Le Code Secret

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Le Code Secret
Le Code Secret
Voici un livre qu'on se passerait volontiers d’évoquer. Fin juin dernier, un bref coup d'oeil
sur le contenu du volume présenté en impressionnantes piles à la FNAC, m'avait
convaincu qu'il était bien loin de valoir son prix d'achat et les quelques heures
nécessaires à une lecture suivie. Hélas, on ne cesse depuis de m’interroger " que faut-il
penser du Code de la Bible ? “
Une réponse plus détaillée se révèle nécessaire ainsi qu'une information pour ceux qui
auraient eu la bonne idée de ne pas acheter le livre et voueraient néanmoins pouvoir
répondre intelligemment à ceux qui les interrogent.
De quoi s'agit-il ? L’auteur du livre, journaliste américain, reprenant une méthode
de traitement du texte biblique élaborée par trois scientifiques israéliens (Doron Witztum,
Eliahu Rips et Yav Rosenberg), prétend découvrir dans le texte hébreu de l'Ancien
Testament (principalement le Pentateuque), un foisonnement de messages codés
révélant des événements qui viennent de se produire ou susceptibles de se produire
dans un futur proche. Le principe du «décodage » est le suivant en sautant d'une lettre à
l'autre selon des intervalles fixes on peut faire apparaître des mots significatifs, tels que
« Yitzhak1 Rabin», «guerre atomique», etc. L'opération se représente comme une mise
en page géante du texte en lignes égales à la longueur des intervalles (sans espace
entre les mots). En faisant varier la longueur des lignes, parfois jusqu'à plusieurs milliers
de signes par lignes, on finît par voir apparaître de-ci de-là en lecture verticale des
séquences intelligibles de quelques lettres : huit par exemple pour « Yizhak Rabin
» (YSHQRBYN)2, neuf pour « premier ministre Netanyahu » (RHMNTNYHW)3, etc. A l'intersection
de ces séquences et du texte horizontal, toujours intelligible puisqu'ii s'agit du texte biblique,
Drosnin repère des correspondances qui lui permettent par exemple de prédire : Yitzhak
Rabin sera assassiné, puisque l'une des séquences verticales portant son nom «croise »
un texte qui parle de meurtre (Dt 4.42).
Pour juger de la pertinence de la méthode employée, il faut d'abord bien mesurer
ce qu'elle implique pour pouvoir fonctionner. Elle présuppose une copie parfaitement
exacte du texte biblique, sans aucune modification orthographique. C'est bien ce que
prétend Drosnin : « Le texte de l'Ancien Testament est établi depuis au moins un millier
d'années. Pas une lettre n'en a changé durant ce temps-là et aucun spécialiste ne le
conteste. Il en existe une version complète, le Codex de Leningrad, qui date de l'an
1008, et toutes les Bibles en hébreu qui existent sont identiques lettre pour lettre» (p.
41). Quiconque a pratiqué un tant soit peu la lecture du texte hébreu sera abasourdi par
le caractère exorbitant de ces prétentions. Comment peut-on énoncer avec autant
d'aplomb de telles contrevérités ? Que fait Drosnin des différentes formes de texte : juif,
samaritain, grec, Qumran ? Que fait-il de l'orthographe flottante de l'hébreu qui permet
d'écrire le même mot à la même forme de deux, trois ou quatre manières différentes4 ?
Que fait-il des différences de texte, notamment les différences d'orthographe, à l'intérieur
même de la tradition juive ? Quel que soit le sérieux du travail accompli par les copistes
juifs au Moyen Âge, qui en effet se sont efforcés de recopier le texte à la lettre près, ils
n'ont pu réaliser un travail parfait. Le soin même qu'ils ont apporté à leur oeuvre les a
conduit à signaler les imprécisions de la transmission ; la différence assez fréquente
entre le texte lu (qeré) et le texte écrit (ketiv) en est le témoignage le plus visible. Drosnin
présente les défauts caractéristiques de ces journalistes plus pressés que scrupuleux,
qui, ne prenant pas le temps de s'informer sérieusement, saisissent au vol quelques
éléments d'information, les grossissent et les amalgament à leur gré. Pris par la fièvre du
sensationnel, ils ignorent la patience et le respect qu'exige la recherche de la vérité.
