rends dans la cour où des effluves de moût se répandent, annonçant un vin d'une qualité exceptionnelle. La « Maître de chai », affairée près du pressoir, ignore ma présence, rien d'autre ne semble exister pour elle que la gestation de ce cru qui habite ses infatigables journées. Le silence de la cave, où sont entreposés les millésimes, fait suite à l'agitation qui règne dans le chai. Au bout du couloir, la porte de chêne et l'escalier qui descend dans le « Saint des Saints » du château ; c’est là, dans la crypte de l’ancienne église romane qu’attendent des bouteilles qui parlent d’autres époques. Elles sont là par dizaines, avec de vieilles étiquettes du Domaine de Margecoul, celui d’Amélie et de Marthe. Sur l'ancienne table de bois, il y a encore celle de 1928, bue juste avant l’arrivée des Chinois de Shanghai, elle est restée là pour que l'on se souvienne. Je m’assieds contre un pilier et ferme les yeux en imaginant les personnages de maintenant et du passé, ceux d’ici et de l’au-delà. Après une heure de méditation, je rejoins la lumière du jour. Il doit bien être midi, car le soleil illumine le clocher du village. Le courrier a été déposé sur mon bureau, et l’enveloppe contenant ce que ma sœur appelle « Une histoire de fous », remise au facteur. Mon regard s’arrête sur la couverture du dernier hebdomadaire : une photo de Bouddha Chinois, ventripotent et rieur. Je ne peux que penser : « Le revoilà celuilà ; mais ce n’est pas un Dieu, seulement un bon vieux Philosophe ! »1 1 Appelé aussi Budai, le Bouddha rieur est traditionnellement celui qui apporte le bonheur 1 « Vous êtes entré dans mon rêve ! », me dit le fantôme d’Amélie. Un fiacre avance sur un chemin de terre bordé de platanes. Je suis là, dans cette voiture d’un autre âge. En face de moi, une femme et une adolescente de quinze ou seize ans. Elles ne me voient pas, ne m’entendent pas. Pour elles, je n’existe pas ! Au bout du chemin, une grande bâtisse de riches propriétaires, « Margecoul, c’est le domaine de Margecoul ». Ce nom résonne dans ma tête, accompagné du nom de la fille : Amélie. Le fiacre passe une grille. Une femme âgée accueille les voyageuses. Elle n’attire pas la sympathie, tout chez elle respire la dureté et l’absence de compassion. Depuis trois nuits ces images peuplent mon sommeil. En quoi suis-je concerné par ce rêve ? Je m’agite, m’assieds sur le rebord du lit, frotte ma figure et allume ma lampe de chevet. J’étouffe un cri d’effroi quand je vois la fille du fiacre, plus âgée d’une dizaine d’années, dans ma chambre, assise en face de moi, sur mon fauteuil. L’instant de stupeur est vite remplacé par une atmosphère de quiétude qui imprègne toute la pièce. Ses yeux d’un vert émeraude illuminent son visage d’ange et me contemplent. Après quelques secondes d’hébétude, j’arrive à articuler quelques mots : - Vous êtes Amélie ? - C’est mon prénom préféré. - Qu’est-ce que vous faites chez moi ? - Je n’en sais rien, c’est vous qui êtes entré dans mon rêve. Je ne vous connais pas !...