Regarde qui est là - Réunionnais du Monde
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Regarde qui est là - Réunionnais du Monde
19 > AUTOUR DU MONDE Le Quotidien de la Réunion - dimanche 31/10/10 L’Australie de Rodolphe et Nirina : « Une aventure lyrique – les couchers de soleil semblent être dessinés par la main même de Monet, plus impressionniste que jamais ». CARNETS DE VOYAGE LE PÉRIPLE DE DEUX RÉUNIONNAIS « Regarde qui est là ! » Suite du périple de Nirina et Rodolphe, deux marmailles la kour revendiqués, qui font le tour du monde depuis quatre ans, pratiquement sans budget, mais avec de la suite dans les idées. Leurs carnets de voyage sont publiés chaque dimanche dans Le Quotidien, et dans une série d’articles sur le site www. reunionnaisdumonde. com. Cette semaine : « Le jour où nous avons rencontré un couple de Réunionnais en Australie et poursuivi le voyage avec eux». Quelques notes de piano, douces mais intenses, blanches et noires, se répètent puis s’envolent pour mourir dans quelque paradis polyphonique. S’ensuit un souffle chaud et puissant, l’œuvre du saxophoniste soprano, véritable promesse de jours meilleurs, d’un avenir amoureux. « Tu ne trouves pas qu’elle ressemble à Priscilla, de La Réunion ? » Le spirituel Moniebah, du freejazzman américain Archie Shepp, emplit la petite pièce d’une atmosphère nostalgique, propice à l’introspection. Dehors, le soleil s’en va déjà éclairer de nouveaux horizons que j’imagine lointains. Je me souviens. Nous sommes en Australie et venons de parcourir en 4x4, près de 14 000 km. Une aventure lyrique – les couchers de soleil semblent être dessinés par la main même de Monet, plus impressionniste que jamais. Extrême, parfois lorsque nous restons bloqués, en pleine nuit, dans le bush intimidant et sauvage, quelque part entre Cairns et Darwin. Mais toujours bénie. Nous traversons l’île-continent avec grace en compagnie de Teddy et Priscilla, un attendrissant et généreux couple de Réunionnais rencontré au hasard de nos explorations, quelques mois plus tôt à Sydney, dans d’étonnantes circonstances : « Nirina, regarde là-bas, assise sur la chaise. Tu ne trouves pas qu’elle ressemble à Priscilla, de La Réunion ? » J’hésite, tergiverse. Puis finalement, c’est Niri- na qui décide, amusée : « Allons lui demander !» Au même moment, la jeune femme se retourne, souriante, croise notre regard un bref instant, les yeux plongés dans ce qui me semble être un rêve éveillé. Retourne à son ordinateur. Se raidit brutalement sur la chaise, comme interpellée. Elle se retourne une nouvelle fois encore, les sourcils froncés, avant de partager un sourire ému : « C’est pas vrai ! Teddy, regarde qui est là !», lance-t-elle à son mari intrigué. Je reste un enfant émerveillé : la planète peut parfois être si ridiculement petite, si majestueusement magique. À Barcelone ou à Dharamsala, j’entendrai toujours un créole s’exclamer un enthousiaste et enthousiasmant. Avec Teddy et Priscilla, il ne nous aura fallu échanger que deux ou trois regards entremêlés de fous rires pour savoir que nous allions partager cette épopée australienne ensemble, soudés comme des amis, unis comme une famille. « Oté, comment i lé ! » Nous faisons une halte méritée à Perth, l’une des villes les plus isolée au monde. La métropole est en effet plus proche du Timor oriental et de Djakarta, en Indonésie, que de Brisbane, Sydney ou même Melbourne ! Perth sera notre havre de paix. Et quel havre ! En ce mois de juillet, le ciel irradie d’un bleu serein mais intense le regard des passants aux origines riches et variées. Europe, Asie et Afrique se côtoient ici chaque jour que Dieu fait pour partager un quotidien des plus ensoleillés : 3 000 heures par an, un record parmi toutes les cités du pays. Le souffle de l’océan