TOUS TALENTUEUX ouvrage piloté par Jean Marie Peretti

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TOUS TALENTUEUX ouvrage piloté par Jean Marie Peretti
TOUS TALENTUEUX ouvrage piloté par Jean Marie Peretti
« TALENT MINDSET » ou comment développer une culture du talent en
entreprise
Catherine VOYNNET FOURBOUL Corinne FORASACCO
Non sans rappeler le « phénomène compétences » des années soixante dix, une nouvelle
vague déferle depuis le début des années 2000 et s’affirme comme une des préoccupations
majeures exprimées par les entreprises dans une formule souvent non nuancée « de guerre des
talents ». Attirer, fidéliser, développer les talents est ainsi devenue une des priorités du
management des ressources humaines.
En effet si beaucoup d’efforts ont été portés depuis quelques années sur la mise en place en
entreprise d’une gestion des compétences, faisant l’objet d’une certaine systémisation la
réalité des pratiques est encore très hétérogène. Et il est opportun aujourd’hui de se demander
si le caractère justement très analytique et l'objet prévisionnel n'atteignent pas certaines
limites par rapport à ce qui est désormais attendu en entreprise. Pour reprendre une analogie
avec les approches de développement personnel de John Patrick Golden reposant sur les
travaux de Jung, il semble que les entreprises évoluent dans leurs critères de désirabilité en
valorisant moins systématiquement la prévisibilité, les processus, la planification en résumé
tous les aspects structurants, au profit de la réactivité, l'adaptation, la souplesse. Cette
demande fait écho à une vision plus étendue et plus subtile des compétences. Cette subtilité
nous semble justement capturée par le concept de talent.
À partir d'une revue de littérature et d'une recherche qualitative 1 menée auprès de quelques
entreprises françaises, nous proposons, après une étape incontournable d’exploration du terme
talent, dont seule une approche clarifiée peut permettre ensuite une gestion contextuée et
opérante, une réflexion sur la façon de développer les talents dans l'entreprise.
Compréhension des attentes des différentes populations concernées, renouvellement des
approches de développement et approche systémique des conditions de réussite devraient
nous permettre d’identifier les voies favorables à l’émergence d’une réelle culture du talent
en entreprise.
DES TALENTS AU TALENT ; pour une définition favorable au développement du
talent dans toutes ses dimensions
La définition du talent est particulièrement polysémique et à ce titre offre suffisamment
d’espace pour permettre justement ce que la logique de compétences n'offre pas : un réservoir
fluide et riche de possibilités qui correspond davantage à ce que l'on peut retirer de la richesse
humaine. Il faut cependant noter que la plupart du temps (en particulier dans les approches
anglo-saxonnes) la notion de talent est associée à celle de hauts-potentiels avec en cible une
capacité d’occuper des postes de direction. Et même si nous allons voir que ces deux notions
comportent des différences de sens, nous les associerons nous même toutefois largement dans
une vingtaine d'entretiens a été réalisée auprès d'un public composé de dirigeants, cadres
intermédiaires, hauts-potentiels en poste ou ayant quitté l'entreprise. Les résultats ont été analysés à
l'aide de DECISION EXPLORER.
1
1
notre réflexion car les illustrations de développement observables concernent à ce jour plus
spécialement le segment de population des potentiels.
Sans reprendre la variété et le caractère parfois contradictoire des définitions déjà proposées
par nombre d’auteurs ou les catégorisations initiées par les entreprises il nous semble toutefois
éclairant de resituer le contexte d’émergence du concept et de nous arrêter sur quelques points
de convergence des approches existantes. Notre ambition est d’étoffer notre
argumentation pour une définition ouverte qui ancre notre conviction de l’intérêt et de
la faisabilité d’une approche de développement des différentes dimensions du talent.
L’accélération des cycles, l’hyper compétitivité des marchés, l’internationalisation de tous les
business, la complexité des organisations, l’évolution du lien social sont venus percuter les
types et niveaux d’exigences attendus des ressources humaines. Exigences de qualité,
flexibilité, réactivité se sont renforcées et sont aussi apparues comme désormais majeures de
nouvelles dimensions telles l’innovation, la gestion de l’incertitude voire de l’irrationnel, les
phénomènes boursiers récents étant une illustration concrète de ce dernier paramètre.
