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Sexualité et handicap mental. Enquête sur le traitement social de la sexualité des personnes désignées comme « handicapées mentales » en France et en Suisse Lucie NAYAK Thèse de doctorat en sociologie préparée en cotutelle internationale sous la direction de Claudine BURTON-JEANGROS (Université de Genève) et de Philippe COMBESSIE (Université Paris Ouest). Résumé Le propos de la thèse est d’étudier le traitement social de la sexualité des personnes désignées comme « handicapées mentales » en Suisse et en France, par le biais d’une enquête qualitative réalisée par entretiens avec des personnes considérées comme « handicapées mentales », des parents, des éducateurs spécialisés et des assistants sexuels. Une première partie est consacrée à l’analyse des représentations des personnes désignées comme « handicapées mentales » au sujet de la sexualité et à la mise en lumière des formes de leur vie sexuelle. Les données du terrain ont révélé quatre types de sexualité. Les deux premiers, majoritaires sur notre terrain, sont la sexualité écartée, qui est celle des personnes refusant les relations sexuelles ou se déclarant indifférentes à la sexualité, et la sexualité conformiste normalisante, caractérisée par une grande conformité aux normes sexuelles qui prévalent à l’ère de la « santé sexuelle », à travers laquelle les personnes « handicapées » recherchent une « normalité » qui ne leur est pas reconnue dans les autres domaines de leur vie. En marge de ces deux principales catégories, la sexualité revendicative est celle des personnes luttant pour l’autodétermination de leur vie sexuelle et refusant les contraintes qui leur sont imposées par la vie institutionnelle. Enfin, les personnes à la sexualité alternative opèrent une redéfinition de la sexualité en érotisant des pratiques qui ne sont pas ordinairement considérées comme en relevant. Cette typologie offre une première grille de lecture de la sexualité des personnes « handicapées mentales », souvent commentée mais qui demeurait inexplorée. Les analyses développées opèrent une rupture avec les représentations dominantes en déconstruisant les spécificités communément prêtées à leur sexualité. Alors que, de façon quasi systématique, leurs comportements sexuels sont expliqués par leur seul handicap, nous montrons que les différentes catégories de sexualité observées ne sont pas spécifiques aux personnes « handicapées ». En revanche, nous mettons en évidence l’influence de la désignation en tant que personnes « handicapées mentales » sur la vie sexuelle de celles et ceux qui en ont fait l’objet, et donc son caractère socialement construit de cette sexualité. Cette première partie permet ainsi de définir ce à quoi l’on fait référence lorsque l’on parle de « la sexualité des personnes handicapées ». Se construisant largement en réaction aux positionnements des autres catégories d’acteurs en la matière, la sexualité des personnes considérées comme « handicapées mentales » ne peut se comprendre sans l’analyse des représentations et des pratiques institutionnelles et parentales relatives à son accompagnement, objectif de la deuxième partie de cette thèse. Dans le récent contexte normatif de la « santé sexuelle », celles-ci se sont considérablement transformées. Les données du terrain révèlent tout d’abord la persistance de 1 représentations qui envisagent les personnes « handicapées mentales » comme porteuses d’une différence perçue comme une caractéristique individuelle, qui les sépare du monde des « valides ». Dans une telle perspective, leur sexualité est considérée comme impossible car dangereuse. Mais parallèlement s’observe une tendance croissante à la reconnaissance de leurs « besoins » en termes de « santé sexuelle » et au développement de conduites visant à en favoriser la satisfaction. Celles-ci découlent d’une évolution des représentations de la personne « handicapée mentale », qui tend désormais à être envisagée comme une « personne », à laquelle il convient de donner les mêmes droits qu’aux « non handicapés ». Dans ce contexte paradoxal, nous avons fait émerger quatre positionnements institutionnels et parentaux, qui s’inscrivent sur un continuum allant de l’interdit à l’encouragement de la sexualité dans une perspective de santé, en passant par les nuances de la compensation de la différence et de la limitation. Cette typologie met en évidence cette situation de paradoxe et les conflits qu’elle entraîne, qui débouchent sur le maintien de la sexualité des personnes « handicapées mentales » dans la liminalité : si elle n’est plus totalement empêchée, elle n’est pas laissée libre de s’exprimer au même titre que celle des « valides ». Depuis quelques années, une nouvelle catégorie d’acteurs est impliquée dans l’accompagnement de la sexualité des personnes « handicapées mentales ». Il s’agit des assistants sexuels, dont les représentations et les pratiques sont analysées dans la troisième et dernière partie de cette recherche. L’analyse porte sur le travail de promotion de la « santé sexuelle » réalisé par cette activité récente, qui repose sur un objectif pragmatique : permettre aux personnes « handicapées » d’accéder à la sexualité dans un objectif de santé. Cela suppose la transgression de plusieurs normes sexuelles dominantes, telles que la gratuité des échanges sexuels, l’association de la sexualité et des sentiments amoureux et l’exclusivité sexuelle. L’assistance sexuelle rend également possible des contacts sexuels entre des personnes « handicapées », notamment « handicapées mentales » et des individus « valides », brisant ainsi un interdit moral important. Mais ces transgressions ne sont pas revendiquées en tant que telles. Les assistants sexuels les présentent comme nécessaires à ouvrir l’accès des personnes « handicapées » à la sexualité mais n’en font pas l’apologie en dehors de leur activité. Au contraire, nous observons qu’ils tendent à perpétuer certaines représentations traditionnelles de la sexualité et du handicap. Ainsi soutenons-nous que l’assistance sexuelle est finalement une activité conformiste, qui sert l’idéologie actuelle de la « santé sexuelle », qu’elle valide et dont elle est une application pratique. Si l’assistance sexuelle présente l’intérêt d’offrir une solution concrète aux personnes « handicapées », elle ne s’inscrit pas dans la logique de leur inclusion sociale. En tant que dispositif qui leur est spécifiquement destiné, elle illustre au contraire le statut liminal qui leur est réservé. En prenant le parti de mobiliser le handicap mental et la sexualité comme des révélateurs mutuels, cette recherche se donne ainsi pour objectif d’analyser comment les différentes catégories d’acteurs impliqués dans l’accompagnement de la sexualité des personnes « handicapées mentales » co-construisent les normes qui régissent la vie sexuelle de ces dernières. Elle vise à offrir une étude la plus complète possible du traitement social de leur sexualité et des logiques qui le sous-tendent. 