Paul Verlaine

Transcription

Paul Verlaine
Classiques
& Contemporains
Collection animée par
Jean-Paul Brighelli et Michel Dobransky
Paul Verlaine
Confessions
LIVRET DU PROFESSEUR
établi par
J OCELYNE H UBERT
professeur de Lettres
SOMMAIRE
DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE
Paul Verlaine, deuxième conférence faite à La Haye
(4 novembre 1892) sur la poésie contemporaine ...................... 3
Paul Verlaine, Les Mémoires d’un veuf ............................................. 4
POUR COMPRENDRE :
quelques réponses, quelques commentaires
Étape 1 Lecture cursive et périphérique des Confessions ... 5
Étape 2 Portrait de l’artiste
en « parfait petit bourgeois »............................................. 5
Étape 3 Coup de fièvre : « 2 décembre et la maladie »....... 6
Étape 4 Confessions d’un « moutard de neuf à seize » :
sevrage difficile et « garçonneries »............................. 7
Étape 5 « Éveil puéril de l’homme de Lettres » :
sensualité « ridicule » et essais « détestables »...... 9
Étape 6 « Initiation aux choses de l’existence » :
la femme, la mort, l’absinthe ......................................... 10
Étape 7 Lettres à la fiancée : La Bonne Chanson .................. 11
Étape 8 « Prémices intellectuelles » de la volupté :
le temps des fiançailles ...................................................... 12
Étape 9 « Début du mariage en temps de guerre » :
de l’ordre à l’insurrection .................................................. 13
Étape 10 Bilan de lecture : une vie, une œuvre, une voix 14
Conception : PAO Magnard, Barbara Tamadonpour
Réalisation : Nord Compo, Villeneuve-d’Ascq
3
DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE
Paul Verlaine, deuxième conférence faite à La Haye
(4 novembre 1892) sur la poésie contemporaine
«Mesdames, Messieurs,
D’où vient Décadents, d’où viennent Symbolistes et Romans ? Mon Dieu, c’est bien
facile et bien difficile à expliquer… Décadents, ainsi que Sans culottes, ainsi que
Gueux, est une injure adoptée comme drapeau par ceux qui en furent l’objet. Tel critique, voulant mortifier les poètes et romanciers d’immédiatement après les
Naturalistes et les Hydropathes, employa ce terme, significatif évident de dégénérescence, d’affaiblissement littéraire, – et, non sans fierté, non sans esprit non plus, les
jeunes s’emparèrent du mot et s’en baptisèrent… Symbolistes a une origine moins…
ou plus naïve. Il est de choix spontané. Très heureux? J’en doute un peu.
Qu’est-ce que ça, ce mot, symbolistes, employé par des gens, littérateurs, peintres,
musiciens, – ou toutes autres gens? Accompagnant un nom de chose quelconque, il
signifie, orthographié Symbolique, selon la signification même du dit nom, métaphorique, ou allusif, ou analogue à une autre idée de chose – je comprends admirablement ce que veut dire un poème symbolique, qui est un poème allégorique, à proprement parler. Mais un poète symboliste, un peintre, un musicien symbolistes, quoi,
qu’est-ce? Un poète symboliste surtout?
Est-ce que tout poète ne l’est pas et alors à quoi bon ce pléonasme?… Enfin le
mot est prétentieux, il est malgracieux… et nous avons déjà trop, beaucoup trop de
ces affreux mots en iste… Roman est tout récent. À première vue il semble un diminutif de romantique. Mais détrompez-vous. Telle n’est pas l’idée des initiateurs de ce
vocable destiné à les désigner eux-mêmes… Roman, dans leur for intérieur et
peut-être plutôt, extérieur (for vient de forum) allude au grec et au latin dont, avec
quelques emprunts à divers dialectes, se compose, selon eux, le français…»
Verlaine, Œuvres critiques, «La Pléiade», Gallimard, pp. 886-887.
4
Paul Verlaine, Les Mémoires d’un veuf
Cet extrait de texte est à mettre en relation avec les chapitres 2 et 3 de la deuxième partie des Confessions.
«L’humble cabaret d’autrefois est plein de soleil couchant, la chaude lueur allume
les vitres, danse sur le carrelage de briques rouges, crible d’étincelles sanglantes les
faïences peintes du dressoir de chêne à plaque de cuivre, et vient jusque sur la table
où je rêve, les mains au menton, empourprer la bière noire dans la grande chope.
