L`alimentation dans l`évolution du cancer de la prostate

Transcription

L`alimentation dans l`évolution du cancer de la prostate
reportage
Nourrir
son esprit
L’alimentation dans
l’évolution du cancer
de la prostate
par le Dr Neil Fleshner
es particularités du cancer
de la prostate nous ont
convaincus que le régime
alimentaire peut jouer un
grand rôle face au développement tumoral. Et qu’en modifiant son alimentation, même
après le diagnostic, on peut
changer le cours du cancer et
ralentir sa croissance.
D
Ailleurs dans le monde...
Des études épidémiologiques sur les risques et
les facteurs de protection liés au cancer de la
prostate offrent certains indices sur sa véritable
cause. On s’est notamment penché sur l’incidence de la maladie à l’échelle mondiale. Fort
répandue en Occident, elle se fait plutôt rare
Le Dr Neil Fleshner dirige le secteur de l’urologie du
University Health Network, à Toronto, ainsi que le Programme
du cancer génito-urinaire du Princess Margaret Hospital.
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sous d’autres cieux — particulièrement en
Extrême-Orient. Le Japon, la Chine et la
Thaïlande enregistrent très peu de diagnostics
de cancer prostatique ou de décès connexes.
Deux hypothèses pourraient expliquer ce
phénomène. Soit le code génétique des Asiatiques
les protégerait du cancer de la prostate, soit leur
environnement (alimentation, culture, degré de
pollution) s’opposerait au développement de
cette maladie. Pour éclairer la question « Gènes
ou environnement ? », des chercheurs ont étudié
Coupez dans le gras
des hommes asiatiques ayant émigré à l’Ouest.
Un constat s’est imposé : le risque de cancer
prostatique s’accroît considérablement chez ces
nouveaux arrivants. Et chez leurs fils, il rattrape
pratiquement celui des Occidentaux de souche.
Ce qui laisse supposer que les facteurs environnementaux, par exemple l’alimentation, seraient
les grands responsables de la plupart des cancers
prostatiques. Si l’explication était vraiment
d’ordre génétique, les immigrants des 1re et 2e
générations continueraient de ne courir qu’un
faible risque d’apparition de la maladie.
Les scientifiques ont également approfondi
leur savoir sur l’origine de ce cancer par des revues d’autopsies décrivant la prostate d’hommes
décédés d’autres causes. Ces examens postmortem se sont déroulés dans divers pays et ont
permis de conclure que le risque d’être porteur de
microscopiques quantités de cellules cancéreuses
était bien universel ! Tant dans les pays à risque
faible (Chine, Japon) qu’à risque élevé (en
Occident), le vieillissement semble s’accompagner de l’émergence d’un petit nombre de cellules
prostatiques cancéreuses. La différence, c’est
qu’au moment de l’autopsie, et par rapport aux
Occidentaux, les Asiatiques en présentent moins.
Cela signifierait que la formation d’une première
grappe de cellules prostatiques cancéreuses est
moins importante que leur vitesse de croissance.
En d’autres termes, on retrouve un peu de cellules prostatiques cancéreuses chez la plupart
des Asiatiques, mais elles croissent si lentement
que la vaste majorité de ces hommes meurent à
un âge avancé pour une toute autre raison.
On est ce que l’on mange…
Selon une récente revue d’autopsies, 30 % des
hommes portent déjà des cellules prostatiques
cancéreuses dans leur trentaine ! Nous disposerions donc littéralement de décennies pour
ralentir, sinon stopper, la multiplication de ces
cellules. En outre, la croissance des cellules existantes semble être influencée par le régime
alimentaire. Il est parfaitement plausible que
la modification des habitudes alimentaires contribue à freiner l’évolution de la maladie une
fois le diagnostic de cancer de la prostate établi,
ou encore à réduire le risque de récurrence
après une prostatectomie ou une radiothérapie.
