Une création : `Œuvre de Hayao Miyazaki

Transcription

Une création : `Œuvre de Hayao Miyazaki
Jean Sreng, Paul Masurel
Une création :
’Œuvre de Hayao
Miyazaki
Rapport réalisé dans le cadre du séminaire d’humanisme
de l’école centrale Paris.
Nous allons, dans le rapport qui suit, tâcher de nous intéresser aux
sources d’inspirations et aux méthodes de créations employées par l’animateur
Hayao Miyazaki. Pour ce faire nous allons successivement aborder :
I
II
III
IV
La biographie de Hayao
Miyazaki.
Ses sources d’inspiration.
Des critiques exprimées.
Les méthodes de travail
innovatrices d’un créateur
sans concession.
Ces observations ne porteront que sûr Le Voyage de Chihiro, Mon Voisin
Totoro, Princesse Mononoké, Le château dans le ciel, Le service de livraison de
la petite sorcière, Si tu tends l’oreille, Nausicaä, Porco Rosso n’ayant pas
visionné les autres films de Miyazaki. Il s’agit cependant des œuvres majeures
de Miyazaki. On s’attachera surtout à l’étude de Princesse Mononoké et le
voyage de Chihiro, pleinement médiatisées et plus chargées de messages que les
autres œuvres.
-I –
B
iographie et filmographie de Hayao
Miyazaki.
Toute œuvre est empreinte des expériences de l’auteur. Au-delà de son
apparence de Lapalissade, cette affirmation nous invite à recueillir les éléments
biographiques clefs qui nous aideront à mieux comprendre les influences de
Hayao Miyazaki. Chaque influence évoquée de manière succincte ici sera
développée par la suite.
Hayao Miyazaki est né à Tokyo en 1941. Le travail de son père directeur de Miyazaki
Airplane, une entreprise de fabrication de gouvernail d’avion de chasse, imprimera chez
Miyazaki sa passion pour les avions, exprimé en particulier dans Porco Rosso. Les machines
volantes et le désir de voler seront par ailleurs présents dans la quasi-totalité de ses œuvres.
En 1944, dans le contexte de la guerre, sa famille est évacuée vers Utsunomiya. Trois
années plus tard, la tuberculose clouera au lit sa mère neuf ans durant.
C’est en 1958, au lycée de Totoyama, qu’il va découvrir le monde de l’animation avec
en particulier le premier long métrage animé japonais : La Légende du serpent blanc. Il décide
alors de devenir artiste et se passionne pour le dessin.
Il poursuit ensuite des études d’économie à l’université de Gakushuin. Il consacrera
alors une partie de son temps libre à étudier le marxisme, théorie qui influencera ses longs
métrages, mais plus étonnante et peut-être plus flagrante encore ses méthodes de travail. Il
sort diplômé en 1963, et modère ses ambitions de dessinateur pour se tourner vers le monde
encore balbutiant de la japanimation. Il travaillera alors sur des séries télévisées, dont on
notera particulièrement l’histoire de Ken, un enfant loup, qui pourrait avoir influencé
Princesse Mononoké.
En 1964, Miyazaki devient chef du syndicat des employés de la compagnie
d’animation Toei Doga.
Notons encore la participation de Miyazaki et de sa femme à la réalisation du chat
botté, que l’on retrouvera sous la forme d’une statuette dans Si tu tends l’oreille.
En 1984, il fonde la société d’animation Nibariki, mais surtout, en 1985 le légendaire.
Studio Ghibli.
Œuvres évoquées dans ces pages.
Miyazaki participe à :
Okami shônen Ken (Ken, l'enfant loup)
Nagagutsu o hatai neko (le chat botté)
Miyazaki est scénariste et réalisateur :
Kaze no tani no Naushika (Nausicaä de la vallée du vent)
Tenkû no shiro no Ryaputa (Laputa, château dans le ciel)
Tonari no Totoro (Mon voisin Totoro)
Majô no takkayubin (le service de livraison de la sorcière)
Kurenai no Buta (Porco Rosso)
Mimi o sumaseba (Si tu tends l'oreille)
Mononoke Hime (Princesse Mononoke)
Sen to Chihiro no kamikakushi (Le voyage de Chihiro)
1965
1969
1984
1986
1988
1989
1992
1995
1997
2001
-II–
S
es sources d’inspirations.
