Enseignement de sœur Anne-Marie David, Fille de la Sagesse

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Enseignement de sœur Anne-Marie David, Fille de la Sagesse
Rencontre Internationale Saint-Laurent-sur-Sèvre 2004
« NOUS SOMMES RICHES DU PARTAGE DE NOS PAUVRETES »
Enseignement de sœur Anne-Marie David, Fille de la Sagesse
Depuis deux jours nous sommes invités à suivre le Christ pauvre, à mieux découvrir le sens
de la pauvreté dont il est question. Sous des aspects différents nous avons perçu que cette
pauvreté est dépouillement de soi même et introduit à la vraie richesse, celle d’être aimé de
Dieu et de participer à la construction de son Royaume, un royaume de justice et de paix. Il
nous a également été fortement dit que cette pauvreté/richesse est chemin pascal et
engagement à lutter contre tout ce qui abîme l’être humain, la création…
Aujourd’hui nous poursuivons en focalisant notre attention sur cette affirmation que nous
sommes riches du partage de nos pauvretés. Nous sentons bien que cette affirmation est pour
le moins paradoxale. Il nous faut même être prudent car dans la réalité toute simple de la vie,
dire une telle chose peut être insoutenable, indécent. En effet en regardant l’actualité, on a du
mal à lier les deux. Pensons au drame de l’explosion d’Ath en Belgique, aux victimes de
l’attentat de la gare de Madrid, aux africains décimés au Darfour, aux ouvriers d’une usine du
nord de la France qui découvrent le lundi que leur usine a été déménagée, aux victimes du
terrible incendie d’hier en Savoie, la dernière inondation du Bengladesh… mais aussi à une
femme qui vient de perdre son enfant, à un homme qui galère jour après jour pour dormir,
manger, se laver, à ceux qui inlassablement au péril de leur vie essaient de passer
clandestinement dans nos pays… nous pourrions ensemble multiplier les exemples, des
exemples qui nous touchent, qui touchent nos proches.
Nous sentons bien, que rien ne peut « légitimer » ces réalités, il y a là trop de souffrances,
d’injustice… Notre expérience de l’amour du Seigneur, nous permet d’affirmer avec force que
ce n’est pas voulu par Lui. Mais en même temps nous ne comprenons pas et nous avons du mal
à lier richesse et pauvreté. Nous sommes dans la même situation que Job, il y a là quelque chose
qui nous dépasse, que nous ne pouvons pas comprendre si nous restons au plan humain.
Je vous invite donc à cheminer à partir de l’approche mystique, c’est à dire de l’expérience
spirituelle, de la relation entre Dieu et nous. Le mot expérience est important, nous regardons
la vie, la vie avec Dieu. Nous parlons de réalité, du vécu, nous regardons la présence agissante
de Dieu dans le concret de la vie. Il nous éclaire au cœur de notre relation avec lui à partir des
réalités simples de chaque jour.
C’est l’expérience, l’expérience profonde qui nous permet seule de dire que notre pauvreté
partagée est richesse. Je propose que nous découvrions quelques aspects de cette richesse que
nous avons reçue de Dieu.
I. Nous sommes riche d’être « image » de Dieu et d’en prendre conscience
Je vous invite à relire le récit de la création au chapitre un de la genèse. Nous le connaissons
tous et chaque fois nous sommes saisis par cette petite phrase qui revient en refrain : « Et Dieu vit
que cela était bon ». Accueillir ce récit c’est contempler le bonheur du Créateur devant son œuvre,
c’est entrer dans son émerveillement, percevoir la surabondance de vie sous toutes ses formes,
ressentir l’harmonie, la plénitude relationnelle qui unit tout ce qui est créé.