L’hôtesse est toujours celle que j’ai connue, elle a quelques cheveux blancs de plus
dans sa fauve tignasse : elle me parle de son mari qui est forgeron et de ses enfants
dont l’aîné tirera au sort dans cinq ans. J’ai une certaine difficulté à la comprendre
parce qu’elle s’exprime en patois, et quelque peine à lui répondre, – car je rêve.
En rêvant, je jette, à travers la fenêtre basse, les yeux sur la grande route qui mène
à la rue d’un village dont on voit les premières habitations. L’une d’elles est un peu
plus haute que les autres, et des rayons venus de l’ouest en caressent le toit avec une
sollicitude toute particulière.
De loin en loin passe un cheval traîneur de herse ou tireur de charrue que guide
un rustique, sifflant, jurant, selon l’allure de l’attelage, ou bien c’est un chasseur au
léger bagage qui regrette les lourds carniers d’il y a six semaines. Paysan et chasseur
quelquefois entrent, boivent, paient et sortent après une pipe fumée et quelques nouvelles échangées. – Moi, je rêve.
Et je me revois dans ce même cabaret, moins vieux d’à peine quelques mois, assis
près de cette table où je m’accoude à l’heure qu’il est et y buvant comme aujourd’hui,
dans une grande chope, une bière noire que le soleil couchant vient empourprer.
Et je pense à l’Amie, à la Sœur qui chaque soir à mon retour, doucement me grondait d’être en retard, et qu’un matin d’hiver des hommes en vêtements blancs et noirs
sont venus chercher en chantant des paroles latines pleines de terreur et d’espérance.
Et l’horrible abattement des malheurs sans oubli pénètre en moi silencieux tandis
que la nuit, envahissant le cabaret où je rêve, me chasse vers la maison du bord de la
route qui est un peu plus haute que les autres habitations, la joyeuse et douce maison d’autrefois, où vont m’accueillir, rieuses et bruyantes, deux petites filles en robe
sombre qui ne se souviennent pas, elles, et qui joueront à la maman, leur récréation
favorite, – jusqu’à l’heure du sommeil.»
Verlaine, Textes romanesques, «La Pléiade», Gallimard, pp. 80-84.
5
POUR COMPRENDRE : quelques réponses,
quelques commentaires
Étape 1 [Lecture cursive et périphérique des Confessions,
pp. 194-195]
5 L’incipit des Confessions de Verlaine tranche sur ceux des textes autobiographiques
qui affirment la singularité de l’auteur et de son projet. Le premier mot est un pronom
indéfini, sujet d’un verbe, qui n’est pas déclaratif. La passivité de l’entreprise est encore
renforcée par la citation entre guillemets qui signale l’extériorité de la démarche.
L’exégèse de la formulation souligne, par ses modalités, l’absence de «projet» littéraire.
«N’importe» et «tout simplement» banalisent l’entreprise, tandis que les trois gérondifs,
en incidente, impliquent un «sujet» rejeté en fin de phrase, sous une forme de complément du présentatif. La tournure familière, fortement marquée d’oralité, donne le ton
de ce qui va suivre : de simples fragments autobiographiques sans prétention ni réflexion
excessive, et sans aucune visée exhaustive (l. 4), sur le ton feutré de la confidence.
8-9 La confrontation devrait faire apparaître des similitudes dans la position du
narrateur, dans la perspective rétrospective du récit et dans le sujet traité. Les différences les plus importantes étant d’ordre stylistique, on pourrait distinguer ce qui
relève de la langue (évolution historique) de ce qui relève de la parole (discours) de
chaque auteur.
Étape 2 [Portrait de l’artiste en « parfait petit bourgeois »,
pp. 196-197]
2 Le présent «je rêve» est celui de 1’écriture; c’est le rêve de 1’auteur vieillissant;
l’adverbe «souvent» souligne le caractère récurrent du rêve et évoque le poème «Mon
rêve familier». La progression est celle qui va du malaise dû à une culpabilité vague
à l’angoisse croissante de la perte. Le réveil fait d’abord disparaître l’angoisse du rêve
que la mémoire réelle fait ressurgir («ma mère est morte, ça c’est vrai!»).