Nous allons exposer ici la manière dont Miyazaki projettent le monde qui
l’entoure sur ses œuvres.
I/ Un univers poétique récurrent.
Avant d’éclairer les éléments biographiques déjà évoqués, nous devons évoquer la
poésie de l’univers Miyazaki. On retrouvera en effet, en parallèle avec le style graphique, des
éléments récurrents que l’on ne saura « élucider » sans savoir qu’ils sont tout simplement
chers à l’auteur.
Ainsi, c’est avec une certaine nostalgie que Miyazaki nous a ouvert les portes de ses
univers enfantins. Hormis Porco Rosso, le ou les héros seront toujours des enfants. Le plus
souvent par ailleurs, il s’agira de deux enfants ou adolescents de sexes opposés (Chihiro, Le
château dans le ciel, Princesse Mononoké, Le service de livraison de la sorcière, Si tu tends
l’oreille).
La faune et la flore que dessine Miyazaki dans les scénarios
fantastiques ou merveilleux présentent de même certains schémas :
des monstres faits de boues de couleurs marrons ou pourpres
seront ainsi visible dans Nausicaa, Princesse Mononoké, et
Chihiro. De plus, de manière générale, l’ensemble des œuvres de
Miyazaki est peuplé de personnage secondaire attachant, à l’image
des kodomos de Princesse Mononoké, esprit de la forêt émettant
un cliquetis en secouant la tête, apparaissant et disparaissant,
gambadant auprès des voyageurs.
On notera aussi en vrac la statuette du chat beauté de Si tu tends l’oreille, le monstre
éponyme de Mon voisin Totoro, les noiraudes du mêmes films, ainsi que les boules de suifs
de Chihiro.
La similitude entre ces dernières ne peut pas passer inaperçues :
-Les noiraudes-Les boules de suifsIl ne s’agit en fait pas de la seule analogie entre des personnages des différents films
de Miyazaki. On retrouvera une famille de pirates de l’air dans Porco Rosso et dans Laputa.
Le père de Kiki dans Le service de livraison de la
petite sorcière (à gauche) est le même que le père du film
Totoro (ci-dessous):
A titre plus récréatif, nous présentons ici les clins d’oeils de Miyazaki.
Ces deux scènes sont tirées respectivement de Chihiro et du Tombeau des Lucioles
(issu du studio Ghibli).
Cette scène de Chihiro présente en arrièreplan un petit tableau représentant probablement kiki,
la petite sorcière du Service de livraison de la petite
sorcière.
(Nous avons retraité l’image telle qu’elle est ici
présentée).
Une référence à cette même Kiki est présente dans Si tu tends
l’oreille .
Ici, nous observons «Porco Rosso » gravé sur
l’horloge du vieil antiquaire de Si tu tends l’oreille.
(Même remarque que précédemment).
Enfin, nous noterons l’omniprésence du studio Ghibli dans les œuvres : avec par
exemple, de gauche à droite (Le service de livraison de la petite sorcière et Porco Rosso) :
Miyazaki de même sur représente les éléments qui lui tiennent à cœur. Les machines
volantes ainsi seront sur représentées dans toute son œuvre. Porco Rosso par exemple,
Miyazaki nous présente l’histoire d’un porc pilote virtuose d’un hydravion de combat. Nous
saluons le choix de la voix de Jean Reno pour la version française qui confère au personnage
une dignité de héros comprise entre celle de Tanguy (Les chevaliers du ciel) et celle de
Columbo.
Dans Le Service de livraison de la petite sorcière, Miyazaki nous présente un petit
garçon qui n’a pour seule idée en tête que de voler. Il va même jusqu’à monter des ailes sur
son vélo et tombe amoureux de la petite sorcière, fasciné par sa capacité à voler sur son balai.
Le château dans le ciel nous emmène à la découverte d’une ville volante, accompagné d’engin
volant divers. Totoro emmènera les deux petites filles dans une balade sur sa toupie volante.
II/Des éléments biographiques.