Le sommet de la création éclate dans la création de l’homme et de la femme. Le Créateur
(Trinité) crée par amour et se donne lui même. Il ne garde rien pour lui, nous remet tout, nous
invite à partager sa vie et à être responsable de la création avec lui. Ecoutons St Louis Marie
Grignon de Montfort nous livre le fruit de sa contemplation dans le chapitre III de son livre
l’Amour de la Sagesse Eternelle :
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Rencontre Internationale Saint-Laurent-sur-Sèvre 2004
« L’homme est l’image vivante de sa (La Sagesse1) beauté et de ses perfections, le grand
vaisseau de ses grâces » ASE 352. Ce n’est pas suffisant, elle nous donne tout ce qu’elle est :
« elle fit, pour ainsi dire, des copies brillantes de son entendement, de sa mémoire et de sa
volonté… Elle alluma dans son cœur un pur amour pour Dieu » ASE 37 ; elle nous invite à
entrer dans la communion d’amour de la Trinité : « … enfin il (l’homme, la femme) était si
divin, qu’il était continuellement hors de lui même, transporté en Dieu… » ASE 38 ; elle nous
aime tant qu’elle ne peut plus vivre sans nous : « il y a une si grande liaison d’amitié entre la
Sagesse Eternelle et l’homme, qu’elle est incompréhensible. La Sagesse est pour l’homme, et
l’homme est pour la Sagesse … » ASE 64 : elle reste en communion et agissante : « La
Sagesse Eternelle ayant tout créé demeure en toute chose pour les contenir, soutenir et
renouveler » ASE 35.
Nous sentons la symbiose, la communion qui existe entre la Sagesse, la création, ses
créatures… redisons-le, ce lien est encore plus intense avec les « humains » : La puissance et
la douceur de la Sagesse éternelle… a brillé bien davantage dans la création de l’homme,
puisque c’est son admirable chef d’œuvre… » ASE 35.
Vous remarquez comme moi, qu’il n’est ici question ni de pauvreté, ni de souffrance. Tout
cela a goût de bonheur, de communion, de responsabilité, de liberté, de bonté, d’amour…
C’est incontestablement une richesse mais une richesse que nous avons reçue. A y réfléchir
elle peut paraître pour certains synonyme de pauvreté, dans le sens que l’on pressent bien la
dépendance et la responsabilité des uns vis à vis des autres, vis à vis de notre Créateur, vis à
vis de la création… Le monde qui est crée par Dieu est un monde en relation ou rien ne
retient rien pour lui même. Comme à l’image de la Trinité tout est en relation, tout est tourné
vers l’autre, tout est donné, partagé. Nous sommes donc riches du partage de nos pauvretés en
offrant aux autres tout ce que nous avons reçu. Notre pauvreté c’est être créature ! Une
créature qui accepte en toute liberté d’être dépendante de son créateur, c’est à dire en vivant
comme recevant tout de Dieu.
Cette richesse d’origine, le don que Dieu a fait et continue à nous faire chaque jour, est
présente aujourd’hui dans la création, dans nos vies, nos relations, nos engagements… Mais
encore faut-il la percevoir. Je vous propose quelques secondes de silence, pensez à ce que
vous avez vécu depuis hier. Dans ce vécu, qu’est ce qui a goût de bonheur, de paix, de
douceur, d’amour, de partage de don… Ces réalités sont beaucoup plus présentes qu’on ne le
pense (quelque fois au cœur de nos difficultés), encore faut-il qu’on les perçoive, les nomme,
en rende grâce...
