IRPI - L`Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle

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IRPI - L`Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle
INSTITUT DE RECHERCHE
EN PROPRIÉTÉ
INTELLECTUELLE
HENRI-DESBOIS
L’Accord sur les aspects des droits de propriété
intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC)
et les pays en développement
Les suites de la Conférence de Doha
- État des lieux et enjeux -
par
Sébastien CALMONT
Juriste à l’Institut de recherche en propriété intellectuelle Henri-Desbois (IRPI)
Septembre 2002
En 1994, les différents États qui ont participé à la négociation du cycle de l’Uruguay
dans le cadre du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade : Accord général sur les
tarifs douaniers et le commerce), au cours duquel a été créée l’Organisation mondiale du
commerce (OMC), ont conclu, à Marrakech, un Accord sur les Aspects des Droits de
Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (dit accord ADPIC 1 ). Dans un objectif
d’harmonisation, ce texte définit, au niveau international, une série de normes minimales de
protection des différents droits de propriété intellectuelle – objets protégés, droits conférés,
exceptions possibles, durée de la protection –, qu’il s’agisse des marques, des brevets, des
droits d’auteur, des dessins ou modèles industriels, des indications géographiques, des
topographies de circuits intégrés ou encore des renseignements non divulgués. Il reprend ainsi
les principales dispositions de nombreux textes internationaux, telles que la Convention de
Paris pour la protection de la propriété industrielle 2 ou la Convention de Berne pour la
protection des œuvres littéraires et artistiques 3 , et ajoute de nouvelles obligations. Il laisse
cependant aux États une grande marge de manœuvre dans la mise en œuvre de ces normes.
Est également mis en place un organe, le « Conseil des ADPIC », chargé d’examiner les
différents aspects du texte afin de le faire évoluer.
La quatrième Conférence ministérielle qui s’est tenue à Doha, au Quatar, du 9 au 13
novembre 2001, prévoit l’ouverture d’un neuvième cycle de négociations internationales dans
le cadre de l’OMC portant sur de très nombreux sujets, dont certains intéressent directement
la propriété intellectuelle. Ce cycle de négociations a débuté le 31 janvier dernier et doit se
clore au plus tard le 1er janvier 2005. Plusieurs textes ont été adoptés à Doha, parmi lesquels
une Déclaration ministérielle 4 et une Déclaration sur l’accord ADPIC et la santé publique 5 .
On y trouve les principaux enjeux relatifs à la propriété intellectuelle.
La Déclaration ministérielle de Doha souligne l’importance d’une mise en œuvre et
d’une interprétation de l’accord ADPIC « d’une manière favorable à la santé publique », ce
qui justifie une déclaration distincte sur cette question (I). Les États membres s’engagent
encore à négocier l’établissement d’un système multilatéral de notification et
d’enregistrement des indications géographiques pour les vins et spiritueux, ainsi qu’à
examiner la relation entre l’accord ADPIC et la Convention sur la diversité biologique, la
protection des savoirs traditionnels et du folklore (II).
I. L’accord ADPIC et la santé publique
Après avoir rappelé l’importance de la propriété intellectuelle pour la promotion de
l’accès aux médicaments existants ainsi que de la recherche-développement relative à de
nouveaux médicaments, la « Déclaration sur l’accord sur les ADPIC et la santé publique »
indique que « l’accord sur les ADPIC n’empêche pas et ne devrait pas empêcher les Membres
de prendre des mesures pour protéger la santé publique ». Il est ici question d’un problème
crucial pour les pays en développement : l’accès aux médicaments, notamment aux
médicaments essentiels. Le point 4 de la Déclaration ajoute que l’accord ADPIC doit être
interprété et mis en œuvre « d’une manière qui appuie le droit des Membres de l’OMC de
1
Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (en anglais : TRIPs,
Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights), 1994, Publication OMPI 1996. Également disponible sur
le site de l’OMC à l’adresse suivante : http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/27-trips.pdf
2
Convention de Paris du 20 mars 1883 modifiée.
3
Convention de Berne du 9 septembre 1886 modifiée.
4
Déclaration ministérielle adoptée le 14 novembre 2001 : Conférence ministérielle, quatrième session, Doha,
document WT/MIN(01)/DEC/1 disponible sur le site Internet de l’OMC – www.wto.org
5
Déclaration sur l’accord sur les ADPIC et la santé publique adoptée le 14 novembre 2001 : Conférence
ministérielle, quatrième session, Doha, document WT/MIN(01)/DEC/2 disponible sur le site Internet de l’OMC.
2
protéger la santé publique et, en particulier, de promouvoir l’accès de tous aux
médicaments ».