A l’instar de Flaubert, Miyazaki aurait pu sans problème déclaré « Porco Rosso, c’est
moi ». En effet le héros cochon de Porco Rosso, bourru par moment, est l’autoportrait de
Miyazaki. Sauvant des enfants de pirates pour leur bonheur au début du film, il prétendra qu’il
fait cela pour l’argent, jouant les ours mal léché. Miyazaki rechercherait-il donc, dans son
travail acharné le sourire des enfants derrière sa carapace de carriériste de l’animation,
conscient de l’audience et des statistiques. Les plus sceptiques finissent convaincu par le
regard porcin de Porco Rosso : Seul élément irréaliste du film, justifié par une explication des
plus évasives évoquant une sorcière lui ayant jeté un sort, l’apparente gratuité de cette image
de porc interpelle. Miyazaki nous répondrait qu’il aime dessiner les cochons… Il exprime en
fait son regret d’avoir trahi ses rêves de jeunesse, voulant comme Porco Rosso, changer le
monde (inspiration marxiste), et a fini par participer au système, devenant cochon : animal
symbole du vice et de la consommation. Miyazaki a par ailleurs baptisé sa maison « la maison
du cochon » (butaya).
Le personnage de la mère dans Mon voisin Totoro, est probablement inspiré comme
expliqué précédemment par les années de convalescence de sa mère atteinte de tuberculose.
Dans une atmosphère féerique et champêtre, l’histoire nous fait découvrir la vie de deux
jeunes filles vivant temporairement seule avec leur père, leur mère restant à l’hôpital afin de
soigner une maladie pulmonaire. Les deux petites filles rencontrent près de leur nouvelle
maison un monstre gentil : Totoro. Le retour de leur mère ayant été encore repoussé, les deux
petites filles craignent pour sa santé… Il est probable qu’en huit ans de convalescence,
Miyazaki enfant ait connu la frustration des espoirs déçus du retour de sa mère, ainsi que
l’éducation monoparentale, d’un père qu’il décrit dans Totoro comme idéal.
Miyazaki n’hésite pas à réutiliser les personnages sur lesquels il aura travaillé au début
de sa carrière, alors qu’il n’était pas encore scénariste. Ainsi, San, la princesse Mononoké,
pourrait avoir été inspiré de Ken, l’enfant loup. Dans le cas de Laputa (Qui s’appelle en
français Le Château dans le ciel), le scénario fait référence à la cité volante des Voyages de
Gulliver. On ne s’étonnera pas en apprenant que Miyazaki avait aussi travaillé sur une
adaptation de ce roman.
On ne saurait parler de l’innovation de Miyazaki sans parler du quasi unique studio
d’animation long métrage de l’époque : les studios Disney. On repère ici une démarcation
singulière de Miyazaki sur ce qui se faisait jusqu’alors. Les studios Disney ont en effet admis
pour tradition de prendre pour scénario de long métrage d’anciens contes au succès
éprouvé, et ce depuis Blanche Neige en 1937. La même tendance se retrouve dans les débuts
de la japanimation (contes traditionnels japonais ou européen). Miyazaki, lui, offre une part
de lui-même, et crée de toute pièce ses scénarios. Il n’hésite pas à, dans la logique de
l’artiste, projeter dans ses œuvres sa propre vision.
-III–
D
es critiques exprimées.
C’est donc non seulement en tant que créateur, mais en tant qu’artiste que Miyazaki se
lance dans la création de long métrage d’animation. De formation économique et influencé
par Marx, il ne peut délivrer des films d’animations vides de ses opinions. On recensera
quatre grands domaines de critiques :
- L’antiaméricanisme.
- La critique du travail et de la société au Japon
- L’anticapitalisme
- La destruction de la mère nature.
Et le glaive de son jugement est incarné par l’anti-manichéisme de ses personnages.
Par soucis de lisibilité nous présenterons l’analyse de ses deux films les plus riches en
sens : Le voyage de Chihiro et Princesse Mononoké.
Le voyage de Chihiro nous présente l’aventure de Sen, une petite japonaise qui va
emménager à regret dans une nouvelle maison. Ces parents s’arrêtent dans ce qu’ils pensent
être un parc d’attraction abandonné mais qui s’avère en réalité être un monde fantastique. Sen
y rencontrera Haku, un jeune garçon mystérieux qui souhaite l’aider.
C’est dans ce film que Miyazaki révèle probablement le plus ses qualités de
scénaristes, réalisant l’exercice de style de nous offrir un Alice au pays des merveilles à la
sauce d’Edgar Allan Poe et aux couleurs inédites.