« Disposition naturelle ou acquise pour réussir quelques chose », ou « aptitude particulière
dans une activité appréciée par le corps social » définitions extraites du langage commun et de
nos dictionnaires nous semblent finalement couvrir de manière opérante le concept de talent
Sont en effet ici associés talent et succès, binôme incontournable le talent ne pouvant exister
sans performance. Sont aussi liés le collectif et l’individuel et enfin s’affirme la possibilité
d’acquisition ou de renforcement du talent.
Le talent est une ressource naturelle que l'on détecte, contrôle et bonifie, il implique une
aptitude qui n'est pas observable ou mesurable directement mais s'exprime à travers une
compétence ou un ensemble de compétences et s’illustre dans la réussite.
Le talent se caractérise également par l'emploi d'un style personnel qui permet de créer une
différence dans l'accomplissement professionnel. Ce style personnel résulte du savoir être de
la personne, de sa personnalité et échappe à toute forme classique de normalisation.
L'individu talentueux est ainsi un individu qui développe de l'excellence et également de la
différence.
Pour reprendre le travail de définition de Pierre Miralles, le talent suppose une compétence de
gestion de soi, nécessaire à l'actualisation des habiletés, des attitudes ou des comportements
stables (passion, volonté de réussir à l'origine de la résilience, faculté de supporter l'échec et la
souffrance), des croyances (l'efficacité personnelle, la confiance en soi) [MIRALLES 2007].
Si le talent est le propre de l'individu l'entreprise a cependant un rôle fondamental dans son
expression. Potentiel de création de valeur, facteur de différenciation le talent est un actif, au
sens économique du terme. Lié à son cadre d’action, en partie déterminé par les conditions
organisationnelles il doit être exposé au risque de se déprécier.
Le Corporate Leadership Council propose une catégorisation, cette fois du potentiel, en trois
facteurs qui doivent être présents en même temps : capacités, ambition et engagement qu’il est
intéressant de transposer au talent.
Cette approche attire notre attention sur la nécessité d’être en conséquence aussi
particulièrement vigilants aux facteurs de mobilisation du talent très liés aux besoins et
attentes des acteurs concernés.
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A LA RENCONTRE DES TALENTS ; une posture de compréhension de leurs attentes
et une segmentation facilitant leur management
Facteur stratégique c’est à dire éminemment lié et déterminant de la réussite d’une entreprise
le talent dans son versant lié à l’individu doit donc bien évidemment aussi intégrer les attentes
des personnes ciblées ; les porteurs de talents.
L'approche marketing des ressources humaines, met ainsi, l'accent sur la définition des
besoins des « talents », et permet d'éclairer l'entreprise sur une offre et des conditions à
établir afin de gérer les talents. Les générations actuelles, selon la SHRM Foundation
recherchent des employeurs en capacité d'offrir une culture d'entreprise cohésive, des
possibilités de flexibilité dans l’organisation du travail, un équilibre travail / vie personnelle.
Le modèle de la présence au travail est, et sera plus encore, fortement secoué car en décalage
avec les aspirations de ces nouvelles générations. Les raisons qui font qu'une personne
envisage de quitter un employeur, tiennent à l’espoir de carrière et de rémunération supérieurs
ailleurs. Le critère de la rémunération est fondamental en ce qui concerne la rétention des
talents. ; les entreprises performantes deviennent très attentives à penser et différencier leur
offre de rémunération destinée à leurs talents.
Mais l’absence d’une relation de qualité avec le management (superviseur direct) constitue
aussi un argument fréquent d’insatisfaction et de départ de l’entreprise Par exemple la
pauvreté des feed-back, l’insuffisance de responsabilité et de confiance, le manque de
soutien et d’accompagnement, la mauvaise reconnaissance des accomplissements des
talents sont autant de motifs évoqués.
