Actes réunion ACFCI

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Actes réunion ACFCI
Le droit de préemption sur les fonds de commerce
et les baux commerciaux par les communes
Actes de la réunion du 3 mars 2008 organisée par l’ACFCI
et présidée par Jacky LEBRUN
Service commerce-distribution Mars 2008
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Sommaire
1. Rappel des éléments de l’article 58 de la loi du 2 août 2005
et présentation du dispositif suite au décret du 26 décembre 2007
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1.1 La compétence des communes
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1.2 La délimitation du périmètre d’intervention
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1.3 L’exercice du droit de préemption : entre droit commun et spécificité
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1.4 La rétrocession par la commune dans le délai d’un an
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2. Les différentes phases du dispositif et les problèmes posés
au regard des professionnels
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2.1 Première phase : la délimitation du périmètre de préemption
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2.2 Deuxième phase : l’exercice de la préemption par la commune
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2.3 Troisième phase : la rétrocession à un repreneur dans le délai d’un an
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1. Rappel des éléments de l’article 58 de la loi du 2 août 2005 et présentation du
dispositif suite au décret du 26 décembre 2007
par Dominique MORENO : sous-directrice chargée du département de droit public et
économique de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris
La loi du 2 août 2005 en faveur des PME, ouvre la possibilité aux communes, dans certaines
conditions, d’exercer un nouveau droit de préemption spécifique lors de la cession de fonds
artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux. Un chapitre spécifique (art. L
214-1 et suivants) est créé dans le Code de l’urbanisme, un décret en Conseil d’Etat (articles
R 214-1 et suivants) était prévu par la loi.
1.1 La compétence des communes
Selon l’article 58 de la loi du 2 août 2005, l’exercice de ce droit de préemption est dévolu aux
communes, qu’elles soient ou non dotées d’un Plan Local d’Urbanisme (PLU). La nouvelle
loi ne procède à aucun renvoi au droit commun des articles L 211-2 et L 213-2 du Code de
l’urbanisme relatifs aux délégations de compétence. Le décret du 26 décembre 2007 ne
comporte pas de disposition en la matière.
Si on adopte une interprétation littérale de la loi, les SEM locales, les CCI ou tout autre
établissement public ne peuvent être délégataires et préempter les fonds pour le
compte des communes, qui devront alors disposer ou réunir le financement nécessaire. Le
droit de préemption classique sur les locaux reste toutefois délégable, notamment à une
SEM locale.
1.2 La délimitation du périmètre d’intervention
a) La motivation par la commune
Selon la loi (article L 214-1 du Code de l’urbanisme), « le conseil municipal peut, par
délibération motivée, délimiter un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de
proximité », à l’intérieur duquel les cessions de fonds artisanaux, de commerce ou de baux
commerciaux sont soumises au droit de préemption.
La procédure de préemption pourra ensuite être menée par le maire au nom de la commune,
sur habilitation du conseil municipal. Le Code général des collectivités territoriales est
modifié en ce sens.
Il s’agit donc d’une faculté pour les communes, mais sa mise en œuvre devra être dûment
motivée, au regard des motifs légaux, sous contrôle du juge administratif.
Pour ce faire, le décret (article R 214-1 du Code de l’urbanisme) met en place un mode de
justification rigoureux.
Le projet de délibération du conseil municipal est accompagné :
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d’un plan du périmètre,
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d’un rapport analysant la situation du commerce et de l’artisanat de proximité à
l’intérieur de ce périmètre et les menaces pesant sur la diversité commerciale et
artisanale.
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En pratique, les périmètres devront donc être bien ciblés. Ce droit de préemption ne
saurait être un simple outil d’observation du commerce, il a pour finalité de sauvegarder et
de défendre la diversité de l’offre commerciale, là où elle est menacée. Aussi un périmètre
qui recouvrirait l’ensemble du territoire communal devrait-il être fortement argumenté, à
peine de ne pas s’inscrire dans les critères de la loi et du décret ; une telle démarche
globalisatrice ne saurait donc être systématisée.
b) L’avis préalable des chambres consulaires
Le nouvel article R 214-1 prévoit l’avis préalable de la CCI et de la CMA sur le projet de
délibération communale, cet avis étant réputé favorable en cas de silence gardé pendant un
délai de deux mois à compter de la saisine. Cette période prescrite par le décret semble
suffisante pour permettre une analyse pertinente par les chambres et un dialogue partenarial
et constructif avec la commune.
Dans un rapport du 28 juin 20071, la CCIP avait anticipé cet exercice, en proposant, à
l’intention des communes, des critères concrets d’aide à la délimitation des périmètres
(éléments de commercialité, coût des loyers, conditions d’accès, état du foncier…).
A travers leurs différents observatoires, bases de données et études territoriales, les CCI
ont, en effet, une connaissance précise de l’activité économique de leur circonscription et
leur avis pourra alors constituer un élément déterminant pour la commune dans la définition
de périmètres de préemption adaptés aux besoins du commerce de son territoire.
Les CCI peuvent également consulter les entreprises, commerçants et associations de
commerçants.
L’avis rendu par la CCI reste consultatif.
c) Les mesures de publicité
Le décret (article R 214-2) renvoie certes au droit commun du droit de préemption urbain
pour les mesures de publicité de la délibération communale conditionnant sa prise d’effet,
mais ne vise que le seul article R 211-2 du Code de l’urbanisme. Celui-ci prévoit un affichage
en mairie pendant un mois et sa mention dans deux journaux diffusés dans le département.
Toutefois, aucun renvoi n’est fait à l’article R 211-3 qui prescrit des mesures plus complètes
et indispensables en matière de préemption : transmission au directeur départemental des
services fiscaux, au Conseil supérieur du notariat, à la chambre départementale des
notaires, aux barreaux et aux greffes près des TGI concernés (une copie aux CCI et aux
CMA aurait été aussi utile). Cette omission du visa de l’article R 211-3 est regrettable, car
elle prive des acteurs majeurs d’une information officielle.
De surcroît, le décret en vigueur n’impose pas d’annexer le périmètre arrêté par le Conseil
municipal au PLU, comme il en est obligatoirement pour les zones de préemption de droit
commun (article R 123-13 du Code de l’urbanisme).
d) Le cas des périmètres délimités antérieurement au décret
Compte tenu de la confusion sur l’entrée en vigueur du dispositif issu de la loi du 2 août
2005, certaines communes avaient, sans attendre le décret, déjà délimité des périmètres,
parfois couvrant l’ensemble de leur territoire.
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Rapport de M. Barbier, « Droit de préemption sur les fonds de commerce et les baux commerciaux.
Critères de délimitation des périmètres communaux d’intervention ».
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Aucune disposition de validation de ces périmètres n’est prévue dans le décret du 26
décembre 2007. La question se pose donc du risque contentieux d’invalidation encouru par
ces délibérations, si elles sont mises en cause directement ou indirectement lors d’un
recours contre une décision de préemption ; elles n’ont en effet pas suivi, en termes de
procédure et de motivation, les nouvelles exigences réglementaires.
Par souci de prudence, il serait préférable pour les communes de revoir leurs
anciennes délibérations en respectant le nouveau texte ; cela leur permettrait, de
surcroît, d’engager, avec les chambres consulaires, une réflexion sur les menaces pesant
sur le commerce de proximité.
1.3 L’exercice du droit de préemption : entre droit commun et spécificité
a) Le domaine de la préemption
Il est très large : selon le nouvel article R 214-3, ce droit de préemption peut s’exercer sur les
fonds artisanaux, les fonds de commerce ou les baux commerciaux, lorsqu’ils sont aliénés à
titre onéreux. Sont exclus, comme en droit commun, les aliénations intervenues dans le
cadre d’un plan de sauvegarde (article L 626-1 du Code de commerce) ou d’un plan de
cession d’entreprises au titre d’un redressement (article L 631-22 du Code de commerce) ou
d’une liquidation judiciaire (articles L 642-1 à 17 du même code).
Compte tenu de ces termes très généraux, la question se pose de savoir si les apports en
société de fonds de commerce sont inclus. Ce sera au juge de trancher ce point.