L’antiaméricanisme, tout d’abord, est présenté par les grossiers traits de caractères des
parents de Sen. Le père, fier de sa voiture, est heureux de tester sa suspension et la puissance
de son moteur dans un petit chemin dont il est évident qu’il ne les mène pas dans leur
nouvelle maison. Sans-gêne, ils entament leur repas dans un restaurant sans même attendre
que son gérant apparaisse. Bâfrant, ils sont transformés en porc par la sorcière Yubaba. La
mère comme le père refuseront dans tout ce début de film d’écouter l’avis de leur fille Sen,
dans son désir de ne pas déménager tout d’abord, puis dans sa peur de s’aventurer dans le
tunnel et enfin dans sa crainte d’entamer le repas sans la permission du gérant. Notons que
Miyazaki n’hésite pas dans ses interviews à conspuer les Etats-Unis et particulièrement les
Studios Disney, qui pourtant ont coproduit Chihiro avec Miyazaki.
La critique la plus développée du film constituera le travail au Japon. L’entreprise de
bains de la sorcières Yubaba engagent un nombre important d’employés qui travaillent jour et
nuit sans liberté, et sous l’autorité directe de Yubaba, car il semble impossible d’imagine la
situation autrement. En contrepartie, Yubaba se fait un devoir de ne jamais refuser de travail à
quelqu’un qui le demande. Au sein de l’entreprise, chaque employé se voit affecté un nouveau
nom, et oublie l’ancien mystérieusement. L’individualisme est considéré comme néfaste pour
l’entreprise. On assiste dans le cas de Chihiro à la fameuse scène durant laquelle Yubaba
supprime un composé de Chihiro (mille brasses) pour Sen, jugeant le nom de la petite fille
trop prétentieux. La quête de la famille consistera en partie à se rappeler son vrai nom et celui
de Haku. C’est le monde de l’entreprise japonaise que l’on reconnaît dans ces détails. La
destruction de toute forme d’individualisme, le travail pour tous, le rabaissement de la
personne et le respect de la hiérarchie en sont les valeurs.
Miyazaki livre aussi une critique de la culture japonaise et
de l’exclusion de manière plus générale, incarnée par le « sansvisage ». Celui-ci, n’appartenant ni à l’univers des Dieux et des
esprits (les clients des bains), ni des employés, ne possède pas de
nom. Il n’a pas réellement d’identité. Plus loin encore, il ne
possède pas de personnalité : il devra manger un employé pour
pouvoir lui emprunter sa voix, étant auparavant incapable de
s’exprimer. Les personnes sans visages se faisant refuser l’accès
des bains, c’est Sen qui lui ouvrira la porte, pleine de pitié. Il
poursuivra Sen, voulant lui exprimer sa gratitude.
Le japonais vu par Miyazaki est donc un homme qui ne
s’identifie que par sa tâche. Le reste du temps, il s’agit d’un
homme sans personnalité, sans identité, et donc, sans voix et sans
visage… A son travail, la règle du client-roi s’applique (On notera
qu’en japonais, si le vendeur est tenu d’accueillir son client de la formule la plus polie, le
client ne doit pas répondre).
Comme on l’évoquera plus loin Miyazaki méprise le manichéisme, et concède au
système japonais l’emploi pour tous. En effet, il est notoire dans ce pays étrange que
quiconque demandera fermement du travail à Yubaba ne se le verra pas refuser.
On observe, à d’autres échelles, d’autres représentations du travail. Le vieil homme
araignée qui dirige la chaufferie du sous-sol, grondera Sen par exemple, lui expliquant qu’elle
ne doit surtout pas exécuter le travail des boules de suifs à leur place, sous peine de leur
enlever leur tâche et donc leur vie.
Enfin, marxiste et ancien chef syndicaliste, Miyazaki condamne l’avidité de l’homme.
