Enjeux stratégiques et organisationnels

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Enjeux stratégiques et organisationnels
NORME IFRS 9 – INSTRUMENTS FINANCIERS
Enjeux stratégiques
et organisationnels
Pierre-Yves
Curtet
Associé
Equinox-Cognizant
Le 24 juillet 2014,
l'International Accounting
Standards Board (IASB)
a achevé le dernier élément
de sa réponse globale
à la crise financière,
publiant la version finale
de la norme « IFRS 9
– Instruments financiers »,
en remplacement de la
norme « IAS 39 – Instruments
financiers : comptabilisation
et évaluation ». La mise
en œuvre de cette norme
ne se limite pas à un exercice
comptable, mais recèle
des enjeux en termes
de coûts, d’organisation
des SI et de business model.
L
’IASB a achevé sa réponse globale à la crise financière il y a
plus d’un an en publiant la version finale de la norme IFRS 9
– Instruments financiers qui vise à
résoudre les difficultés liées à IAS
39, parmi lesquelles :
−− l’approche « Fair Value – Juste
Valeur », qui permet la prise en
compte de la valeur de marché lors
de la valorisation des instruments
financiers. En période de crise, ce
principe impose la dépréciation
immédiate dans le compte de résultat
des pertes latentes. L’approche Fair
Value qui induit volatilité du résultat
et potentiellement procyclicité n’est
pas pour autant remise en cause. La
norme vise à rendre plus lisible la
classification, limiter les arbitrages
opportunistes entre classes d’actifs
et mettre en adéquation l’évolution
du risque de crédit avec la dynamique
de provisionnement (jugée insuffisante et trop tardive) ;
−− l’absence de référentiel au business
model de l’entreprise.
La norme en cours d’adoption par
l’Union européenne devra être mise
en application au 1er janvier 2018. Elle
regroupe les trois phases qui ont
constitué le projet : « Classification
et évaluation », « Dépréciation » et
« Comptabilité de couverture »[1].
Le champ d’application d’IFRS ​9
est semblable à celui d’IAS 39 : il
concerne toutes les entités et tout
type d’instrument financier (hors
exceptions citées dans IAS 39 et le
cas des droits et obligations résultant d’IFRS 15).
DEUX PHASES
DANS LE PROJET
l Phase 1 – Une nouvelle méthodo-
logie de classification et évaluation
des actifs financiers
La classification détermine la façon
dont les actifs sont comptabilisés
dans les états financiers ainsi que
leur évaluation continue. Les points
clés introduits par la norme sont :
−− la réduction du nombre de catégories d’actifs : trois au lieu des quatre
proposées par IAS ​39 (coût amorti,
juste valeur par capitaux propres et
juste valeur par résultat, qui devient
la catégorie par défaut) ;
−− ​la classification selon deux critères : le modèle économique et les
caractéristiques des flux de trésorerie des actifs financiers considérés ;
−−l​ a nécessité pour les établissements
financiers d’élaborer dorénavant un
diagnostic comptable de leur portefeuille plus poussé.
Ainsi, la principale amélioration
apportée par la norme IFRS 9 sur ce
volet concerne l’homogénéisation de
la classification et de l’évaluation des
actifs financiers.
l Phase 2 – Une nouvelle approche
[1] Cet article n’aborde pas le volet dédié à la
comptabilité de couverture, celui-ci n’étant pas
encore stabilisé (la macrocouverture fait l’objet
d’un projet dédié au niveau de l’IASB).
de provisionnement impactante
Le second volet de la mise en œuvre
de la norme concerne les prêts, les
engagements hors bilan (notamment
février 2016 no 793
Revue Banque
47
risques
&
réglementation
1. NORME IFRS 9
IAS 39
Sains
non sensibles
IRFS 9
Provisions filières/
sectorielles
Sains
non sensibles
Sensibles
EL* comptables à
maturité (provisions
collectives)
Douteux
Pertes à maturité
(provisions individuelles)
ECL** à 1 an
ECL** à maturité
Sensibles
Pertes à maturité
(provisions individuelles inchangé)
Douteux
*EL : Expected Loss ; **ECL : Expected Credit Loss.
les garanties) et les titres de dettes.