L’une des principales différences
alimentaires entre Occidentaux et
Asiatiques est leur consommation de
gras. Le Nord-Américain moyen tire de
35 à 40 % de son apport calorique total
des matières grasses, contre 20 à 25 %
pour son vis-à-vis asiatique. Des études
montrent que les hommes atteints de
cancer prostatique tendent à consommer plus de gras que ceux qui en sont
exempts. Et les gras saturés (provenant
d’animaux, comme dans la viande et le
fromage) élèveraient davantage le
risque de cancer que les gras insaturés
(d’origine végétale). Une étude menée à
Québec auprès d’hommes souffrant du
cancer de la prostate et qui consommaient beaucoup de corps gras saturés
a démontré que leur tumeur croissait
trois fois plus vite. Le message, ici, est
très clair: ramenez l’apport calorique
provenant des gras
à 20-25 %, et
consommez
moins de
gras d’origine
animale.
r
Le sélénium
La vitamine E
Aussi appelée alpha-tocophérol, la
vitamine E est un antioxydant présent à
l’état naturel dans les huiles végétales
(d’arachides, d’avocat, etc.) ou d’autres
huiles de cuisson. Pour consommer
suffisamment de cette matière grasse
tout en suivant un régime faible en
gras, il faut parfois recourir à des suppléments (extraits naturels).
On n’a établi la relation entre la
vitamine E et la prévention du cancer
prostatique que dans les années 1990,
lors d’un vaste essai misant sur cette
vitamine pour réduire l’incidence du
cancer du poumon. Ce fut un échec,
mais on a observé que le risque de
cancer de la prostate, lui, avait reculé
de 30 % au bout de quatre ans. Mieux
encore, le risque d’en mourir avait chuté
de 41 % après six ans. Ces données sont
particulièrement crédibles puisqu’il
s’agissait d’un essai randomisé — les
participants qui prendraient la vitamine
E ou un placebo (sans aucun médicament) étaient sélectionnés de façon
aléatoire, « au hasard ». Une recherche
torontoise a également montré que la
vitamine E inhibe la croissance des
cellules prostatiques cancéreuses.
Plusieurs essais examinent présentement la vitamine E sous l’angle de la
prévention. En attendant leurs conclusions, si vous n’êtes pas admissible à
de tels essais, vous pourriez prendre
de la vitamine E à raison de 400 à
800 UI (unités internationales) par jour.
Comme les terres agricoles ne renferment pas toutes des concentrations
égales de sélénium, il est difficile de
maintenir un apport régulier de cet
oligo-élément dans l’assiette. Tel
légume poussé au Brésil peut avoir une
forte teneur en sélénium alors que le
même légume produit au Canada en
contiendrait bien peu. Les sols canadiens sont pauvres en sélénium. En fait,
seules les noix du Brésil en contiennent toujours abondamment, mais on peut en
trouver sous forme de supplément vitaminique.
L’utilité du sélénium dans le cancer de la prostate a émergé d’une étude portant
sur la prévention du cancer de la peau, auprès de 1 200 hommes. Dix ans plus tard,
on a constaté que le sélénium ne prévenait pas le cancer cutané mais que le risque
de cancer prostatique était de 66 % inférieur chez les hommes qui avaient reçu cet
oligo-élément plutôt que le placebo. Ici encore, l’intérêt et la validité des résultats
tiennent au fait qu’il s’agissait d’un essai randomisé. Par ailleurs, des études en laboratoire, dont certaines menées à Toronto, ont démontré que le sélénium ralentissait
la croissance des cellules prostatiques cancéreuses. On considère qu’à 200 microgrammes par jour, les suppléments de sélénium ne présentent aucun danger.
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Le soya
Les lycopènes
Manger des tomates abaisse le risque
de cancer, tous types confondus. Celui
du cancer de la prostate, en particulier,
diminue de 33 %. Les tomates sont
riches en lycopène — ce pigment qui
leur donne leur couleur rouge est aussi
un antioxydant puissant. D’autres fruits
à chair rouge (melon d’eau, goyave,
etc.) en contiennent aussi, mais pas les
tomates jaunes.