Ce petit exercice qui peut durer simplement quelques secondes, permet de ressentir à
quel point être créature à l’image de Dieu est une richesse reçue de Dieu. Une richesse qui est
invitation :
à regarder le monde, notre vie avec les yeux de Dieu,
à ne pas nous réduire et réduire les autres aux aspects négatifs de ce qu’ils font
à bien saisir que ce qui est pauvreté subie n’est pas voulu par Dieu…
II. Nous sommes riche d’une présence au cœur même de toutes nos pauvretés
Nous venons de parler du monde tel qu’il a été créé et tel qu’il aspire à être en dépendance
d’amour de son Créateur. Et pourtant il n’est pas que cela, il est aussi marqué par le manque
d’amour, la souffrance, la maladie, les catastrophes, les guerres, les exclusions… St Louis
Marie a un très beau passage pour nous en parler : « La Sagesse éternelle est vivement
touchée du malheur du pauvre Adam et de tous ses descendants. Elle voit, avec un grand
1
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St Louis Marie, nomme Jésus Christ la Sagesse éternelle, incarnée et crucifiée
ASE : Amour de la Sagesse Eternelle, livre de St Louis-Marie
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déplaisir… son portrait déchiré, son chef d’œuvre détruit…Elle prête tendrement l’oreille à
sa voix gémissante et à ses cris. Elle voit avec compassion les sueurs de son front, les larmes
de ses yeux, les peines de ses bras, la douleur de son cœur et l’affliction de son âme ». ASE 41
Il poursuit en nous montrant la Sagesse qui tient conseil avec son Père et l’Esprit. Souvenezvous ce que nous disait le P. Frans Fabry mercredi soir. Elle propose de se faire homme, de
nous rejoindre dans nos pauvretés pour nous sauver, c’est accepté…
Cette kénose de la Sagesse nous dévoile un autre aspect de notre richesse. Nous sommes
riches d’une présence. Souvenez-vous de ce que vous avez entendu ces derniers jours, de ce
choix du Christ et comment il l’a réalisé. Il a tout connu : l’exil, le rejet, la condamnation, le
sentiment d’être abandonné… Je dis il l’a vécu, en réalité c’est faux. Chaque fois qu’un
humain le vit, il est avec lui. J’ai été marquée par le témoignage d’un prisonnier du camp
d’Auschwitz : les nazis étaient en train de pendre un jeune homme devant tous les
prisonniers. Un prisonnier s’adresse à un autre et lui dit : où est-il ton Dieu ? » Il lui répond «
Il est là » en regardant celui que l’on pendait…
Présence du Christ, présence de la Sagesse éternelle , incarnée et crucifiée, le Seigneur fera
la grâce de le révéler à Louis-Marie de telle manière que cela va bouleverser sa vie.
Nous sommes au printemps 1703. Déjà, Louis-Marie a dû quitter Poitiers par deux fois,
son comportement lui ayant attiré le mécontentement de l’Administration de l’hôpital et celui
du clergé de la ville.
- Que lui reprochait-on ? Des initiatives inédites et courageuses en faveur des pauvres
de l’hôpital, une attitude jugée excessive dans son combat contre ce qu’il considérait
comme des abus de la part du clergé ou des chrétiens, la recherche de moyens
radicaux pour une pastorale en faveur des pauvres.
- Au printemps 1703, donc, l’évêque de Poitiers, mal informé sans doute et
probablement excédé, lui interdit de célébrer dans le diocèse. Louis-Marie, fatigué de
tant de difficultés rencontrées à Poitiers, décide de partir pour Paris, Il se rend à la
Salpetrière, hôpital général, où il rencontre la même situation de désordre et de
misère qu’à l’hôpital de Poitiers : 4 à 5000 pauvres femmes vivent là, dans le plus
complet dénuement. Il se donne à fond à leur service selon sa manière bien
personnelle… Après quelques mois seulement, il trouve son congé sous son couvert.
- Il compte sur l’accueil possible de Mr LESCHASSIER, son ancien directeur de
conscience… Celui-ci refuse de le recevoir. C’est un grand choc pour Louis-Marie,
d’autant que ce refus reflète celui de tous les Sulpiciens.
- Où aller ? Il se sent abandonné… Dans cet état de déréliction, il trouve un logement
que le chanoine Blain décrit ainsi :
« Un petit réduit, sous un escalier, que le soleil avait peine à éclairer. Je ne
« vis, pour tout meuble, qu’un pot de terre, et, je crois, un misérable lit qui
« n’était, aussi bien que le lieu, propre que pour des gueux » (Blain).
Ce réduit se trouvait dans la rue du Pot de fer, près de la maison du Troisième An des
Jésuites et Louis-Marie pouvait ainsi bénéficier de la bibliothèque. Cependant, l’abandon était
de plus en plus complet car aucun Jésuite n’accepta de le conseiller. Il passait la plus grande
partie de ses jours et de ses nuits en oraison, car il suspendit pour un temps les fonctions du
ministère.