2 Abstract The subject of this dissertation is to study the social construction of the sexuality of people labelled as « intellectually disabled » in Switzerland and in France by means of a qualitative survey realized through interviews with persons considered as « intellectually disabled », parents, specialized educators and sexual assistants. A first part deals with the analysis of the representations of persons labelled as « intellectually disabled » regarding sexuality and with bringing to light the forms of their sexual life. The data showed four types of sexuality. The first two, a majority on our ground, are the pushed aside sexuality, that of the people, who refuse the sexual relations or declare they are indifferent to sexuality, and the conformist normalizing sexuality, characterized by a high conformity to the sexual norms prevailing in the era of “sexual health“ and through which the “disabled“ persons look for a normality which is not recognized to them in other fields of their life. Outside these two main categories, the claiming sexuality is that of the people who are fighting for the self-determination of their sexual life and refuse the constraints imposed to them by the institutional life. Finally, the people who adopt an alternative sexuality redefine sexuality by erotizing practices that are not ordinarily considered so. This typology offers a first key for reading the sexuality of people labelled as « intellectually disabled », often commented but still unexplored. The developed analyses operate a break with the prevailing representations by deconstructing the specificities commonly associated to their sexuality. While their sexual behaviour is almost systematically explained only by their disability, we show that the various categories of sexuality observed are not specific to the « intellectually disabled » people. On the other hand, we underline how designating persons as « intellectually disabled » influences the sexual life of these persons and hence the socially constructed aspect of this sexuality. Thus, this first part allows to define what is referred to when « sexuality of disabled people» is mentioned. As widely built in reaction to the positioning of the other categories of actors of the field, the sexuality of persons considered as « intellectually disabled » cannot be understood without analyzing the institutional and parental representations and practices, which is the goal of the second part of the present dissertation. In the recent normative context of « sexual health », these representations and practices considerably changed. The data of the field show at first how « intellectually disabled » people are still considered as carrying a difference perceived as an individual characteristic, which separates them from the world of « valid » people. In such a prospect, their sexuality is considered as impossible because dangerous. But at the same time, we observe a growing tendency to recognize their « needs » in terms of « sexual health » and the development of behaviours aiming at satisfying them. These come from an evolution of the representations of the « intellectually disabled » who tends now to be considered as a « person » to whom the same rights as to a « valid » person should be granted. In this paradoxical context, we could bring to the foreground four institutional and parental positions, which join in a continuum going from the prohibition to the encouragement of sexuality in a health perspective, through the shades of compensation of difference and of limitation. This typology of the observed educational positionings highlights the situation of paradox and the conflicts it entails. These results in maintaining the sexuality of the « intellectually disabled » persons in a liminality status: though it is not totally prevented, it is not allowed to express as well as that of the « able » people. For a couple of years, a new category of actors has been involved in supporting the « intellectually disabled » people in their sexuality. They are called sexual assistants and their representations and practices are analyzed in the third and last part of this study. The analysis 3 focuses on the work of promotion of « sexual health » made through this recent activity, which rests on a pragmatic goal: allowing the « disabled » persons to access sexuality with a health objective. This implies transgressing several dominant social norms such as the non venal characteristic of sexual exchange, the association of sexuality and love feelings or sexual exclusivity. Sexual assistance may also imply sexual contacts between « intellectually disabled » and « valid » persons, breaking an important moral prohibition. But these transgressions are not claimed as such. Sexual assistants present them as necessary to open access to sexuality for the « disabled» people, but they do not make its apology outside their activity. We observe on the contrary that they tend to perpetuate some traditional representations of sexuality and disability. In this way, we support that sexual assistance is finally a conformist activity which serves the current ideology of « sexual health » that it validates and of which it is a practical application. Though sexual assistance offers a concrete solution to the « disabled » people, it does not come within the logic of their social inclusion. As a service specifically intended for them, it illustrates on the contrary the liminal status which is reserved for them. By mobilizing intellectual disability and sexuality together, this research aims at analyzing how the different categories of actors implied in accompanying « intellectually disabled» people in their sexuality co-build the norms that govern their sexual life. It aims at proposing a complete study of the social treatment of their sexuality and the logics that underlie them. 4