Qui veut la peau du nouvel iPhone

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Qui veut la peau du nouvel iPhone
MARDI 8 juin 2010 / Edition Bruxelles / Quotidien / No 131 / EUR 1,10 (G.-D. L. : EUR 1,20) / 02 225 55 55
ENTRETIEN AVEC LE SECRÉTAIRE
GÉNÉRAL DE LA FIFA
Les Européens
boudent
la Coupe du monde
Qui veut la peau
du nouvel iPhone ?
P. 22
P. 32
Déficits :
Van Rompuy
à l’assaut des
pays laxistes
Entre les francophones et
De Wever, c’est la fracture
L
© PIERRE-YVES THIENPONT.
GROS accrochage hier entre Louis Michel (MR) et Bart De Wever, leader des
nationalistes flamands de la N-VA lors du grand débat « Le Soir-Standaard ».
haud, très chaud, le grand
débat électoral intercommunautaire qui a eu lieu
hier soir à l’Ancienne Belgique
de Bruxelles entre Louis Michel
et Bart De Wever à l’initiative du
Soir et du quotidien néerlandophone De Standaard. Pour tout
dire, la confrontation directe
Nord-Sud a à certains moments
C
SCIENCES&SANTÉ
26
Bonne moisson pour Tara
Après neuf mois de navigation,
du voilier Tara, qui se trouve à
présent dans l’océan Indien,
voici un premier bilan de l’expédition qui ambitionne de dresser un état des lieux de la biodiversité des océans. La récolte a
été bonne et les découvertes
ont été au rendez-vous. D’ici à
juillet, le bateau mettra le cap
sur l’Afrique du Sud.
CINÉMAS
20
BOURSES & MARCHÉS 24 – 25
NÉCROLOGIE
26 - 27
ANNONCES
28
BONS À DÉCOUPER
32
THÉÂTRES & LOTERIE
36
JEUX & BANDE DESSINÉE
37
TÉLÉVISION
38 – 39
2 3
5
413635 008269
viré au pugilat verbal. « Bart De
Wever risque de s’enfermer dans
une prison nationaliste », a lancé le libéral francophone face au
leader de la N-VA.
Réponse cinglante de l’intéressé : « Vous remettez les frontières
en question. Comment accepter cela… ». Et le leader nationaliste
de poursuivre en défendant une
l’on devra arriver à un grand con- Yves Leterme (CD&V) ont débatsensus. « Peut-être y arrivera-t- tu de façon beaucoup plus modéon, peut-être pas. » Et Michel de rée. Faisant montre à certains
répliquer : « Je n’ai rien entendu moments d’une vraie proximité,
de ce que M. De Wever a dit qui les deux hommes en ont appelé à
permettrait d’arriver à un ac- la réunion de personnes responcord. » Ambiance. L’après 13 juin sables autour de la table au lendemain du scrutin du 13 juin. ■
risque d’être épique.
En prélude à cet « affrontement », Elio Di Rupo (PS) et 씰 P.2 À 4 LE DOUBLE DÉBAT
La députée arabe la plus Comment le lobby
du tabac recrutait
détestée d’Israël
les profs d’université
ntre 1988 et 2000, une caine en matière de santé publicinquantaine de profes- que, qui en 1988, affirmait, pour
seurs d’université de trei- la première fois, que la nicotine
ze pays ont été membres d’Arise, peut créer une dépendance aussi
pour Associates for Research in- forte qu’héroïne et cocaïne. Sa
to the Science of Enjoyment (As- technique : positionner la cigaretsociation pour la recherche en te sur le même plan que des petits plaisirs légaux (chocolat, cascience du plaisir).
L’association internationale, fé, verre de bière…).
Parmi les « messagers » d’Aricréée et financée par l’industrie
du tabac, était très active durant se, deux Belges : le sociologue
les années 1990, alors que la mo- Claude Javeau (ULB) et le philobilisation contre la cigarette pre- sophe Frank van Dun (Universinait son envol. Elle organisait té de Gand). Ils ont participé à la
des colloques internationaux et stratégie du lobby du tabac : prodes conférences de presse, com- mouvoir les conclusions biaisées
manditait des sondages d’opi- de sondages financés par les ciganion et publiait des livres avec un rettiers. Contre rémunération. ■
leitmotiv : répondre au rapport
de la plus haute autorité améri- 씰 P.12 L’ENQUÊTE
E
© EPA
P.14 ARABE et Israélienne,
elle a participé à la Flottille
pour Gaza ; Hanin Zoabi
enflamme la Knesset.
www.lesoir.be
07/06/10 23:56 - LE_SOIR
solidarité interpersonnelle transparente, tout en évoquant l’exemple tchécoslovaque…
« Faites attention, vous risquez de ne plus avoir aucun interlocuteur », prévenait plus tard
Louis Michel.