IFRS 9 substitue au modèle de perte
encourue d’IAS 39 un modèle unique
de dépréciation, prospectif, fondé
sur les « pertes attendues ». Elle
introduit également de nouveaux
concepts tels que :
−− l’ECL (Expected Credit Loss) basée
sur une PD et une LGD[2] « Point in
Time  », par opposition à l’EL (Expected Loss) bâloise « Through the cycle » ;
−− l’intégration du concept de «
Forward looking data  », qui réclame
d’intégrer des données prospectives pour apprécier les paramètres
de défaut ;
−− la prise en compte d’une dégradation significative du risque de crédit
(passage du « Bucket 1 – sains non
sensibles » au « Bucket 2 – sensibles »)
durant toute la vie du contrat.
La norme IFRS 9 introduit ainsi une
transformation radicale via la mise
en place d’un modèle unique et prospectif dès la création du contrat (voir
Schéma 1).
“
Le dispositif de provisionnement
basé sur une « Probability of default »
et une « Loss Given Default » converge
vers les modèles bâlois, mais il conserve
de fortes spécificités.
”
Les impacts engendrés par la
réévaluation des actifs financiers
La simplification proposée par le
volet comptable exige de nombreuses
reclassifications d'actifs. L’ampleur
des impacts variera selon la nature
des instruments financiers détenus
ou des choix exercés. Les méthodes
d’évaluations retenues influenceront
« Forward looking »/« Through the cycle »).
Dès lors, deux options s’offrent aux
établissements : favoriser la cohérence Risques/Finance en utilisant
le modèle IRB et en l’adaptant aux
contraintes IFRS9 ou construire un
dispositif dédié non contraint par
les aspects prudentiels. On a pu,
dans un premier temps, envisager
de concevoir des dispositifs spécifiques, avec pour ambition de les
faire converger une fois la norme
mieux établie. Toutefois le recours à
plusieurs définitions (norme IFRS9,
normes prudentielles) pour des indicateurs de même nature (EAD[3],
[2] Probability of Default ; Loss Given Default.
[3] Exposure at Default.
LES PREMIERS IMPACTS
IDENTIFIÉS SUITE À LA MISE
EN ŒUVRE DE LA NORME
l
48
notamment la volatilité du compte
de résultat, ou encore le niveau de
la réserve de liquidité (High Quality
Liquid Asset).
l Les impacts suite à la mise en
œuvre d’un modèle de provisionnement prospectif
Le dispositif de provisionnement basé
sur une PD et une LGD converge vers
les modèles bâlois, mais il conserve
de fortes spécificités (prise en compte
de l’amortissement dans l’EAD, retrait
des marges de prudence « downturn »,
Revue Banque no 793 février 2016
PD, et LGD) implique de maîtriser
les causes de divergences. Les difficultés sont encore plus grandes pour
les banques en approche standard
n’ayant pas développé de modèles
bâlois. Sur ce périmètre, des échanges
sont en cours avec le régulateur.
À terme, la mise en place d’IFRS9
devrait nécessiter un recalibrage du
dispositif bâlois.
Par ailleurs, la notion de « détérioration significative » doit s’appuyer
uniquement sur les indicateurs opérationnels de risques (notation Corporate, pool Retail) qui devront être
mis en cohérence au sein des différents services utilisateurs (équipes
modèles, comptabilité, recouvrement, contentieux…)
Une utilisation renforcée dans le
cadre du provisionnement impactera
les processus de gestion de la notation et de suivi des dossiers (comités watchlist, par exemple). Il faudra
par ailleurs gérer l’adhérence avec
d’autres exigences réglementaires,
telles que l’insertion des notions
« Non-performing Exposure » ou « Forbearance ».
Après la première application, comme
le souligne Sébastien Rérolle, en
charge du projet Impairment au sein
des Risques chez BNP Paribas, la
variation des provisions sera attribuable à deux sources distinctes :
−− d’une part, à la variation de l’EL
qui pourra néanmoins être anticipée puisqu’elle doit être en ligne
avec les projections réalisées par le
management ;
−− d’autre part, à la détérioration du
2. IMPACTS ORGANISATIONNELS
Estimated impacts
Provisions
Estimated impacts
SI
Estimated impacts
Orga
Retail Banking
++++
+++
+++
Private Banking
+
+++
+++
Corporate Banking
++
+++
+++
Impacts estimés, à date, par des établissements de la Place.
risque de crédit dont l’impact sur la
volatilité des provisions reste difficile à estimer en l’absence de recul
sur ce nouveau concept.
l Les impacts organisationnels
Bien que la norme publiée par l’IASB
soit « comptable », elle induit des évolutions au niveau de l’organisation
des établissements en impliquant
à la fois les fonctions Risques et
Finance (coordination des processus
de production des reportings comptables et réglementaires, révision
des contrôles existants, etc. – voir
Schéma 2).
