Henri II meurt accidentellement en juillet 1559. Son

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Henri II meurt accidentellement en juillet 1559. Son
SÉQUENCE I / INVECTIVES POÉTIQUES À LA RENAISSANCE
INTRODUCTION 6/6
C. LA QUERELLE ENTRE RONSARD ET LES RÉFORMÉS (C. 1563)
I. LE CONTEXTE RELIGIEUX ET POLITIQUE EN FRANCE
: PREMIÈRE GUERRE CIVILE
Henri II meurt accidentellement en juillet 1559. Son fils aîné, François II, lui succède.
Mais il n’est âgé que de 15 ans. Il est bien jeune pour régner pleinement et il délègue le
gouvernement du royaume à ses cousins catholiques, les Guise. Les Réformés sont insatisfaits
de la tournure que prend la politique du pays. Les tensions montent d’un cran.
Dès mars 1560 a lieu la conjuration d’Amboise (également appélée « tumulte
d’Amboise »). Certains nobles réformés prennent les armes dans l’intention d’enlever le roi
pour le soustraire à l’influence des Guise et obtenir le procès de ces derniers. Cette
conjuration mal préparée échoue. Ceux qui avaient fomenté l’attaque du château d’Amboise
sont faits prisonniers. La répression est immédiate et violente. Elle laisse des traces très
douloureuses dans la mémoire protestante.
Dans les mois qui suivent, pourtant, certains hommes influents dans le royaume essaient
encore de contrôler la montée des tensions, de trouver des compromis qui permettent de
dénouer le conflit qui est de plus en plus fort. C’est par exemple le cas de Michel de
L’Hospital (dont on a déjà vu qu’il s’était également employé à apaiser la querelle entre
Ronsard et Saint-Gelais).
Mais très vite, le royaume est de nouveau confronté à une situation délicate et
périlleuse : François II, de santé fragile, meurt le 5 décembre 1560. C’est son frère, Charles
IX, qui doit lui succéder. Mais il est encore plus jeune : il n’a que dix ans. Sa mère, Catherine
de Médicis, est nommée gouvernante du royaume (régente).
Pendant les mois qui suivent, la situation est embrouillée, aussi bien sur le plan
religieux que sur le plan politique. On note des hésitations entre une orientation fermement
partisane en faveur des catholiques, et une autre tolérante à l’égard des idées nouvelles. Le
spectre d’une guerre civile menace, chacun en prend conscience.
C’est le massacre de Wassy, en Champagne, le 1er mars 1562, qui va faire basculer la
France dans le conflit ouvert. Rappelons-en brièvement les circonstances et les faits.
François de Guise, chef de la maison de Lorraine, catholique intransigeant, rentrait d’un
voyage diplomatique. Il était accompagné de deux cents cavaliers. En chemin, ils font une
étape à Wassy. C’est un dimanche matin, ils ont décidé d’entendre la messe. Or ils constatent
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qu’a lieu, à l’intérieur de la ville un prèche calviniste réunissant 600 personnes, alors que la
loi imposait que ce type de culte réformé ne puisse avoir lieu qu’à l’extérieur des villes.
Chargés de s’informer de la situation, les hommes du duc ne tardèrent pas à
échanger des injures avec les réformés, qui répondirent à coups de pierres.
L’assaut fut donné contre la grange où ces derniers se tenaient.
L’affrontement fit, selon les estimations, vingt à cinquante morts, dont un
enfant et cinq femmes, et plus d’une centaine de blessés. (Olivia Carpi, Les
guerres de religion, Ellipses, 2012, p. 150).
Certes, ce n’était pas la première fois qu’un tel drame survenait (à Cahors, le 19
novembre 1561, on avait déjà déploré une cinquantaine de morts en des circonstances
analogues) et l’attaque n’avait sans doute pas été préméditée. Mais c’était la première fois en
revanche qu’un personnage aussi important que le duc de Guise était mêlé à de telles
exactions. C’est ce qui donne un particulier retentissement au massacre et met le feu aux
poudres.
II. LA QUESTION DE L’ENGAGEMENT DE RONSARD
a. Ronsard, un catholique modéré tenant de l’ordre
Ronsard s’est constamment gardé, jusqu’à cette première guerre civile, de prendre
position sur les questions religieuses pourtant centrales à cette époque. Certes, officiellement,
il est détenteur de fonctions religieuses catholiques. Dès 1543 (à 19 ans), il reçoit la « petite
tonsure », c’est-à-dire la marque des ordres mineurs qui lui garantissent des bénéfices
ecclésiastique à vie. Depuis 1558, il est également aumônier du roi. Mais il ne dit pas la
messe, par exemple. Ces titres sont plus des garanties sociales que le signe de convictions