Il est véritablement crucifié. Il emploie cette expression dans ses lettres 15 et 16 : « Je sens
que vous (Marie-Louise de Jésus, qui est restée à l’hôpital général de Poitiers) continuez à
demander à Dieu pour ce chétif pécheur la divine Sagesse, par le moyen des croix, des
humiliations et de la pauvreté (comprenons bien, Louis-Marie ne demande pas à Marie3
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Louise de rechercher les croix, il donne sens à celles qui se présentent à elle à l’hôpital de
Poitiers). Courage, ma chère fille, courage ! Je vous ai des obligations infinies, je ressens
l’effet de vos prières, car je suis plus que jamais appauvri, crucifié, humilié… Oh ! quand
posséderai-je cette aimable et inconnue Sagesse ?Quand viendra-t-elle loger chez moi ?
Quand serai-je assez bien orné pour lui servir de retraite, dans un lieu où elle est sur le pavé
et méprisé ! Oh, qui me donnera à manger de ce pain d’entendement dont elle nourrit ses
grandes âmes ? Qui me donnera à boire de ce calice dont elle désaltère ses serviteurs ? Ah !
quand serai-je crucifié et perdu au monde ? » (Lettre 16).
Ces mots de Louis-Marie peuvent nous heurter et pourtant ces paroles font échos aux
paroles mêmes du Christ au moment où il annonce sa passion : « Le Fils de l’homme doit
beaucoup souffrir, être rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué et,
après trois jours, ressusciter »… Pierre, le tirant à lui, se mit à le morigéner. Mais lui, se
retournant et voyant ses disciples, admonesta Pierre et lui dit : « Passe derrière moi, Satan !
car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! »
Appelant à lui la foule en même temps que ses disciples, il leur dit : « Si quelqu’un veut
venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive. Qui
veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Evangile la
sauvera. »(Mc 8, 31 à 35). Louis-Marie qui a déjà atteint une grande maturité spirituelle, désire
aimer encore plus Jésus Sagesse. Il veut l’aimer comme Jésus Sagesse le demande, en le
suivant jusqu’à partager ses souffrances. C’est à dire jusqu’à vivre les béatitudes sans
compromission.
Dans ce trop plein de souffrance et d’humiliations, dans cette contemplation qui n’était
peut-être pas si sereine, Louis-Marie approfondissait et nourrissait son désir de posséder cette
« aimable et inconnue Sagesse » Cette lettre dit avec force son désir intense de communier à
ce qu’a vécu le Christ durant sa passion. Désir de suivre le Christ jusque là, comme il nous y
invite (cf les différents textes où le Christ annonce sa passion). La Sagesse ne reste pas sourde
à ce désir, sa présence éclate en lui sous les traits du visage du crucifié. Expérience mystique
exceptionnelle (qui fait penser à celle de Thérèse d’Avila et de Jean de la Croix), véritable
épousailles mystique entre Louis-Marie et le Crucifié où il lui est donné de ressentir l’amour
fou de la Sagesse. Dans cette expérience mystique, il est rejoint par le Christ dans sa
souffrance humaine, il rejoint le Christ dans sa propre passion. Union où il lui est donné de
découvrir le mystère de la relation de la Sagesse à la croix. Il ne pourra plus séparer la
Sagesse de la Croix « La Sagesse est la croix et la croix est la Sagesse » (ASE 180). La croix,
sommet de l’amour, où Jésus Sagesse aime jusqu’à donner sa vie.
C’est seulement si nous accueillons le livre de Louis-Marie : « l’Amour de Sagesse
éternelle » comme un écrit mystique qui s’enracine dans son expérience spirituelle que l’on
peut accueillir ce qu’il nous dit au chapitre 14 (ASE 167 à 180). Ecoutons ASE 176 : « La croix
est bonne pour une infinité de raisons :
1. parce qu’elle nous rend semblables à Jésus Christ
2. parce qu’elle nous rend les dignes enfants du Père éternel, les dignes membres de
Jésus-Christ et les dignes temples du Saint-Esprit…
3. la Croix est bonne parce qu’elle éclaire l’esprit et lui donne plus d’intelligence
que tous les livres du monde…
4. parce qu’elle est, quand elle est bien portée, la cause, la nourriture et le
témoignage de l’amour. Elle allume le feu divin dans le cœur…
5. la Croix est bonne, parce qu’elle est source abondante de toute sorte de douceurs
et de consolations et qu’elle produit la joie, la paix et la grâce dans l’âme.
