La politique des réseaux de villes.

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La politique des réseaux de villes.
La politique des réseaux de villes.
La politique des réseaux de villes mise en place dans les années 1990 en France sous l’impulsion de
plusieurs initiatives locales et relayée par la DATAR peut être considérée comme une innovation intéressante
même si elle est aujourd’hui en sommeil relatif. Nous nous sommes même interrogés récemment (Tesson
Frédéric, 2004) sur le fait que cet objet était peut-être trop innovant ce qui a peut-être conduit à sa mise en
sommeil ces dernières années.
L’expression : « réseau de villes » désigne la politique mise en place par la DATAR (Délégation à
l’aménagement du territoire et à l’action régionale) pour accompagner des expériences favorisant l’alliance
à distance entre maires, dans un objectif de développement global et partagé au sein d’un territoire élargi.
Le réseau de villes est donc au cœur de ces paradoxes. Complètement inséré dans ce contexte, il est affiché
comme une alternative à la métropolisation et comme un des leviers de l’action en faveur du développement
territorial.
Pour présenter cette politique nous nous appuierons sur plusieurs textes extraits de publications
scientifiques.
Ce sont des alliances qui revendiquent un positionnement face aux métropoles au sein d’un système
territorial (encart n°1)
Encart n°1. Partager le développement.
“L’avenir de ma commune ne se joue pas uniquement sur son territoire, ni même dans la continuité
de l’intercommunalité classique”
Ces propos émanent de l’adjoint au maire de Troyes et révèlent la prise de conscience politique de
l’importance de considérer le développement urbain au sein d’un système territorial global et non plus
uniquement dans le cadre restreint d’un territoire politico-administratif hérité. Alors que le rapport Guichard
préconisant le renforcement métropolitain est encore dans tous les esprits, cette prise de position d’un élu
de ville moyenne, à la fin des années 80, n’est pas neutre. Aux “pôles de croissance”, les élus des villes
moyennes de Champagne-Ardenne répondent “secteur de croissance” et entendent travailler ensemble à un
développement partagé.
L’émergence simultanée d’un discours similaire en Poitou-Charentes, dans une région également
sous métropolisée et sous influence parisienne, ne fait que renforcer l’idée que ce qui naît ici est amené à
s’inscrire dans une démarche d’aménagement du territoire ; un aménagement par le bas qui revendique les
préoccupations d’équité, donc de rééquilibrage du développement entre des métropoles largement favorisées
et des villes moyennes dont le développement ne va pas de soi.
in Tesson Frédéric (2000). « Réseau de villes », in La ville et l’urbain, l’état des savoirs, PAQUOT
Thierry, LUSSAULT Michel, BODY-GENDROT Sophie (dir.), Paris, La Découverte, pp.255-264
Ces alliances peuvent s’affranchir des limites administratives héritées qui sont vécues comme non
fonctionnelles (encart n°2). On peut considérer que dans le système territorial français cela constitue une
innovation considérable.
Encart n°2.
Si ces deux expériences respectent encore le cadre régional, les suivantes s’affranchissent de ces limites.
Cette évolution n’est pas surprenante dans la perspective d’une volonté de travailler sur un territoire plus
fonctionnel qu’institutionnel. De fait, le système à l’intérieur duquel “se joue l’avenir de la commune” ne
correspond pas forcément au territoire départemental ou régional. On peut même aller plus loin en affirmant
qu’il y a peu de raison pour que ce soit le cas surtout pour des villes moyennes en marge des territoires
régionaux. C’est sur la base d’alliances transrégionales, entre des villes relativement éloignées de leurs
capitales régionales respectives, que sont nés, par exemple, des réseaux de villes entre Pau, Tarbes et Lourdes
ou entre Vitry-le-François, Saint-Dizier et Bar-le-Duc.
Il s’agit donc autant d’un outil d’aménagement du territoire national que d’une volonté affirmée des
maires de se positionner comme des interlocuteurs de l’aménagement du territoire au niveau local et de
dépasser ainsi le cadre de la région pourtant statutairement détentrice de cette compétence. Mais il n’est
pas question pour autant de remettre en cause le découpage existant et de partir à la recherche de l’optimum
dimensionnel territorial qui relève de la quête mythique [Ortiz, 1994]. Il s’agit surtout d’ouvrir le champ des
possibles en termes de coopération et de favoriser les relations de non-éloignement, selon l’expression de X.