Les approches marketing appellent également à la segmentation de leur gestion; c'est
ainsi que les entreprises différencient leurs talents en rapprochant le potentiel identifié de la
performance (cf. Figure 1). Ce rapprochement permet d’envisager des décisions d’action ou
de gestion des talents. Parce que les talents auront été différenciés selon des critères simples
comme le potentiel et la performance, une réponse managériale pourra être apportée. Il est
possible naturellement d’imaginer d'autres critères de segmentation, et c'est sans doute le
propre du talent, d'inciter à la prise en compte d'une grande variété de critères tels que : la
capacité à maîtriser la technique, à diriger, à concevoir (pour reprendre la catégorisation de
Robert L. Katz) et d'autres encore qui peuvent tenir aux aspirations des talents, par exemple
leur souhait de mobilité (verticale, latérale, géographique, à l'international...), à leur âge
(critère discutable), à la durée de leur expérience dans leurs fonctions (actuelle et
successives).
La formule qui apparaît et qui est la plus proche de notre thème de réflexion concerne la prise
en compte du niveau de développement des talents à l'aide d'une échelle de développement :
ceux qui sont en cours d'apprentissage et n’ont pas encore atteint le niveau de performance
attendu, ceux qui illustrent déjà un niveau de performance mais aspirent à d'autres
opportunités, ceux qui risquent de partir s'ils n'ont pas des responsabilités plus larges ou de
nouvelles opportunités de développement [GROVES 2007].
3
+
Potentiel
-
Haut potentiel / Faible
performance
Haut potentiel / Moyenne
performance
Haut potentiel / Haute
performance
Un avancement qui ne
satisfait pas les attentes de
performance. Besoin de
coaching, intervention :
mauvais job ou mauvais
patron ?
Talent de valeur qui a besoin de
défis supplémentaires, prévoir de
bouger. Reconnaissance,
opportunité de développement,
Etoile : accélération des
opportunités de
développement, à bouger,
vérifier si la rémunération est
suffisante
Moyen potentiel / Faible
performance
Moyen potentiel / Moyenne
performance
Moyen potentiel / Haute
performance
Mobilité N+1 ou latérale mais
sous performant : coacher ou
action corrective
Mobilité N+1 ou latérale mais
performance moyenne: laisser en
place, peut avoir besoin de
motivation, plus d’engagement et
de récompense
Fort contributeur : Introduire
défi, et élargir les attributions
Faible potentiel / Faible
performance
Faible potentiel / Moyenne
performance
Faible potentiel / Haute
performance
Seuil de carrière atteint, ne
délivre plus
Spécialiste technique satisfaisant
les attentes de performance :
laisser en place,
Spécialiste technique
excédant les attentes de
performance : laisser en
place,
Le conseiller ou le débarquer
Le motiver et le recentrer
Peut développer les autres ;
le retenir et le récompenser
-
Performance
+
Figure 1 : grille performance / potentiel
source : [MICHAELS & alii 2001] traduit et augmenté
POUR UNE ENTREPRISE DE TALENTS
Si des dimensions nouvelles, très fréquemment communes à différents environnements,
souvent liées au savoir être, personnalités, constituent des composantes fondamentales du
talent, ce dernier demeure cependant très interdépendant du contexte où il s’exerce.
Une attention à porter au cadre organisationnel
Il a été couramment observé que malgré leurs qualités intrinsèques les talents ne trouvent le
bon format de leur expression que dans un cadre favorable.
Des modes de management qui laissent l’espace à un forme de libération de la parole et de
l’action, des organisations qui facilitent et encouragent le fonctionnement en réseau et les
dynamiques collectives, des dirigeants qui acceptent voire stimulent la prise de risques sont
autant de paramètres et leviers de valorisation du talent
Et en parallèle la mise en oeuvre par les Ressources Humaines de modes et dynamiques
nouvelles de management des personnes et de leurs parcours professionnels vont permettre
la bonne qualification du talent. La lisibilité donnée à ces démarches sera aussi largement
contributives à leur efficacité
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Pour une évolution des pratiques de repérage et de gestion des talents
Les pratiques évoluent en effet d’une identification des talents sommaire, via une approche
par les organigrammes de remplacement, à une préparation plus fluide et dynamique des
évolutions des organisations et des successions. Les entreprises adoptent notamment un
repérage des potentiels qui n'est plus définitif, leurs listes des hauts-potentiels sont mises à
jour régulièrement par un comité réunissant un ensemble de parties prenantes telles que les
dirigeants des filiales, les managers locaux, le directeur de division, la direction des
ressources humaines. Ces potentiels sont regroupés dans un vivier qu'il s'agit de développer
en résistant à la tentation de désigner un héritier même si ceci n'exclut pas d'envisager une
personne de remplacement en cas de situation d'urgence
C'est ainsi que dans un objectif de conserver et enrichir la valeur de ce capital humain les
entreprises performantes croisent le développement du leadership avec leurs processus
d’organisation des successions Et si les plans de succession se concentrent encore
généralement sur quelques positions au sommet, le développement du leadership
commence bien en aval aux 1ers niveaux de management [CONGER FULMER, 2003
Et dans cette même logique d’anticipation les potentiels reçoivent des affectations qui
comportent suffisamment de défis pour les exposer véritablement.