A. La problématique : l’accès aux médicaments
Cette déclaration distincte est le résultat de la pression exercée au sein de l’OMC par
des pays africains et d’importants pays en développement, tels que l’Inde ou le Brésil,
soutenus par l’Union européenne, afin d’éviter la possibilité de sanctionner, dans le cadre de
l’OMC, sur le fondement de l’accord ADPIC, des pays mettant en place des politiques
sanitaires de lutte contre les pandémies qui les touchent, notamment celle du SIDA 6 , en
utilisant des médicaments brevetés. L’article 8 de l’accord ADPIC prévoit que les Membres
de l’OMC peuvent « adopter les mesures nécessaires pour protéger la santé publique » mais,
dans le même temps, l’accord ADPIC impose une protection par le droit des brevets pour
toute invention relative à un médicament (qu’il s’agisse d’un produit ou d’un procédé de
fabrication) pour une durée de 20 ans à compter de la date de dépôt de la demande de brevet.
Or, les pays en développement, n’ayant pas les moyens financiers d’acheter les médicaments
brevetés 7 , réclament donc le droit d’avoir recours aux « flexibilités » prévues par l’accord
ADPIC, notamment à l’article 31 qui prévoit la possibilité pour un État membre, sous réserve
de respecter certaines conditions 8 , de délivrer des licences obligatoires, permettant
l’exploitation d’un produit breveté par un tiers sans autorisation du titulaire des droits. Le
texte précise toutefois que le recours aux licences obligatoires n’est possible que « dans des
situations d’urgence ou en cas d’utilisation publique à des fins non commerciales ». Le flou
de cette condition a eu pour conséquence qu’aucun pays n’a jamais osé avoir recours à cette
disposition, de crainte de se voir sanctionné par l’Organe de règlement des différends (ORD)
de l’OMC. Ainsi, les États-Unis, qui ont adopté, avec le Canada et la Suisse, une approche
assez protectrice des intérêts des laboratoires lors des négociations de Doha, ont déposé une
plainte à l’OMC le 30 avril 2001 contre l’article 68 de la loi brésilienne sur la propriété
industrielle, relatif à la délivrance par le Brésil de licences obligatoires. Les États-Unis ont
retiré leur plainte après que le Brésil ait accepté d’avoir, avec le gouvernement américain, des
« entretiens préalables » au cas où il jugerait nécessaire d’avoir recours à des licences
obligatoires portant sur des brevets détenus par des sociétés américaines 9 . Trente-neuf
entreprises pharmaceutiques (dont les plus grands fabricants mondiaux de traitements contre
6
V. la note du Secrétariat du Conseil des ADPIC de l’OMC relative à la liste des brevets concernant les
pandémies visées à Doha : Available Information on the Existence of Patents in regard to Diseases referred to in
the Declaration on the TRIPs Agreement and Public Health, 11 juin 2002, document IP/C/W/348 disponible sur
le site Internet de l’OMC. V. également pour relativiser, Brevets et accès aux médicaments et aux soins de
santé : un équilibre à trouver, sur le site Internet de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle
(OMPI) – http://www.wipo.org/about-ip/fr/studies/publications/health_care.htm : « En fait, environ 95 % des
produits pharmaceutiques figurant sur la Liste des médicaments essentiels de l’Organisation mondiale de la santé
– qui comprend de nombreux médicaments utilisés dans le traitement des divers symptômes et effets secondaires
du VIH/SIDA – sont désormais dans le “domaine public” […] ».
7
V. B. Marre, Rapport d’information déposé par la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union
européenne sur le bilan de la Conférence ministérielle de l’OMC de Doha, 31 janv. 2002, n° 3569, p. 22 : le coût
annuel d’un traitement individuel contre le SIDA est évalué entre 10 000 et 15 000 dollars. Pour d’autres
données chiffrées, v. également G. Velásquez, Brevets pharmaceutiques et accessibilité aux médicaments –
Médicaments essentiels et mondialisation : RID éco. 2000, n° 1 (n° spécial), De Bœck Université, p. 37 sq.
8
Le titulaire des droits doit avoir refusé une licence volontaire ; l’autorisation est donnée pour le marché
intérieur de l’État membre qui a permis l’utilisation ; la portée et la durée de l’autorisations sont limitées ; la
licence obligatoire n’est pas cessible ; le titulaire du brevet doit recevoir une rémunération adéquate, etc.
9
V. la notification à l’OMC de la solution convenue d’un commun accord entre le Brésil et les États-Unis sur les
mesures affectant la protection conférée par un brevet, 19 juill. 2001, document WT/DS199/4 disponible sur le
site Internet de l’OMC.