spirituelles militantes. D’ailleurs, dans le même temps, il écrit des poèmes plus inspirés de
l’antiquité païenne que des évangiles, ainsi que des chants amoureux parfois très sensuels.
Cela nous étonne, mais ce n’est pas inhabituel en son temps.
Sur le plan spirituel, il est catholique mais pas « intégriste ». Il écrit souvent que ce qui
le lie d’abord à l’Église romaine c’est la tradition familiale : il ne voit pas l’intérêt de rompre
la tradition de ses aïeux en changeant de confession religieuse. Au-delà de la dimension
religieuse, sur un plan politique, il lui semble surtout capital de ne pas provoquer de
désordres : puisque la monarchie française est catholique, il ne faut pas prendre le risque de la
déstabiliser en changeant cela. Pour autant, il n’est pas d’abord violemment hostile aux
Réformés. Il compte même parmi eux quelques amis (par exemple, jusqu’en 1560, Jacques
Grévin).
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b. Jusqu’en 1561, un prudent silence
Pendant longtemps, il évite donc de parler de ces sujets religieux particulièrement
sensibles, il ne s’engage pas dans un camp. Ainsi, il déplore en 1559 l’exil du protestant
Théodore de Bèze à Genève et fréquente encore à cette date des humanistes de tous bords. Il
offre aussi des pièces liminaires pour les œuvres de Jacques Grévin ou de Pierre Hamon, tous
deux réformés. Et, surtout, en 1560-61, tandis que les tensions s’accroissent, il garde un
complet silence sur ces questions. Comment interpréter cette prudente réserve, à laquelle ne
nous avait pas habitués l’impulsif Ronsard ?
 Est-ce dû à son incapacité à écrire en cette période ? (il se dit en panne
d’inspiration, après avoir beaucoup publié pendant les premières années de sa
carrière)
 Est-ce une preuve de désintérêt pour la chose publique ?
 Ronsard peine-t-il à déterminer son camp ?
 Manifeste-t-il par ce retrait ses qualités d’homme de cour aguerri et prudent,
évitant de prendre parti avant que la situation ne commence véritablement à
s’éclaircir ?
Le critique Daniel Ménager, qui s’est intéressé à ce « “silence” de 1560-1561 dans l’œuvre
de Ronsard », montre que :
 le poète a eu le souci de maintenir une forme d’unité dans la « bande » dont il se
veut le chef de file, et qui compte en ses rangs des hommes aux convictions
religieuses variées.
 Surtout, ce silence est en plein accord avec les prescriptions royales. On tente
encore d’apaiser les tensions et le poète, qui met sa plume au service du pouvoir
royal, se conforme à cette politique en ne jetant pas d’huile sur le feu.
Il conçoit son rôle de poète à la cour comme celui d’un serviteur des puissants, mettant
son talent d’écrivain et sa plume au service de la politique royale, comme d’autres leurs
épées.
c. Les Discours, une entrée progressive dans un engagement plus politique que religieux
Lorsque la première guerre civile commence, il est temps pour Ronsard de faire
entendre sa voix. Il compose plusieurs discours, parus en plaquettes, dans lesquels il dit son
attachement à l’ordre et à la politique royale. Les premiers textes sont encore modérés, puis se
durcissent au fur et à mesure que la situation s’aggrave. Pour ne donner qu’un exemple de
cette radicalisation, Ronsard préconise en 1560 de s’attaquer à l’adversaire « par livres »
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(« Par livres l’assaillir, par livres luy respondre »), plaçant le combat sur le terrain des mots et
des idées. Mais deux ans plus tard il corrige ce vers de la façon suivante : « Par armes
l’assaillir, par armes luy respondre ».
III. LES ATTAQUES DES RÉFORMÉS, POUR LA PLUPART ANONYMES
Ce soutien apporté au pouvoir par le poète considéré assez largement comme le meilleur
de son temps est remarqué, dans son camp, comme dans le camp adverse. Les réformés ont
tout intérêt à décrédibiliser ce « maître joueur de la poésie françoyse ». Plusieurs d’entre eux
font paraître, fin 1562 – 1563, des poèmes satiriques et violents prenant Ronsard pour cible, la
plupart du temps sous couvert d’anonymat.
Voir document complémentaire. Ce que l’on reproche à Ronsard :
-
c’est d’abord son manque de sincérité dans l’engagement

on le traite de menteur, d’hypocrite,

mais aussi de fou (voir 2)

on affirme qu’il ne prend le parti des catholiques que par intérêt
personnel, sans réelle conviction (pour assurer sa pitance).