Piolle, et s’insérer dans un système territorial local.
in Tesson Frédéric (2000). « Réseau de villes », in La ville et l’urbain, l’état des savoirs, PAQUOT
Thierry, LUSSAULT Michel, BODY-GENDROT Sophie (dir.), Paris, La Découverte, pp.255-264
Le réseau de villes est un outil né des villes moyennes, saisi par les villes moyennes, ou plutôt intermédiaires
(idée d’un seuil à franchir par la coopération) pour développer des complémentarités fonctionnelles susceptibles
d’attirer et surtout de développer (encart n°3).
Encart n°3. Franchir un seuil en jouant la carte multipolaire pour compter dans la future Europe
des villes
Les orientations actuelles de l’aménagement du territoire tendent à valoriser les acteurs capables de
construire un projet de développement. L’élu, par cette coopération sur projet, espère propulser sa ville à un
niveau supérieur de la hiérarchie urbaine. Il s’inscrit donc dans la logique de l’Etat. L’objectif est de franchir
un seuil, mais ce changement de catégorie est sensé s’opérer par la coopération, la complémentarité des
fonctions et la multipolarisation plutôt que par le processus classique, mais moins immédiat, d’agglomération
et de polarisation. Franchir un seuil signifie aussi et surtout obtenir et développer des fonctions urbaines
spécifiques d’un niveau supérieur à celui auquel ces villes peuvent prétendre. Il n’est donc pas surprenant
de constater que les maires qui se sont saisis de cet outil administrent plutôt des villes moyennes. Mais le
problème n’est pas tant la taille de la ville que seuil visé. C’est ainsi que nous avons préféré à “moyenne” le
qualificatif “intermédiaire” pour désigner ces villes dans la mesure où toutes se situent en deçà d’un certain
seuil de lisibilité. Pour Nantes, l’objectif est d’atteindre avec Rennes, Brest, Le Mans et Angers une lisibilité
européenne alors que pour Saint-Dizier, associée à Vitry-le-François et Bar-le-Duc, la lisibilité espérée est
régionale. Les récentes créations de réseaux de métropoles, comme le “diamant alpin” par exemple, poussent
même la logique plus loin en déterminant implicitement un seuil de lisibilité planétaire.
in Tesson Frédéric (2000). « Réseau de villes », in La ville et l’urbain, l’état des savoirs, PAQUOT
Thierry, LUSSAULT Michel, BODY-GENDROT Sophie (dir.), Paris, La Découverte, pp.255-264
Les leviers mobilisés sont identiques mais leurs traductions concrètes sont différentes relativement au
niveau de fonction déjà atteint (encart n°4).
Encart n°4.
Si on suit les théories classiques de l’analyse spatiale, le franchissement d’un seuil passe par l’acquisition
d’un niveau de fonction supérieur. Ce niveau de fonction dépend de la taille des villes concernées, cette dernière
ayant des répercussions classiquement observées sur la distance qui sépare les cités. De fait, plus les villes
alliées sont grandes, plus le niveau de fonction espéré va être élevé et plus la distance entre les villes va être
importante. Pour autant, les préoccupations des villes, quelle que soit leur taille, ne sont pas très différentes.
En effet, de façon générale, les leviers d’un développement global sont les mêmes pour toutes ces villes.
Pour faire bref on peut dire que les réseaux de villes se positionnent sur quatre grands domaines : l’action
économique directe (de façon plus ou moins subsidiaire), les transports et la communication (accessibilité),
la formation (enseignement et recherche) et le salaire urbain (culture, service à la personne et cadre de vie).
On reconnaît ici les leviers classiques, repérés comme tels, permettant d’attirer les entreprises ou accélérer
leur développement. La problématique ne varie pas selon les échelles, la différence émane seulement de
la spécificité des fonctions auxquelles les villes aspirent. En matière de formation, par exemple, là où un
réseau comme AIRE 198 (Poitiers, Niort, Angoulême et La Rochelle) travaille à la mise en place d’un institut
supérieur de l’image multisites de reconnaissance nationale et de lisibilité européenne, les élus du Triangle
(Saint-Dizier, Vitry-le-François et Bar-le-Duc) tentent de rendre cohérente leur offre de formation supérieure
courte (IUT et BTS), de la rapprocher de la demande industrielle locale, voire d’attirer des premiers cycles
universitaires généralistes.