3
le SIDA) ont également déposé une plainte10 en février 1998 contre l’Afrique du Sud, qui ne
respectait pas certains de leurs brevets, mais l’ont retirée sous la pression de l’opinion
publique le 19 avril 2001.
Il paraissait donc souhaitable de clarifier les conditions relatives à l’octroi de licences
obligatoires. La position défendue par les États-Unis se trouvait en partie décrédibilisée par
leur volonté, à quelques semaines de la Conférence ministérielle, d’avoir eux-mêmes recours
à des copies d’un antibiotique breveté par la société allemande Bayer, le Cipro, afin de lutter
contre l’anthrax suite aux attentats du 11 septembre 2001.
B. Les avancées de Doha
La Déclaration sur l’accord ADPIC et la santé publique met l’accent sur l’accès de
tous aux médicaments. Elle indique que « chaque Membre a le droit d’accorder des licences
obligatoires et la liberté de déterminer les motifs pour lesquels de telles licences sont
accordées ». Et d’ajouter que « chaque Membre a le droit de déterminer ce qui constitue une
situation d’urgence nationale ou d’autres circonstances d’extrême urgence, étant entendu que
les crises dans le domaine de la santé publique, y compris celles qui sont liées au VIH/SIDA,
à la tuberculose, au paludisme et à d’autres épidémies, peuvent présenter une situation
d’urgence nationale ou d’autres circonstances d’extrême urgence ». Le recours aux licences
obligatoires est donc clairement possible pour régler des problèmes de santé publique, sans
limitation particulière à un type de maladie spécifique.
En outre, la Déclaration repousse au 1er janvier 2016 la date butoir fixée pour que les
pays les moins avancés (PMA11 ) appliquent les dispositions de l’accord ADPIC relatives aux
produits pharmaceutiques 12 . Le Conseil des ADPIC a approuvé formellement, le 27 juin
dernier, la décision de proroger jusqu’en 2016 cette période de transition pour les PMA.
C. Les problèmes à résoudre
Malgré ces avancées notables, les problèmes pratiques restent encore nombreux.
L’article 31 f) de l’accord ADPIC limitant le recours aux licences obligatoires à
« l’approvisionnement du marché intérieur » du pays qui a autorisé la licence, qu’advient-il
des pays ne disposant pas de capacité de production intérieure pour les médicaments faisant
l’objet d’une licence obligatoire ? Ils ne pourront certainement pas recourir de façon effective
à de telles licences. Le point 6 de la Déclaration demande au Conseil des ADPIC de « trouver
une solution rapide à ce problème et de faire rapport au Conseil général avant la fin de 2002 ».
Plusieurs solutions 13 sont envisagées :
- soit supprimer la référence au « marché intérieur » dans l’article 31 de l’accord
10
V. pour une vue d’ensemble de ce procès, N. Halpern, Les laboratoires perdent une manche dans la bataille
des génériques : Les Échos, vendredi 20 et samedi 21 avr. 2001, p. 12.
11
La liste des PMA de l’ONU compte actuellement 49 pays, dont 30 sont devenus Membres de l’OMC :
http://www.wto.org/french/thewto_f/tif_f/org7.htm
12
V. à ce sujet, Commission on Intellectual Property Rights (CIPR), Integrating Intellectual Property Rights and
Development Policy, sept. 2002, p. 51 sq., disponible à l’adresse Internet suivante :
http://www.iprcommission.org/papers/pdfs/final_reportpdf.pdf
13
V. pour une synthèse détaillée des cinq principales propositions de solutions présentées au Conseil des ADPIC
par le Groupe africain, les Communautés européennes et leurs États membres, les Émirats arabes unis, le Groupe
des pays en développement et les États-Unis : Propositions relatives au paragraphe 6 de la Déclaration de Doha
sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique : compilation thématique, note du Secrétariat du Conseil des
ADPIC, 11 juill. 2002, document IP/C/W/363 disponible sur le site Internet de l’OMC.