Le centre de documentation des notaires (CRIDON de Paris) estime qu’un apport de fonds
de commerce à une société serait soumis au droit de préemption. En revanche, la vente du
fonds sous forme de cessions de parts sociales ne semble pas concernée.
Sur cette dernière hypothèse, il faut être très prudent et ne pas inciter les commerçants à
agir dans la précipitation, rien ne permet d’anticiper l’analyse qu’en feront les juges.
On peut se demander également si la résiliation du bail avec passation d’un nouveau bail
serait soumise ou non au droit de préemption. En effet, il s’agit d’un nouveau bail et non
d’une cession de bail, mais là encore, ce sera au juge de décider.
b) la déclaration préalable du cédant
Avant toute cession, le cédant doit déposer (en quatre exemplaires) une déclaration
préalable auprès du maire de la commune de situation. Un modèle de déclaration sera prévu
par arrêté. Pour l’instant et sur la recommandation du ministère, on utilise le modèle de la
déclaration d’aliéner prévu pour le droit de préemption urbain.
Ce processus de déclaration est classique en matière de préemption. Mais le décret
demeure ici trop laconique.
La loi impose de mentionner, dans la déclaration, le prix et les conditions de la cession.
Or, le décret aurait pu ajouter qu’en cas de promesse de vente, celle-ci était jointe à la
déclaration ; cela aurait donné une référence supplémentaire au prix du marché, qui n’est
plus visé nulle part dans le texte ; il s’agit pourtant d’une garantie très importante pour le
respect des intérêts du commerçant cédant. Une telle précision relevait parfaitement du
domaine décrétal ; la mention facultative de l’acquéreur pressenti, titulaire de la promesse,
sera sans nul doute prévue dans l’arrêté de modèle de déclaration, mais une inscription dans
le décret aurait eu une portée plus significative.
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Enfin, comme en droit commun, la loi indique que le défaut de déclaration entraîne la nullité
de la vente, l’action se prescrivant par cinq ans à compter de la prise d’effet de la cession. Le
décret spécifie (article R 214-10) qu’elle s’exerce devant le TGI du lieu de situation du fonds
ou des locaux loués.
Il y a donc sur ce point un très gros effort à faire de la part des CCI pour informer les
commerçants de cette obligation. D’où la nécessité pour les CCI de bien recenser les
périmètres adoptés par les communes de leur circonscription afin de pouvoir en informer de
façon certaine et rapide les commerçants.
Enfin, dans la version finale du décret, contrairement aux précédentes, il n’est plus précisé
qu’en cas de modification du prix et des conditions de vente par le cédant après sa
déclaration, celui-ci doit en souscrire une nouvelle et est tenu pendant un délai de deux mois
par son contenu. Même en l’absence d’une telle disposition expresse, cette règle s’inscrit
dans la logique de toute modification d’une déclaration entraînant des effets juridiques ; une
nouvelle déclaration s’avère donc nécessaire.
c) la décision de préemption
La loi dispose que le silence de la commune pendant un délai de deux mois à compter de la
réception de la déclaration vaut renonciation à l’exercice de la préemption, cette renonciation
peut également être expresse. Le cédant peut alors réaliser la vente librement, mais aux prix
et conditions de la déclaration. Pour le reste, la loi renvoie au droit commun des articles L
213-4 à L 213-7 du Code de l’urbanisme.
Le décret (article R 214-5) détaille davantage la procédure. C’est donc dans ce délai de deux
mois que la commune notifie au cédant :
-
soit sa décision d’acquérir aux prix et conditions de la déclaration, l’accord entre les
parties est alors parfait et l’acte de vente peut être alors passé,
-
soit son offre d’acquérir aux prix et conditions fixés par le juge de l’expropriation,
-
soit sa décision de renoncer à préempter.
Copie de cette décision est adressée au bailleur si la cession porte sur un bail commercial.
C’est le minimum que le bailleur est en droit d’attendre, pour la sauvegarde de ses intérêts.
d) la fixation judiciaire du prix
Selon le nouvel article R 214-6, en cas de désaccord sur le prix ou les conditions de vente, la
commune, si elle souhaite acquérir, saisit, toujours dans les deux mois suivant la réception
de la déclaration, le juge de l’expropriation. Cette prérogative appartient, comme en droit
commun, à la seule commune et nullement au cédant. Copie de la lettre de saisine et du
mémoire est notifiée à ce dernier et, le cas échéant, au bailleur.
Cette version définitive du décret du 26 décembre 2007 suscite des craintes quant à la
préservation des intérêts des commerçants dont la vente du fonds ou du bail constitue
fréquemment le capital retraite. Dans une version précédente du décret, la commune ne
pouvait saisir le juge que si elle estimait que le prix indiqué dans la déclaration était
« excessif », voire « manifestement excessif », par rapport au prix du marché. Or, toute
référence au prix du marché est désormais absente du décret ; ce qui peut faire redouter des
fixations de prix à la baisse. De surcroît, l’affaire est traitée par le juge de l’expropriation, plus
habitué aux évaluations immobilières qu’à celles de fonds de commerce ou de bail.
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Tout cela est d’autant plus inquiétant que s’agissant des conditions de fixation du prix par le
juge de l’expropriation, il est renvoyé au droit commun de l’article L 213-4. La date de
référence correspond, selon cet article, à la date de la dernière approbation, modification ou
révision du document d’urbanisme applicable (par exemple, le POS ou le PLU).
Toujours par renvoi au droit commun, après décision juridictionnelle définitive, les parties ont
deux mois pour accepter le prix judiciaire ou renoncer à la mutation ; le silence valant
acceptation du prix judiciaire et transfert de propriété à la commune.
e) Passation de l’acte de vente et paiement du prix
Le nouvel article R 214-9 prescrit un délai de trois mois pour la passation de l’acte de
cession, à compter soit de la notification de l’accord sur le prix et les conditions énoncées
dans la déclaration, soit de la décision judiciaire devenue définitive, soit de l’acte ou du
jugement d’adjudication.
Surtout, le texte comporte une avancée importante tenant compte des remarques émises
lors de versions antérieures : il précise expressément que « le prix est payé au moment de
l’établissement de l’acte constatant la cession » ; cela bien évidemment sous réserve de
l’accomplissement des mesures de publicité prévues par les articles L 141-12 et suivants du
Code de commerce pour les ventes de fonds de commerce (enregistrement de l’acte,
publication d’un extrait dans un journal d’annonces légales, procédure de séquestre du prix
du fonds de commerce qui peut durer de trois à cinq mois en pratique).
En revanche, le décret ne prévoit pas de sanction en cas de non-respect de ce délai de
passation de l’acte et de paiement du prix.
1.4 La rétrocession par la commune dans le délai d’un an
a) La recherche d’un repreneur par la commune
La commune a un an pour trouver un repreneur, commerçant ou artisan.
Selon la loi, la commune doit, dans le délai d’un an à compter de la prise d’effet de la
cession opérée suite à la préemption, rétrocéder le fonds artisanal, de commerce ou le bail
commercial à une entreprise immatriculée au registre du commerce et des sociétés ou au
registre des métiers ou au titulaire d’un titre équivalent dans un autre Etat de l’Union
européenne. Cette rétrocession doit – et c’est la finalité même de la procédure communale –
être destinée à préserver la diversité de l’activité commerciale et artisanale dans le périmètre
de sauvegarde.
Le nouvel article R 214-11 précise d’ailleurs qu’elle s’opère selon un cahier des charges
comportant des clauses permettant d’assurer le respect de ces objectifs, ce document étant
approuvé par le conseil municipal.
Attention, pour les conditions de diversité commerciale, il ne faut pas oublier de tenir compte
du droit des baux commerciaux et du droit de la copropriété, l’accord du bailleur ou de la
copropriété reste indispensable à un éventuel changement d’activité souhaité dans le cahier
des charges.
Ensuite, le décret du 26 décembre 2007 (article R 214-12) crée un dispositif d’appel à
candidatures. Le maire affiche en mairie, pendant quinze jours, un avis de rétrocession. Cet
avis comporte, outre l’appel à candidatures, la description du fonds ou du bail, le prix
proposé, le délai de dépôt des candidatures et mentionne que le cahier des charges est
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consultable en mairie. En cas de bail, il précise que la rétrocession est subordonnée à
l’accord préalable du bailleur.