Cette approche par le développement a pour but de soutenir le pipeline entier (cf . Figure 2)
des talents au travers de l'organisation [CHARAN & Alii 2001]. Elle peut s’établir par exemple
dans un premier temps par la capacité à effectuer des transitions dans une logique de
pipeline : du passage 1 « de manager soi à manager les autres », au passage 6 « de manager
une filiale à manager l’entreprise »
Enfin 'approche par le talent suppose aussi au-delà de la gestion des potentiels, de dessiner
une conception plus vaste des talents, concernant à la fois les dimensions managériales et
les expertises (en particulier celles identifiées comme stratégiques et/ou touchées par la
rareté)
L’identification du talent pourra se faire aussi sur une aspiration à autre chose, qui peut être la
capacité à rejoindre un cercle, une catégorie supérieure ou une expertise métier.Cette
conception permet de capturer un vivier beaucoup plus large des talents, d'être dans une
logique de gestion de la mobilité, posture vertueuse à la fois pour les entreprises et les
individus.
e
Passage 6
Passage 4
Passage 2
epris
Manager l’entr
Manager la filia
le
siness Unit
Manager la Bu
Manager une fon
ction
dres
Manager les ca
Manager les aut
res
Se manager so
i
Passage 5
Passage 3
Passage 1
92
Figure 2 Accompagner le cheminement dans le pipeline
5
source : [CHARAN & Alii 2001].] traduit et augmenté
Les ressources humaines, dans leur rôle de pilotage des processus de gestion et de
développement des talents peuvent aussi contribuer à la mise en œuvre de structure originales
facilitant la cohérence de fonctionnement des initiatives et processus de mangement des
talents citons par exemple le « conseil de développement des talents », différent des comités
de carrières (Talent Développent Advisory Committee) [ROTHWELL KAZANAS 2004]. Le
but de cette structure, composé de dirigeants et de représentant des ressources humaines, est
d'établir des priorités et des lignes directrices pour la sélection, la planification, le
développement et l'évaluation des systèmes de développement des personnes. Ce comité
réfléchit aussi à des activités de développement adaptées aux besoins de l'organisation et il
peut servir de base à la mie en place de mentorat.
L'une des missions des ressources humaines consiste enfin à surveiller le climat de
développement et à l'évaluer en mesurant par exemple la qualité de communication, la
modalité de résolution des problèmes, le respect, la courtoisie et la confiance au sein d'une
équipe, d'un service ou d'une division.
Elle peut aussi mener également des entretiens de départ, afin de mieux connaître les raisons
qui expliquent le départ des talents, afin d'améliorer les efforts de gestion et optimiser la
rétention des talents.
Donner une visibilité sur les parcours professionnels et les carrières
Chez L’Oréal il est remarqué que lorsqu’un dialogue étroit s’installe sur la gestion de
carrière, "les gens ne partent pas, même avec une offre de salaire supérieure de 50%".
Ailleurs et souvent la communication est une véritable attente des talents qui n’ont pas
toujours conscience des mécanismes de gestion et des attentions portées à leur cheminement.
« Je n'ai pas de visibilité sur ce que sera mon développement professionnel futur
; j'ai exprimé le souhait de devenir directeur d'usine ; il n'y a pas de vision sur le
plan de carrière » [un haut-potentiel]
Il faut remarquer que demeure encore de nombreuses hésitations des entreprises à
communiquer sur les plans de succession, voire sur les hauts potentiels Les arguments
évoqués sont souvent d’éviter la démotivation de ceux qui ne font pas partie des talents, ou
d’éviter le risque de susciter une trop grande pression sur les personnes repérées (EADS) ou
de peur que de créer de l’arrogance (AXA TECHNIP) Mais de plus en plus la transparence et
la règle du jeu de remise en cause du « statut » chaque année se développent (SCHNEIDER
ELECTRIC TECHNIP) [BOURNOIS & Alii 2007].