LES ENJEUX À VENIR POUR LES
ÉTABLISSEMENTS FINANCIERS
l Les enjeux économiques…
Afin d’ajuster l’ampleur du projet aux
effets potentiels induits, les établissements se sont lancés dans des exercices de simulation intensifs. Tout
en respectant les jalons fixés par le
régulateur, l’objet est de définir au
mieux les périmètres et les méthodes
à mettre en place, ainsi que l’impact
associé en termes de provisionnement. L’estimation du coût de mise
en œuvre doit prendre en compte le
fait que de nouveaux processus et
contrôles seront requis, des modèles
inédits déployés et potentiellement
de nouvelles données collectées. Il
convient enfin que budgets évaluent
les ressources nécessaires sur toute
la durée de vie du projet (3 ans en
moyenne).
l Les enjeux systèmes et données…
La question de la donnée, de son
exhaustivité, de sa qualité, de son
historique, de son délai de production et d’analyse est un enjeur majeur.
Toutes les données requises ne sont
pas disponibles de manière systématique dans les systèmes (i. e. échéanciers, taux d’intérêt effectif, notation
à l’origine et à date de reporting…).
L’application de cette norme, par la
convergence de certains processus
Risque/Finance qu’elle induit, repose
la question de la mise en œuvre d’un
SI mutualisé réduisant d’autant les
incohérences potentielles entre les
univers risques, prudentiel et comptable et permettant de s’aligner avec
les exigences réglementaires sur la
qualité des données telles que le BCBS
239[4]. Ainsi, on observe d’ores et
déjà une accélération de chantiers
tels que la mise en place de référentiels communs ou encore la redéfinition des rôles et responsabilités
au niveau de la donnée.
l Les enjeux métier/business model
La norme engendrera directement
ou indirectement des évolutions
au sein du business model de chaque
établissement par son impact sur
le montant des provisions et donc
la charge du risque et le besoin en
capital. Les simulations en cours
doivent éclairer les établissements
sur ces impacts par métier et ainsi
permettre d’identifier les zones de
forces et de faiblesses avant de faire
[4] Règle 239 du Comité de Bâle sur le contrôle
bancaire publiée le 9 janvier 2013 constituée
de 14 principes (dont 11 pour les institutions
bancaires et 3 pour les régulateurs) pour renforcer
la capacité des banques à agréger les données
risques et à améliorer les pratiques de reporting.
évoluer leur portefeuille le cas échéant
(e. i. cessions d’actifs, restructurations, etc.). On anticipe que certains
secteurs tels que le financement des
PME devraient concentrer ces effets
et seront potentiellement pénalisés.
Un autre enjeu consistera à gérer
la communication financière et les
divergences de normes à l’échelle
internationale.
CONCLUSION
La mise en œuvre d’IFRS 9 n’est pas
qu’un exercice comptable et se révèle
être structurante pour l’ensemble des
métiers. pour se préparer aux bouleversements qu’elle implique, il est
indispensable de démarrer le projet
d’implémentation par une phase
“
L’application de cette norme, par la convergence de
certains processus Risque/Finance qu’elle induit, repose la
question de la mise en œuvre d’un SI mutualisé réduisant
d’autant les incohérences potentielles entre les univers
risques, prudentiel et comptable.
”
d’analyse de la norme au regard
des impacts. Dans un contexte où
la mise en qualité des données et la
robustesse des architectures système
des directions Finance et Risques
sont au cœur des préoccupations,
la contrainte réglementaire de mise
place de la norme IFRS 9 peut constituer une opportunité d’accélérer le
déploiement de systèmes communs,
supportant les processus partagés
par les deux fonctions. n
février 2016 no 793
Revue Banque
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