Mais plusieurs points ne sont pas traités, à peine de risque contentieux : ouverture d’un
recours aux candidats évincés, procédure en cas d’appel à candidatures infructueux ?
La mairie devra donc bien justifier le choix du repreneur et en préciser les motifs.
En pratique, les CCI ont ici un important atout à faire valoir auprès des communes,
pour les aider à trouver un repreneur à travers leurs outils de transmissions
d’entreprises.
b) L’exploitation du fonds pendant la période transitoire d’un an
Dans l’attente d’un repreneur, selon la loi, si d’autres conventions sont conclues, elles ne
peuvent être que précaires et ne sont pas alors soumises au statut des baux commerciaux
(précision apportée dans l’article L 145-2 du Code de commerce modifié).
La question de la gestion d’une clientèle par une commune pendant cette durée reste
toutefois posée. La mise en location gérance ne peut-être envisagée car elle nécessite une
durée minimum de deux ans. La sous-location nécessite l’accord du bailleur.
Pour que le fonds garde sa valeur, il doit continuer à être exploité. Or, il ne peut l’être qu’à
titre précaire, ce qui n’est pas incitatif. Le risque existe donc de laisser le fonds sans activité,
quitte à accroître la difficulté de trouver un repreneur. La commune doit donc être en mesure
de faire face financièrement à une situation très dommageable de perte de valeur du fonds.
D’autant plus que ni la loi, ni le décret n’abordent certaines questions délicates : le maire
doit-il s’acquitter à l’égard du bailleur de l’ensemble des obligations contenues dans le bail
ainsi que de l’indemnité qui lui est due (perte de loyers) ; le maire doit-il assurer les
obligations à l’égard des salariés (article L 122-12 du Code du travail) ou procéder à des
licenciements? Les communes devront donc se montrer très prudentes avant de
s’engager dans un processus de préemption.
c) L’acte de rétrocession
Aux termes de la loi, l’acte de rétrocession est réalisé dans les conditions de formalisme du
droit commun des ventes de fonds de commerce prévues aux articles L 141-1 et suivants du
Code de commerce (mentions obligatoires dont l’existence d’un bail, sa date, sa durée et
son bénéficiaire). Cet acte doit mentionner les conditions de résiliation en cas d’inexécution
par le cessionnaire du cahier des charges, qui comporte les clauses permettant d’assurer le
respect des objectifs de diversité commerciale.
Le décret (article R 214-14) impose, opportunément, l’autorisation par le conseil municipal de
la rétrocession, la délibération devant indiquer ses conditions et les raisons du choix du
cessionnaire, éléments importants en cas de contentieux.
Dans le mois suivant la signature de l’acte, des mesures de publicité (article R 214-15) sont
effectuées par le maire : affichage en mairie pendant quinze jours d’un avis comportant la
désignation sommaire du fonds ou du bail rétrocédé, le nom et la qualité du cessionnaire, les
conditions financières de l’opération. Le souci de transparence est ici patent.
Autre point majeur : l’accord préalable du bailleur imposé par la loi et devant figurer dans
l’acte de rétrocession. Le décret en fixe les modalités (article R 214-13). Cet accord doit
porter sur le projet d’acte accompagné du cahier des charges, que le maire doit lui
transmettre par lettre recommandée avec AR.
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En cas de volonté d’opposition, le bailleur saisit en référé le président du TGI du lieu de
situation, pour la faire valider judiciairement.
La saisine motivée doit néanmoins être notifiée à la commune par le bailleur dans un délai
de deux mois suivant la réception du projet d’acte. A défaut, l’accord de ce dernier est réputé
donné tacitement.
Le bailleur a ainsi une capacité de blocage en cas de reprise du bail, mais sachant qu’elle
s’exerce obligatoirement dans un cadre judiciaire, ce qui est une garantie.
En outre, le décret prévoit très utilement que le délai d’un an est suspendu entre la
notification du projet d’acte au bailleur jusqu’à l’obtention expresse ou tacite de son accord,
ou pendant la durée de la procédure en référé jusqu’à l’intervention de la décision
juridictionnelle définitive. Dans cette logique, la rétrocession ne saurait intervenir avant le
terme de cette procédure, sauf accord exprès du bailleur.
d) L’absence de repreneur à l’expiration du délai d’un an
La loi n’organise pas l’hypothèse d’absence de repreneur trouvé par la commune dans le
délai légal d’un an. Le problème risque de se poser en particulier pour les métiers de bouche
où les candidats sont difficiles à trouver.
Le décret pallie cette lacune : l’article R 214-16 fait alors bénéficier l’acquéreur évincé, s’il est
mentionné dans la déclaration préalable, d’un droit de priorité d’acquisition.
Toutefois, en pratique, cela suppose que cet acquéreur soit toujours intéressé et que le
fonds n’ait pas perdu de sa valeur en l’absence de continuité d’exploitation à la diligence de
la commune pendant cette période d’un an.
La présentation du cadre législatif est terminée.
Jacky Lebrun, membre du bureau de l’ACFCI, qui préside la réunion, revient sur le problème
de trouver des repreneurs pour les commerces alimentaires et sur le risque d’atteinte aux
droits et intérêts financiers des commerçants et artisans. Il est fait allusion au cas d’un
professionnel qui souhaiterait vendre pour réinvestir dans un point de vente plus grand et qui
est susceptible d’être bloqué dans son projet si le droit de préemption est mis en œuvre.
Jacky Lebrun estime qu’il est indispensable que les CCI se positionnent en amont
pour éviter que le droit de préemption ne soit mis en œuvre avec trop de légèreté par
les communes, les enjeux pour les commerçants sont très importants.
Dominique Moreno précise que les communes sont très demandeuses d’informations,
la CCIP et ses délégations rencontrent un vif succès dans la mise en place de telles
réunions. Cela permet également de tempérer l’enthousiasme de certaines communes
qui voyaient à travers le droit de préemption un outil « miracle », susceptible dans
certains cas de maîtriser les prix de l’immobilier commercial en évitant leur flambée.
Il est également très important d’informer les commerçants et associations de commerçants.
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2. Les différentes phases du dispositif et les problèmes posés au regard des
professionnels
Analyse des professionnels :
Maître Pierre AUDOUIN, avocat au barreau de Bobigny
Dominique HARL, délégué de l’ordre des experts-comptables pour le département de
Seine-St-Denis
Pierre MALLET, vice-président de l’UNPI (Union Nationale de la Propriété
Immobilière)
2.1 Première phase : la délimitation du périmètre de préemption
Pierre MALLET remercie l’ACFCI de l’avoir invité. Les CCI et les propriétaires bailleurs de
commerces doivent être des partenaires.
P. MALLET rappelle que l’article 58 de la loi du 2 août 2005 était si peu satisfaisant qu’il
pensait que le décret d’application ne sortirait jamais. Le décret a finalement été publié et
les représentants des bailleurs n’ont jamais été consultés, ce qui est très regrettable lorsque
l’on connaît la complexité d’un contrat de bail.
Sur le périmètre, même si l’on peut comprendre la volonté des maires et leur souci de
maintenir un tissu commercial attractif, le problème est qu’on ne peut pas prendre le risque
de préempter si par la suite on n’est pas sûr de trouver un repreneur. P. MALLET prend
l’exemple personnel d’un immeuble qu’il possède et dans lequel il souhaite voir installée une
pâtisserie car il n’y en a plus dans la commune. Cela fait plus d’un an qu’il travaille sur le
projet avec un porteur de projet identifié et très qualifié mais le problème est avant tout
financier, car même avec une volonté affichée du propriétaire, c’est auprès de la banque que
le projet bloque.
Il est donc nécessaire de mieux associer les propriétaires en amont, chose qui est très peu
souvent faite. Il existe rarement des baux tous commerces et lorsque qu’un commerce
alimentaire souhaite vendre à une banque par exemple, il faut l’accord du propriétaire sur le
changement d’activité. Le premier moyen de lutter contre l’atteinte à la diversité du
commerce et d’avoir une démarche partenariale avec les propriétaires pour partager les
mêmes objectifs en termes de composition commerciale d’une rue ou d’un périmètre
identifié.