Le sans-visage, une fois entrée dans le bâtiment, distribue l’or aux employés afin de s’attirer
leur grâce. Ces employés seront alors dépeints de manière ridicule, se courbant et
abandonnant le peu de leur amour propre pour le précieux métal. Certains finiront mangés par
le sans-visage, châtier de leur manque de méfiance vis-à-vis de l’or. Le sans-visage quant à
lui, reste malheureux et insatisfait malgré son argent. Il ne peut jouir des sentiments humains
factices que lui offre les employés pour recevoir son or. Il est devenu un business man
malheureux, conscient de la fausseté de son entourage. Intrigué par Sen, il sera attiré par la
seule personne qui ne lui demande pas d’argent. Quand il lui propose une multitude de
plaquette d’eau, il s’étonne qu’elle n’en prenne qu’une seule. La surconsommation associé au
capitalisme est de plus exprimée par la boulimie de nombreux personnages : le fils de Yubaba
(en réalité les trois têtes transformées à cet instant du film) engloutit ses boites de chocolats, le
sans-visage avale goulûment les employés, les parents de Sen se gavent avant d’être
transformés en porc. Yubaba, représentante du patronat, a la main couverte de bagues, et le
luxe de ses appartements est exprimé par la surabondance des coussins, rideaux, objets…
Les différentes critiques ne sont jamais réellement explicitées et sont révélés au
spectateur la plupart du temps par une phrase semblant hors contexte, et éveillant donc sa
curiosité.
Enfin, le Dieu qui offrira la boulette médicinale qui sauvera Haku, le petit garçon
transformé en dragon blanc est l’esprit putride d’une rivière polluée par l’homme. Ce n’est
cependant pas réellement une tentative d’éveiller une prise de conscience écologique comme
on le verra dans le cas de Princesse Mononoke, mais plutôt l’inspiration d’une expérience
personnelle : Miyazaki participe régulièrement à l’épuration de la rivière qui jouxte sa
maison.
Princesse Mononoke nous présente la quête d’un jeune garçon, Ashitaka, infecté au bras
par la morsure d’un animal affecté d’un mal étrange. Celui-ci, condamné à la mort, doit
quitter le village. Il part à la recherche de l’origine de ce mal. Ses pas le conduisent aux
conflits opposants la forge de Dame Eboshi, la forêt du Shishi Gami et ses animaux (le clan
des sangliers mené par Okkotonushi et le clan des loups dirigé par Moro dont la fille,
d’apparence humaine est la princesse Mononoké) d’une part ; Dame Eboshi et les seigneurs
voisins, jaloux des richesses de ses forges. Un envoyé de l’empereur viendra d’autre part
réclamer l’aide de Dame Eboshi, pour couper et ramener la tête du Dieu Cerf de la forêt,
celle-ci possédant la vertu de donner la vie éternelle.
On est tout de suite troublé par le personnage de Dame Eboshi. Celle-ci, que l’on croit
identifier comme le personnage « méchant » au début de l’histoire, apparaît avoir recréé une
société dans laquelle la femme est l’égale de l’homme, et où les lépreux ont leur place. Elle
semble de plus juste et protectrice envers sa communauté. La déforestation qu’elle provoque
est-elle après tout moins légitime que les tueries « naturelles » de la chaîne alimentaire ? La
dureté de l’Homme sur la nature nous laissera tout de même pencher du côté de la nature. Et
pour cause : Le film porte un message écologique non masqué.
Miyazaki utilise les ficelles du shintoïsme (il s’agit bien de sa religion) pour personnifier
la nature. Les animaux sont donc ici des Kamis, c'est-à-dire des esprits naturels. A ces esprits
sont associés des forces destructrices : les rami-tamas, qu’il faut apaiser.
Ici, les animaux vont lancer un dernier assaut désespérer contre les forges et se voient
exterminés. C’est le combat d’actualité de la nature contre l’industrie. L’esprit de la forêt va
lui-même se faire couper la tête et va se transformer en esprit tueur. A la recherche de sa tête,
tout vie sera exterminée sur son passage. Miyazaki nous accuse donc de ne pas respecter la
nature.
La guerre aussi sera représentée dans le film. La forge subira en effet les assauts des
villes voisines, souhaitant la possession du fer de la montagne ; ainsi que l’attaque des
animaux. L’esthétique du film s’en voit modifiée. Les scènes sont souvent très violentes,
rompant avec les œuvres précédentes de Miyazaki.
Mais le passage le plus troublant reste la présentation du monde après le passage du
Dieu-cerf. Une nouvelle nature prend vie à la place de la précédente mais les divinités
shintoïstes ancestrales sont toutes mortes. L’industrie a déformée la nature et a chassé les
croyances.
