le 17 octobre il fait encore tres beau,on est rentre hier soir tard et je

Transcription

le 17 octobre il fait encore tres beau,on est rentre hier soir tard et je
Le 17 octobre il fait encore très beau. On est rentré hier soir tard et je n’arrive pas à me
reposer durant l’après midi. Certains disent trop de fatigue pas de repos, mais il me
semble que mon cerveau bat la chamade et je jette ces quelques mots sur mon road
book.
LA BÊTE À ANGLES DROITS
Lorsque l’on arrive au pied du versant sud du Nemjung, après le village de Bimtang, on
ne peut qu’être en extase devant ce lieu unique. Dans les Alpes les noms des
montagnes ont souvent une signification très claires, ici dans les Himalayas, il
semblerait que ce soit du domaine du sacré, de l’irrationnel. Le Nemjung attire le regard
de tout alpiniste, car son versant sud offre un itinéraire qui, suivant un éperon, esquive
des ressauts et trace une ligne à angles droits.
Quand on arrive a 4400m où coule une petite source, sur la moraine,au bord du
glacier.Quand on monte sa tente entre deux petits lacs et qu’on jette le regard vers le
haut, on s’apercoit de l’itinéraire angulaire du Nemjung, tout en zig-zag. c est a cet
endroit magique ou nous avons installer notre CB,accompagne de nos 2 cuisiniers
Kumar et Norindra, et on a visiter pendant une quinzaine de jours les alentours pour se
preparer et s acclimater.
C’est après 6 jours d ascension que tard dans la nuit nous avons rejoint notre petit
paradis.Durant toute cette periode il a fait beau non stop (hormis le deuxieme jour ou
c’était nuageux et neigeux mais ce fut une providence pour remonter un couloir/goulotte
qui ne demandait qu’à fondre littéralement sur nous). Nous avons pu chaque jour
contempler les Himalayas, de la montagne du Shishapangma à l’est, jusqu’à
l’Annapurna à l’ouest , une étendue de neige,
d’arêtes, d’horizons découpés
brutalement, de lumières apaisantes aux couchés du soleil.Soit une distance de 300 km
environ à couper le souffle. Sans oublier en pleine ligne de mire le Manaslu, 7 km au
sud.
La lumière : la chaleur après la nuit, ou au milieu de notre sommeil nous nous racontons
le froid. Pas de manière de se rechauffer, on se réveille alors et on fait chauffer de l’eau,
on en boit et on remplit notre gourde que l’on enfouit dans notre duvet, et l’on se rendort
au chaud pour un petit bout de temps. Le reveil est hardcore, la tente a gelé avec la
condensation de nos respirations, autour de nos têtes nos duvets sont blancs et durçis
par le gel. On s’extrait difficilement de cet état incomfortable (bizarre d’ailleurs), mais
c’est dans l’action que le grimpeur s’emmerveille, c’est la part belle des perspectives qui
attire l’himalayiste, l’alpiniste, enfin disons le challenger.
En train de grimper des concretions instables de neiges on ne pense plus, du moins on
pense directement, on réfléchit au moment.Comme lorsque Christian me rejoint au
relais, commotionné par un bout de glace,qui a percute son casque avec force. Il est
choqué, moi aussi. alors on s interroge.Cela fait un moment que le vertige nous a pris,
que les lignes de fuites nous ont rendu fébriles. Nous en sommes a notre 4 ème jour
d’ascension. Nous avons peu mangé et peu bu durant tout ce temps. Il n’y a plus de
tension, juste un état d’exitation et de tranquillité mêlés. Nous ne savons pas vraiment
ou nous allons, nous ouvrons les portes de la face sud du Nemjung.Après les 3
premiers jours ou le cheminement a nécessité rappel, longueurs quasi verticales en
neige instable dangeureuses, traversées d’arêtes scabreuses, l’ascension,au lieu de
devenir plus facile,se corse encore.
Il nous faut installer notre 4ème bivouac, nous avons peu de choix d’emplacement. Alors
que les précédents étaient spacieux, celui-ci va nécessiter du sang froid : nous devons
creuser une plateforme de 2m2 dans un champignon de neige posé sur l’arête. On dort
encordé histoire de trouver le sommeil.
Mais quel panorama, j’insiste là-dessus. L’ambiance, notre présence ne peut être rendu
par aucun support. Nous sommes dans l’équilibre, au sens pur et pluriel. Celui de la
montagne, de ses corniches suspendues près de nous. Celui de la nuit et du jour, du
chaud et du froid, de l’action et du repos, de notre équilibre intérieur aussi, de nos
peurs : demain, nous partons pour le sommet.
