Le « placard » s`institutionnalise

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Le « placard » s`institutionnalise
12 MAI 06
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MANAGEMENT • ressources humaines
Le « placard » s'institutionnalise
• Expression d'un abus
de pouvoir, la mise à l'écart
de salariés, de cadres
et de dirigeants n'en reste
pas moins une pratique
courante.
• Elle s'inscrit même
parfois de manière quasi
institutionnelle dans
les mœurs managériales.
>
A
l'heure où la situation des salariés
et des cadres s'orchestre autour
d'un axe bipolaire sur-travail/sous-emploi, le désœuvrement imposé, couramment appelé « placard », apporte
des éléments d'éclairage sur les codes
managériaux.
Les « placardisés » échappent à tout
bilan statistique. Ds ne figurent pas davantage au bilan social des entreprises.
La mise au placard constitue pourtant
un abus de pouvoir de la part de l'employeur qui, en contrepartie de ses
prérogatives disciplinaires, a l'obligation de fournir a ses salariés du travail
et les moyens matériels de l'exercer.
Faute de quoi, il peut se retrouver devant les prud'hommes pour exécution
fautive du contrat de travail ou devant
le juge administratif pour détournement de pouvoir. La loi du 17 janvier
2002 assimile le placard à une forme de
harcèlement moral. Dans les faits, il
est toujours vécu comme tel. « Tant
qu'on ne touche pas au sade du contrat de
travail, la Cour de cassation se montre très
souple. On peut évoquer le harcèlement,
mais il faut pouvoir le prouver », remarque François Taquet, avocat et professeur à l'ESC Tours-Poitiers. À cet
égard, les clauses de mobilité signées
par les salariés à leur prise de poste protègent les employeurs en autorisant le
réaménagement du périmètre des
postes de travail. En somme, le placard est si solidement inscrit dans les
normes qu'il bénéficie de dispositions
contractuelles favorables.
Certaines fonctions seraient même
adaptées à recueillir les cadres et dirigeants en disgrâce. Exemple : l'infla-
OPTEAMAN
2738786000508/RG/MKA
tien des postes de chefs de mission ou
de conseillers spéciaux. Autre pratique,
le système de l'intercontrat, qui concernerait 15 % des salariés des SSII et près
de 30 % de ceux des cabinets de conseil
et permet aux entreprises de garder au
« IL S'AGIT
chaud des salariés sans mission, en attendant une reprise des pics d'activité.
DE POUSSER
Placard ou manifestation d'une incurie
LES COLLABORA- dans la gestion des compétences ? La
frontière est ténue. « La restriction du rok
TEURS JUSQU'À
fonctionnel et de l'espace de lne releve de la
sphère individuelle. Elle n'entre pas dans
UN CERTAIN
les priantes des politiques RH, qui gèrent
SEUIL PSYCHOle global, la masse », commente Nathalie Bouscasse, consultante à la Cegos.
LOGIQUE AFIN
Le placard ne s'ouvre jamais par haDE NÉGOCIER
sard. « La motivation la plus fréquente est
UNE SÉPARATION d'ordre économique : il s'agit de pousser
les collaborateurs jusqu'à un certain seuil
AMIABLE. »
psychologique afin de négocier avantageusement une séparation "amiable". »
Ce mode de gestion satisfait les intérêts à court terme de l'entreprise. Mais
les motivations et les causes mécaniques d'une mise à l'écart sont multiples : conflit personnel entre l'em-
Eléments de recherche : OPTEAMAN : cabinet de recrutement, toutes citations
ployeur et le salarié, effets collatéraux
de l'arrivée de dirigeants flanqués de
leur garde rapprochée, relégauon par
l'âge ou prise de distance par rapport
aux objectifs ou à une ligne politique.
«Jusqu'aux années 70, les entreprises ont
été gérées dans une culture patriarcale où
le placard sanctionnait ceux qui transgressaient les codes d'honneur, explique
Nathalie Bouscasse. Aujourd'hui, la
culture est plus contractuelle qu 'honorifique
et le couperet tombe sur ceux qui ne respectent pas le contrat de performance. »
« S'il y a une exigence qui prévaut aujourd'hui dans l'expression des aspirations,
c'est bien l'utdité. Les candidats que nous
recevons veulent être impliqués dans la vie
de l'entreprise », explique Philippe Cirier, du cabinet de recrutement Opteaman. Prétention souvent frustrée
par une restriction de la liberté d'action
dans l'entreprise et r obligation de
rendre des comptes. Écrasement des
strates hiérarchiques oblige, les managers se retrouvent avec des effectifs à
gérer toujours plus importants. Les salariés doivent de ce fait apprendre à se
manager eux-mêmes. Entreprise d'autant plus difficile que la pression imposée à l'ensemble du corps salarial génère une perte générale de repères qui
peut inciter chacun, à tout moment, à
jeter l'éponge. « En France, on a tendance
à subir son poste plutôt que d'être proacaf»,
affirme Philippe Cirier.
Solution médiane. Pour les employeurs, le placard peut apparaître
comme une solution médiane, mâtinée
de prudence. Le placard peut être envisagé comme un pis-aller pour des directions qui ne veulent pas prendre le
risque de voir se réveiller le moindre
contre-pouvoir. Cette stratégie n'est
pas sans revers : une fois en quarantaine, le « relégué » a tout le temps
d'activer ses réseaux internes et externes. Pour certains, la mise à l'écart
des sphères d'action et de décision
agit même comme un cadre de ressource. Ce, malgré la persistance de
codes managériaux français qui confèrent aux ruptures un caractère radical,
voire définitif, là où la culture anglosaxonne intègre l'échec comme une
occasion de rebond. Muriel Jaouën