La loi paraît donc utopique, inapplicable et source de contentieux. La solution doit plutôt être
cherchée du côté de l’information et de la concertation avec les propriétaires. Sinon, on
risque de se heurter à des situations de blocages avec des boutiques qui restent fermées
inutilement. Le secteur des métiers de bouche présente des spécificités où seul un travail
partenarial effectué suffisamment en amont peut permettre d’apporter des solutions en
termes de pérennisation de l’activité.
Maître AUDOIN prend la parole et sa première réaction est de dire que nous sommes face
un ensemble de textes qui posent plus de questions qu’ils n’en résolvent, qui compliquent la
tâche des élus locaux et des praticiens (CCI, avocats, experts comptables, services
économiques des municipalités). Un grand nombre de questions reste sans réponse dans le
droit positif tel qu’il résulte de la récente loi. Ce sera très souvent au juge de trancher. Les
pouvoirs publics ont mis en œuvre un texte très technique, tout en laissant la moitié du
travail, comme si nous étions dans un pays de droit anglo-saxon, à la jurisprudence. Une
double jurisprudence, à la fois judiciaire et administrative.
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Il existe donc un vrai trouble dans un domaine où la rapidité de la transaction et la sécurité
juridique sont des éléments absolument fondamentaux de la décision d’investir ou non. Le
système actuel, risque de ne pas répondre à ce besoin mais d’être ouvertement contraire à
lui.
Le champ stratégique judiciaire qui relève des avocats, se pose en premier lieu pour les
communes qui préemptent. Les premiers échanges avec des élus communaux ont permis
de constater que le texte part d’un bon sentiment, car il permet d’exercer une menace pour
préserver l’attractivité commerciale des centres-villes. Mais ce texte s’il répond aux vœux
des élus sera peu appliqué car il expose les communes à des risques financiers et juridiques
importants. S’il doit être utilisé ce sera avec circonspection et dans des cas préalablement et
profondément étudiés.
Au stade initial, qui est celui de la prise de décision de créer ces périmètres, il existe déjà un
sujet de contentieux possible. La décision du conseil municipal peut être déférée pour excès
de pouvoir devant le tribunal administratif. Les moyens d’annulation sont :
-
-
des moyens de légalité externe, à savoir est-ce que les CCI ont été consultées ? Estce que, à la demande d’avis, a été joint le rapport d’analyse de la situation
commerciale locale qui est une condition de la prise de décision ;
des moyens de légalité interne de la décision du conseil municipal, à savoir est-ce
qu’il fallait vraiment le faire ? Est-ce que c’était opportun ? Est-ce que par le
découpage, le maire n’a pas cherché à nuire à telle ou telle entreprise commerciale
ou artisanale ?
Tout se plaide. Nous sommes sur les moyens classiques d’annulation pour excès de
pouvoir :
-
le détournement de pouvoir quand la décision n’a pas été prise dans l’intérêt général,
l’erreur manifeste d’appréciation quand la décision n’est pas adaptée à la situation
décrite dans le rapport d’analyse de la situation commerciale.
Le recours pour excès de pouvoir devra se faire dans les deux mois de la publication de la
décision prise par le conseil municipal.
Ce recours est ouvert très largement. Tout commerçant ou union commerciale compris dans
le périmètre pourra s’engager dans la procédure. Le délai de la procédure dans la région
parisienne est de deux ans…si tout va bien…pour la première instance.
Il faut savoir que les décisions administratives et donc la délibération du conseil municipal
est d’exécution immédiate. La saisine du juge pour recours en excès de pouvoir n’a pas
d’effet suspensif, la décision va donc s’appliquer immédiatement. Sauf référé suspension qui
suppose que le requérant puisse invoquer, dès le début de l’introduction de son recours, des
moyens qui paraissent suffisamment pertinents et une situation d’urgence qui amèneraient le
président du tribunal administratif à suspendre l’exécution de la décision prise par le conseil
municipal.
Exemple : si l’arrêté municipal a été pris sans que les CCI aient été consultées. Une
suspension immédiate pourra être obtenue.
Autre sujet d’inquiétude majeur pour les rédacteurs d’actes : les cessions de fonds ou de bail
qui sont intervenues dans les communes ayant au lendemain de la publication de la loi, en
août 2005, créé un périmètre. Aujourd’hui certaines communes se posent la question de
savoir si elles vont demander l’annulation des ventes qui ont eu lieu sans qu’elles en aient
été informées. Pour l’instant aucune commune n’a agi.
La réponse à cette question est compliquée et les pouvoirs publics ne sont pas d’accord
entre eux. Le ministère chargé du commerce explique que la loi d’août 2005 n’était pas
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applicable sans son décret alors que le ministère de l’équipement dit le contraire, se fondant
sur la tradition jurisprudentielle administrative : à savoir que les lois, sauf restriction qu’elles
se poseraient à elles-mêmes, sont exécutoires dès leur publication au Journal officiel. Elles
ne cessent de l’être que quand à l’évidence elles ne se suffisent pas à elles-mêmes et que la
nature des choses fait qu’un décret paraisse indispensable.
Toute la discussion qui pourrait être menée si une commune venait à contester une cession
(elle a cinq ans pour le faire) intervenue au mépris du nouveau dispositif, serait de savoir à la
lecture de la loi si elle était applicable ou non en l’état.
Les tribunaux jugeront cette question.
La position de sagesse qui semble s’établir de façon pragmatique pour les communes est de
prendre une nouvelle délibération, bien que cela ne soit pas indispensable. En effet, la
délibération d’origine ne peut être frappée de caducité au motif qu’un formalisme plus
contraignant ait été prévu par le décret publié plus de deux ans après la loi.
Dominique HARL rappelle que le rôle de l’expert comptable est d’accompagner l’entreprise
au quotidien, de fluidifier les réseaux économiques, assurer le traitement des données, aider
à la gestion des entreprises dans toutes les phases sa vie, de sa création à la transmission.
Dans ce rôle de conseil aux entreprises, les experts comptables s’adossent toujours aux
avocats en tant que rédacteurs d’actes.
Un des aspects fondamental de l’économie est que le mouvement crée la richesse. Si on se
trouve dans une économie sclérosée, ce qui peut être une conséquence du droit de
préemption, on ne crée pas de richesse.
Il est nécessaire de mener une action de communication en direction des élus des
collectivités. Il faut éviter autant que faire se peut que les communes arrêtent des périmètres
larges qui englobent l’ensemble d’un centre-ville par exemple. Il faut être conscient qu’une
cession de fonds de commerce est une notion qui va plus loin que la cession du pas de porte
ou de la boutique, un fonds de commerce est une entreprise, chaque société a un fonds de
commerce. Une entreprise de services peut être visée. Le droit de préemption risque de
gêner la transmission de ces entreprises. On ne peut restreindre la notion de fonds de
commerce à la seule boutique.
L’activité économique est déjà suffisamment compliquée, les chefs d’entreprises n’avaient
pas besoin de se voir imposer ces nouvelles lourdeurs. Le rôle des CCI et des expertscomptables est de mettre en garde les collectivités contre ces abus.
Commentaire ACFCI : c’est pour cette raison qu’un modèle de courrier à destination des
maires sera adressé à l’ensemble des CCI. L’objectif est de bien faire prendre conscience de
la complexité du dispositif de préemption et de l’impact que peut avoir la délimitation du
périmètre de sauvegarde sur la vie des affaires. Les CCI doivent faire rapidement connaître
aux municipalités leur souhait d’être associées le plus en amont possible dans le cadre de la
mise en œuvre du droit de préemption, ceci afin d’éviter les abus et limiter les risques
d’atteinte aux droits individuels des chefs d’entreprises souhaitant céder leur activité.
D. MORENO précise que la CCIP a déjà engagé un programme de réunions à l’adresse des
directions des services économiques et des élus communaux. D’autres réunions sont
organisées spécifiquement pour les responsables d’associations de commerçants.
