Revue belge de numismatique et de sigillographie
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Revue belge de numismatique et de sigillographie
. REVUE BELGE DE NUMISMATIQUE sons LES AUSPICES DE LA SOGlBTl ROYALE DE NUMISMATIOUE MM. LB V'« B. DE JONGHE, le C'« Th. di LIMBURG-STIRUM bt A. db WITTE 1.90Î3 CINQUANTE-HUITIÈME ANNÉE BRUXELLES, J. GOEMAERE, IMPRIMEUR DU ^ue de ta Limite, igo2 21 ROI, 343 QUELQUES MOTS SUR FRANÇOIS BERTINET A PROPOS MÉDAILLON DE LOUIS XIV D'UN Planche VII. Aucun homme reproduits que n'a vu aussi souvent ses traits Louis XI V^; de nombreuses le roi médailles existent à son moindre événement de son règne est l'objet d'une œuvre nouvelle dont le droit donne invariablement son profil, effigie; le revers nous rappelle une de ses tandis que" le nombreuses victoires. Parmi ces innombrables pas dont la celle sortie bien le effigies je n'en connais ressemblance soit plus frappante que du burin de Bertinet. Notre artiste graveur qu'il fallait à Louis était XIV et celui-ci a dû être flatté compris caractère altier, majestueux, autoritaire le de son portrait; nul n'a mieux de son royal modèle ; il ne pas contenté de s'est reproduire les traits du grand monarque, mais donne dans une magnifique synthèse le caractère moral de son personnage. Louis XIV domina son siècle, tous les arts se encore il nous rapportent à ce seul même homme et tous portent son que Lebrun fut son peintre, Mansart son architecte, Bertinet fut son médail- empreinte; de leur préféré et certes celui qui le comprit le mieux. 344 Aucun âe ceux que je grand art dans viens de la vraie grand l'art c'est-à-dire roi, ne du fît acception du mot; sont contentés de faire de le nommer ils se comme en exigeait du majestueux et du pompeux. Tout l'art du siècle de Louis XIV est résumé dans notre médaillon et en porte l'indélébile empreinte; raffinée, l'art le travail est d'une habileté en est quelque peu superficiel mais l'aspect général ne perd pas aux détails et reste grand quand même. François Bertinet s'appelait en réalité était d'origine italienne et Bertinetti. Jusqu'en ces dernières années c'est à peu près tout ce qu'on savait de lui et on ne le connaissait que par quelques médaillons signés Bertinet ou Berthinet. M. l'abbé Porée, correspondant du Comité des sociétés des Beaux-Arts des départements en France a essayé de lui faire une biographie publiée dans le rapport départements > « des Sociétés des Beaux-Arts des de 1891. Celle-ci est trop curieuse pour ne pas en dire quelques mots; ce travail, n'ayant paru que dans ce rapport, s'adresse à public fort restreint et je crois utile de le un rappeler ici. Je résume d'une façon succincte une partie de la notice de M. l'abbé Porée : Les historiens disent peu de choses de Bertinet, à peine mentionnent-ils son nom; seul M. de Montaiglon, dans une étude sur les artistes qui ont travaillé pour le surintendant Fouquet , donne 345 quelques particularités sur sa vie encore est-ce ; dans un roman anonyme du XVIII* siècle qu'il a retrouvé les éléments. Cette source en me semble bien peu sérieuse et fort sujette à caution, je dirai plus loin pourquoi. Ce volume est intitulé Rome, nouvelle galante, ou L'heureux chanoine de « la Résurrection prédestinée ; contenant diverses avantures agréables arrivées du tems du dant des finances. en la Cour ministère de » L'auteur, « et divertissantes M. Fouquet, sur-intenC. M. D. R., avocat », dit qu'il était l'ami très particulier de toute la famille Bertinetti, laquelle était bien établie à Rome. D'après Francesco Bertinetti, est jeune comme C. n.