La critique est aisée mais l’art est difficile ? Miyazaki se risque dans ce film d’animation
à nous donner l’exemple de l’homme parfait : Ashitaka. Celui-ci agit posément durant tout le
film ne verra pas d’injustice dans son départ forcé, conscient qu’il s’agit de la meilleur
solution pour la communauté. Il ne tue qu’en dernière extrémité conformément aux us de son
peuple. Il ne décochera de flèche sur le dieu sanglier qu’après l’avoir supplié de se calmer et
de partir. Au risque de sa vie, il interrompt le combat entre Dame Eboshi et San. Jamais il
n’est grisé par la force que lui donne le sortilège dont il est atteint.
Sa sagesse lui vaudra même le respect de Dame Eboshi :
« Voilà un homme capable de regarder sans haine celle qui est responsable de sa
malédiction et de sa souffrance. »
Sa sagesse est peut-être justement due au fait qu’il a tout perdu. Après avoir quitté son
village, il se coupe les cheveux, ce qui est un ancien rituel funéraire au Japon. Il est en
quelque sorte mort, et peu donc aborder les différentes situations qu’il rencontre avec recul.
Notons que son peuple a choisi de vivre reclus dans les montagnes, et est en quelque sorte en
« voie de disparition ». L’homme bon existe-t-il encore ?
-IV –
L
es méthodes de travail innovatrices
d’un créateur sans concession.
I/ Des méthodes de travail propices à la créativité.
•
Le studio Ghibli ou un environnement créatif
L’ensemble de la production de Miyazaki est effectué au studio Ghibli, fondé lors du
succès de son premier long-métrage (Kazi no Tane no Naushika). Il ne produisait jusqu’alors
que par le biais d’un simple accord avec un ancien ami, Tooru Hara pour utiliser ses studios.
La fondation du studio Ghibli, au début des années 80, devient pour Miyazaki et son ami
Takahata le moyen périlleux de réaliser leur rêve, d’être libres et de pouvoir mettre toute leur
créativité à l’élaboration de dessins animés de qualité (ce qui est, surtout au Japon, chose
impossible dans d’autre sociétés où la rentabilité et les délais minimum sont de rigueur). Cette
liberté qu’a obtenue Miyazaki ne s’est fait qu’au prix d’un pari risqué : le prochain film est
financé par les recettes du précédent, système qui fait planer sans discontinuer une épée de
Damoclès sur le studio. Cet environnement qu’a voulu mettre en place Miyazaki au profit de
sa créativité a jusqu’alors donné ses preuves de viabilité d’un strict point de vue économique.
Les succès obtenus par la production du studio (notamment à la sortie de Majo no
takkyûbin) vont permettre à Miyazaki de mettre en place certaines mesures en faveur de la
créativité de son équipe. L’argent récolté lui permet d’engager à plein temps un partie de
l’équipe afin qu’elle tire profit à plus haut niveau de l’expérience qu’elle a acquise. Cela lui
permettra aussi de développer une section d’apprentissage qui accueillera de jeunes talents.
La réalisation de Porco Rosso oblige, compte tenu des contingences de l’époque
Miyazaki a commencé le travail seul. La pression que lui donne ce projet lui fait prendre
conscience qu’il est de plus en plus difficile de travailler dans un endroit inadapté. Il
entreprend alors le projet de faire construire un studio adapté aux besoins des animateurs. Il
en dessine lui même les plans, supervise le choix des matériaux. Il le veut aéré, clair et
entouré de verdure en contraste absolu avec les autres grandes maisons de production
japonaises comme son œuvre.
Concernant les méthodes de dessin, l’innovation, en particulier l’infographie ou l’image
assistée par ordinateur a amené le studio à s’étendre, à l’image du succès grandissant de
l’artiste.
•
Quelques aspect organisationnels au sein du studio Ghibli
Le studio Ghibli revêt certains aspects qui, même s’ils paraissent anodins, nous montrent
comment les artistes y vivent. Par exemple, en regardant un des tableaux de notes dispersés
dans les studios (cf. ci-dessous), on y retrouve, outre les menus (ou propositions de menu)
pour le repas du soir (les employés travaillent tard) (en bas à droite, 本日の夜食et
明日の夜食), des textes et dessins humoristiques (par exemple, un « manuel » désinvolte
décrivant comment manger les nouilles), des feuilles proposant à tous les artistes de mettre
des idées sur des personnages du dessin animé (ici pour les dieux clients des bains thermaux
dans Sen to Chihiro no kamikakushi). On peut remarquer aussi, sur cette même feuille une
note humoristique sur un des dessins (le dessin de poisson) disant qu’il ne faut pas choisir ce
personnage sinon il se ferait cuire dans l’eau des bains. Ce tableau montre une des facettes de
l’environnement dans lequel sont plongés des artistes du studio Ghibli. Il décrit un caractère
effervescent, toujours en mouvement, créatif. Les artistes sont invités à donner leur avis, ils
n’hésitent pas non plus à mettre des remarques amusantes. Aucune censure paraît appliquée,
chacun donne libre cours à son imagination.
