GaYs COMME dEs PinsOns - Aline Jaccottet, journaliste
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GaYs COMME dEs PinsOns - Aline Jaccottet, journaliste
360° – JUILLET & AOÛT 2014 Trois homos agressent une femme dans une forêt en pleine nuit. Que lui font-ils ? Deux l’immobilisent et le troisième la recoiffe. Deux fe m dans la mes se rencont rue et s r ’arrêten ent devant l’autre, t l’une extasiée – Comm s. e – Et toi tu es belle! donc, tu – T’es le e s sublim s e ! – Bien s bienne, toi ? ûr que n on! Et t – Moi n oi ? on Et les d plus ! e – Quel ux, en même te dommag mps : e ! 360° – JUILLET & AOÛT 2014 – Q uel en le est la d – S tre un iff ix b h ière étéro érence e s, p lus t un ga ou m y oins ? . Un b capit ateau co m blem aine gay mandai t pa , na ent, r v un m atelo quand to igue pais un - Ca u t t s d’un i’exc pit coup bate aine, Ca lame : , - Oh au s’éc pitaine , h oui o oue l e ! u bate au ! i c’est c hou le Pourquoi vaut-il mie ux être Noir qu’homosexuel ? – Parce qu’il n’y a pas besoin de l’avouer un jour à sa mère. suis part, je « Pour ma el. Mais il faut xu a hétérose bisexuel aître, le le reconn lus de chances le p ) deux fois ». (Woody Allen ir so i d e sam photo © Pierre Vogel Ivan Madonia et Jessie Kobel du Swiss Comedy Club. «Il faut y aller au riromètre» Faire rire sans sarcasme, la tâche est parfois ardue pour les humoristes. Ardue... mais pas impossible. L’humour est universel. Cruel ou défensif, il est une arme à double tranchant pour toutes celles et ceux qui sortent de la norme. Aline Jaccottet T apez « blague+homo » sur Google, et accrochez-vous à votre clavier. Car 90 % de ce que vous verrez à l’écran relève davantage de la plaisanterie homophobe relou (obscène, crade ou bourrée de clichés) que du bon gag. Nous vous avons pourtant déniché quelques perles. Elles révèlent que les gays, comme n’importe quelle minorité – l’humour juif en est un exemple éclatant – font preuve d’une auto-dérision décapante dans les épreuves, la difficulté du comingout revenant à plusieurs reprises dans les exemples choisis. Policier ou polisson Dans sa thèse de doctorat – « L’humour et le rire comme outils politiques d’émancipation ? » – le Québécois Jérôme Cotte distingue deux types d’humour. L’humour policier, c’est celui des dominants: il a pour but de « maintenir les hiérarchies et de figer les identités ». Quant au second type d’humour, il est anarchisant : il cherche à émanciper, refuse l’ordre politique imposé et les classifications sociales. On pense aux blagues antisémites ou juives, aux gags machistes ou féministes… Ceux que nous avons choisis sont plutôt polissons et très anarchistes, car « en riant de sa propre condition, on s’élève en acteur libre, on ne subit plus ses souffrances, puisqu’on est capable d’en rire », selon le mémoire de master de la Française Inès Pasqueron de Fommervault. Guy Bedos l’a bien dit : « l’inverse de l’humour ce n’est pas le sérieux : c’est la soumission ». Rirebellez-vous donc, et bonne lecture ! 18 « En riant de sa propre condition, on s’élève en acteur libre. » J Ivan : Les humoristes sont là pour faire passer un message, mais pas seulement : leur job, c’est de faire rire. Si on ne veut pas blesser, il ne faut pas avoir d’arrièrepensée. D’ailleurs, parmi mes élèves, j’adorerais voir un humoriste gay. Ça amènerait un autre ressenti ! 360° : Le gag passe mieux quand on sent qu’il est tiré d’expériences personnelles? Ivan : Oui, il est plus véridique. Jessie : S’il y a de l’auto-dérision, le public le sent. Ça transparaît dans le jeu, la façon d’amener la vanne... 360° : Et si l’humoriste parle de choses qui ne font pas écho avec son vécu ? Jessie : Alors, ses gags doivent être équitables. A ce titre, Anthony Kavanagh est exemplaire. Dans un de ses sketchs, il rit en quelques minutes de tout le monde, luimême inclus puisqu’à la fin, il dit : comme d’habitude, un Noir travaille et des Blancs s’amusent ! 360° : Avez-vous l’impression de devoir faire davantage attention à vos gags que les générations d’humoristes précédentes ? Ivan : Oui. Avant, c’était moins compliqué... Jessie : C’est peut-être l’influence des médias, le fait que certains humoristes ont peut-être exagéré, et puis on est dans une société plus métissée, plus complexe. Question liberté de ton, on cite souvent Pierre Desproges en exemple mais s’il jouait aujourd’hui, je ne suis pas sûre qu’il serait aussi bien reçu qu’à l’époque. essie Kobel est l’un des plus jeunes humoristes de Suisse romande et Ivan Madonia, comédien, le fondateur du Swiss Comedy Club et de la première formation théâtre et radio spécialisée dans l’humour. Entre deux verres dans un bar lausannois, nous leur avons demandé comment faire rire le public lorsque des sujets tabous sont évoqués. 