Encore méconnu sur le plan international, le cinéma espagnol est

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Encore méconnu sur le plan international, le cinéma espagnol est
Encore méconnu sur le plan international, le cinéma espagnol
est pourtant, de nos jours, d’une extrême diversité – et qualité.
La génération de cinéastes la plus récente œuvre aussi bien dans
le cinéma de genre (comédie, fantastique, thriller…), un certain
classicisme (films de reconstitution historique) ou dans une
démarche plus personnelle, voire parfois expérimentale, sans
oublier le documentaire. Cette méconnaissance est
essentiellement due à la faiblesse de ses infrastructures de
production, distribution et promotion et un relatif désintérêt de
l’Etat. Les Espagnols eux-mêmes ignorent une grande part de
leur cinématographie peu mise en valeur par les éditions et
rééditions en salles ou en vidéo. Ainsi, de nombreux classiques
sont à ce jour introuvables. Impossible de voir, autrement que
sur des copies de piètre qualité ou de contrebande entoilée, les
équivalents espagnols des Méliès, Renoir, Carné, Duvivier,
Grémillon, Truffaut, Sautet, Melville…
Notre petit panorama se conjuguera donc essentiellement au
présent, avec quelques perles sauvées de l’oubli…
C’est à Barcelone et dans la capitale, Madrid, que sont créés les
premiers studios et sociétés de production au début du siècle
dernier. Si du cinéma muet survit le nom de Segundo de
Chomón, génie touche-à-tout, nous le devons au rôle que lui fit
jouer Pathé en le recrutant afin d’incarner le rival direct de
Georges Méliès. Oubliés en revanche Ignacio Coyne, Antonio
Tramullos, Baltasar Abadad, Ricardo de Baños, Antonio
Cuesta…
Le cinéma parlant ne surgit qu’avec l’avènement de la Seconde
République (1932) et comme dans bien d’autres pays, il prend
essentiellement la forme de films chantés, le genre de la
zarzuela (sorte d’opérette typiquement madrilène) dominant la
production jusqu’à l’explosion de la Guerre civile en 1936. Saiton que Luis Buñuel, qui a lancé sa carrière en France en flirtant
avec les surréalistes
(Un Chien andalou,
L’Age d’Or) est revenu
au pays avec un
documentaire polémique
(Terre sans pain),
puis en supervisant des
zarzuelas et des mélos ?
Dès le lendemain du Coup d’Etat de 1936, les deux places fortes
de la production cinématographique sont réquisitionnées par
les militants libertaires comme le seront les domaines des
transports publics ou les terres agricoles. La Confédération
nationale du travail (CNT), syndicat anarchiste, compte alors 1,5
million de membres qui contribueront fièrement à la défense de
la République et de la liberté. Premier conflit de grande
ampleur à être filmé, la Guerre d’Espagne donnera des films de
propagande parfois excellents, toujours curieux, commes les
mélodrames Aurora de esperanza ou Barrios Bajos,
produits par la CNT-cinéma.
Mais la défaite du
camp républicain,
les centaines de
milliers de morts,
de prisonniers et
d’exilés,
le démantèlement des syndicats, entraîneront un retour en
arrière d’une production privilégiant la mythologie historique et
folklorique du pays. La propagande change de bord. Petite
histoire dans la grande, sous le pseudonyme de Jaime de
Andrade, le général Franco s’essaie lui-même au scénario. Cela
donne un film épouvantable, Raza (Race, 1941), glorifiant les
heures de gloire de l’Empire espagnol.
Cédant à la mouvance du néoréalisme, développé en Italie dès
1944, le directeur du cinéma de la junte franquiste favorise la
production de ce genre de films. Ainsi nait une génération de
cinéastes fort intéressante et subtilement subversive. On le sait
peu, l’Espagne restera en état de guerre jusqu’en 1948. Après
cette date, et à travers la réindustrialisation du pays, le régime
lâche un peu de lest, ou tout au moins, des ouvertures sont-elles
possibles.