•
Le travail, certaines méthodes.
Les méthodes de travail sont
inscrites dans le mot de
l’abondance. Cette abondance se
retrouve sans cesse tout au long
du travail par de nombreuses
esquisses, nombreux essais. Par
exemple, on peut voir ci-contre les
nombreuses
esquisses
de
Miyazaki pour définir le style et
l’apparence du film et les
communiquer ensuite à l’équipe.
On peut imaginer tout le travail
créatif derrière ces images, ces
essais. En y regardant de plus
près, on y découvre les
personnages de sen to chihiro no
kamikakushi aux premiers stades
de leur élaboration. On peut ainsi
voir comment, en se référant au
dessin animé, chaque personnage
a évolué, comme Miyazaki les a
travaillé
comme
ils
sont
maintenant. D’autre part, on
remarque aussi les nombreuses
« prises de vues » des lieux de
l’action, soit dans l’espace
(comme pour l’établissement),
soit dans le temps (comme pour la
rue marchande représentée le jour,
le soir et la nuit).
II/ Innovation dans certaines techniques employées.
•
Images de synthèse.
C’est une technique récemment employée dans le cinéma de Miyazaki notamment
depuis la réalisation de Mononoké Hime. Il tient cependant à ce que cette technique, utilisée
pour accroître le réalisme ou la profondeur des scènes ne soit pas généralisée. C’est ainsi qu’il
déclara au sujet de la scène du train sur l’eau de Sen to Chihiro no Kamikakushi : « Mitsunori
Kataama, le directeur de l'animation par ordinateur, a suggéré que nous appliquions le même
effet sur le linge qui pend sur une fil près de la maison (fig. 1), mais nous avons décidé de ne
pas le faire. Cela aurait été OK de la voir bouger et changer de perspective, mais si nous
avions commencé à modifier tous les détails de cette façon, il n'y aurait plus eu de limites et
nous aurions fini par creuser un énorme trou duquel nous n'aurions pas pu sortir! Au final, ne
pas le faire a été la bonne décision. Dans cette même scène, quand nous nous demandions
comment dessiner le reflet des nuages sur la surface de l'océan, nous devions en permanence
tenir compte du fait que la terre est sphérique. Autrement la mer ou le ciel n'auraient pas
semblé naturels (fig. 2) »
Fig. 1
Fig. 2
On peut aussi le citer la volonté de Miyazaki de souligner, à propos de Mononoké Hime
que sur 150000 images composant le film, seuls 10% de ceux-ci sont des images de synthèse.
Le reste est entièrement dessiné et colorié à la main par des centaines d’artistes.
On peut aussi noter la diversité et l’inventivité des techniques utilisées en examinant la
scène de fin de Sen to Chihiro no Kamikakushi où le tunnel semble s’éloigner sans fin jusqu’à
disparaître au milieu de la forêt. Pour ce genre de scènes, les couches sont habituellement
placées sur différents plans, comme une disposition sur scène, pour communiquer une
sensation de profondeur avec l'utilisation d'une caméra. Néanmoins, pour cette scène, un
espace cylindrique dans lequel le tunnel débouche a été créé en utilisant des images de
synthèse. Des décors distordus ont été entièrement appliqués sur la paroi intérieure du
cylindre pour créer un effet visuel similaire au recul d'une vraie caméra.