Au sujet de la réforme de l’Etat
aussi les échanges ont été vifs. De
Wever parlant du moment où
es ministres européens
des Finances se sont mis
d’accord lundi soir pour
créer de nouvelles sanctions contre les pays trop endettés, afin de
renforcer le Pacte de stabilité, et
pour faire examiner leurs projets
de budget nationaux au préalable par l’UE. Un accord trouvé à
l’issue d’une réunion à Luxembourg, sous la houlette du président de l’UE Herman Van Rompuy, envisage la possibilité de
sanctions même lorsque la limite
actuelle de 3% du PIB fixée par le
Pacte pour les déficits publics
n’est pas encore dépassée.
Ces sanctions, qui restent à définir, pourraient être décidées si
un pays n’a pas tenu compte de
mises en garde de ses partenaires
sur la dérive de ses comptes publics, ou si le niveau global de sa
dette gonfle trop vite. Autre nouveauté envisagée par l’UE: mettre davantage à l’avenir l’accent
sur la surveillance de la dette globale, censée ne pas dépasser 60%
du PIB, et pas seulement des déficits annuels. Par ailleurs, l’Estonie a rejoint la zone euro. ■
씰
P.21
NOS INFORMATIONS
La FEF
critique
les grosses
promesses
de Marcourt
P.10 Les étudiants
estiment qu’il n’est
pas honnête sur le
projet de démocratisation de l’enseignement supérieur.
Le procès de
la Biologie
totale s’ouvre
ce mardi
à Liège
P.10 Avec Louis
Vliegen, c’est tout
un courant pseudoscientifique à la mode qui est sur le
banc des accusés.
4BX
du 08/06/10 - p. 1
Le Soir Mardi 8 juin 2010
12
lezoom
L’industrie du tabac
recrutait à l’université
DEUX BELGES ont servi de relais médiatiques au lobby du tabac :
le sociologue Claude Javeau (ULB) et le philosophe Frank van Dun (Gand).
agapes et visites touristiques en bateaumouche, aux frais de la princesse. L’exposé de Claude Javeau, titré « Choix des plaisirs de vivre et défense de la démocratie »,
est le même qu’à Bruxelles cinq mois plus
tôt, mais cette fois prononcé en anglais.
Au printemps 1996, Javeau participe à
une table ronde internationale, à Bruxelles. Il y déclare qu’« il est temps de séculariser la médecine et de mettre l’accent sur les
côtés agréables de la vie plutôt que sur la
santé ». Une conférence de presse, à laquelle il participe, suit.
Quelques mois plus tard, Pleasure and
quality of life, un livre collectif rédigé par
des membres d’Arise, sort de presse. Javeau y signe un chapitre. Des documents
internes montrent que les frais d’édition
du livre précédent d’Arise, en 1994, ont
été couverts par l’industrie – à l’instar des
colloques et sondages.
râce au prestige académique de
ses membres, à une communication bien huilée et à un discours
sexy et déculpabilisant sur le
plaisir, Arise a généré des milliers d’articles de presse en Europe, aux
Etats-Unis, en Australie, à Hong Kong.
« J’ai le plaisir de joindre l’ensemble de la
couverture médiatique qui a résulté du
lancement de la recherche internationale
d’Arise dans seize pays l’an dernier. Avec
plus de 560 articles de presse, près de 200 reportages raEntre 1988 et 2000, une cinquantaine de professeurs
dio et 70 à la TV, j’espère
d’université de 13 pays ont été membres d’Arise,
que vous conviendrez que
l’Association pour la recherche en science du plaisir,
les résultats sont extrêmefinancée par l’industrie du tabac
ment positifs. Arise et ses
tamment participé à des conférences vi- messages scientifiques n’ont jamais atsant à promouvoir les conclusions biaisées teint un public aussi large dans autant de
de sondages financés par les cigarettiers. pays », écrivait David Warburton, en féLa relation de Claude Javeau avec Arise vrier 1995, à un cadre de British American
débute en novembre 1994. Il intervient Tobacco en guise de bilan du sondage sur
aux côtés de Warburton lors d’une confé- le stress au travail.