Dès lors illustrer que les talents sont suivis, rassurer, voire stimuler les potentiels en
communiquant les modalités du système de gestion des parcours professionnels et des
carrières devient une nécessité.
6
Figure 3 : exercice de visibilité du parcours
Chez CAP GEMINI chaque profession dispose d’une carte de développement qui comporte
plusieurs niveaux et filières de progression. Les prestations ou rôles que le collaborateur doit
réaliser sont définis sur le parcours et un rôle cible est défini avec le manager.
DESSINE MOI UN TALENT , ou vers de nouvelles méthodes d’acquisition et de
développement
Dans les pratiques d’entreprises le développement proprement dit n'est pas systématiquement
valorisé et mesuré Il est pourtant un des leviers majeurs de renforcement du capital humain.
Il nécessite en outre un véritable état d'esprit, car il doit imprégner tout le réseau managérial
afin d’être véritablement efficace. Sont aussi interpellés la culture d'entreprise, le domaine des
valeurs et des croyances. Le développement des talents concerne tout autant le management
que la fonction ressources humaines. Dans ce cadre les démarches de développement se
démarquent résolument de la formation dans son acception traditionnelle et ses modalités
classiques pour concerner l’expérience encadrée au plus près des besoins du talent, variant les
formes d’apprentissage organisant la progression par l’action, l’expérience, la mise en
situation, l’accompagnement managérial, le tutorat ou le mentorat.
Ces pratiques et méthodes ,sur lesquelles nous focaliserons plus spécifiquement, visent à
développer ces nouvelles dimensions caractéristiques de l’équipement personnel et
professionnel utile et nécessaire dans des contexte plus instables Au-delà des compétences
techniques, développer les talents sur leur compréhension de l’environnement, stimuler leur
créativité, leur agilité, favoriser l’expression de leur intelligence émotionnelle, leur apprendre
à bien réagir à des injonctions paradoxales, inciter à la prise de risque seront des objectifs
incontournables de ces actions de développement . Ces mêmes démarches, attentives aussi
aux dimensions engagement et coopération mixeront les accompagnements personnalisés et la
force du collectif.
Le préalable de l’implication des dirigeants et du management
Le développement des talents inclut en effet un acteur capital : le management. Force est de
constater que dans les entreprises où se déploient des processus ressources humaines pourtant
aboutis, la gestion des talents pourrait être améliorée très sensiblement en obtenant une
implication managériale qui tarde à se mettre en œuvre. Non seulement il est attendu que les
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dirigeants consacrent du temps aux différents dispositifs de gestion de carrière, mais
également que les discussions soient suivies d’engagement.
A propos de la détection, donner des objectifs de détection des talents et encourager la prise
de risque des détecteurs peut être être mobilisateur pour les managers
Concernant la question du développement des talents sans remettre en cause les rôles et
interventions des acteurs académiques et experts elle se doit d’être largement le fait des
dirigeants et managers [ALLIO 2003]. Le rôle du management dans ces circonstances est en
effet d’être véritablement éducateur des talents apportant accompagnement et feed-back.
Parmi les raisons qui expliquent le déraillement des talents, apparaît en effet le manque de
qualité du feed-back des superviseurs, le fait que la contribution des personnes de talent ne
soit pas appréciée, ne soit pas valorisée. Les talents attendent que le management donne des
retours réalistes : que les managers aient le courage de dire la vérité, Ce feed-back doit les
aider à apprendre véritablement sans être démobilisant.
Quelques verbatim :
–« Il faut dire clairement aux gens qu'ils ne seront pas directeurs industriels, ou
alors tu le seras à telles conditions et dans telle échéance » [un haut-potentiel]
–« J'aurais préféré savoir ; il est important de dire les choses, de donner un vrai
feed-back même quand cela ne va pas, car cela permet de faire avancer les
choses. » [un haut-potentiel]
Dans une autre entreprise il est évoqué clairement qu’il ne doit pas y avoir de sujet tabou, que
la prise en compte la dimension personnelle du collaborateur est importante et qu’il est
essentiel de donner un retour en s’appuyant sur les points forts du collaborateur. Le feed-back
dont il est question ici s’inscrit dans une approche typique du coaching qui guide la personne,
la confortant dans ses réussites et la soutenant pour les changements qu’elle entreprend.