4
ADPIC. C’est la position de nombreux pays développés ou en développement 14 , mais qui
présente l’inconvénient de la lourdeur de la procédure 15 ;
- soit instituer un moratoire sur le règlement des différends. C’est la thèse défendue
par les États-Unis 16 ;
- soit modifier l’article 31 en permettant d’importer un médicament produit sous
licence obligatoire par un pays tiers disposant des capacités de production. C’est la solution
préconisée par la Commission européenne 17 , qui prévoit un encadrement très strict de cette
exception pour éviter tout dérapage : le médicament ne devrait pas être mis sur le marché du
pays producteur mais seulement exporté vers le pays visé par la licence obligatoire, sans
possibilité de réexportation vers un autre pays ; le titulaire des droits devrait avoir
l’opportunité de proposer une offre de production des produits à un prix réduit et, si ce prix
n’est pas assez bas, il serait informé en permanence de la procédure d’autorisation relative à la
licence obligatoire ; le pays producteur 18 et le pays importateur devraient prendre toutes les
mesures raisonnables et nécessaires afin de permettre le respect de ces conditions. Ce système
devrait s’appliquer en priorité aux médicaments destinés au traitement du SIDA, de la
tuberculose, de la malaria et d’autres épidémies ainsi qu’aux pays les moins développés 19 . Le
but de cet encadrement strict des conditions de délivrance des licences obligatoires est
d’empêcher la réexportation vers d’autres pays et donc l’utilisation des licences obligatoires à
des fins de politique industrielle plus que de santé publique.
Naturellement, les grands laboratoires pharmaceutiques ne sont pas favorables à cet
éventuel élargissement des exceptions 20 . Certaines entreprises, pourtant, ont engagé des
négociations avec certains pays pour leur vendre des médicaments à des prix sans commune
mesure avec ceux pratiqués dans les pays industrialisés. La Commission européenne, et la
France en particulier, soutiennent cette politique de prix différenciés axée sur la diminution du
prix des médicaments pour les pays en développement.
14
V. notamment, la Communication conjointe du Groupe africain de l’OMC sur la proposition relative au
paragraphe 6 de la Déclaration de Doha sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique, 24 juin 2002,
document IP/C/W/351 disponible sur le site Internet de l’OMC, où plusieurs options sont envisagées : supprimer
la référence au « marché intérieur » ou préciser, par exemple, qu’« une part allant jusqu’à 49,9 pour cent de la
production sous licence obligatoire puisse être exportée vers des marchés autres que le marché intérieur ou y être
consommée » .
15
Cette solution réclamerait la ratification par tous les gouvernements des États membres et nécessiterait donc
beaucoup de temps.
16
V. la Deuxième communication des États-Unis sur le paragraphe 6 de la Déclaration de Doha sur l’Accord
ADPIC et la santé publique, 25 juin 2002, document IP/C/W/358 disponible sur le site Internet de l’OMC : « un
moratoire concernant le règlement des différends […] permettra plus vraisemblablement d’arriver à une solution
rapide, réaliste, transparente, durable et juridiquement sûre ».
17
V. Communication from the European Communitites and Their Member States to the TRIPS Council Relating
to Paragraph 6 of the Doha Declaration on the TRIPS Agreement and Public Health, Bruxelles, 18 juin 2002 :
http://europa.eu.int/comm/trade/mitit/intell/intel3.htm
18
La Déclaration de Doha ne semble pas limiter les sources d’approvisionnement : les pays développés ne sont
donc pas a priori exclus de la « liste » des membres fournisseurs.
19
Les ONG regrettent que la solution proposée soit restreinte aux pays les moins développés et indiquent qu’il
est nécessaire que le système s’applique pour toutes les maladies graves. V. par exemple, S. Declercq,
Médicaments essentiels : le plus dur reste à faire : Le Soir, 19 juin 2001, publié également sur le site d’Oxfam
Solidarité – http://www.oxfamsol.be/fr/presse/adpics.htm. V. dans le même sens, la position du Groupe des pays
en développement de l’OMC tendant à inclure dans la solution non seulement les médicaments, mais aussi plus
largement tous les produits indispensables, les matières pharmaceutiques actives et les trousses de diagnostic :
note du Secrétariat du Conseil des ADPIC, 11 juill. 2002, précit.
20
V. notamment l’interview du PDG de Pfizer par N. Halpern et J.-F. Pécresse, Henry McKinnell : L’industrie
pharmaceutique est en train de quitter l’Europe : Les Échos, jeudi 8 nov. 2001, p. 12, à propos de la modification
de l’article 31 de l’accord ADPIC : « Cet article existe depuis longtemps. […] Il est très bien ainsi […]».
5
II. Indications géographiques, biodiversité, savoirs traditionnels et
folklore
La Déclaration ministérielle aborde également d’autres questions relatives à la
propriété intellectuelle dans ses points 18 et 19 : la protection des indications
géographiques (A), la relation entre l’accord ADPIC et la Convention sur la diversité
biologique (B), ainsi que la protection des savoirs traditionnels et du folklore (C).