Service commerce-distribution Mars 2008
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2.2 Deuxième phase : l’exercice de la préemption par la commune
Maître AUDOUIN présente les risques et problèmes que peut présenter l’exercice du droit de
préemption.
Tout d’abord, il faut rappeler que le conseil municipal peut déléguer l’exercice du droit de
préemption au maire. Le Code des collectivités territoriales a été spécialement modifié à cet
effet. C’est le seul cas de délégation possible.
La décision municipale de préempter peut être déférée au tribunal administratif car l’exercice
du droit de préemption doit faire l’objet d’une décision spécialement motivée au regard de
l’intérêt général. Il s’agira alors d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge
administratif, avec le cas échéant un référé destiné à suspendre la décision de préemption,
et annulation de la décision du maire si elle n’est pas suffisamment motivée ou motivée de
telle manière qu’elle ne répond pas aux prescriptions de la loi. Le délai de recours est là
encore d’environ deux ans.
Si la décision de préemption est annulée, on revient à la situation d’origine.
Est-ce que le commerçant préempté ou l’acquéreur évincé qui obtient, après une longue
procédure, annulation de la décision de préemption, peut prétendre à des indemnités ?
Si on se fonde sur la jurisprudence dégagée en droit de la préemption immobilière, la
réponse est que cela est peu évident. Les tribunaux administratifs sont extrêmement
restrictifs à l’admission à un droit à indemnisation en cas d’annulation judiciaire de l’exercice
du droit de préemption. Si la préemption a été entachée d’un détournement de pouvoir
(exemple de l’exercice du droit de préemption pour éviter l’implantation d’une boucherie
hallal), il est évident dans ce cas qu’il y aura indemnisation, car atteinte à une liberté
publique fondamentale.
En revanche, si la décision d’annulation de la préemption est intervenue uniquement pour
des motifs de forme, l’administration face à une demande de dommages et intérêts, pourra
toujours plaider que, si les formes avait été respectées, elle aurait préempté et qu’elle était
dans son droit. Les tribunaux administratifs estiment de plus que les pouvoirs publics ne sont
pas responsables de l’échec d’une opération spéculative. Le profit spéculatif, l’intérêt tiré
d’une plus-value espérée, n’est pas indemnisable.
Le problème du prix de la préemption.
Il existe un risque de spoliation pour le commerçant candidat à la cession. Le juge ici
compétent est le juge judiciaire, qui s’appelle le juge de l’expropriation, seul compétent en
matière de contentieux de la propriété immobilière. La fixation du prix touche à la propriété
immobilière. Les avocats, les parties, vont être confrontés à un contentieux rendu difficile par
le fait que les juges de l’expropriation ne sont pas familiers de l’évaluation des fonds de
commerce. Ni les juges, ni l’administration des domaines ne sont spécialement éclairés sur
cette question.
La durée de la procédure suivant la juridiction et la décision par le juge de recourir ou non à
une expertise préalable, sera comprise entre un et trois ans avant d’être fixé sur l’évaluation
du prix judiciaire, délai qui peut être prorogé en cas d’appel de la décision.
Mais la commune et le cédant peuvent renoncer respectivement au projet de préemption et
au projet de cession à tout moment de la procédure tant qu’il n’y a pas eu d’accord sur le
prix. Une fois le jugement rendu, les parties ont deux mois pour manifester leur désaccord
sur le prix fixé. S’il y a désaccord, le cédant potentiel reste propriétaire de son fonds.
Service commerce-distribution Mars 2008
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Il y a probablement là un gisement de droits à indemnisations si le demandeur dont les
projets économiques ont été gelés pendant plusieurs années, peut démontrer que la
commune a agi avec précipitation, légèreté ou manque d’analyse. Même si la loi reconnaît
un droit de repentir pour la commune, qui finalement refuse de préempter au prix fixé par le
juge, le contexte peut être source, de façon exceptionnelle, d’une indemnisation possible.
Le problème de l’évaluation des fonds de commerce (par D. HARL)
Une vente de fonds est un accord sur la chose et sur le prix à un instant de raison entre deux
parties, un acheteur et un vendeur. Pour les fonds de commerce de type « boutique », il y a
en général des coefficients qui sont appliqués en fonction du chiffre d’affaires et l’expert
comptable intervient peu dans ces cas, c’est la pratique qui prime. Il existe aussi des
barèmes fixés par l’administration fiscale.
Pour ce qui concerne une activité non visée par ces pratiques, comment évalue-t-on la
valeur du fonds de commerce ? Un fonds de commerce est composé d’un certain nombre
d’éléments :
-
-
Les éléments incorporels comportent le droit au bail, la clientèle…Ces éléments
peuvent se valoriser distinctement.
Les éléments corporels comportent les agencements, le mobilier, les outillages…Ces
éléments sont faciles à valoriser car ils ont une valeur d’origine et ils sont estimés au
bilan.
Le stock
Il existe deux systèmes d’évaluation :
-
-
Pour les éléments corporels. Il s’agira de l’actif net comptable corrigé qui est une
réévaluation du bilan en fonction de la valeur objective des biens. Les différents
postes du bilan sont considérés et actualisés en fonction du prix de marché ou de la
valeur vénale des biens.
Pour les éléments incorporels.
Pour évaluer un droit au bail, une des méthodes veut que si les loyers sont en
dessous de la valeur du marché, on fait une projection de l’économie de loyers sur la
durée du bail qui reste à courir. Cette méthode est critiquable, mais elle existe et est
souvent utilisée.
Quant à la clientèle, c’est toujours la grande difficulté et la seule façon de valoriser
une clientèle est la rentabilité économique de l’entreprise.
La valorisation d’un fonds de commerce n’est pas une science exacte et ce qui fait souvent
la différence, c’est la bonne connaissance du marché local qui évite de recourir à un système
de valorisation compliqué. Mais dans le cadre de litige, on aura certainement à connaître de
ces systèmes de valorisation compliqués, car le juge pour asseoir son point de vue
demandera à des professionnels de faire des rapports d’expertise et là il faudra être très
prudent.
On assiste également à un paradoxe en ce qui concerne les transmissions de fonds à faible
valorisation. D’une part l’administration fiscale permet des exonérations pour faciliter la
transmission de faibles valeurs et fluidifier les échanges économiques et d’un autre côté le
droit de préemption vient ralentir cette possibilité de transmission, même dans des cas de
transmission de l’entreprise à un des salariés.
Service commerce-distribution Mars 2008
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Questions de la salle
Première question : Les apports en société de fonds de commerce et la vente du fonds sous
forme de cessions de parts sociales sont-ils visés par la loi ?
Maître AUDOUIN : Il y a plusieurs axes de réflexion.
D’abord l’analyse textuelle. Quand il est fait référence à la cession ou transmission à titre
onéreux, cela renvoie en matière commerciale à la vente, qui est un contrat parfaitement
défini.
Il semble que la chambre des notaires via le CRIDON ait considéré que peut-être l’apport
d’un fonds de commerce en société pouvait être assimilé à une cession et donc tomber sous
le coup du nouveau dispositif. C’est une thèse qui si elle bénéficie d’arguments puissants en
sa faveur nécessitera d’être validée par la jurisprudence. Si un commerçant venait à
constituer une personne morale et à lui faire apport de son fonds de commerce, aucun
conseiller juridique ne pourra lui garantir qu’il ne fera pas l’objet dans un délai de 5 ans d’une
action en nullité de l’apport, à l’initiative de la commune, qui se fonderait sur le dispositif
nouveau. Il faut donc mieux faire une déclaration préalable à la mairie par prudence.
Deuxième cas de figure, un commerçant qui a créé une SARL ou n’importe quelle personne
morale en cède les parts ou les actions. Il semble, d’après les analystes, que le dispositif ne
s’applique pas aux cessions de droits sociaux. Mais il existe un inconvénient à ce type de
cession qui est la transmission de l’actif et surtout du passif, alors que ce n’est pas le cas
dans la cession de fonds.