On pourrait fort bien arrêter ici la démonstration : la matière première faisant défaut (le
texte sans faute de copie) toutes les conclusions qu'on peut en tirer perdent tout
fondement. Il me parait cependant utile de la poursuivre pour répondre à l'objection
possible: pertes, les preuves documentaires manquent pour démontrer que le « texte reçu »
est la reproduction exacte du texte d'origine, mais les propriétés uniques de ce texte, mises
en évidence par le traitement informatique, apportent la preuve manifeste de son
authenticité. Telle est la voie entreprise par les scientifiques israéliens dont l'auteur se
réclame. Se gardant d'affirmer a priori comme le fait Drosnin que le « texte reçu » serait
sans faute ou « universellement accepté5», ils s'y réfèrent comme à un texte « généralernent accepté6 dont ils découvrent les propriétés étranges. N’ayant pas les
compétences requises pour apprécier la pertinence des formules statistiques utilisées par
ces auteurs pour formaliser leurs observations nous nous limiterons a une appréciation
empirique des opérations réalisées par Drosnin.
Dans un texte aussi ample que celui de a Bible hébraïque (plus de 300 000 consonnes
pour le Pentateuque, plus d’un million pour tout l'AT), il n'est pas surprenant que l'on puisse
faire apparaître par le procédé décrit ci-dessus, des séquences déterminées allant jusqu'à
huit ou neuf lettres. Ce n'est d’ailleurs pas l’apparition de noms tels que Yizhaq Rabin ou
Netanyahou que Drosnin juge révélatrice, mais leur croisement avec un texte significatif. Il
convient pourtant d’observer qu’un nom de huit lettres ne croise pas qu’un seul texte. Les
huit textes bibliques “ croisés “ par Yizhaq Rabin sont les suivants:
- Tt 2.32-33.: ” Sin sortit a notre rencontre, avec tout son peuple, pour nous combattre à
Yeats. Letton notre Dieu nous le livra 7 et nous l’avons battu, lui, ses fils et tout son peuple
“.
- Tt 4.42 ( il est question des villes de refuge): “Afin qu’elles servent de refuge au
meurtrier qui aura tué son prochain par mégarde “.
- Dt 7 20: « LEternel enverra même contre eux les frelons jusqu'à ce que périssent ceux
qui resteront et qui se cacheraient devant toi».
- Dt 11.1 : « Tu aimeras l'Eternel ton Dieu et tu observeras ses préceptes, ses
prescriptions, ses ordonnances et ses commandements».
- Dt 13.11 : « Tu le lapideras, et il mourra, car il a cherché à te pousser loin de l'Eternel
ton Dieu qui t'a fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude».
- Dt 17.5: «Tu feras venir à tes portes cet homme ou cette femme qui aura commis cette
mauvaise action et vous les lapiderez avec des pierres et ils mourront».
- Dt 21.5: «Alors s'approcheront les prêtres fils de Lévi; car l'Eternel ton Dieu les a choisis
pour être à son service et pour donner la bénédiction et ce sont eux qui doivent prononcer
sur toute contestation et sur tout dommage corporel».
- Dl 24.16: « On ne fera pas mourir les pères pour les fils, et l'on ne fera pas mourir les fils
pour les pères ; on fera mourir chacun pour son péché ».