A. Un système multilatéral et une extension de la protection des
indications géographiques
Les indications géographiques désignent des signes « qui servent à identifier un
produit comme étant originaire du territoire d’un Membre, ou d’une région ou localité de ce
territoire, dans les cas où une qualité, réputation ou autre caractéristique déterminée du
produit peut être essentiellement attribuée à cette origine géographique » (accord ADPIC, art.
22.1).
La Déclaration ministérielle est l’occasion pour les États membres d’une part, de
s’engager à négocier l’établissement d’un « système multilatéral de notification et
d’enregistrement des indications géographiques pour les vins et spiritueux », tel que cela est
prévu à l’article 23.4 de l’accord ADPIC, et d’autre part, de renvoyer au Conseil des ADPIC
la question de l’extension de la protection des indications géographiques à d’autres produits.
L’accord ADPIC prévoit, en effet, deux niveaux de protection : un niveau «ordinaire » pour
tous les produits (art. 22) et une protection plus élevée pour les vins et les spiritueux (art. 23),
indépendamment de toute tromperie du public ou de tout acte de concurrence déloyale.
- Sur le premier point, permettant une meilleure identification des indications
géographiques, deux approches s’affrontent.
Les États membres de l’Union européenne 21 , soutenus par d’autres pays (notamment la
Hongrie 22 ), envisagent un système d’enregistrement dans tous les pays membres de l’OMC,
sauf dans ceux qui peuvent établir que le terme revendiqué est générique sur leur territoire.
Les Membres notifieront les indications géographiques qui identifient des produits comme
étant originaires de leur territoire, accompagnées de copies des décisions nationales,
législatives, administratives ou judiciaires indiquant la date à laquelle chaque indication
géographique a bénéficié pour la première fois d’une protection dans le pays d’origine, ainsi
que la durée éventuelle de la protection et la preuve de la conformité de l’indication
géographique avec les dispositions de l’accord ADPIC. Les indications géographiques seront
notifiées aux différents Membres qui pourront les contester dans les 18 mois suivant leur
publication. Elles seront enregistrées, si elles ne sont pas contestées. L’obligation de protéger
une indication géographique sera suspendue si elle n’est plus protégée dans son pays d’origine
ou si elle y est tombée en désuétude.
21
V. Communication des Communautés européennes et de leurs États membres sur la mise en œuvre de l’article
23.4 de l’accord sur les ADPIC concernant l’établissement d’un système multilatéral de notification et
d’enregistrement des indications géographiques, 20 juin 2000, document IP/C/W/107/Rev.1 disponible sur le
site Internet de l’OMC.
22
V. Communication de la Hongrie sur l’établissement d’un système multilatéral de notification et
d’enregistrement des indications géographiques, 3 avr. 2001, document IP/C/W/255 disponible sur le site
Internet de l’OMC.
6
Les États-Unis 23 , suivis notamment par le Canada, le Chili et le Japon, optent plutôt
pour un système de base de données d’enregistrements volontaires, permettant de fournir à
tous les Membres de l’OMC des copies des listes d’indications géographiques notifiées et de
les rendre également disponibles sur le site Internet de l’OMC.
Les négociations, qui durent déjà depuis 1997, doivent impérativement s’achever
avant la cinquième Conférence ministérielle du 10 au 14 septembre 2003 à Cancun
(Mexique).
- S’agissant de l’extension de la protection à d’autres produits, là encore, deux
positions se dégagent. Un premier groupe, dont font notamment partie les États-Unis, le
Canada, l’Australie, le Chili ou la Nouvelle-Zélande, y semble opposé, aux motifs que cette
protection pourrait être utilisée par les pays producteurs pour bloquer les importations et que
le coût administratif de l’enregistrement se révèlerait trop élevé 24 . Un second groupe de pays,
comprenant notamment les Communautés européennes et leurs États membres, l’Inde, la
Hongrie, le Maroc, Cuba, le Pakistan, la Thaïlande ou l’Egypte, se déclare favorable à cette
extension25 , l’existence de deux niveaux de protection pour les indications géographiques ne
se justifiant pas. Les pays de ce groupe estiment que cette extension serait bénéfique pour le
commerce des pays en développement car ils pourraient vendre plus cher des produits de
qualité, l’indication géographique permettant d’accroître la valeur ajoutée des produits
exportés. Mériteraient à leurs yeux une telle reconnaissance : des fromages (Stilton, par
exemple), du jambon (de Helva), du riz (Basmati), du thé (Darjeeling), de la porcelaine (de
Limoges), etc. Il proposent de mettre en place un registre multilatéral pour garantir l’origine
des produits.