6. enfin elle est bonne, parce qu’elle opère, pour celui qui la porte, un poids de gloire
immense dans le ciel. »
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Au cœur de toutes les détresses humaines il perçoit la présence du Crucifié qui vient
apporter la vie.
Cette vie est celle du Ressuscité, elle apparaît plus clairement comme une puissance qui
travaille déjà notre vie quotidienne en l’ouvrant à une richesse inouïe. La vie de Louis Marie
est bouleversée, mais pas sous la forme d’un conte de fée. Il n’y a pas eu de miracle…
l’avenir semble toujours aussi sombre à vue humaine et d’ailleurs toute sa vie sera marquée
par de multiples croix… Et pourtant cette présence, cette source de vie qui jaillit en lui, se
manifeste par un vivre autrement. La richesse de cette présence n’est en contradiction ni avec
l’expérience de ses limites personnelles, ni de ses échecs successifs qui marquent son histoire
comme la notre. Au contraire elle est désir de recevoir de la Sagesse une vie de plus en plus
authentique et pleine à travers la donation quotidienne de soi- même.
Dans cette expérience, il accède à une profondeur de joie qui est celle qu’on peut trouver
quand on accepte l’épreuve et qui naît de l’union à Dieu. Du fond de son abandon, cet homme
écrasé, ébranlé, déraciné, trouva la force de faire jaillir en accents inédits sa tendresse pour la
Sagesse : « L’Amour de la Sagesse éternelle » qu’il écrivit à ce moment-là est bien le fruit
d’une communion avec le Crucifié, d’où surgit cet écrit admirable, synthèse de sa pensée et de
son vécu spirituels à une époque précise de sa vie, mûris sous le soleil de l’oraison, de la
souffrance, de l’expérience et de l’Esprit.
Regarder l’esprit agir en la vie de Louis-Marie est invitation à regarder l’Esprit agir en
nous. La Sagesse est présence en nos vies… Je voudrais de nouveau vous inviter à quelques
minutes de silence. Quelle est dans votre vie « votre rue du Pot de fer ? » ce moment où au
cœur de votre faiblesse, de votre détresse vous avez ressenti sa présence aimante tout
simplement. Une présence telle qu’elle vous a ouvert un chemin d’espérance. Cette présence
peut être aussi discrète que la brise et ne se découvrir que longtemps après.
III Nous sommes riches de devenir celui que nous contemplons et d’agir comme lui
envers les pauvres
La rencontre de Jésus avec Zachée (Lc 19, 1 à 10) est révélatrice. Zachée a un handicap : il
est riche et de surcroît collecteur d’impôts, Jésus lui même n’a-t-il pas dit : « Il est difficile
aux riches de parvenir dans le Royaume de Dieu » (Lc 18,24). Dans ce contexte difficile
l’attitude de Jésus et de Zachée sont frappantes. Tous les deux sont à la recherche l’un de
l’autre. Zachée ne ménage pas ses efforts pour apercevoir Jésus. Il met même son amour
propre au second plan n’hésitant pas lui le collecteur d’impôts à monter sur un arbre. Quand à
Jésus il prend l’initiative de la rencontre. Il va plus loin que ce qu’attend Zachée, puisqu’il
s’invite chez lui. En prenant cette initiative, il n’a pas peur d’être source de scandale. On
dira : « C’est chez un pécheur qu’il est allé loger. »
« Eh bien , Seigneur, je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens et, si j’ai fait tort
à quelqu’un je lui rends le quadruple. » La sobriété du texte est saisissante. Jésus ne
demande rien. Et pourtant Zachée prend cette décision. Les raisons profondes Luc ne les
exprime pas mais nous constatons que la rencontre de Zachée avec Jésus provoque une
conversion et une transformation. Désormais Zachée ne vivra plus de la même manière, sa
rencontre avec le Christ bouleverse sa vie.