-
On va jusqu’à l’accuser d’athéisme, voire de paganisme.
On critique aussi certains de ses traits de caractère peu valorisants, par exemple,
son « outrecuidance » (prétention).
-
On fait courir le bruit qu’il cherche à être nommé évêque pour accumuler plus
qu’il n’en a déjà des bénéfices ecclésiastiques
Le ton de ces attaques est bien sûr très violent sur un plan métaphorique, mais pas seulement.
Voir la chute terrible du dernier extrait, certes resté à l’état manuscrit, mais symptomatique de
la haine que focalise chez les réformés la personne de Ronsard : « peu d’heure j’emploie [à] /
essayer de le guérir, ou faire tant qu’il creve ». L’alternative est sans appel : ou Ronsard se
range aux idées réformés, ou il doit mourir. Nous ne sommes plus simplement là dans
l’expression d’une détestation dont les motifs relèvent de l’ambition sociale, nous sommes bel
et bien dans un contexte de guerre civile où, de part et d’autres, des gens meurent et où la
haine est à son paroxysme.
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SYNTHÈSE DE CETTE PHASE INTRODUCTIVE
 Quels sens donner ici à la « quête du sens » du programme ?
 Quête du sens des mots : par l’image, créer un univers blessant et agressif pour
s’imposer tout en rabaissant l’autre.
 Quête du sens de sa place dans le monde (se définir et se positionner socialement
et idéologiquement) :
o Dans les groupes de poètes : prendre parti pour se faire des amis en
s’opposant à ceux qui sont leurs ennemis ;
o Dans la société, et spécifiquement à la cour : se faire reconnaître par les
puissants ;
o Dans les groupes religieux : à une époque où les conflits religieux enflent,
prendre position, voire s’engager. Mais ces positions spirituelles, pour les
poètes qui nous intéressent sont aussi, la plupart du temps articulées à des
enjeux politiques.
 Quête d’une forme de pouvoir.
 Agressivité poétique et/ou invective poétique : recentrage de la définition
Au cours de cette introduction, on a vu plusieurs façons de réagir à une agression ou de
la provoquer. On peut considérer, par-delà l’éventail très ouvert des possibilités linguistiques
et poétiques qui peuvent être mises en œuvre à cette occasion, que se dessinent deux grandes
catégories :
1. Le cas d’une violence contenue, maîtrisée, jouant de la fourberie, de la
dissimulation pour mieux blesser (voir Aneau dans le début du Quintil ou encore SaintGelais dans la querelle contre Ronsard). La poésie sert là des intentions blessantes et
injurieuses, mais se trouve-t-on pour autant dans le cadre de l’invective ? Pour le déterminer,
il faut revenir plus précisément à la définition du terme (voir CNRTL / TLFi – Trésor de la
Langue Française informatisé). L’invective y est définie comme un discours violent et
injurieux contre quelqu'un ou quelque chose, une injure proférée avec emportement
2. C’est donc que les textes qui vont nous intéresser dans le cadre de la séquence ne
seront pas seulement ceux qui sont agressifs, humiliants, désagréables, mais plus précisément
ceux qui traduisent aussi, par leur énergie, la vivacité d’émotions passionnées qui s’y
expriment, quelque chose de cet emportement, colérique et/ou haineux, propre à l’invective.
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 Justification du choix des textes de bac et textes complémentaires à venir.
Ainsi, tous nos textes de bac auront en commun de manifester cet emportement :
 Les textes 1 à 3 sont écrits par des poètes de la « Génération Marot » : Marot luimême, Michel d’Amboise et Mellin de Saint-Gelais.
 Les textes 4 et 5 sont composés par deux auteurs majeurs de ce que l’on désigne
comme le groupe de la Pléiade, Du Bellay et Ronsard.
 Les 4 premier mettent en scène une réaction du poète à l’attitude ou aux propos
supposés d’un adversaire qui n’est pas très clairement identifié (hommes ou
femmes envieux et médisants mais qui ne sont pas nommés et qui ne sont peutêtre que des personnages types)
 Le dernier, en revanche, est composé alors que la première guerre civile fait
rage, et désigne plus clairement un adversaire bien réel.
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