é M. D. R., son héros, à Ostie; il entra tout enfant de chœur à la maîtrise de Sainte-Marie-Majeure et y fit gratuitement ses pourvu d'un canonicat études. A dans même église; il était particulièrement doué pour J'ai fut la la vingt ans musique et fut pour le modelage en cire. » vraiment peine à croire que ce dernier don purement que il instinctif et je les études me permets de douter d'un enfant de chœur, telles qu'elles étaient réglementées dans les grandes maîtrises, fussent bien favorables à le cultiver, mais passons. A l'âge de 22 sacrés), il ans s'éprit nommé Borromei demanda la éconduit. Un (il n'avait pas encore les ordres de la ; il fille d'un avocat de Rome abandonna son canonicat, main d'Antonina Borromei rival, le chevalier et fut Urbini ayant été assassiné par des sbires aux ordres de Bertinetti, 346 celui-ci dut fuir de Rome et se réfugier à l'ambassadeur de France se l'attacha Venise où comme sous- L'ambassadeur l'envoya à son parent, secrétaire. surintendant Foucquet qui l'employa le comme agent secret à l'étranger. A la suite d'une foule il d'aventures romanesques, par Antonina Borromei et fut rejoint marièrent à Cologne. Englobé dans son maître dont il sa il femme la disgrâce se de avait été le premier secrétaire, emprisonné à fut ils la Bastille pendant huit ans; obtint de rester avec lui et ne l'aban- donna pas un instant. Pendant ses loisirs il se souvint de son ancien talent et recommença à faire des médaillons en cire. Son premier travail fut le portrait de Foucquet fait en 1664. de Louis XIV Un peu plus tard, il fit le portrait pas plus grand que l'ongle et si ressemblant que des amis conseillèrent à sa femme de le accompagné d'un présenter au roi placet. Celui-ci fut favorablement accueilli, et grâce au portrait, Bertinetti Bertinet Louis fit XIV ; recouvra sa liberté. d'autres médaillons en l'honneur de le grand roi sensible aux flatteries et aux éloges emphatiques exprimés autour de ces portraits accorda à l'artiste une pension de .3,000 livres, d'abord, de 6,000 livres peu après. « Aussi, dit son biographe, était-il souvent reçu Cour et bonheur quand il lui plaipersonne du Roi, soit pour » à la * sait > présenter ses médailles à Sa Majesté, ou pour avait-il le d'approcher la I 347 son portrait, à quoi réussissait en per- » faire » fection. » encore » beaux ouvrages de ce rare génie il Le cabinet de Mgr Dauphin est de quantités de actuellement rempli Rome le et il y a peu de même par » curieux dans » toute l'Europe, qui n'en aient recueilli avec soin » quelque morceau. Que Qu'y faut-il croire a-t-il modelage que et » (i) de cette romanesque histoire? Comme n'est guère le résultat rieuses. dans Paris, de vrai dans tout ce fatras juges mes lecteurs. le et Tout et d'un long travail ne peut être et d'études sé- qu'il faut d'acquit artiste sait ce et rien graphie apocryphe ne le justifie Ajoutez-y ensuite travail tout le J'en laisse je l'ai dit plus haut, un don pour un talent de ce genre ? dans cette bio- ou ne l'explique. spécial de la fonte et du ciselage, qui plus que la partie artistique ne s'acquiert que par et un Précisément dans tous tinet le métier est exercé prenante, le une longue expérience travail soutenu. le les avec une habileté sur- ciselage est fait de plus habile praticien ne jamais le médaillons de Ber- le main de maître et désavouerait pas; moindre tâtonnement, mais toujours une sûreté de main impeccable se jouant de toutes les difficultés et les surmontant avec une égale facilité. Comment (i) concilier cela avec les occupations L'heureux chanoine de Rome. 348 moins d'avoir rencontré un initiateur dans un compa^çnon de geôle? Mais il n'est antérieures, à nulle part question d'un Quoi en qu'il tel personnage. le talent soit, de Bertinet est indéniable, et ce qu'il nous reste de ses médail- lons suffit à nous le prouver. Malgré ses nombreux travaux dont parle son biographe, il comme, en général, façon reste peu de choses connues, il signait ses bien apparente, ce ii'est et œuvres d'une pas parmi les médailles non signées qu'il faudrait les rechercher. Voici, d'après M. l'abbé Porée, les médaillons connus de 1° jusqu'à ce jour lui : Médaillon en bronze représentant tendant Foucquet le surin- : En légende NICOL FO VCQUET P^^ GN AL VRINTENDT DES FIN ET MIN'^ D'EST AT, S . : et en exergue 2° : . . . . bertinet . . idée 1664 ; Médaillon en bronze du module de 0.180 millimètres, fondu ensembleetcreux à en haut en deux parties ressoudées Buste de Louis XIV, l'intérieur. cuirassé et couronné de laurier, relief, porté sur un piédouche rond. Autour on lit les quatre vers suivants, dispo- sés en deux lignes concentriques, en caractères cursifs : Qu' auo' no' fait mamain, quelle métamorphose. Au lieu de pèidre Mars no' auo' peint Louis. Quoy Louis et donc, to' nos proiets sont jls Mars sont vne même chose. évanouis? Non no' 349 A une sorte de cartouche l'exergue, sur TINET EXIDEA . Le revers . : Ber- 167I. compose d'un champ entouré de se deux cercles concentriques séparés par deux couronnes, l'une d'oves, l'autre de laurier. Dans le champ, fortifications d'une ville baignée par la mer placée sur un rocher escarpé. Sur un et rocher, une hydre à trois têtes, un lion et une lionne. Au-dessus, lequel vole le un dardant ses rayons, vers soleil A aigle. gauche, un génie ailé et volant tient une longue banderole agitée par le vent et deux fois repliée sur elle-même. Sur le premier repli on lit : REX VRBS, et sur le second : SOLIV VNVS, VNA, VNVM. Entre les deux cercles en caractères cursifs : Aigles, Hydres, Lions, ma Vo' sentites mes coups, je suis force fut extrême, Le premier jambage de aigles est ornementé d'un La deuxième en première légende, et toujours la le même. lettre A 1672. du mot petit aigle. légende, en plus petits caractères : Si ce petit essay pouuait plaire a la cour Et me retrouver mo Je ne languirois plus Po bien a ; la faveur du jour j'aurois d'autres offices rendre au grad Louis mesjtres hubles services. Berthinet. Le Cabinet de France possède ce médaillon sans son revers, mais n'ayant que o.i65 millimètres; , 35o Médaillon en bronze du module de 0.140 3* XIV, cuirassé, drapé, de profil à droite et porté sur un piédouche. La légende est composée de ces deux vers en caracmillimètres. Buste de Louis tères cursifs : Si jay peint en profil l'jnvincible Louis, C'est q' de front les yeux en seroienl éblouis. En bas, à gauche : Berthinet entouré d'une couronne 4" Le tout 1672. est ; Médaillon en bronze. Buste de Louis XIV, de profil à droite avec la légende MAGNVS FR ET NA REX . . Bertinet Régis Privilegio : LVDOVICVS et la signature Au 1684. : revers l'inscription suivante, gravée en creux, tirée du BENEDICTVS DOMINVS DEVS MEVS QVI PR^CINXIT ME VIRTVTE AD psaume 17 : BELLVM1687; 5" Médaillon en bronze, du module de o.i3o millimètres. Buste de Louis droite, . avec la légende REX. Sur et au-dessous la : : XIV, nu, tourné à LVDOVICVS MAGNVS . tranche de l'épaule : Bertinet, eu priuilegio. Le tout est entouré d'une seconde légende et d'une couronne de feuil- REX CHRISTIANISlage :LVD MAGNVS SIMVS H^RESEOOS EXTIRPATOR Ber. . . . . . tinet fecit eu Priuilegio 1686; 6° Médaillon en bronze, du module de o.i65 millimètres. Buste de Louis XIV de profil à droite, 35i cuirassé et drapé. caractères cursifs Sous l'épaule droite est écrit en : Bertinet sculp. eu priuilegio. Le L revers porte deux entrelacés et ornés de palmes, et surmontés d'une couronne fleurdelisée et fermée. Autour du chiffre sont deux branches de laurier; le tout est abrité sous le pavillon royal; 7° Médaillon en bronze, représentant un buste de Louis XIV; signature en Bertinet fec. On en cum écriture cursive : priuilegio Régis. a vu que Bertinet était fort habile à modeler même cire, sonnes de souvenir, qu'il avait connues. le portrait Il des per- n'existe aujourd'hui de lui, que nous sachions du moins, aucune œuvre de ce genre. Cependant, le Nouveau MerCîire galant nous apprend qu'il fit ainsi, après du docteur Jacques de SainteBeuve, mort à Paris le i5 décembre 1677. Voici décès, le portrait ce que disait le Mercure : « Quoyque M. de Sainte- » Beuve » son portrait pendant sa vie, » pas de l'avoir par le talent » M. Berthinet, qui a esté » l'hôtel-de-ville de Paris. » vive, que, sur le souvenir qu'il a » traits, » mort, avec l'admiration et l'étonnement de tous > ceux qui l'ont connu 8° A n'ait il jamais voulu permettre qu'on en a fait la fist nous ne laisserons merveilleux de payeur des rentes de Il a l'imagination si gardé de ses médaille en cire après sa » ; ces oeuvres, peu nombreuses, de Bertinet, 352 M. l'abbé Porée ajoute dans sa notice la descrip- tion et la reproduction d'un médaillon au buste d'un abbé. Ce médaillon, en cuivre jaune, fondu sans revers, a un module de 0.080 millimètres; « il représente un personnage d'une soixantaine » d'années en buste de profil à droite. La physionomie a une expression frappante de résolution et d'énergie. Le front est développé, un peu » chauve, l'arcade sourcillière très élevée, l'œil » » regard droit nez relevé, » bien ouvert et » lèvre supérieure longue. Le » ombragé d'une » joues sont saillantes et les cheveux longs » bouclés sont en partie cachés sous une ample » calotte. » de linon et » née par des séries de trois boutons. » » Sur le petite le la ; et compose d'un long rabat d'une mosette à capuchon bouton- Le costume la ; menton carré est royale les pommettes des se tranche de bras on cursifs, tracés à la pointe : lit en caractères Bertinet. » Malgré ses recherches, M. l'abbé Porée n'a qu'une hypothèse à présenter pour l'identification du personnage; plausible et le cette hypothèse semble assez médaillon représenterait François Feydeau de Brou, abbé de Notre-Dame de Bernay(i); 9° En 1891, le cabinet de France a encore acquis un médaillon en bronze au buste de Louis XIV XIV à droite, couronné de laurier, ; Buste de Louis (1) Ce médaillon a été trouvé à Bernay. 353 à longue perruque, cuirassé avec écharpe et épaulière à tête de lion : du Bertinet, sur la tranche POPVLVM BENEVOLVM QVEM AVDIVISTI PROPTER ME IN AMARITVDINE MEA, entre une couLégende bras. : ronne de laurier un simple trait tères cursifs : BENEDIC DNE . . une circonférence formée par et en relief. Sous le buste, en carac- Reg. privilégie. Module i33 milli- mètres, avec la bélière 143 millimètres. A ces neuf numéros, un pour compléter j'ai le plaisir la dizaine d'en ajouter : 10° Médaillon en bronze sans revers, d'un mo- dule de i38 millimètres (sans la bélière). Buste de Louis XIV, présentant largement drapé. Le bord de à la naissance du cou touche avec et sous la cuirasse se le buste, un gauche, montre petit car- la date 1681. La légende moulure ; le profil est placée entre un cercle intérieur à une couronne de laurier de fort relief : LVDOVICVS ^^ MAGN VS ^s FR ^^ ET NAV REX au-dessous, en caractères cursifs v:; .'. o"<? : ; Fran . Bertinet . F . eu Privilegio Régis Ma Ce médaillon, d'un quable, ne le collection. travail artistique cède en rien sous le remar- rapport de la technique du métier qui est pratiquée d'une façon hors ligne; jamais un le travail du ciseleur n'a atteint plus haut degré de perfection et les moindres détails en sont soignés et d'un faire supérieur. 354 Bertinet n'a guère Louis XIV; lui en font faite le foi. que pour travaillé roi le peu d'œuvres qui nous restent de Notre médaille a probablement été pour lui-même et destinée à être donnée en cadeau; son irréprochable facture tendrait à le faire croire. On ainsi sa vie se ignore l'année de la naissance de Bertinet que il mort celle de sa retourna en Italie ; paraît qu'à la fin de il avec sa famille celle-ci ; composait alors de sa femme et d'un fils déjà marié avec une demoiselle Caron. Voilà au moins ce que dit la fin du roman : » obtenu » sassinat du chevalier Urbini, la Rome où » d'exemple à toute ils les ils partirent l'as- pour vivent dans une union à servir la terre. » L'heureux chanoine de en 1706, Borromei ayant grâce de son gendre à cause de » « « mots « ils Rome vivent » que Bertinet vivait encore à » ayant été écrit semblent indiquer cette époque. Frantz Vermeylen. Louvain, 2 février 1902. I