Enfin, il existe un risque juridique qui se fonde sur la théorie de l’abus de droit qui pose en
principe que tous les droits ont une finalité sociale et, par définition, d’intérêt général. Dès
lors qu’un droit est utilisé dans un but différent de celui pour lequel il a été institué, l’exercice
de ce droit peut être annulé par le tribunal à raison de l’abus qui en a été fait. Cette théorie a
connu un développement très important en droit fiscal interne où l’administration se réserve
le droit de poursuivre l’annulation d’un certain nombre d’opérations effectuées par le
redevable dès lors qu’elle estime être en mesure de prouver, devant le juge de l’impôt, que
ces opérations étaient accomplies non pas dans un but économique légitime mais qu’elles
avaient pour finalité exclusive la volonté d’éluder le paiement de l’impôt. Cette théorie de
l’abus de droit est aujourd’hui largement intégrée à la jurisprudence administrative.
D. HARL apporte sur ce point un complément. L’administration fiscale, dans le cadre de
l’abus de droit, prévoit des pénalités à hauteur de 80 % ainsi que des intérêts de retard. La
théorie de l’abus de droit est utilisée, avec parcimonie, par l’administration fiscale qui a juste
à démontrer que c’est un artifice qui a été mis en œuvre pour éluder l’impôt. C’est une
procédure lourde mais dangereuse. Il faut mettre en garde les entreprises qui seraient
tentées de faire des montages hasardeux.
Maître AUDOUIN termine sur les conséquences de l’abus de droit. La question sera jugée
par le tribunal de grande instance qui aura été saisi par la commune d’une demande en
nullité de la cession passée en violation de son droit de préemption. Il appartiendra dans ce
cas à la jurisprudence judiciaire de dire si la constitution d’une SARL puis l’apport du fonds à
une SARL, constituait un abus de droit qui serait de nature à rendre inopposable l’opération
à l’administration et à justifier l’application du dispositif de préemption.
Il semble évident que les questions de chronologie dans l’antériorité des opérations, par
rapport à la cession litigieuse, joueront beaucoup et ceux qui auront fait leur SARL quelques
mois avant pour procéder ensuite à une cession massive de droits sociaux, auront quelques
raisons de s’inquiéter si l’administration décide d’agir en justice.
Service commerce-distribution Mars 2008
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P. MALLET pose une question : Supposons que le bailleur reprenne le fonds de commerce
soit parce que le bail prévoyait une préemption conventionnelle, soit au moment du départ à
la retraite du locataire, soit suite à un accord amiable entre le locataire et le bailleur pour une
résiliation du bail moyennant une indemnité. Le droit d’entrée, que le bailleur sera amené à
demander à un futur locataire, ne semble pas visé par le texte.
Maître AUDOUIN : Sous toute réserve, la résiliation amiable du bail avec paiement d’une
indemnité ou le non renouvellement avec paiement de l’indemnité d’éviction n’entrent pas
dans les prévisions du texte de loi. C’est une ouverture, car il ne s’agit pas d’une vente mais
de l’abandon d’un droit moyennant le paiement d’une indemnisation.
Par contre, il ne peut être fait de réponse à la question relative à la concurrence entre le droit
de préemption privé inséré au bail et le droit de préemption public.
Selon D. MORENO et Maître AUDOUIN, on peut craindre que le droit de préemption public
l’emporte.
D. HARL évoque le cas de fonds de commerce géré par des sociétés. Bon nombre de
sociétés vendaient leurs fonds de commerce parce qu’il est plus facile de vendre des fonds
plutôt que des titres du fait de la garantie de passif. L’existence du nouveau droit de
préemption risque de favoriser la vente de titres plutôt que des fonds afin de contourner le
problème. On peut se demander si, dans le cas de restructuration d’entreprises où l’on est
amené à faire des scissions ou à filialiser des activités et à apporter le fonds de commerce à
une autre entité juridique, le droit de préemption s’applique.
Pour maître AUDOUIN, la question est posée mais il n’y a pas de réponse.
De toute façon, ce n’est pas le but du dispositif, ne sont pas visées ce type de sociétés.
Question de la salle : Bon nombre d’élus locaux espéraient trouver dans ce texte la
possibilité d’intervenir de manière positive en centre-ville. Je pense en particulier aux artères
dans les villes anciennes où il y a un fort taux de locaux vacants et le dispositif allait dans le
sens de l’intérêt général et des commerçants. L’objectif était de donner aux élus la possibilité
de réinvestir temporairement ces locaux. On pouvait même imaginer que la commune en
profite pour les remettre à niveau au travers de dispositifs d’aides financières et ensuite dans
un délai relativement court les remettre sur le marché. On pouvait même imaginer qu’à
travers ce dispositif, les communes favorisent le regroupement de locaux commerciaux pour
proposer des surfaces de vente plus grandes qui correspondent aux besoins des concepts
actuels. Est-ce que à travers ce qui a été dit ce matin, les textes ne laissent pas de place à
des perspectives de ce type ?
P. MALLET : D’accord sur le fond. Mais sur la forme, rien ne vaut la concertation en amont.
D. HARL précise que le problème est avant tout de trouver les professionnels susceptibles
de reprendre l’activité et ils sont rares. La mise en œuvre du dispositif est antiéconomique,
irréaliste et utopique. Le marché décide seul des activités qui se développent, on ne peut
pas s’arcbouter à maintenir un commerce idéal que l’on souhaiterait mais qui n’existe plus
dans la réalité.
C. ZANON de l’ACFCI ajoute que le dispositif n’a pas vocation à répondre à la problématique
des locaux vacants. Si un local reste vide, c’est parce qu’il n’y a pas eu de cession ou parce
qu’il existe un problème de succession ou autre. Or le droit de préemption doit s’exercer
dans les deux mois de la déclaration préalable de cession. Donc, en l’absence de projet de
cession à un acquéreur potentiel il n’y a pas de possibilité de préempter.
Question de la salle : Il est prévu dans la loi qu’un cahier des charges soit établi pour la
rétrocession. Si l’activité prévue au cahier des charges n’est pas pérenne, que se passe-t-il ?
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D. MORENO répond qu’un changement du cahier des charges est possible. Cela
nécessitera de le faire à nouveau valider par le conseil municipal. Cela devra peut-être
entraîner une modification de la décision de préempter si la motivation du droit de
préemption avait été reprise dans le cahier des charges. Il faut veiller au respect de l’objectif
fixé initialement dans la décision de préempter.
Témoignage de la salle : Il est demandé à N. MAFFEI de la CCI de ROUEN de témoigner
sur le cas de la commune de Sauteville-les-Rouen où le droit de préemption a déjà été utilisé
deux fois avec succès semble-t-il.
N. MAFFEI : Dès octobre 2006, la commune a arrêté un périmètre et deux fonds de
commerce ont été préemptés avant la parution du décret. La commune a décidé de mettre
en place une commission consultative, où sont associées les chambres consulaires, pour le
choix des repreneurs. Une diffusion assez large est faite sur les fonds à reprendre. Les fonds
ont été repris rapidement. Un commerce de cadeaux a été repris par un primeur et une
bijouterie a été reprise par un bijoutier du département voisin. Des solutions ont été trouvées
par la commune pour les acquéreurs évincés (une agence immobilière et une agence
bancaire), qui ont pu s’installer dans d’autres quartiers où les besoins existaient.
Tout s’est bien passé. La préemption s’est faite au prix souhaité par les cédants. La
commune possédait plusieurs immeubles disponibles, ce qui a facilité les choses et permit
un traitement rapide des installations.
Pour Maître AUDOUIN, c’est un exemple de l’application utile du dispositif. A condition qu’il
n’y ait pas de contentieux préalable, c'est-à-dire que la commune accepte de payer le prix
envisagé, et qu’elle ait les moyens de politique économique suffisants pour très rapidement
trouver un repreneur et diriger l’acquéreur évincé vers d’autres secteurs de la ville et dans
son parc immobilier. C’est le modèle idéal. Mais dès que les choses vont commencer à
déraper, et l’on a vu que les dérapages sont à tout moment possibles, le risque financier
pour la collectivité publique peut devenir très élevé.
Question de la salle : Peut-on revenir sur la possibilité de délégation du droit de préemption.