Les entreprises devront ainsi de plus en plus chercher à obtenir un véritable engagement de la
ligne managériale à cette nouvelle donne, en fixant les responsabilités et en pensant une
valorisation de cette posture Par exemple, concrètement et prosaïquement la bonne gestion
des talents peut devenir un critère d’évaluation à inclure dans la prime d’objectif des
directeurs généraux de filiales dont la tendance naturelle peut êre parfois de retenir les
meilleurs dans leur périmètre. Le rôle pédagogique (conseil, collaboration) et support
(« outils »)des ressources humaines est ici essentiel Par exemple accompagner des directeurs
généraux de filiales afin qu’ils passent d’une concentration sur leur périmètre local à une
valorisation plus globale ou favoriser le management de transition et l’exemplarité doivent
pouvoir être des résultats tangibles.
Les meilleures pratiques de développement des talents ont été repérées par différents
chercheurs (cf. Figure 4).
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TYPE DE PRATIQUE DE
DÉVELOPPEMENT
Apprentissage par l'action
Apprentissage par l'expérience
Mobilité transfonctionnelle
Apprentissage par l'expérience
Evaluation 360 degrés
Évaluation
Exposition aux cadres dirigeants
Enseignement
Coaching externe
Coaching
Mobilité globale
Apprentissage par l'expérience
Exposition à un ordre du jour stratégique Enseignement
Mentorat
Coaching
Étude de cas spécifique à l'entreprise
Enseignement
Formation executive MBA
Enseignement
Promotion accélérée
Apprentissage par l'expérience
Conférence professionnelle
Enseignement
-
SENS
+
INITIATIVE
Figure 4 : Les meilleures pratiques de développement des talents
Source SHRM 2007
Apprentissage par l’expérience et la mobilité
L’apprentissage par l'expérience constitue probablement l'une des meilleures pratiques
d’expression et renforcement des talents. Il contribue à l’émergence de l’entreprise
apprenante. Il comprend une série d'activités de développement tels que l'apprentissage par
l'action, les missions de dépassement, la mobilité transfonctionnelle et globale, la promotion
accélérée etc. Cette forme d’apprentissage nécessite une participation active de l’encadrement
à tout niveau : dirigeant, membres du comité de direction, cadres supérieurs. Avec le soutien
des professionnels des ressources humaines ils facilitent, légitiment, valorisent ces modes de
développement par l’expérience. Les mises en situation peuvent porter sur les affectations de
dépassement « stretch assignment », où les talents seront exposés à diverses situations en
termes de rôle, de fonction, de zone géographique.
Cette mobilité fait l’objet de simulation à court terme sophistiquée chez Dow Chemical
[CAPPELLI 2008]. La diversité des situations est justement l’une des clés de la réussite de ce
type de programme qui inclut la possibilité d’une affectation limitée en termes de durée (6
mois souvent) pour essayer, lancer un projet à partir de zéro, résoudre un problème dans les
affaires), ou sur des projets alternés toutes les 6 semaines ceci afin d’observer comment les
talents réagissent notamment à des situations de tension, quels sont leurs atouts mais aussi
leurs besoins de développement. AREVA de même met en place des expériences diverses au
sein d’équipes projets (sur sites, au siège social ou à l’étranger). Des expériences très courtes
apparaissent aussi, comme par exemple l’opération interne de découverte des métiers de
l'entreprise intitulée « vis mon job » mené par Konica Minolta en France. En France, la
mobilité transfonctionnelle est pratiquée chez RENAULT (la mobilité « inter-métiers» est
ouverte à tous et particulièrement aux non cadres), LOGICA (tous les collaborateurs peuvent
changer de fonction ou de métier au cours de leurs parcours professionnels, à condition
d’avoir acquis deux années d’ancienneté opérationnelle dans leur direction). Bristol-Myers
Squibb a mis en œuvre des échanges de postes internationaux (swap) entre les salariés. Une
personne affectée au siège aux États-Unis pourra échanger son poste avec une personne en
poste à Singapour. N’oublions pas le cas des PME qui constituent un réservoir d’expériences
pour les talents. H.A. Mayer dirigeant de Abeil, dans une approche novatrice et iconoclaste,
nous explique qu’il recrute des talents en leur demandant un engagement de 2 à 3 ans avec la
contrepartie de les aider à trouver ensuite des possibilités de poursuite de carrière à l’extérieur
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de l’entreprise. Ceci évoque l’apparition d’un phénomène nouveau d’une entente des
entreprises notamment dans des secteurs tendus quelles que soient leurs tailles pour recruter et
développer sous une forme concertée les personnes de talent.