Zachée est touché par la tendresse du Christ, sa délicatesse, son attention. Cette expérience
de la sollicitude du Christ est si forte qu’elle en devient contagieuse. Il y répond en devenant
lui même attentif aux autres.
Il s’agit bien de la rencontre avec le Christ, et non de la rencontre avec les pauvres. Par
contre les bénéficiaires de la conversion de Zachée sont les pauvres. Nous avons vu tout au
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long de ces jours à quel point Jésus s’est identifié aux pauvres. Cette identification nous
permet de saisir le sens de la réponse de Zachée. Il s’est découvert aimé, en retour il
transforme sa manière de vivre en aimant et en partageant avec les pauvres, ceux auxquels
celui qui vient de bouleverser sa vie s’est identifié.
Il y a symbiose entre notre attachement au Christ et notre relation aux pauvres. Ce lien
étroit se traduit par une transformation . Se laisser aimer par le Christ, le contempler et l’aimer
en retour est un chemin de transformation où je deviens peu à peu celui que je contemple et
aime.
Louis-Marie au cœur de l’expérience mystique dont je parlais tout à l’heure a vécu ce
passage et le thème de ce rassemblement « Ouvrez à Jésus Christ » se réfère à un épisode de
sa vie. Il rencontre un pauvre sur le bord du chemin, il s’en occupe et le charge sur son dos et
frappe à une porte pour qu’on l’aide en disant « Ouvrez à Jésus Christ ». Pour lui le pauvre
qu’il porte est vraiment Jésus Christ.
Toute sa vie il agira comme Jésus Sagesse qu’il ne cesse de contempler dans la parole de
Dieu. Il la voit prendre la défense des petits, des pauvres, des exclus de son temps. Je vous
invite à laisser surgir de votre cœur ces récits d’évangile où Jésus Sagesse :
-
guérit les malades, les estropiés
réinsère dans la société
parle des petits auxquels Dieu fait comprendre ses secrets
combat l’exclusion qu’elle soit d’ordre physique, social ou religieux
fait la louange d’une pauvre veuve qui donne discrètement à partir de sa misère par
opposition aux riches qui prennent sur leur superflu et qui le font savoir
- à qui donne un festin, conseille de ne pas inviter ses riches voisins mais « les
pauvres, les estropiés, les boiteux, les aveugles …
La prochaine fois que vous lirez la vie de Louis-Marie, ayez dans le cœur ces récits
d’évangile, vous serez surpris de voir combien Louis-Marie va agir, comme Jésus Sagesse.
Ne nous y trompons pas, agir comme Jésus Sagesse, ce n’est pas faire des choses pour les
pauvres, c’est passer du coté des pauvres, c’est être tellement solidaire que l’on est identifié à
eux…
Devenir celui que l’on contemple c’est vivre l’Evangile comme une aventure qui illumine
la vie, comme une Bonne Nouvelle au cœur des nuits et des désespérances, comme une
présence celle du Christ qui nous envoie et donne sens à nos actions. C’est l’Esprit en nous
qui suscite ce mouvement, ce mouvement qui prend sa source dans la méditation de la Parole
de Dieu.
La présence et la fréquentation de Marie en est le chemin le plus aisé : « Marie est le
grand moule de Dieu… Il ne manque à ce moule aucun trait de la divinité ; quiconque y est
jeté et se laisse manier y reçoit tous les traits de Jésus-Christ, vrai Dieu, d’une manière douce
et proportionnée à la faiblesse humaine » (SM 17). C’est donc tout naturellement que Louis
Marie nous propose de nous consacrer à Jésus-Christ la Sagesse incarnée par les mains de
Marie : « Je renouvelle entre vos mains les vœux de mon baptême… et je me donne tout entier
à Jésus-Christ , la Sagesse incarnée, pour porter ma croix à sa suite tous les jours de ma vie.
Et afin que je lui sois plus fidèle que je n’ai été jusqu’ici ;
je vous choisis aujourd’hui Marie… » (ASE 223). En lui confiant tout ce que nous avons
reçu, tout ce qui nous appartient, tout ce que nous sommes, le partage de nos pauvretés
devient richesse pour tous.
Aimer c’est tout donner et se donner soi même …
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