rence de presse à Bruxelles pour promou« Avoir été membre de Arise, commente
voir un sondage sur le stress au travail… et aujourd’hui Claude Javeau, je ne m’en suis
les moyens de le soulager via les « petits jamais vanté. Ça fait partie des nombreuplaisirs » de la vie. Dont la cigarette. Dans ses choses que l’on fait comme ça, peut-être
son speech, le sociologue fustige le « néo- parce que ça me faisait voyager un peu,
puritanisme » qui frappe nos sociétés et ça me changeait les idées. Peut-être
« menace la démocratie » via la « chasse m’avait-on appâté pour le colloque
aux buveurs, aux amateurs de sucreries d’Amsterdam en me faisant miroiou encore aux fumeurs ». Selon lui, « le res- ter un bel hôtel. Je ne me souviens
pect scrupuleux des conseils de santé peut plus… » A-t-il été rémunéré
engendrer davantage de stress encore et en pour ses prestations ? « Je
renforcer l’effet nuisible sur l’organisme ». ne me souviens pas avoir
En avril 1995, Javeau est invité à parler gagné beaucoup d’ardans un colloque international de trois gent. Pour moi c’était
jours à Amsterdam, dans un hôtel cinq normal : si l’on donne
étoiles. Au menu : discussions sérieuses une conférence, on est
ENQUÊTE
armi les millions de pages d’archives de l’industrie du tabac publiées dans la foulée des grands
procès collectifs de la fin des années 1990 contre les cigarettiers
aux Etats-Unis, les noms de deux universitaires belges se retrouvent dans une quinzaine de documents : Claude Javeau, professeur honoraire de sociologie à l’ULB, et
Frank van Dun, professeur de philosophie
à Gand. Ils ont noué, entre 1993 et 1996,
une relation ambiguë avec une association internationale créée et financée quasi
exclusivement par l’industrie du tabac :
Arise, pour Associates for Research into
the Science of Enjoyment (Association
pour la recherche en science du plaisir).
Très active durant les années 1990, l’association, cornaquée par David Warburton de l’université de Reading (RoyaumeUni), a organisé des colloques internationaux (Florence, Venise, Bruxelles, Amsterdam, Kyoto…), commandité plusieurs sondages d’opinion, organisé des tables rondes aux quatre coins du monde et publié
trois livres (dont un best-seller), avant de
disparaître au tournant du siècle. Entre
1988 et 2000, une cinquantaine de professeurs d’université de treize pays ont été
membres de l’association.
Les deux membres belges d’Arise ont no-
P
G
payé. Si j’ai touché de l’argent, il a été versé but de faire passer deux messages aux polià l’ASBL que je gérais pour l’ULB. »
tiques : fondez vos lois sur de la science de
Frank van Dun, lui, avait « publié en qualité car la méthodologie de l’Iarc est
1991 une tribune dans De Standaard sur biaisée et les médias risquent d’être très
l’intrusion du politique dans la sphère pri- critiques si vous votez des lois antitabac
vée. M. Warburton ne m’a jamais parlé du impopulaires.
financement de Arise et pour moi, c’était
Participation active du sociologue ou
une affaire purement académique. J’ai été instrumentalisation machiavélique de son
invité à deux colloques, à Bruxelles et Am- discours à son insu ? « Je n’ai jamais eu le
sterdam, et j’ai participé à des conférences moindre lien avec Philip Morris, affirme
de presse. Je ne me souviens pas si j’ai été Claude Javeau. Que mon nom se retrouve
rémunéré. Je n’ai plus de nouvelles de dans ces documents ne me réjouit évidemM. Warburton depuis dix ans. »
ment pas. Mais je n’ai rien fait de mal. Je
e nom de Claude Javeau apparaît n’ai pas fait l’apologie de la drogue. »
Selon l’OMS, le tabac tue 5,4 millions de
aussi dans un document stratégique de Philip Morris concernant personnes chaque année dont 600.000 déune campagne internationale de cès prématurés dus au tabagisme passif. ■
lobbying de plusieurs millions de
DAVID LELOUP
dollars. Son but ? Discréditer le Centre international de recherche sur le cancer 씰 TOUS LES DOCUMENTS SUR LESOIR.BE
(Iarc). En 1994, l’industrie redoute que cette agence de l’OMS basée à Lyon ne publie
les résultats préliminaires d’une vaste étude épidémiologique sur le lien entre tabagisme passif et cancer du poumon.
Dans le volet belge du plan contre l’Iarc,
Javeau est identifié par l’industrie comme un « messager » chargé de relayer
dans les médias les notions de plaisir et
de liberté de choix des fumeurs. Messages destinés à influencer le monde politique pour inciter le gouvernement à privilégier l’autorégulation des fumeurs (via
chartes) plutôt que de voter des lois contraignantes. Selon le document, une
conférence
à
l’ULB en 1996
a pour seul
L
« Le fumeur trouble
les autres – enfin
ça reste encore
à démontrer… »
« Une démocratie repose sur
le sens de la responsabilité
des individus. Il ne faut pas
mettre trop d’obstacles (…).