360° : Sur scène, posez-vous des limites à la liberté d’expression ? Ivan : A condition que tout le monde rigole, notre liberté doit être totale. Le style qu’on pratique, le standup (sketches en solo, ndlr) nous pousse à dépasser les bornes, peu importe le sujet : l’actu, les homos, les blacks... 360° : Comment garder cette liberté de ton sans choquer ? Ivan : Les gags doivent être bien amenés : réfléchis et intelligents, avec une structure qui amène vers une chute drôle. La construction, c’est essentiel. Et la plupart du temps, les humoristes se produisent avec de bonnes intentions: il est rare que quelqu’un monte sur scène pour se venger, se défouler. En tout cas moi, les coups de gueule, ça ne m’intéresse pas. Jessie : En fait, il faut y aller au « riromètre » : plus les gens rient fort, plus on peut ensuite se permettre un gros gag, surtout si on vise une catégorie particulière. La vanne ne doit pas tomber de nulle part. 19 dossier humour dossier humour Gays comme des pinsons 360° – JUILLET & AOÛT 2014 360° – JUILLET & AOÛT 2014 autant d’humour que de personnes Je c r oy a i s q u e l e s carrières artistiques, c’était réservé aux riches. C’est la raison pour laquelle j’ai ouvert un blog en 2007: pour que mes dessins soient accessibles à tout le monde, sans dépenser d’argent. Puis on m’a repéré et Jérôme, mon personnage, un bobo gay qui a une vie un peu compliquée et qui cherche l’amour, est devenu célèbre. Pe n d a n t s i x a n s, l e s réactions homophobes à l’égard de mon travail étaient vraiment marginales : on me faisait plutôt des compliments et je ne recevais de mails d’insultes qu’une à deux fois par mois. J’ai aussi eu des critiques de gays qui me disaient que mon personnage était trop bourgeois, trop « normal », mais après tout, un homo est une personne comme une autre ! C’est en 2013, au moment de la polémique sur le mariage pour tous en France, que l’ambiance est vraiment devenue puante. Voyant que ce sujet déchaînait les passions, j’ai commencé moi aussi à m’exprimer sur les réseaux sociaux, à écrire des articles, commenter des blogs... Et j’ai reçu quantité de courriels haineux m’accusant d’être un monstre, de vouloir « C’est en 2013, au moment de la polémique sur le mariage pour tous en France, que l’ambiance est vraiment devenue puante. » détruire la société. C’était très violent! Moins violent cependant que les appels à la haine que je reçois à cause de mon personnage féminin, la meilleure amie de Jérôme qui est Blanche et vit une histoire d’amour avec un Noir... Est-ce que nous sommes vraiment en 2014 ? L’humour aide les LGBT, comme toute autre minorité, à désamorcer les attaques dont ils sont victimes. Mais il y a autant de formes d’humour que de personnes – et le rire ne peut pas être réduit à sa seule fonction défensive». 20 « On ne roule pas du cul » Les « Lascars gays » font un carton depuis 2006. Leur secret ? S’attaquer aux clichés. R yan (Majid Berhila dans la vraie vie) et Steeve (en réalité Hugues Duquesne) sont des « Lascars gays » depuis 2006, l’année de leur rencontre au Festival international d’expression artistique libre et désordonnée (Fieald). Nommés Buzz Awards 2013 dans la catégorie meilleur humoriste, les deux compères français se jouent des clichés pour faire rire. Steeve nous a accordé un petit entretien entre deux préparations de spectacles. D’où est venue l’idée de monter un duo qui s’appelle les « Lascars gays » ? D’une rencontre dans une boîte lounge de la Bastille à Paris, en 2006. J’étais avec Majid et un mec un peu loubard a commencé à nous mater avec insistance. J’ai dit à Majid: ça va mal finir, dis adieu à ta maman ! Le mec s’est approché, on a pensé ça y est on est morts, c’est la fin... En fait, il voulait juste connaître la marque de mon blouson qu’il trouvait vraiment 21 trop cool, et on a passé une super soirée tous les trois ! Majid et moi, on s’est dit ensuite que cette anecdote portait un message fort: il ne faut pas s’arrêter aux apparences. Et on a essayé d’en faire quelque chose. Est-ce que ça a été difficile de vous imposer ? Oui. Au départ, les producteurs ne voulaient pas nous engager. Ils craignaient qu’on attire un public bagarreur, que nos gags provoquent dossier humour dossier humour « photo © bonne nouvelle production Jeromeuh - de son vrai nom Jérôme Benjani - est un dessinateur parisien reconnu, auteur d’un blog qui met en scène Jérôme, un trentenaire gay. Il raconte comment son art est accueilli par le public. www.network.ch 360° – JUILLET & AOÛT 2014 photo © Florian Cella des problèmes... Mais on n’est ni des lascars qui roulent des joints, ni des homos qui roulent du cul. (rires) On a amené quelque chose de différent, qui a plu. Etoffer son réseau NETWORK - Association