En répondant aux excès avérés de la concentration métropolitaine par le développement multipolaire
et concerté, cet outil d’aménagement du territoire mobilise également un leitmotiv de cette fin de millénaire :
l’environnement. Les élus des réseaux utilisent, si ce n’est la protection, du moins le respect de l’environnement
comme argument de promotion et de valorisation du territoire fonctionnel sur lequel ils agissent. Ils considèrent
que, face aux dysfonctionnements des métropoles, le cadre de vie et la ruralité de leur hinterland font partie
des valeurs fortes constitutives du salaire urbain que ces réseaux peuvent offrir.
in Tesson Frédéric (2000). « Réseau de villes », in La ville et l’urbain, l’état des savoirs, PAQUOT
Thierry, LUSSAULT Michel, BODY-GENDROT Sophie (dir.), Paris, La Découverte, pp.255-264
On voit de l’innovation dans cet outil : il dépasse des cadres administratifs, bouscule la norme polarisée,
autorise la discontinuité,… mais l’aspect le plus innovant est à chercher dans le mode de fonctionnement qui
l’anime (encart n°5).
Encart n°5. Le réseau de villes comme outil innovant.
Le réseau de villes peut donc être considéré comme un outil d’aménagement du territoire à la fois à
l’échelle locale d’un système territorial polycentré mais aussi à l’échelle nationale puisqu’il a vocation à
participer au rééquilibrage du développement entre les métropoles et les villes moyennes. Mais en quoi le
réseau de villes constitue-t-il une innovation ? Et où se situe cette innovation ?
L’innovation dans le mode de fonctionnement
Plus que dans la réussite des réseaux de villes dont nous verrons quelques exemples plus loin, l’innovation
est surtout présente dans le mode de fonctionnement que ces expériences développent. Les réseaux de villes
font entrer l’élu dans le monde du réseau. Certes le politique est déjà un homme de réseau. Il sait parfaitement
jouer de ses carnets d’adresses politique et économique pour remplir sa fonction. Mais ne s’agit-il pas là
d’un fonctionnement d’appareil qui s’apparente plus à un territoire hyper régulé et plutôt rigide ? Le réseau
de villes implique un raisonnement plus systémique que sectoriel, donc plus global et plus souple. Le maire
doit choisir ses alliances et mobiliser les partenariats à l’intérieur d’un système qui reste territorialisé mais
qui dépasse le cadre politico-administratif pour gagner en efficacité. On voit poindre ici une dimension du
réseau bien connue des sociologues que Juan [1991] définit comme “une communauté potentielle d’action”
en ajoutant que “ce qui unifie l’action est le fait de l’acteur et de sa participation volontaire”. Ce mode de
fonctionnement novateur fait du réseau de villes une anti-structure. Sans compétence légale, il ne peut être
qu’une force de mobilisation, de proposition et d’animation.
Ainsi, le terme réseau, employé dans l’expression “ réseau de villes ”, prend tout son sens si on
se saisit du concept dans sa dimension sociologique induisant un mode de fonctionnement que l’on peut
qualifier de réticulaire. Mais ce dernier n’est pas donné, certains maires engagés dans des réseaux de villes
ne comprennent pas toute la portée et tout l’intérêt de l’esprit que cet outil véhicule. Cependant on peut voir,
à travers quelques exemples, que les réussites majeures de cet outil s’inscrivent bien dans cet état d’esprit.
in Tesson Frédéric (2000). « Réseau de villes », in La ville et l’urbain, l’état des savoirs, PAQUOT
Thierry, LUSSAULT Michel, BODY-GENDROT Sophie (dir.), Paris, La Découverte, pp.255-264.
Application sur Pau
L’essai a été fait de travailler en réseau de villes avec les villes moyennes proches pour négocier les
concurrences et développer les complémentarités. Ainsi, l’expérience du réseau de villes Pau-Tarbes-Lourdes
a été lancée avec comme résultat effectif la mise en place d’un aéroport commun aux 3 villes. Le partage des
compétences pour l’accroissement de la compétitivité du territoire est bien au cœur de l’action.
Evaluation
Cartographie à l’échelle « régionale », Pau, Tarbes, Bayonne des CA, CC, Pays, Pôles Urbains, Aires
urbaines.
En terme d’évaluation, force est de constater une panne de l’outil réseau de villes qui a bien du mal
s’imposer comme un nouveau mode de faire (encart n°6).
Encart n°6. Les réseaux de villes un outil trop innovant ?