On a vu qu’elle n’était pas prévue par la loi. Mais on a le cas d’une commune qui est
persuadée de pouvoir déléguer à une SEM locale.
D. MORENO : la commune se trompe.
Maître AUDOUIN précise que l’article L 2122-22, 21° du Code général des collectivités
locales a ajouté à la liste des délégations possibles du conseil municipal au profit du maire,
l’exercice du droit de préemption.
D. MORENO ajoute que la préemption n’est possible que par la commune.
Ni l’intercommunalité, ni une SEM ne peuvent exercer ce droit. C’est donc à la commune
d’engager les financements nécessaires à l’achat, d’où les risques de dérapage évoqués
précédemment.
Question de la salle : La CCI, suite à la demande d’avis formulé par la commune sur le projet
de périmètre, doit donner une réponse dans un délai de deux mois. Dans la méthode, doit-on
agir comme pour un dossier de CDEC de façon confidentielle ou au contraire associer
largement les commerçants dans la réponse qui sera faite ? On a vu qu’il ne s’agissait que
d’un avis consultatif, mais si la CCI est très opposée au projet de la mairie, que peut-elle
faire ?
D. MORENO : Sur la façon de traiter l’avis, il faut procéder comme pour le PLU avec la
possibilité d’associer les commerçants. En revanche, le risque est que la commune
Service commerce-distribution Mars 2008
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demande à la CCI de rédiger à sa place le rapport d’analyse. Il existe un problème de
légalité si la CCI venait à rendre un avis sur un rapport qu’elle a rédigé.
Si la commune ne suit pas du tout l’avis de la CCI, et que la position de la commune est très
contestable, la CCI a la possibilité d’attaquer le périmètre, c'est-à-dire faire un recours pour
excès de pouvoir auprès du tribunal administratif. Mais le risque politique est énorme, difficile
ensuite d’envisager travailler sereinement en partenariat avec la ville.
Maître AUDOUIN ajoute que l’avis contraire de la CCI peut nourrir le recours sur le moyen
d’annulation tiré de l’erreur manifeste d’appréciation.
D. HARL souligne que le texte peut être dangereux. Les maires, s’ils font quelque chose,
risquent de bloquer les transactions professionnelles, s’ils ne font rien, on risque de leur
reprocher. Leur rôle ne sera pas facile.
Question de la salle : J’ai bien compris que pour les CCI il n’est pas conseillé qu’elles
rédigent le rapport d’analyse mais peuvent-elles répondre à un appel d’offres pour réaliser
une expertise de la situation en sachant que la mairie peut elle-même rédiger son rapport
d’analyse ?
D. MORENO répond que oui. La CCIP fait des études de ville, des cartographies, des
analyses et ensuite la commune peut s’y référer. La CCI peut faire ce travail mais ne peut
pas tenir la plume à la place de la commune.
Question de la salle : Dans le cadre des dossiers FISAC, nous définissons généralement
avec les collectivités des périmètres d’intervention. La municipalité peut utiliser ce périmètre
défini avec la CCI pour présenter son rapport.
D. MORENO : il s’agit de deux procédures différentes. La CCI n’est pas tenue par ce
périmètre FISAC même si elle a collaboré à sa définition. Avoir un périmètre de préemption
qui est le même que le périmètre FISAC peut toutefois se justifier et doit être motivé. Un
simple renvoi à l’étude préalable à la demande de financements FISAC ne saurait suffire.
C. ZANON précise que les objectifs sont différents. Il s’agit dans un cas de redynamiser le
commerce et dans l’autre de maintenir un commerce de proximité.
D. MORENO expose le cas d’une commune ayant transmis une demande d’avis en
précisant qu’elle n’avait pas prévu de rapport d’analyse et faisait référence à son schéma
d’équipement commercial. La CCIP a renvoyé la demande au motif qu’il manquait le rapport
prévu par la loi et que la référence à une charte ou schéma ne pouvait s’y substituer.
Question de la salle : Quel est le délai de recours quand une commune envoie les éléments
de la demande d’avis en plusieurs fois ?
D. MORENO répond que si la demande d’avis est incomplète, il faut la renvoyer en
constituant la preuve avec un courrier en recommandé avec accusé de réception. Le délai
de deux mois ne court qu’à compter de la réception du dossier complet.
Question de la salle : Au niveau du formalisme, l’avis doit-il faire l’objet d’une délibération de
l’assemblée générale de la CCI ?
D. MORENO répond qu’il n’y a pas de formalisme spécifique à respecter. On peut procéder
comme pour les PLU.
Question de la salle : Concernant le rapport d’analyse, à partir de quel moment peut-on
estimer que le rapport d’analyse n’est pas complet ? Nous avons été sollicités, il y a peu de
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temps, avec un rapport qui tenait en quelques lignes expliquant que le commerce était
menacé dans la commune.
D. MORENO : il est évident que l’on ne peut considérer ce type de formule d’ordre général
comme un rapport d’analyse. Le rapport ne peut tenir en quelques phrases.
Maître AUDOIN précise que c’est le tribunal administratif qui décidera si le document
invoqué, au soutien de la délibération du conseil municipal, répond au vœu de la loi ou pas.
C. ZANON ajoute également qu’il n’existe aucune définition légale pour les notions de
diversité commerciale ou de sauvegarde du commerce de proximité. L’analyse doit se faire
au cas par cas et c’est à ce niveau que la CCI doit jouer un rôle. On ne peut pas avoir un
modèle type de rapport car chaque situation est différente.
Question de la salle : Le rapport d’analyse doit être spécifique à la préemption qui va se faire
ou doit être général.
Maître AUDOUIN précise que l’on est au stade de la délimitation du périmètre, non pas au
moment de la décision de préempter. Après, c’est une autre motivation qui est exigée
également pour expliquer pourquoi on préempte le fonds et pas un autre.
D. MORENO explique que le rapport d’analyse va présenter par exemple un état des lieux
du commerce sur les cinq dernières années, en précisant le nombre de cessations d’activités
sans reprise, etc.…
C.ZANON remarque que l’on retombe dans les problématiques d’observatoires du
commerce et en particulier des moins de 300 m². Pour les CCI qui disposent de tels outils, il
sera plus évident de répondre dans le délai de deux mois. Pour les autres, constituer une
telle base de données nécessitera du temps. Mais elle est nécessaire pour étayer les avis
rendus.
Question de la salle : Que se passe-t-il si une commune préempte et revend à un prix très
inférieur au montant auquel elle a préempté ?
Maître AUDOIN répond que « cela se règle au bulletin de vote ». La rétrocession fait l’objet
d’une publicité, l’opposition peut s’en saisir.
D. HARL relève un problème de nature fiscal. Est-ce que le fait de racheter 100 et revendre
1 ne peut pas être assimilé à une subvention ? A priori non, mais il n’est pas certain qu’au
niveau de l’Union Européenne on ait la même approche. Nous sommes confrontés au
problème des minimis et aux plafonnements des subventions.
Maître AUDOUIN pense que l’administration aura toute facilité de déterminer un prix de
référence (qui sera soit le prix de cession initial, qui est par définition le prix du marché, soit
le prix judiciaire qui est définitif) et la question fiscale est très importante.
Mais en dehors de la question fiscale, il n’existe aucune règle de droit extra fiscale qui
interdirait à la commune de rétrocéder à un prix inférieur.
Remarque de la salle : Le maire peut se justifier s’il s’agit de maintenir ou réinstaller l’unique
commerce de la commune.
Maître AUDOUIN rappelle que la jurisprudence administrative admet que les collectivités
territoriales puissent se substituer à l’initiative privée au moins de façon temporaire et dans
des circonstances exceptionnelles quand l’intérêt général l’exige.
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Question de la salle : La loi prévoit un délai de trois mois pour le paiement du prix, le maire
ne peut-il pas être tenté de retarder le paiement du prix si aucune sanction n’est prévue par
la loi ?
Réponse : La commune a obligation de payer le prix dès qu’elle est tenue de signer l’acte
d’acquisition dans un délai de trois mois suivant le moment où l’accord sur le prix est
irrévocable (accord des parties ou fixation judiciaire avec accord des parties).