En 1951, Esa pareja feliz (Ce Couple heureux), fausse
comédie et vraie satire sociale, met en scène de jeunes mariés,
petit couple modeste comme pourtant les aime le régime, mais
balloté par les aléas d’une société fermée et mesquine. Le film
est signé par Jose Luis Berlanga et Juan Antonio Bardem. Ils ne
tourneront plus ensemble et mèneront pour ainsi dire des
carrières opposées, Berlanga privilégiant la comédie à l’humour
très noir, Bardem,
s’inscrivant lui dans une
autre tradition italienne, le
drame bourgeois à la manière
d’Antonioni (Mort d’un
Cycliste, Calle Mayor …)
Au cours du festival de
Salamanque, Bardem déclarera que « le cinéma espagnol est
politiquement inefficace, socialement faux, intellectuellement
pauvre, esthétiquement nul et industriellement rachitique ».
Cependant, quelques exceptions sont fracassantes. Ainsi les
trois premiers films de l’Italien Marco Ferreri tournés en
Espagne. Le Petit appartement et La Petite voiture
notamment, scénarisés par Rafael Azcona (qui deviendra le
collaborateur attitré de Berlanga) sont des bijoux d’humour
noir. En 1961, Luis Buñuel, exilé au Mexique, fait un retour
fracassant dans son pays pour y tourner l’adaptation d’un
roman du grand Perez Galdos, l’équivalent de notre Balzac,
Viridiana. Le film fait scandale en Espagne, et restera interdit
durant 17 ans malgré sa Palme d’or à Cannes. Don Luis
reviendra tout de même une dernière fois sur ses terres, en
1970, pour de nouveau adapter Perez Galdos, dans une
coproduction française, Tristana, avec Catherine Deneuve
dans le rôle titre et l’excellent Fernando Rey, déjà inquiétant
dans Viridiana.
Entre temps, les Nouvelles Vagues sont passées par là et une
jeune génération de réalisateurs a vu le jour dont le chef de file,
un disciple de Buñuel, a pour nom Carlos Saura. Si son premier
film (Les Voyous, 1960) s’inscrit dans la veine du
néoréalisme, il fera place progressivement à l’onirisme, voire à
l’Histoire, manière de mieux contourner la censure et offrir un
point de vue saisissant sur une société espagnole névrosée après
le traumatisme de la guerre et étranglée par la main de fer du
régime
franquiste.
La décennie
1970, grâce en
particulier au
succès de Cría
Cuervos (1976)
sera celle de Saura, le plus souvent coproduit ou produit
entièrement par la France.
Des cinéastes comme Manuel Gutierrez Aragon ou Victor Erice
sont également à signaler. Ce dernier, ne réalisant que deux
films en 20 ans (L’Esprit de la ruche, 1973 et Le Sud, 1982)
devient même un réalisateur culte pour toute la jeune
cinéphilie.
Jusqu’au bout le régime exercera sa terrible répression. On
garrotte encore en 1975 ! Et lorsque le Caudillo s’éteint au terme
d’une interminable agonie, nul ne peut prédire ce qui adviendra
du pays. La chape de plomb commence à se fissurer en cette
période que l’on nommera La Transition.
Le mouvement de libération des mœurs de la fin des années
1960 touche également la péninsule ibérique et déferle sur les
écrans une série de films étrangers jadis censurés qui ne
manquent pas d’influencer les cinéastes en herbe. Peu avant la
fameuse Movida, plusieurs films reviennent sur le traumatisme
national représenté par la Guerre civile (1936-1939), le plus
emblématique étant certainement Les longues vacances de
36 de Jaime Camino (1976) qui met en scène l’interruption des
vacances d’été d’une famille bourgeoise par le bruit et la fureur
du putsch militaire.
C’est dans
ce contexte
que s’inscrit
le courant
nommé
Movida, en
référence à
l’agitation
nécessaire pour se libérer des carcans archaïques d’une société
durant quarante ans paralysée.
Sexe, drogues, rock, homosexualité, kitsch, outrance,
références, irrévérence et anticléricalisme sont les moteurs d’un
mouvement qui touche tous les arts et qui, dans le domaine du
cinéma, se trouve un chef de file en la personne de Pedro
Almodóvar.