Je crois que là, en voulant
toujours resserrer davantage
au nom de principes de santé, de bon comportement,
d’attitudes positives, on crée
des zones de plus en plus
grandes d’anomie, et je crois
que c’est l’effet pervers de la
chose. Je crois qu’il vaut
mieux laisser un espace à ce
que j’appelle, après d’autres
plus éminents que moi, les
”libertés négatives”. Un espace dans lequel, après tout,
s’ils ont envie de manger du
chocolat et d’être gros, s’ils
ont envie, je ne sais pas moi,
de boire un peu de bière parce qu’ils aiment bien ça, s’ils
ont envie de boire trois tasses de café, si on ne crée pas
de graves troubles aux autres… Et, vous me direz, le fumeur trouble les autres – enfin, ça reste encore à démontrer –, même, à supposer, on
peut effectivement respecter
des codes d’éthique. Si les
gens ne fument pas, mais si
c’est mon envie à moi, pourquoi toujours vouloir
me brimer au nom
d’une espèce de
performativité
du corps ?
(…) »
CLAUDE JAVEAU :
« Je n’ai rien fait de
mal. Je n’ai pas fait
l’apologie de la drogue. » © DOMINIQUE
CLAUDE
JAVEAU,
INTERROGÉ SUR
LES ONDES DE
LA RTBF AU
JOURNAL DE
17H30, LE 15
NOVEMBRE
1994.
DUCHESNES.
ARISE
C’est la réponse de l’industrie,
en 1988, au rapport du Surgeon General, plus haute autorité US de santé publique : la nicotine peut créer
une dépendance aussi forte qu’héroïne et cocaïne. Philip Morris (PM) et
Rothmans créent Arise, groupe international de sociologues, psychologues, etc, pour casser ce lien nicotine-drogues dures et faire oublier les
chaînes physiologiques de la cigarette. Leitmotiv : la positionner sur le
même plan que des petits plaisirs légaux (chocolat, café, bière...).
Au début, l’argent afflue à l’université de Reading (service de D. Warburton, prof de psychopharmacologie
humaine et consultant pour l’industrie tabac). En 1994, financée par
PM, British American Tobacco, Reynolds, Rothmans et Gallaher, Arise a
son propre secrétariat piloté par une
agence de relations publiques londonienne. Son budget pour l’année fiscale 1994-95 dépassait les 770.000
dollars. DA.LE.
ENTRETIEN
lizabeth E. Smith est professeur au
département des sciences sociales
et comportementales de l’université de
Californie à San Francisco et l’auteur
d’une étude sur l’impact médiatique de
Arise.
E
Qu’avez-vous découvert dans l’étude ?
Nous avons analysé un corpus de 846
articles de presse générés par les activités de Arise entre 1989 et 2005 aux
Etats-Unis, en Europe et dans la région
Asie/Pacifique. Ce n’est qu’une partie
de ce qui a été publié. La plupart de ces
articles relayaient deux idées : 1) le tabagisme est un plaisir sain car éprouver du plaisir est bon pour l’organisme ; 2) les campagnes recommandant
un mode de vie sain – donc y compris
celles prônant d’arrêter de fumer – sont
stressantes et donc mauvaises pour la
santé, car le stress diminue l’immunité.
Peu d’articles ont donné la parole à des
défenseurs de la santé et seulement 18
(2 %) ont révélé la vraie nature de Arise : une façade de l’industrie du tabac.
Pourquoi était-il important pour l’industrie de cibler les médias via Arise ?
Injecter des messages pro-tabac dans
les médias de masse permet de semer le
doute dans les esprits. Une étude réalisée sur la période 1950-90 aux EtatsUnis montre que plus de gens arrêtent
de fumer quand les médias mettent l’accent sur le consensus scientifique à propos des dangers du tabac ; quand les médias présentent les risques sanitaires de
la cigarette comme « controversés », les
taux de cessation tabagique chutent.
Que reprochez-vous aux membres
d’Arise ?
D’avoir donné une caution académique
à des conclusions erronées, tirées de sondages élaborés par l’industrie. Arise est
une forme de corruption industrielle de
la science. Les sondeurs demandaient
ainsi aux sondés s’ils fumaient pour se
relaxer ou évacuer le stress. Le fait que
certains répondaient « oui » était considéré comme une preuve que fumer était
bon pour la santé – conclusion fausse et
injustifiée. Vu que ces « résultats »
étaient très médiatisés comme provenant de Arise, ses membres auraient dû
être suspicieux ou prendre leurs distances avec l’organisation. Rien n’indique
qu’ils aient adopté l’une ou l’autre de
ces attitudes. ■
Propos recueillis par
Da. Le.
ELIZABETH E. SMITH : « Les membres d’Arise
ont donné une caution académique à des
conclusions erronées. » © D. R.
www.lesoir.be
1NL
07/06/10 20:32 - LE_SOIR
« C’est une corruption industrielle de la science »
du 08/06/10 - p. 12