Les tomates cuites ou préparées —
en sauce, jus, soupe ou pâte —
offrent beaucoup plus de lycopènes
biodisponibles que les tomates crues.
C’est que la cuisson, en brisant leurs
membranes cellulaires, facilite leur
absorption. Un rien d’huile dans la
sauce ou la soupe aidera aussi la
digestion.
La plupart des suppléments dont on
vante la teneur en lycopènes n’en renferment en réalité que très peu : de 2 à
5 mg, bien loin du compte de 30 à 50 mg
dont vous avez besoin tous les jours,
de source alimentaire ou sous forme
de supplément.
Les Asiatiques sont de grands consommateurs de soya, lequel contient des estrogènes
naturels appelés phytoestrogènes ou
isoflavones. Étant donné la sensibilité du
cancer de la prostate aux androgènes, la
consommation d’estrogènes serait
théoriquement bénéfique. Les isoflavones
inhibent également les mécanismes de formation des nouveaux vaisseaux sanguins
nécessaires à la croissance de la tumeur ou
à l’apparition de métastases (d’autres sites
du corps où les cellules prostatiques cancéreuses essaient de s’enraciner).
Les épiceries et les magasins d’aliments
naturels offrent maintenant différents produits à base de soya, y compris des suppléments en poudre.
La vitamine D
Stéroïde plutôt que vitamine à proprement parler, la vitamine D est importante
pour le métabolisme du calcium et la
santé osseuse. De plus en plus de données indiquent qu’elle contribue à combattre plusieurs cancers, dont celui de la
prostate, en détruisant les cellules cancéreuses et en freinant leur prolifération.
L’exposition au soleil et les produits
laitiers enrichis en sont les principales
sources.
De nombreux Canadiens âgés présentent une certaine carence en vitamine D,
surtout durant l’hiver. En outre, les aliments riches en calcium nuisent à la
production naturelle de vitamine D par
le corps. Et bien que le calcium soit
bénéfique, il ne faut pas en abuser...
C’est pourquoi l’exposition raisonnable
aux rayons solaires est recommandée !
Vous pourriez aussi prendre des suppléments de vitamine D, à raison de 400
à 1000 UI par jour.
Et la liste continue…
Remplacer le bœuf gras par du tofu dans votre hamburger, consommer des tomates sans restriction, bonifier votre alimentation quotidienne par des suppléments de vitamine D ou de sélénium : ces indications aident à prévenir l’apparition ou à ralentir la croissance du cancer
de la prostate, comme l’ont confirmé de solides recherches scientifiques. D’autres aliments, moins étudiés, n’en méritent pas moins une
mention honorable: le vin rouge (avec modération), le thé vert, l’ail et les crucifères tels que le brocoli et le chou-fleur.
Pas de miracle instantané
Les études à venir permettront de prouver hors
de tout doute la valeur anticancéreuse de ces
nutriments. Et la participation à un essai clinique
portant sur la nutrition intéressera quiconque
veut mieux comprendre le lien entre cancer et
alimentation. Mais aucun aliment ou supplément,
à lui seul, ne peut compenser des habitudes de vie
déplorables pour la santé. Un mode de vie sain
comporte certainement d’arrêter de fumer et de
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faire de l’exercice. Le bon sens exige aussi de porter
attention à la dose et à la qualité des suppléments
que l’on prend. Tenez-vous-en aux marques reconnues, et évitez les excès — la surconsommation
de certains aliments ou vitamines peut entraîner
des effets nocifs. Finalement, parlez donc de vos
suppléments de vitamines et minéraux avec votre
médecin pour éviter toute mauvaise interaction
avec les médicaments que vous prenez peut-être
pour le cancer ou une autre maladie.

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