Le Conseil des ADPIC doit rendre son rapport sur ce point avant la fin de l’année
2002.
B. La relation entre l’accord ADPIC et la Convention sur la diversité
biologique
Le point 19 de la Déclaration ministérielle confie au Conseil des ADPIC le soin
d’examiner la relation entre l’accord ADPIC et la Convention sur la diversité biologique
(CDB). La question qui se pose aux États membres de l’OMC est de savoir s’il est nécessaire
de modifier l’accord ADPIC pour le mettre en conformité avec la CDB, signée en juin 1992
lors du Sommet de la Terre de Rio 26 . Après avoir réaffirmé que « les États ont des droits
souverains sur leurs ressources biologiques », cette convention impose aux pays signataires de
conserver la diversité biologique, de l’utiliser de façon durable et d’en partager les bénéfices.
Elle invite à la coopération entre les différents pays pour atteindre ces objectifs. L’article 16
de la Convention, relatif à l’accès et au transfert de technologie, est tout à fait intéressant : il
23
V. Communication du Canada, du Chili, du Japon et des États-Unis sur la proposition relative à un système
multilatéral de notification et d’enregistrement des indications géographiques fondé sur l’article 23.4 de
l’accord sur les ADPIC , 8 juill. 1999, document IP/C/W/133/Rev.1 disponible sur le site Internet de l’OMC.
24
V. notamment, la Communication des États-Unis au Conseil des ADPIC, 8 mars 2002, document TN/IP/W/1
disponible sur le site Internet de l’OMC, dénonçant la charge particulièrement lourde du système proposé par les
Communautés européennes impliquant la notification de milliers de termes et leur examen par chaque Membre.
25
V. notamment, la Communication du Bangladesh, de la Bulgarie, de Cuba, de la Géorgie, de la Hongrie, de
l’Inde, […], de la Suisse et de la Turquie, Travaux sur les questions relatives à la protection des indications
géographiques – Extension de la protection des indications géographiques pour les vins et les spiritueux aux
indications géographiques pour d’autres produits, 14 sept. 2001, document IP/C/W/308/Rev.1 disponible sur le
site Internet de l’OMC.
26
On en trouve une traduction française sur le site officiel www.biodiv.org . Cette convention est aujourd’hui
signée par 168 pays, dont la France. V. également, Protection de la nature et de la biodiversité – Convention de
Rio de Janeiro sur la diversité biologique : http://europa.eu.int/scadplus/leg/fr/lvb/128102.htm
7
indique que les parties contractantes doivent permettre l’accès et le transfert de technologies
aux pays qui fournissent des ressources génétiques, y compris lorsque ces technologies sont
protégées par des brevets ou d’autres droits de propriété intellectuelle. Le paragraphe 5 de cet
article exige que les droits de propriété intellectuelle (issus des législations nationales et du
droit international) soient exercés « à l’appui et non à l’encontre » des objectifs de la
Convention27 . La compatibilité entre ce texte et l’accord ADPIC est particulièrement
délicate 28 , aucun des deux ne primant, a priori, sur l’autre.
Les Communautés européennes se prononcent en faveur d’une coopération entre le
Secrétariat de l’OMC et le Secrétariat de la CDB en vue d’une meilleure prise en compte
réciproque des dispositions de chaque texte 29 . Elles estiment que l’accord ADPIC peut servir
de support aux objectifs de la CDB, tels que le partage des bénéfices, et se déclarent
favorables à un système obligeant le breveté à fournir, lors de sa demande de brevet, un
certificat officiel démontrant l’origine ou la source de telle ou telle ressource génétique,
faisant preuve du consentement de l’État d’origine et du partage des bénéfices éventuels 30 .
Sont également préconisés le développement d’instruments internationaux permettant
d’atteindre les objectifs de la CDB et de l’accord ADPIC, la fourniture d’une assistance
technique aux pays en développement et la négociation de mesures facilitant le partage des
bénéfices dans les systèmes de propriété intellectuelle.
Les États-Unis estiment, de leur côté, que les dispositions de la CDB et de l’accord
ADPIC « se renforcent mutuellement » 31 , tant en matière de conservation et de partage des
avantages, qu’en ce qui concerne l’accès aux ressources génétiques, l’accès à la technologie,
le transfert de technologie ou encore la gestion de la biotechnologie et la répartition de ses
avantages. Ils reconnaissent que leurs objectifs respectifs sont « très différents mais non
contradictoires ».