suisse de dirigeants gays, vous permet d’étoffer votre réseau privé ou professionnel, et d’offrir vos compétences à la communauté. Interessé? Prenez contact sans tarder avec [email protected] ou [email protected] Avez-vous des limites en matière de liberté d’expression ? On ne fait pas de blagues crues parce qu’on veut pouvoir réunir tout le monde mais à part ça, on ne s’est pas interdit grand chose. Majid et moi, on a d’abord trouvé notre style avant de trouver notre public, et on fait le même spectacle partout, à la Bastille, en banlieue... ou à Genève ! Et ça marche: des enfants, des personnes âgées, des femmes voilées, des lascars viennent nous écouter... Notre public, c’est comme une grande boîte de crayons de couleurs ! Votre humour revêt-il une dimension militante ? Oui. Tout humoriste est là pour véhiculer un message: le nôtre, c’est la lutte contre le communautarisme. Nous voulons faire en sorte que les gens rient ensemble, peu importe leur sexe, leur orientation sexuelle, leur origine ou leur religion. Croyez-vous que votre duo a fait progresser les mentalités ? Je l’espère. En septembre 2011, deux ans avant tout ce débat sur le mariage gay, on voyait des affiches de nous – un Blanc et un Beur – nous tenant la main, partout dans le métro parisien. Ça, c’est une avancée. Et plusieurs fois, deux papas ou deux mamans sont venus nous remercier après le spectacle parce qu’ils avaient pu rire, avec leurs enfants, de blagues qui les concernaient ! Les gens ont marre des stéréotypes. Il faut leur montrer autre chose. dossier humour Dirigeants d’entreprise, cadres, indépendants, hommes politiques, artistes... « Ils craignaient qu’on attire un public bagarreur, que nos gags provoquent des problèmes... » Marie-Thérèse est comme le père Noël Vingt et un ans que Marie-Thérèse Porchet existe. Son interprète Joseph Gorgoni, a longtemps brouillé les pistes de l’identité de son personnage. « Tout a commencé par un simple sketch. Je voulais faire rire, mais je ne pensais pas me travestir sur le long terme », avoue Joseph Gorgoni qui a pourtant assuré un nombre incalculable de représentations, de « La truie est en moi » en 1996 à 23 « Marie-Thérèse Porchet, 20 ans de bonheur ! » en 2013. « Mon personnage parle à plein de gens, c’est un vrai mystère. Il suscite des réactions épidermiques, en bien ou en mal », souligne le comédien qui a reçu beaucoup de compliments mais 360° – JUILLET & AOÛT 2014 aussi, des menaces de mort : « le fait qu’un homme se travestisse dérangera toujours quelqu’un ». La « dame garçon » Pourtant, Joseph Gorgoni, réussissant sa transformation à la perfection, le public (dont l’auteure de cet article d’ailleurs) croit longtemps que Marie-Thérèse est vraiment une femme. « Elle fait illusion aussi bien que le père Noël ! », s’amuse l’humoriste. Et de citer ce petit garçon venu le voir après une représentation, s’exclamant : « maman regarde, c’est la dame garçon ! » « Marie-Thérèse est un homme, mais chuuut... ne le dites surtout pas aux enfants », glisse-t-il avec un sourire. Christian-Christophe Sur scène, le comédien de 48 ans se pose des limites. « Je suis obligé de faire attention, parce qu’il y a des enfants dans le public. J’évite les sujets délicats comme la maladie, par exemple, même si Marie-Thérèse peut se permettre beaucoup de choses grâce à l’exagération et à l’humour ». Homosexuel, Joseph Gorgoni ne revendique pas une posture militante, même s’il apprécie de faire évoluer les mentalités. « Quand le fils de Marie-Thérèse, Christian-Christophe, a fait son coming-out, certains spectateurs gays ont saisi l’occasion de le faire « Le fait qu’un homme se travestisse dérangera toujours quelqu’un. » aussi. Suite à ce spectacle, j’ai reçu quantité de lettres et de témoignages », raconte-t-il. Se faire une carapace Faire de l’humour pour mettre les sujets graves à distance est un exercice essentiel pour Joseph Gorgoni. « Entre potes, on s’envoie des horreurs sans problème, parce qu’on sait qu’on n’en croit pas un mot. Si un inconnu me lançait les mêmes vannes, elles résonneraient bien différemment. Au fond, quand on n’est pas dans la norme, il faut se faire une carapace. Et ça passe par le rire », conclut-il. Retrouvez Marie-Thérèse Porchet, Océanerosemarie et Marie Némo dès le 12 septembre dans le cadre du festival Ainsi Soit’L à Lausanne. 25 POUR aller plus loin BDs de Jeromeuh: « Un garçon au poil », éditions Jungle, 2014 « Les gens normaux », éditions Casterman, 2013 « Les petites histoires viriles », éditions Delcourt, 2011 Sites Internet à explorer: www.swisscomedyclub.ch http://jeko-blog.jimdo.com www.jeromeuh.net www.leslascarsgays.fr Retrouvez en page 36 un dossier dédié à la bande dessinée ! dossier humour photo © Steeve Iuncker