L’avis de Miyazaki sur cette scène : « C'est une scène dont le directeur de l'animation
par ordinateur est particulièrement fier. Bien que des décors peints à la main aient été
dessinés, on a vraiment l'impression que le tunnel disparaît au loin. Comme nous ne pouvions
pas terminer le film sur une scène mal faite, je pense que nous avons pris la bonne décision de
la concevoir de cette façon. »
III/ La conception du dessin animé
Contrairement à la mode populaire et occidentale (et plus particulièrement américaine),
les dessins animés de Miyazaki adoptent une mise en scène beaucoup plus « sage » et
mesurée. Si le dessin animé américain par exemple, (pour ne pas citer Disney) n’hésite pas à
faire du « tape à l’œil » avec des mouvements de caméra hyper complexes, des travellings à
couper le souffle (ce que, contrairement aux film, le dessin animé permet sans trop de coûts),
les dessins animés de Miyazaki adopte une démarche plus mesurée. Dans Princesse
Mononoké par exemple, on est face à une simple alternance de plans larges, de gros plans en
champ contrechamp, quelques plans américains, quelques panoramiques, sans plus.
L’approche de Miyazaki face à ces confrères est totalement différente. Elle se base sur
la profondeur des personnages, la complexité de ceux-ci et des sentiments mis en jeu. Les
personnages secondaire eux aussi sont traités sur le même plan que les personnages
principaux. Ainsi, dans l’œuvre de Miyazaki, les personnages ne sont jamais totalement
« bons » ou « mauvais », ils sont l’œuvre d’une alchimie complexes de sentiments humains,
de sensations, d’un passé, d’un vécu qui leur donne une épaisseur bien plus sensible que de
simples aplats de couleurs.
Aussi, les plus belles scènes de Miyazaki sont empreintes d'une simplicité extrêmement
touchante. Par exemple, la « scène d'amour » dans Mononoké Hime où la princesse mâche les
aliments puis les régurgite dans la bouche du preux chevalier, ce dernier étant incapable de
mâcher, est construite sur une alternance de plans larges, de gros plans de visages (lesquels
sont de plus en plus rapprochés à mesure que l'émotion monte). Cette mise en scène, bien que
classique fonctionne très bien et fait passer beaucoup plus de choses que l’utilisation d’outils
cinématographiques plus complexes.
Un autre aspect marquant du cinéma de Miyazaki est l’attention portée aux décors. Ils
sont très travaillés et magnifiques mais pas uniquement pour des raison d’esthétisme. Les
décors chez Miyazaki font partie intégrante de l’histoire. On pourrait presque dire que l’arbre
de Totoro dans Totoro no Tonari ou les forêts dans Mononoke Hime constituent des
personnages à part entière. Cela peut être mis en rapprochement avec les thèmes souvent
choisis par Miyazaki pour ces films, à savoir la confrontation de l’homme à la nature. Pour
souligner cet aspect, un grand nombre de séquences finissent chez lui de la même façon : un
plan large avec les personnages, qui sont décadrés par un mouvement panoramique nous
dévoilant peu à peu le paysage.
Chez Miyazaki, le dessin animé a acquis une dimension dépassant le simple
divertissement pour enfant. L’attention portée au travail, la vie apportée aux personnages et
aux objets place le dessin animé de Miyazaki au même stade que des œuvres d’art.
Contrairement aux films, le dessin animé peut apporter un champ de vision beaucoup plus
large sur les choses et les personnages. Ainsi, s’il est impossible de « donner vie » à un objet
au cinémas, le dessin animé permet de le faire et Miyazaki exploite totalement ce champs
d’expression.
Pour citer le nouvel observateur : « Plus réaliste mais nettement moins
anthropomorphique que les studios Disney ou les productions DreamWorks, Miyazaki n’a pas
son pareil pour figurer les reflets d’un lac, un ciel qui s’assombrit à l’arrivée d’un orage, un
animal qui vole par-delà les nuages ou un entrelacs de branches et de feuilles à travers lequel
il faut se frayer un chemin. Autant qu’un cinéaste, Miyazaki est un poète qui sait capter la
fugacité du temps qui passe aussi bien que la puissance tellurique d’une nature menacée mais
capable des colères les plus terribles. »
« A Pixar, quand nous avions un problème et que nous ne voyions pas comment le
résoudre, nous prenions souvent un laser disk d'un film de Mr. Miyazaki et nous regardions
une scène dans notre salle de projection pour trouver l'inspiration. Et cela marche toujours!
Nous revenons ébahis et inspirés. Toy Story doit une énorme part de gratitude aux films de
Mr. Miyazaki. »
John Lasseter.

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