C. La protection des savoirs traditionnels et du folklore
Une autre mission du Conseil des ADPIC consiste à examiner la protection des
« savoirs traditionnels » et du « folklore ». Les savoirs traditionnels 32 recouvrent une palette
27
V. M. La, Les pays du Sud se sentent pris au piège des droits sur la propriété intellectuelle : Le Monde 27 mars
2001, p. VI, qui rapporte que le Brésil propose un mécanisme de partage des brevets pour résoudre le conflit
entre l’accord ADPIC et la Convention de Rio.
28
V. pour une analyse comparative de ces deux textes réalisée pour le compte de la Commission européenne,
K. Le Goulven, H. Ilbert et M. Galvin, La diversité des règles de protection de la biodiversité et de la propriété
intellectuelle : http://europa.eu.int/comm/trade/pdf/contrib_serv1.pdf
29
V. Communication by the European Communities and their Member States on the relationship between the
Convention on Biological Diversity and the Trips Agrement, soumise au Conseil des ADPIC le 3 avril 2001 :
http://europa.eu.int
30
Communication des Communautés européennes au Conseil des ADPIC concernant la révision de l’article
27.3 B de l’accord ADPIC, sept. 2002 : cette position constitue un revirement de la part des Communautés
européennes qui, dans leur communication du 3 avril 2001 (v. note supra), se déclaraient opposées à tout
système faisant peser sur le breveté une obligation de produire, lors de la demande de brevet, une preuve de
l’origine du « matériel génétique » utilisé. V. à ce sujet, la position de la Norvège exprimée dans une
Communication sur le réexamen de l’article 27.3 B) de l’accord sur les ADPIC : le lien ente l’accord sur les
ADPIC et la Convention sur la diversité biologique, 18 juin 2001, document IP/C/W/293 disponible sur le site
Internet de l’OMC : « L’obligation qui serait faite au titre de l’Accord ADPIC de divulguer l’origine des
ressources génétiques lors du dépôt de la demande de brevet permettrait de garantir la transparence quant à
l’origine des matières biologiques à breveter. Les parties pourraient alors faire valoir plus facilement leurs droits
sur leurs propres ressources génétiques […] » .
31
V. Communication des États-Unis, Vues des États-Unis sur le rapport entre la Convention sur la diversité
biologique et l’Accord sur les ADPIC , 24 avr. 2001, document IP/C/W/257 disponible sur le site Internet de
l’OMC.
32
V. pour une analyse complète des définitions possibles des savoirs traditionnels, International Committee on
Intellectual Property and Genetic Resources, Traditional Knowledge and Folklore : Traditional Knowledge –
8
de sous-catégories diverses, notamment les savoirs autochtones ou encore le folklore. En
matière de folklore également, plusieurs termes sont parfois utilisés et peuvent sous-entendre
un choix de protection. Le recours aux termes « œuvres du folklore » laisse penser que l’on
s’oriente vers une protection par le droit de la propriété intellectuelle, la notion d’« expression
du folklore » renvoyant davantage à une protection spécifique, dite sui generis 33 . Le terme
« folklore », plus neutre, a longtemps eu une connotation péjorative. Ce n’est plus le cas
aujourd’hui. Le folklore peut être défini comme un héritage culturel traditionnel transmis de
génération en génération. C’est le résultat de la créativité d’un groupe, d’une communauté,
d’une nation. Il n’y a donc pas d’appropriation par une personne unique. C’est en général le
ministère compétent ou l’office de propriété intellectuelle du pays qui est désigné pour
exercer les droits au nom de la collectivité, dans l’hypothèse où ce n’est pas une communauté
déterminée qui soit titulaire des droits.
Le débat relatif à la protection des savoirs traditionnels n’est pas seulement un débat
Nord / Sud. Il intéresse tous les pays, mais plus particulièrement, il est vrai, les pays en
développement. La diversification des moyens techniques de leur diffusion a entraîné une
multiplication des risques d’abus, de mutilations, d’utilisations sans contrepartie pour les
communautés les ayant élaborés34 . Plusieurs solutions sont envisagées pour pallier ces
problèmes :
- utiliser le système des droits de propriété intellectuelle existant 35 (le droit des
brevets, le droit d’auteur 36 , le droit des dessins et modèles37 , éventuellement le
droit des marques 38 ou des indications géographiques 39 , etc.),
- obliger les demandeurs de brevets à divulguer les savoirs traditionnels qu’ils ont
utilisés et à prouver qu’ils ont obtenu le consentement de l’autorité compétente du
pays d’origine et prévu un partage des avantages,
- créer un système de protection sui generis 40 ,
- ou encore encourager le recours au contrat 41 .