Avec une telle liste, on n'a que l'embarras du choix; on peut dire aussi bien que Rabin
est un coupable qui doit être lapidé (Dt 17.5; voir aussi 13.11 qui commande de lapider
ceux qui incitent à l'idolâtrie>, ou que Dieu se servirait de lui pour annexer la Transjordanie
(royaume de Sihôn, Dt 2.32), ou qu'il risque d'être piqué par un frelon (Dt 7.20) ou de
devenir lépreux8, ou qu'il a partie liée avec les prêtres ou qu'il fera lui-même office de prêtre
(Dt 24.16), etc. Dans cette déconcertante variété de possibilités, celle qu'a choisie Drosnin
est d'ailleurs bien plus mal étayée que celles que l'on vient d'évoquer. Le texte qu'il exploite
(Dt 4.42) ne parle pas d'assassinat comme il le répète à l'envi, mais d'homicide par
imprudence et de sauvegarde du responsable dans la ville de refuge. Le lecteur peut donc
juger Si la technique est plus fiable que la lecture des lignes de la main, du marc de café ou
de la boule de cristal.
Mais les trop nombreuses possibilités laissées par la lecture en clair des textes qui
croisent ses mots clés ne lui suffisent pas. Il lui arrive aussi de prendre arbitrairement
certaines consonnes du texte qu'il interprète d'une manière incompatible avec l'ensemble
de la phrase. Ainsi en Dt 4.45 « où le meurtrier'> devient par un tour de passe « le nom de
l'assassin »9 ; en Dt 12.12 «vous vous réjouirez devant l'Eternel » devient « scellé devant
Dieu »1O ; en Gn 25.11 «il arriva après la mort d'Abraham » devient « ce sera après la mort
du premier ministre »11 Si l'on traite ainsi les consonnes du texte sans aucune considération
pour le sens des phrases dans leur contexte, il devient évident que l'on peut faire dire au
texte ce que l'on veut. On a démontré de plus que les mêmes techniques appliquées à
d'autres documents tels que Moby Dick du romancier américain Herman Melville produisent
des résultats similaires12.
C'est donc un non absolu qu'il faut dire à ces pratiques malhonnêtes qui ne peuvent
qu'égarer les lecteurs dans leurs propres élucubrations pour les détourner du sens clair de
l'Ecriture. Par un renversement étonnant, Drosnin prétend que le message du code de la
Bible, contrairement au message biblique qui nous avertit d'un “ désastre soudain et
inévitable » (p. 109), nous permet de « conjurer l'Apocalypse qui nous menace » (p. 110).
Le code ne révélerait pas nécessairement le futur réel mais « tous nos futurs possibles “(p.
108); à nous de tenir compte des informations données et d'agir en conséquence « pour
éviter le désastre prédit » (p. 190). Car, selon l'auteur, le code ne peut émaner d'un être
tout-puissant - s'il était tout-puissant, il pourrait changer lui-même le futur plutôt que le
prédire (p.109) - mais d'un être bon qui veut nous avertir du danger “afin que nous
puissions nous-mêmes l'éviter » (p. 109). En fait, « le message du code de la Bible est que
nous pouvons nous sauver nous-mêmes » ~ 190). Le lecteur soupçonneux - et on a de quoi
l'être lorsqu'on lit Drosnin - se demandera si cette généreuse ouverture sur l'avenir ne
cherche pas à couvrir les démentis présents et futurs que les faits ne manquent pas et ne
manqueront pas d'opposer à ses prédictions. Le chapitre 8, intitulé « Les jours de la fin »(p.
167-190), montre comme il tente de gérer l'inaccomplissement. L'holocauste atomique
prédit en 1996 n'a pas eu lieu, est-ce parce que le code était erroné? N'est-ce pas plutôt,
propose-t-il, parce que la connaissance du danger a permis de l'éviter (p. 170)?
Peut-on échapper au dilemme ? A quoi sert-il de prédire l'avenir s'il n’est pas
inéluctable, le prédire a-t-il encore un sens ? Seule une perspective explicite et développée
sur l'avenir permet de dépasser ce dilemme. Cette perspective nous est offerte par la
révélation biblique. Comme le montrent plusieurs exemples, l'annonce d'un malheur décidé
par Dieu peut ne pas être suivie d'effet lorsque l'homme change de conduite et implore la
clémence divine13. Inversement les promesses de bénédictions sont souvent présentées de
manière conditionnelle14. Dieu cependant reste totalement maître de l'avenir, libre de
réaliser ses projets sans le concours de l'homme, libre de rester fidèle à ses promesses
même lorsque l'homme est infidèle, libre de répondre ou non à la prière de ceux qui l'implorent. Ainsi l'homme ne fait face, ni à la fatalité du destin, ni à l'indétermination des futurs
possibles. La connaissance de Dieu nous permet d'envisager l'avenir de manière lucide,
confiante et responsable. Seule elle nous permet de tirer cette conclusion que Drosnin tire à
tort de son misérable « code» «nous savons maintenant que nous ne sommes pas
seuls» (p. 190).