Indien, omniprésent, disperse sa brise tiède et légère, pleine de vie. Plus au centre, des tours d’argent glaciales rappellent au poète égaré le dynamisme économique de la région tandis qu’au loin, semble nous parvenir ce qui ressemble aux échos de quelques koalas gourmands et joueurs. S’il y a bien un mot que je porterais à l’étendard de notre aventure mondiale et de cette précieuse vie, ce serait celui de « partage ». Partage de cet apprentissage qu’est la vie, de ces grands bonheurs et de ces modestes malheurs qu’il nous faut pourtant accepter pour grandir. Partage de notre aventure avec ceux qui nous sont chers, aussi. Ainsi, lorsque Mickael, l’un de nos amis de toujours, nous apprend qu’il vient nous rendre visite ici, je ne puis contenir ma joie ! Tout le monde s’impatiente dans l’immense maison de pierres où nous habitons, alors que, dehors, le quartier endormi semble irréel : vastes et parfaits parterres de gazon vert-anglais, impeccables rubans de bitume froid sillonnant entre d’imposantes et singulières villas aux façades blanches et beiges – bleues ou vertes pour d’éventuels excentriques ? J’ai l’impression de vivre dans un épisode de « Desperate Housewives». Ole et Inès, nos hôtes germaniques, qui rêvent de devenir citoyens australiens, sont partis travailler depuis fort longtemps mais notre petite armée bourbonnaise s’agite et sourit : piments verts et rouges par ici, fleur de safran et thym frais par là-bas, marmites qui bouillonnent d’impatience et casseroles qui frémissent de désir pour un menu à faire pâlir d’envie n’importe quel gourmet – Teddy est un chef passionné. La raison de cette symphonie épicée ? Dans quelques heures, nous fêtons l’anniversaire de Priscilla ! Et puis, le soir même, nous embarquerons avec Mickael pour un road-trip qui nous mènera de Perth à Kalgoorlie, puis au sud du sud, jusqu’au Cap Esperance. Nous remonterons ensuite doucement et sobrement la route des vins depuis Margaret River. Déjà, le van-destrier vrombit et transperce la nuit noire, faisant route vers nos rêves enfantins de conquérants-chevaliers. À l’intérieur, c’est un luxe d’adultes (surtout pour nous, les voyageurs sans le sou : notre dernière monture s’échangeait avec grande peine contre 1 000 dollars néo-zé- landais). Deux longues et confortables banquettes bleues se transforment pour la nuit en un majestueux lit Queens Size tandis qu’au centre, un coin cuisine muni d’un évier, d’un frigidaire et de plaques chauffantes nous permet, les jours de mauvais temps, de concocter de savoureux repas, bien à l’abri des éléments. Nous passerons ainsi une improbable soirée à festoyer, en pleine tempête, le van pris dans la tourmente de vents impétueux, la pluie fouettant de son grain le plus violent les multiples ouvrants. Je revois encore les échanges de regards inquiets, entre l’apéritif et l’entrée. En pleine tempête Puis, au gré des verres de vin – un Sauvignon Blanc de 2006 que se partagent jalousement Nirina et Mickael – les visages se décrispent et les pensées s’évaporent, apportant une éclaircie éventuelle et bienvenue. Au dessert, les esprits sont gais et légers, les yeux ravis : l’absurde tempête s’est transformée en un doux alizé rieur. Archie Shepp n’en finit plus de nous livrer ses plus terribles secrets. La vibration de l’anche sur la facette du bec devient interminable, douloureuse, presque meurtrie par tant de sincérité. Un long frisson parcourt toute la longueur de mon dos et m’arrache à mes souvenirs pour m’abandonner au présent. Dehors dans le ciel, les étoiles dansent et brillent de tout leur feu, chapiteau merveilleux illuminant le ballet fou de l’humanité. Rubrique réalisée en partenariat avec le site WWW. REUNIONNAISDUMONDE. COM Pour joindre Rodolphe et Nirina : enlightened. paths gmail. com