…mieux comprendre comment cet outil « réseau de villes », novateur dans l’esprit, puisqu’il associe
des élus dans la discontinuité spatiale, va peut-être plus loin que n’est capable aujourd’hui de l’envisager
l’élu.
Pour illustrer ce « dépassement de l’acceptable », on peut citer l’ancien maire communiste (ce
n’est pas anodin) de Tarbes qui disait «le réseau de villes Pyrénées Métropole (association de Pau, Tarbes
et Lourdes) sera celui des habitants ou ne sera pas». Cette expression témoigne bien, à mon sens, de la
confusion entre un objet fondé sur une logique fonctionnelle, associant trois villes au sein d’un espace qui
fait système, trois villes à destins liés, et une logique d’appropriation par les habitants qui prévaut dans les
territoires que les élus ne cessent de produire. Ici, alors même qu’il produisait du réseau, qu’il évoquait les
complémentarités, qu’il négociait les concurrences avec ses homologues pour fabriquer un projet global, le
maire de Tarbes pensait appropriation et par là se référait explicitement au modèle territorial. Le maire de
Pau n’est pas en reste dans la production d’un discours à contre temps. Lors des élections municipales de
1995, alors qu’il allait se présenter une nouvelle fois devant ses administrés, il envoyait une lettre à tous les
foyers palois et évoquait le réseau de villes en ces termes : «Pau est leader du réseau de villes Pau-TarbesLourdes». Il est symptomatique de voir un maire éprouver le besoin de justifier d’un choix de «politique
extérieure» en invoquant un leadership totalement en décalage avec la philosophie même des réseaux de
villes qui fonctionnent plus dans l’horizontalité que dans la verticalité. Ces deux positions d’élus témoignent
bien, à mon sens, d’une représentation palpable de ce qu’ils considèrent comme un risque réticulaire face à
l’impératif territorial qu’ils sentent plus porteur politiquement.
Un dernier exemple intéressant nous a été fourni lors d’un colloque organisé à Maubeuge en 1998.
L’adjoint au maire de Maubeuge, associé à l’agence de développement et d’urbanisme de la Sambre, avait
réuni plusieurs acteurs participant à des expériences françaises de réseaux de villes ainsi que les maires
de Valenciennes, Cambrai et les bourgmestres de Mons et Charleroi, dans l’objectif de mettre en place
une dynamique de réseau de villes entre leurs cités. Nous avons alors assisté à un débat entre les tenants
d’une logique réticulaire et le maire de Cambrai qui était opposé à cette approche et plutôt favorable à une
mobilisation de l’ensemble des acteurs pour réclamer la création d’un département du Hainaut-Cambrésis.
Ces deux discours reposaient sur deux hypothèses distinctes les uns voyaient dans le réseau le moyen de
dynamiser un espace en négociant au mieux l’offre locale et en trouvant des complémentarités, les autres
voyaient dans le département la solution à un problème qui pour eux venait uniquement de l’incohérence du
territoire départemental, les plaçant sous la tutelle de Lille dont les préoccupations sont autres…
Ces quelques exemples montrent bien à quel point un objet novateur révèle, peut-être du fait de son
caractère top innovant, comment le spectre du territoire hante nos élus. De plus, force est de constater
aujourd’hui que le réseau de villes n’est plus réellement un outil à la mode. Pourtant les actions de lobbying
menées par les réseaux existants regroupés en Club depuis 19957, ont donné lieu à des textes (re)fondateurs8.
Mais au final, les réseaux de villes, présents dans le texte de loi de 1995 (LOADT) disparaissent de sa révision
de 1999 (LOADDT). La priorité à l’intercommunalité de contiguïté affirmée dans la trilogie législative de
1999 et 2000, relègue les velléités de réseaux de villes au second plan. Tout concourt à faire de la continuité
spatiale le mode de faire privilégié : des territoires « pertinents » pour les contrats d’agglomération
(LOADDT), « continus et sans enclave », avec condition d’intercommunalité pour la bonification de la DGF
(loi relative à la simplification et au renforcement de la coopération intercommunale), des « schémas de
cohérence territoriale » (loi SRU).
in Tesson Frédéric (2000). « Réseau de villes », in La ville et l’urbain, l’état des savoirs, PAQUOT
Thierry, LUSSAULT Michel, BODY-GENDROT Sophie (dir.), Paris, La Découverte, pp.255-264.

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