Là encore la qualité du feedback joue un rôle sur ce que les talents retireront de ces
affectations de développement.
En outre le foisonnement d'expériences, ainsi que la possibilité d'être investi de suffisamment
de responsabilités, permettent de susciter un environnement propice à l'excitation et à la
motivation des personnes.
L’action learning
Les universités d’entreprise ont fréquemment pour vocation de servir de support à
l’apprentissage par l’action. Elles développent par exemple dans ce cadre des programmes qui
consistent à confier des missions à des talents, en général hauts-potentiels et cadres supérieurs
mais aujourd’hui dans des périmètres qui tendent à s’élargir. Un exercice classique de ces
pratiques consiste par exemple en l’organisation d’un travail en équipes sur un thème souvent
confié par la direction générale pour une durée significative (période d’un à six mois
généralement). Les équipes sont chargées de recueillir de l’information pertinente,
d’interviewer des experts et des clients sur le sujet, de passer en revue les meilleures pratiques
d’entreprises. Le travail et les recommandations sont ensuite présentés formellement devant
un comité de dirigeants qui a un objectif la mise en œuvre des propositions [Eli Lilly, Bank of
America, Dow Chemical, GE, and Dell].
Ces universités sont aussi des lieux d’expression et de développement du talent collectif au
travers de sessions de « talent storming ». EADS, dans le cadre de son Université a mis en
place des ateliers intensifs de courte durée réunissant les 1000 Executives du Groupe sur les
thèmes d’actualité essentiels (HOT TOPICS), les rencontres de la Top Executive Team (le
TET MEETING) et les plates-formes de dialogue et de débat sur les sujets stratégiques au
niveau du Groupe (EXECUTIVE FORUMS).
Le focus est ainsi largement mis dans ces démarches sur les postures d’ouverture, de
transversalité, de coopération. Ces dimensions vont parfois jusqu’à s’exprimer dans
l’ingénierie et l’animation des programmes qui peuvent être confiées aux managers eu même
Ainsi des managers travaillent pour d’autres managers ; c’est la logique développée
notamment au sein du groupe caisse d’Epargne avec la GCE (Groupe caisse d’Epargne)
Business School.
Dans d’autres cadres, les programmes proposés visent à accompagner des situations ou
changements de situations professionnelles. Pour reprendre l’exemple de l’université
d'entreprise d’EADS (Corporate Business Academy) , elle a aussi pour objet le
développement des dirigeants et des hauts-potentiels, au moyen de 2 programmes principaux :
FAST et EXPAND. FAST est conçu pour les Managers ou Senior Managers de talent en
poste. EXPAND est étroitement lié à l’accompagnement des transitions professionnelles :
passage d’une position de Senior Manager à celle d’Exécutive.
D’une manière générale, ces programmes de leadership permettent de promouvoir une
meilleure compréhension culturelle à travers les différentes entités des groupes, de fournir des
expériences d’apprentissage transfonctionnel pour des populations à -potentiel. Ils propulsent
les participants hors de leurs préoccupations locales en les associant aux problèmes
stratégiques majeurs et favorise le contact avec le réseau des dirigeants de l’entreprise [KUR
BUNNING, 2002].