E. NICOLE
(1)
Nous reproduisons ici l'orthographe des mots telle qu'elle figure dans la traduction française, sans nous interroger sur
son exactitude. Dans le sens hébreu français, elle n'a aucune incidence sur le problème de fond, il n'en va pas de même
lorsqu'on transpose en hébreu un nom étranger comme Clinton, Hitler, Kennedy ou Dailas.
(2)
L’exemple figure sur la page de couverture et l'auteur y revient plusieurs fois au cours de l'ouvrage (p. 19-21, p. 31-32,
p. 58, p. 82).
(3)
p 79, dans le cas particulier RHM qui figure avant NINYAHW (Netanyahu) ne constitue pas en hébreu un mot, mais
une abréviation de rô's hammèmsàlô (litt : chef du gouvernement>. A noter que la séquence est lue ici de haut en bas (alors
que lsaac Rabin était lu de bas en haut), cette possibilité de lire dans un sens ou dans l'autre multiplie les possibilités de faire
apparaître des séquences significatives.
(4)
On fait ici allusion au phénomène de l'orthographe dite pleine ou défective qui permet de signaler plus ou moins de
voyelles à l'aide de
consonnes muettes
(5)
p 222 : « Le programme informatique du code de la Bible utilise la version universellement acceptée du texte hébreu
original
(6)
p 205 de Drosnin qui reproduit l’article paru dans la revue Statistical science, vol.9, 1994, p. 429-438: “ we used the
standard, generally accepted text of Genesis known as the Textus Receptus. “
(7)
Le mot souligné signale le mot Hébreu qui comporte la lettre appartenant au nom Yizhaq Rabin.
(8)
Même texte, enjouant sur la parenté entre sàr'a (être atteint de la lèpre) et sir'â (frelon)
(9)
En hébreu sém hàrôséah (nom du meurtrier) à la place de sàmâ rôséah (là, un meurtrier), p.20.
En hébreu hatum (scellé) à la place de usemah tem (vous vous réjouirez), on remarquera que les premières lettres du
verbe (wsm) sont laissées de côté, p. 105.
(10)
(11) En hébreu yehî (qui n'est pas la forme du futur, mais du jussif, le futur serait yihyé (h), avec une consonne de plus) aharê
môt (on saute deux lettres, pourquoi?) rhm (initiales de « chef du gouvernement ») à la place de wayehî 'aharê môt
'abràhàm, p. 62. Plus loin p. 171), le même texte devient « un autre mourra “ ('ahér yàmût).
(12) Shlomo Sternberg, « Snake Oil for Sale », Bible Review 22, Août, 1997, p. 24-25, donne l'exemple d'une lecture « croisée »
de Moby Dick, faisant apparaître l'assassinat du Premier Ministre Indira Gandhi et du Président Somoza. Lors d'interviews,
Drosnin avait mis au défi ses contradicteurs de faire apparaître l'assassinat d'un premier ministre dans le texte de Moby
Dick (Newsweek, 9Juin, 1997). Les internautes pourront encore enrichir le dossier de bien d'autres informations.
(13)
Cf. le thème de la « repentance » de Dieu,
après l'affaire du veau d'or (Ex 32.14), après la réforme d'Ezéchias (Jr 26.19), après la repentance des Ninivites (Jn 3.1O).
(14)Cf. promesses de Dieu à Salomon (1 R 9.4-5), à Jéroboam (1 R 11.38), etc.