D. MORENO précise qu’il y a le délai de séquestre qui fait que le prix ne sera pas versé
directement au commerçant. Mais le délai pour le paiement par la commune est bien de 3
mois. Il est vrai que le droit de rétrocession au vendeur, prévu en cas de préemption
immobilière si la commune ne verse pas le prix dans les six mois, n’est pas prévu pour la
préemption sur les fonds ou baux commerciaux.
D. HARL évoque le problème posé par ces délais. Le commerçant qui vend son affaire va
perdre de l’argent pendant cette période, il va augmenter son passif en payant ses loyers et
ses taxes diverses alors que l’activité tourne au ralenti.
A la sortie de la phase de fixation du prix lié à la préemption, quand l’opération va pouvoir
enfin se faire, il va y avoir le séquestre et tout le fruit de la vente risque d’être amputé en
grande partie par le passif généré par la lourdeur du système. C’est un frein important à la
transmission.
2.3 Troisième phase : la rétrocession à un repreneur dans le délai d’un an
D. HARL soulève plusieurs questions liées à cette phase.
Quand la commune aura récupérer le fonds, aura-t-elle pendant la durée d’un an
compétence pour exploiter le fonds ? Le fonds va-t-il prendre de la valeur alors qu’il ne sera
plus exploité ? Le problème des contrats (contrat de bail, de travail, de leasing,
d’entretien…). Le coût pour les communes ne sera pas le coût de la préemption mais les
coûts induits qui risquent d’être beaucoup plus significatifs. Il faut également penser aux
droits d’enregistrement au moment de l’achat et de la revente, si tant est qu’il y ait revente au
bout de la période d’un an.
Maitre AUDOUIN précise en préambule que cette troisième phase ne concerne plus les
commerçants cédants. Nous sommes dans la phase où la commune est devenue
propriétaire.
Le problème qui va se poser, par rapport à la préemption de droit commun, est que
contrairement aux immeubles les fonds de commerce se dévaluent par le non usage car il y
a une activité. Et la commune n’est pas un entrepreneur individuel. Il y a également un bail
qui est en cours ou non. Tout cela est très compliqué.
Le sort des contrats de travail
Il peut aussi y avoir des salariés. Il est à noter que le décret n’est pas cosigné par le Ministre
du travail. Rien n’est précisé sur le droit du travail. Le siège de la matière est l’article L 12212 du Code du travail qui, en substance, pose en principe le fait que le changement dans la
propriété de l’entreprise est sans influence sur le cours des contrats de travail.
Autrement dit, la commune va se trouver confrontée à la nécessité d’assumer les charges et
les risques d’un employeur de droit privé. Rien ne peut écarter les dispositions d’ordre public
prévues par l’article L 122-12.
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Ce qui veut dire que la commune va devoir soit payer les salaires sur le budget communal,
soit assumer la charge de licenciement pour cause économique. Et en l’état de la
jurisprudence, de la chambre sociale de la cour de cassation, sur la définition du motif
économique réel et sérieux qui légitime le licenciement, il est impossible de savoir si
l’exercice du droit de préemption et le statut particulier de l’entreprise pendant la période de
rétrocession qui est d’un an, peut constituer aux yeux du corpus légal et réglementaire du
code du travail un motif économique réel et sérieux.
Donc, en l’état de vide jurisprudentiel et textuel, il y a risque majeur pour les communes de
connaître :
-
les vicissitudes de l’exécution de contrats de travail,
un risque judiciaire considérable en cas de licenciement, qui peut se traduire par les
indemnités légales conventionnelles de rupture et par la condamnation à des
dommages et intérêts qui peuvent être importants.
C’est donc un frein à l’initiative communale.
D. HARL pose la question de savoir si le fait de continuer à rémunérer les salariés alors qu’il
n’y a plus d’activité est possible ? Cela peut-il constituer un motif de rupture du contrat de
travail ?
Maître AUDOIN : l’obligation pour l’employeur est de payer le salaire, mais également de
donner du travail. A juste titre un salarié peut saisir un conseil de prud’hommes en
demandant la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Question de la salle : Peut-on affecter un salarié à d’autres tâches dans la commune ?
La réponse est non. Ils ne sont pas agents de la collectivité locale.
Le sort du contrat de bail
D. MORENO s’interroge sur la clause de solidarité des baux, pendant ce délai d’un an, entre
le cédant et la commune.
P. MALLET s’inquiète du fait que la loi prévoit que les dispositions du code de commerce
relatives aux baux commerciaux ne s’appliquent pas pendant cette période. Quelle
conséquence pour le paiement des loyers aux bailleurs ?
Maître AUDOUIN estime que la commune est titulaire du droit au bail soit parce qu’elle l’a
acquis en tant qu’élément autonome, soit en tant qu’élément incorporel du fonds de
commerce dont elle est propriétaire. La commune est donc locataire, sauf que le législateur
prévoit, que pendant la période de rétrocession, les relations avec le bailleur ne sont plus
régies par le statut (décret de 1953) des baux commerciaux. Cette formule ne règle rien car
le bail existant avant la cession, on ne peut pas dire que le bail est anéanti, il existe toujours.
Il faut en déduire que le bail en tant que bail commercial est suspendu pendant la durée d’un
an. Si la commune n’a pas cédé dans ce délai à un repreneur quelconque, le propriétairebailleur retrouve la plénitude de ses droits. Par contre, dans la période intermédiaire, si ce
n’est plus le statut des baux commerciaux qui s’applique, on fige les procédures de
renouvellement et les procédures de révision triennale. Cela veut dire également que si la
commune accepte de continuer à payer les loyers, rien ne l’oblige à payer le même montant.
On ne parlera plus de loyer commercial mais d’indemnité d’occupation ou loyer « code civil »
provisoire.
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Par contre, la clause de solidarité qui est de droit commun continuera à s’appliquer. Si la
mairie ne paie pas ses loyers, le bailleur aurait la faculté de se retourner contre le précédant
propriétaire du fonds. Mais tout ceci est spéculatif, et seul le juge pourra trancher.
Les droits du bailleur ne sont quand même pas totalement méconnus dans le cadre de la
rétrocession de bail, en ce sens que le bailleur est informé du cahier des charges et du choix
du candidat. Le bailleur est obligatoirement consulté et invité à donner son consentement.
Cela figure au cahier des charges et le bailleur a le choix entre :
-
acquiescer à la cession de droit au bail projeté, auquel cas la difficulté est levée,
se taire dans le délai de deux mois, il est réputé avoir tacitement accepté,
prendre l’initiative de saisir la juridiction qui est le juge des référés du tribunal de
grande instance. Ce juge est saisi dans la forme des référés, ce qui signifie qu’il s’agit
d’une véritable décision de fond que l’on demande au président du tribunal de
prendre, mais dans le cas d’une procédure rapide. Le délai de rétrocession d’un an
est suspendu pendant la durée de cette procédure judiciaire. Les motifs que peut
invoquer le bailleur pour s’opposer au projet de rétrocession du droit au bail sont
multiples (la déspécialisation, le prix projeté etc…).
Que se passe-t-il si au bout d’un an la rétrocession n’a pas eu lieu ?
Les textes ne prévoient rien.
La seule certitude est que la mairie devient locataire sous le régime du bail commercial. Le
bailleur peut alors demander la résiliation du bail pour défaut d’exploitation, défaut du loyer
contractuel, et demander des dommages et intérêts pour l’atteinte portée à la valeur locative
de son emplacement. C’est dangereux financièrement pour les communes.
Dernière question de la salle : Ne faudrait-il pas conseiller aux communes de mettre en place
des périmètres à titre dissuasif mais surtout de ne pas exercer son droit de préemption ?
D. MORENO : il existe toujours un risque électoral si le périmètre existe mais qu’il n’a jamais
servi. Il faut donc mieux bien cibler les périmètres afin de pouvoir exercer le droit de
préemption sur des emplacements stratégiques où des solutions de remplacement peuvent
déjà être envisagées. Il ne faut pas que le périmètre ne soit qu’un simple outil d’observation,
ce n’est pas le but.
Jacky Lebrun clôture les débats et remercie les participants et intervenants pour la richesse
des échanges.
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