Le mentorat
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Le mentorat, est une démarche plus émergente qui peut prendre des formes différentes mais
trouve de plus en plus sa place dans les démarches de développement des talents. Défini
comme une relation d'apprentissage collaborative et réciproque entre deux ou plusieurs
individus, l'un est le mentor, qui porte la responsabilité d'apporter un support au mentee (la
personne mentorée) afin que ce dernier puisse atteindre les objectifs d'apprentissage qu'ils ont
définis ensemble, usuellement de nature développement personnel et professionnel
[ZACHARY 2005]. Souvent (mais pas exclusivement) exercé par un membre appartenant à
l'organisation, le plus souvent choisi pour son expérience, son appartenance au cercle des
dirigeants ou des talents qui ont fait leurs preuves.
L’impact du mentorat est particulièrement significatif pour les talents, car cette expérience
encourage à donner le meilleur de soi, contribue de fait au succès de l’entreprise, et
développe un sentiment d’appartenance à une communauté. Il est observé que les
personnes qui bénéficient de l’accompagnement d'un mentor connaissent des mobilités plus
rapides, jouissent d'un meilleur système de récompense. Ceci tient au fait que le mentor
joue un rôle d’accélérateur de la carrière notamment en facilitant une plus forte exposition,
un développement par l'expérience et par la stimulation [NOE 1988]. Cette pratique se
répand progressivement. Les entreprises peuvent promouvoir la valeur du mentorat en
mettant en oeuvre des programmes organisés de mentorat et en encourageant la pratique
de mentorat informel.
A partir de l’examen des bonnes pratiques souvent disséminées, nous pouvons établir un
cadre utile à ceux qui souhaitent mettre l’accent sur le développement des talents avec
l’objectif de développer une réelle culture du talent. Nous avons résumé ces actions à l'aide de
la Figure 5.
Figure 5 : Les actes de développement des talents
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Conclusion
A ce jour, même si les entreprises affirment d’une manière quasi unanime être engagées dans
une guerre des talents, elles sont peu à développer des approches globales, cohérentes et
étendues de gestion et de développement du talent. Les dispositifs concernant les hauts
potentiels se sophistiquent, les programmes de développement du leadership s’étendent,
s’étoffentvoire se généralisent dans les grands groupes.
Mais toutes les entreprises ont des progrès à faire en matière d’ancrage business de leur action
d’une part et d’anticipation d’autre part , cela afin d’identifier clairement leurs besoins plus
exhaustifs en termes de talents critiques, notamment pour les populations d’experts.
Une autre faiblesse est observée à propos de l’insuffisance d’articulation des démarches et
outils ressources humaines et management, condition sinequanone pour une couverture plus
large large de la gestion et du développement des talents. La segmentation, notamment des
populations ne doit pas en effet exclure l’approche globale et la cohérence .
Nos recommandations portent ainsi largement sur le necessaire développement d’une capacité
de prévision , mais d’une prévision agile car il est fondamental de conserver une flexibilité
aux démarches et outils mis en place , de pouvoir faire évoluer par exemple les frontières des
viviers pour faire face à la volatilité des situations d’activité de l’entreprise.
Les voies de développement quant à elles ont du sens à se centrer sur les personnes dans
toutes leurs dimensions, à prendre appui sur un développement personnel fort, une
construction autour du leadership. Un talent, pour lequel l’entreprise va veiller à une
succession d’expositions à des situations variées, doit développer sa capacité à pouvoir agir
« out his confort zone » et pour se faire s’appuiera utilement sur son équilibre global.
Elles pourront se formaliser pour devenir lisibles et stimulantes sous des formes d’itinéraires
ou « Learning map »
Mais le developpement des talents , centré sur les personnes , doit être aussi attentif à sa
capacité d’introduire de créeer des temps et espaces de partage et de communauté facteurs de
performance Ce périmètre « communautaire » , terreau de talent , socle de développement de
la confiance en soi et en l’organisation jouera en outre un rôle évident de fidélisation
Enfin en termes de logique, si certes la guerre des talents évoque des stratégies de domination,
les réponses ou à minima les postures pour developper une culture du talent en entreprise
peuvent peut être être autres. Ainsi au lieu de se placer dans des démarches dites
« masculines » les entreprises gagneraient elles à employer des méthodes relevant des
stéréotypes dits féminins visant le respect, les bénéfices mutuels, les soins et la responsabilité,
toute méthode douce apportée aux personnes qui leur sont chères [PIDERIT 2007]. Cette
coopération transformative n’est-elle pas une voie nouvelle et construtive du développement
des talents ?
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