L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et l’UNESCO ont
présenté un projet de traité international en 1984 42 , mais de nombreux participants au groupe
d’experts réunis à ce sujet ont jugé cette initiative prématurée. C’est principalement le
manque de source d’identification des expressions du folklore dans les différents États qui a
été mis en avant pour rejeter le projet. Après une recommandation en 1996 relative à la
Operational Terms and definitions, 13-21 juin 2002, 3e session, Genève, document WIPO/GRTKF/IC/3/9
disponible sur le site Internet de l’OMPI – http://www.wipo.org
33
Système de protection spécifique à une catégorie d’objet.
34
V. à titre d’illustrations, les décisions relatives à l’appropriation de savoirs traditionnels par des titulaires de
brevets (le cas des propriétés médicinales de l’épice indien Turmeric faisant l’objet d’un brevet américain, de
l’arbre indien Neem ou encore du cactus africain Hoodia) : Commission on Intellectual Property Rights, op. cit.,
p. 76 sq.
35
Outre la difficulté à déterminer les titulaires des droits, l’obstacle principal à l’application des droits de
propriété intellectuelle réside dans le caractère collectif, et non privé, des savoirs traditionnels.
36
Le Copyright canadien permet de protéger des masques et totems issus d’artistes aborigènes.
37
Au Kazakhstan, des robes et des tapis sont protégés par des dessins ou modèles industriels.
38
V. en ce sens, la national certification trade mark obtenue par une association de protection d’artistes
aborigènes australiens : http://www/niaaa.com.au/label.html
39
Des liqueurs, des sauces et du thé sont protégés par des indications géographiques au Venezuela ou au
Vietnam, par exemple.
40
Ce type de système sui generis existe notamment aux Philippines et au Guatemala.
41
La solution du recours au contrat nous paraît cependant bien illusoire, étant donné l’inégalité des forces en
présence lors de sa conclusion : les communautés autochtones ont rarement les connaissances nécessaires pour
faire respecter leurs droits.
42
V. pour une synthèse des différentes initiatives, notamment de l’OMPI, sur ce sujet : Secrétariat de l’OMPI,
Final Report on National Experiences with the Legal Protection of Expressions of Folklore, 25 mars 2002,
document WIPO/GRTKF/IC/3/10 disponible sur le site Internet de l’OMPI.
9
protection des expressions du folklore, l’OMPI a mis en place, en collaboration avec
l’UNESCO, un plan d’action lors de la Conférence de Phuket en 1997. Les deux organisations
rappellent que le droit d'auteur n’est pas adapté à la protection du folklore 43 . Le programme de
l’OMPI lancé en 1998 a pour but d’identifier et de comprendre les besoins de protection des
détenteurs de savoirs et d’innovation indigènes. Neuf consultations régionales ont été
lancées : en Afrique australe, occidentale et orientale, dans le Pacifique Sud, en Asie du Sud,
dans les pays arabes, dans les pays d’Amérique du Nord et d’Amérique latine et les Caraïbes.
Certains pays, surtout des pays développés, estiment que la réflexion sur les savoirs
traditionnels et le folklore au sein du Conseil des ADPIC devrait attendre le résultat des
travaux menés par l’OMPI 44 . Lors de le 3e session du Comité intergouvernemental de la
propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au
folklore qui s’est tenue du 13 au 21 juin 2002, l’OMPI a approuvé la création d’un portail de
bases de données sur les savoirs traditionnels et d’un programme de coopération en matière de
recensement des savoirs traditionnels tombés dans le domaine public 45 . Elle a également
encouragé la réalisation d’études consacrées aux expériences nationales en matière de
protection du folklore46 . La prochaine session se tiendra en décembre 2002. À suivre donc…
43
L’application du droit d’auteur aux savoirs traditionnels pose un certain nombre de problèmes non seulement
en matière de titularité des droits, nous l’avons vu, mais également en matière de critère de protection (originalité
face à un comportement qui s’est répété de générations en générations) et de durée de protection (limitée en droit
d’auteur).
44
C’est le cas, notamment, des Communautés européennes : Expressions of Folklore, 16 mai 2002, document
WIPO/GRTKF/IC/3/11 disponible sur le site Internet de l’OMPI.
45
V. dans le même sens, la note du Secrétariat du Conseil des ADPIC, Protection des savoirs traditionnels et du
folklore, 8 août 2002, document IP/C/W/370 disponible sur le site Internet de l’OMC.
46
V. Communiqué de presse PR/2002/317 du 25 juin 2002, Protection des savoirs traditionnels : le Comité
intergouvernemental va de l’avant : http://www.wipo.int/pressroom/fr/releases/2002/p317.htm
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