Avec le recul, ce qui frappe le plus au sein de ce courant, c’est
son apolitisme. Se révoltant joyeusement contre un univers
sclérosé, la Movida se définit comme une quête du plaisir et de
la liberté qui, certes, prend la forme d’un mouvement collectif,
mais est avant tout l’expression d’un désir individuel, égoïste.
La Constitution
espagnole de 1978
garantit l’autonomie
des régions et la
création de
gouvernements locaux,
appelés à gérer leur
propre budget de fonctionnement, celui de la culture en
particulier. Ainsi, au Pays Basque, une nouvelle génération de
cinéastes et de producteurs éclôt. Outre les films de Victor
Erice, ceux d’Imanol Uribe (Le Procès de Burgos, La Mort de
Mikel…), Julio Medem (Vaches, L’Ecureuil rouge, Les Amants
du cercle polaire…), Juanma Bajo Ulloa (Airbag), Alex de la
Iglesia (Le Jour de la bête, Mes chers voisins…) s’inscriront
dans le paysage espagnol et international.
En Catalogne, c’est une certaine pratique du cinéma qui est
confortée. Dès les années soixante, était apparue l’Ecole
catalane, en réaction au Nouveau cinéma espagnol (celui des
Bardem, Berlanga, Saura…), tourné essentiellement à Madrid et
optant principalement pour un réalisme social. Sous l’influence
de la Nouvelle Vague française, des cinéastes catalans tels que
Vicente Aranda, Gonzalo Suarez, Jorge Grau, Juan Jose Bigas
Luna ou Jaime Camino frappent les esprits par leur inventivité.
Après l’instauration de la démocratie, on retiendra encore dans
ce panorama les noms de Ventura Pons, Cesc Gay, Marc Recha,
Jaime Rosales, Jaume Balaguero, Juan Antonio Bayona et
surtout Agusti
Villaronga
dont le
remarquable
Pain noir
obtient 9 goyas
en 2010.
Ces dernières années, aux thématiques chères à la Movida,
toujours plus ou moins présentes dans le cinéma actuel, se sont
ajoutés les thèmes de l’immigration, phénomène somme toute
nouveau en Espagne, des mutations industrielles et de la crise
économique.
C’est durant cette même période que l’on peut noter une légère
féminisation du métier de cinéaste avec le passage à la
réalisation d’Iciar Bollain (Ne dis rien), Isabel Coixet (The
Secret Life of
Words), Gracia
Querejeta (Sept
tables de billard
français), prenant
ainsi la relève de la
pionnière Pilar
Miró (Le Crime
de Cuenca). De même, note-t-on l’exil temporaire ou plus
durable de certains réalisateurs comme Bigas Luna, Alex de la
Iglesia, ou encore Alejandro Amenabar et de certains comédiens
tels que Penélope Cruz, Antonio Banderas, Lola Dueñas, Javier
Bardem, Eduardo Noriega ou Pilar López de Ayala.
En 2014, malgré la crise, le passage d’une TVA de 8 à 21% sur
les tickets d’entrées et une piraterie très développée, des records
de fréquentation ont été enregistrés. Et, grâce au succès de la
comédie d’Emilio Martínez Lázaro, Huit noms basques,
sorte de Chtis au Pays Basque, ou du thriller post-franquisme
La Isla mínima d’Alberto Rodríguez, la part de marché du
cinéma espagnol a atteint un taux historiquement élevé (26%).
La législation en matière de protection du cinéma, malmenée
par le passé au gré des changements de gouvernements, vient
d’être renforcée au printemps 2015, après quatre années de
négociations. Elle devrait éviter une crise comme celle qui
frappa la production en 2007 et ainsi assurer au cinéma
espagnol une pérennité conforme à sa bonne santé actuelle.
Seule ombre au tableau, l’absence d’un organisme assurant la
promotion internationale de cette cinématographie dont des
aspects entiers restent encore à découvrir.