Ce pour quoi les himalayistes grimpent reste un mystère, le fait qu’ils reviennent par
contre n’a pas de flou. L’himalayiste, l’alpiniste et grimpeur de toute sorte se nourrit
d’esthétique, d’exitation et d’engagement.
Nous prévoyons un départ pour le sommet avec le soleil entre 6 et 7h du matin. On sort
péniblement de notre torpeur, mais dès 5h on prépare du thé et à 6h30, nous partons.
Le soleil nous fait du bien. La veille, ayant un peu d’avance, j’avais repéré une trouée
dans l’arête cornichée et effilée. Cela nous permet de gagner du temps et ce jour-çi il
nous en faut. Nous décidons que nous ferons demi-tour a 14h30 pour rentrer au bivouac
à une heure convenable.
Désormais nous sommes légers, avec à peine quelques kilos sur le dos... ça change : le
style minimaliste du « summit day ». Durant 5 jours, nous avons grimpé chargés, et
durant 5 jours, nous avons enchainé longueurs après longueurs en ne faisant que
quelques centaines de mètres de dénivelé par jour. Notre style radical, la pratique du
style alpin, rend la tâche plus ardue que le style siège où le travail d’équipe et
l’équipement de la montagne rend ces ascensions plus faciles. Petite explication. La
norme désormais dans les expés commerciales et autres c’est cordes fixes et oxygène
pour la très haute altitude. Mais que savons-nous faire de mieux, si ce n’est le style alpin
: notre culture alpinistique en somme.
Ce jour-çi le temps est encore meilleur, il n’y a pas beaucoup de vent, l’ennemi juré des
grimpeurs de haute altitude. Il nous reste 500 mètres pour rejoindre le sommet et encore
un passage de neige et glace verticale qui ne nous laisse pas entrevoir la fin des
difficultés. Christian a vu juste, c’est en faisant une traversée à gauche que nous
rejoignons le dernier ice flute que nous remontons.
Pendant toute l’ascension, la vision abrupte au-dessus de nous ne nous a jamais
vraiment permis de voir plus loin qu’une longueur de corde, et c’est avec stupéfaction
que nous nous retrouvons dans du terrain moins difficile. Tantôt d’un côté puis de
l’autre, nous continuons cependant à nous assurer sur cette arête vertigineuse et
cornichée, et puis finalement, nous arrivons au point que nous avions en ligne de mire
depuis le début de l’expé. Notre timing arrive à échéance, il est 14h, nous sommes entre
6900 et 7000m, il ne reste qu’une centaine de mètres jusqu’au sommet. C’est facile.
Trop facile. Christian décide de s’arrêter là, les difficultés sont derrière nous, nous
gardons une marge pour la descente, summit or not summit, this is the question. Après
le goût amer de la déception, les mots s’arrêtent, notre amitié reprend le dessus, on
ressere les liens, encordés pour le meilleur et pour le pire. On redescend, on rejoint la
tente à la nuit tombante, comme on dit entre chien et loup, Christian prend une photo de
la corniche qui domine notre bivouac et qui ressemble étrangement à une canine. Il fait
nuit, notre réserve de gaz arrive à son terme. Après quelques soupes on somnole,
fatigués jusqu’au matin. Réveil sur notre plateforme suspendue réchauffée par le soleil,
puis on s’en va. On a 4 broches, on échappe les pitons ainsi que mon descendeur. Vers
13h on rejoint notre 2ème bivouac et on y retrouve un dépôt de gaz. On en profite pour se
restaurer. On désescalade encore une arête de neige délicate, il y a un peu de
brouillard. La fatigue, l’atmosphère lourde et glauque nous fait commettre des erreurs :
noeuds mal fait, rappels qui coincent et, pour couronner le tout, mon sac a dos fait le
grand voyage vers le bas. Il est 15h et la descente à 100 à l’heure s’impose. Plus bas,
pour franchir la dernière barre rocheuse, je dois faire des rappels de nuit noire et
humide, celle d’avant le gel et les étoiles. C’est à 22h que l’on arrive au camp de base,
ou on engloutit un cassoulet et siffle le dernier verre de Pastaga qui nous reste. Nous
sommes harassés et la nuit, déconnectés, nos cerveaux en marmelade s’envolent vers
des contrées oniriques et absurdes.
Le lendemain matin, heureux de contempler notre bébé, notre bête à angles droits,
notre pilier du soleil, on passe une journée pleine de satisfactions. Ça fait du temps que
l’on grimpe ensemble avec Christian et le Nemjung, avec son itinéraire dément que l’on
a suivi, nous inspire de la connivence.
C’était bon d’être là-bas cette journée du 16oct.