3 La rêverie se distingue du rêve par le niveau de conscience qu’elle implique. Elle
s’enracine dans les sensations réelles – perceptions visuelles et auditives – que l’enfant
6
associe à des perceptions tactiles par synesthésie (p. 21, l. 114) alors que le rêve relève
de l’inconscient. L’insistance de Verlaine à crédibiliser ce souvenir très ancien («je
m’en souviens comme d’hier», «tellement j’y suis», «j’aurais encore l’idée») doit alerter le lecteur. L’anecdote de la bouilloire fournit plus d’une clé à l’art poétique : une
vision kaléidoscopique (dont on trouvera 1’écho dans les titres de poèmes) des perceptions synesthésiques (proches des «correspondances» baudelairiennes). On peut
aussi y voir une clé psychologique du caractère «saturnien», marqué par les eaux
maléfiques et blessé par ses contacts avec la réalité de la petite enfance (épisode du
scorpion et des sangsues).
6 La partie marquante du voyage est celle du transport du bateau. À la page précédente, c’est du chemin de fer que se souvient l’enfant et de son chapeau envolé par
la portière. La mémoire est parcellaire et la volonté impuissante à restituer tout le
passé (cf. Proust). Ces bribes de souvenirs associés au mouvement (chemin de fer,
bateau et bientôt fiacre), on les retrouve dans la poésie descriptive verlainienne, qui
privilégie souvent un détail dans un «cadre» de porte ou de fenêtre (cf. «Paysages
belges»). Même à l’arrêt, le procédé reste le même : par exemple, la fenêtre de l’hôtel
donnant sur le quai. Ces voyages préfigurent d’autres voyages à venir, l’une des
sources d’inspiration poétique les plus fécondes (cf. Romances sans paroles).
7 Le champ lexical du regard se subdivise en deux réseaux lexicaux principaux :
celui de la vue proprement dite et celui de la vision – dans le sens de «représentation». La caractérisation emphatique (hyperbolique) et les tournures superlatives soulignent l’importance de l’œil, à la fois organe sensoriel et point de vue sur le monde,
tandis que les constructions antithétiques mettent en relief les contrastes («jour»/
«nuit»; «couleurs»/«ombres»). Les techniques évoquées vont du dessin à l’aquarelle,
en passant par le lavis et la caricature. Le dessin prime sur les couleurs, primaires à
1’exception du gris associé à la recherche des nuances.
Étape 3 [Coup de fièvre : « 2 décembre et la maladie », pp. 198199]
3 «La maison numéro 2» est la maison de naissance à Metz (l. 5, p. 17), «probablement Hoch Stein Strasse aujourd’hui» – en 1895 – parce que Metz n’est plus française depuis qu’elle a été offerte aux Prussiens avec la Lorraine («Lothringen») dont
elle est la capitale, après leur victoire en 1870. Verlaine, fils d’officier et soldat de la
république, dut choisir, comme tous les Lorrains de naissance, de rester sujet français
7
ou de devenir sujet allemand, le choix de nationalité entraînant le choix de la langue.
Traumatisé par le passage à l’ennemi de son pays natal, Verlaine ne manque jamais
une occasion de souligner son patriotisme.
4 Une évocation nostalgique de la première école suit l’évocation de la première
maison – nostalgique, stricto sensu. L’écart temporel entre le présent de l’écriture et le
passé vécu est souligné par les modalités « toujours » et « dernièrement ».
L’enchaînement des compléments circonstanciels retarde le verbe principal («j’ai
revu») dont la brièveté et la soudaineté donnent à ce qui suit l’allure d’une apparition. On remarquera que la présentation du lieu «revu» ressemble à l’évocation des
lieux remémorés, c’est-à-dire «à travers» un cadre – ici, «les barreaux verts de la porte
à claires-voies» –, et que le décor se limite à un détail en rapport avec le vécu de celui
qui regarde – les «quelques rangées d’arbres espacés» et «le perron aux deux rampes
de fer» qui lui valent son premier succès poétique. La composition picturale est étonnante : au premier plan, les lignes verticales des troncs d’arbres espacés, et au fond,
les lignes obliques de rampes en fer. On peut trouver ce genre de composition dans
les toiles urbaines de Caillebotte et Manet. Quant au motif de la cour ou du jardin
abandonné, peuplé de souvenirs appartenant à une époque révolue, on les retrouve
dans de très nombreux poèmes, dont le très célèbre «Après trois ans». On trouve plus
loin (p. 50) une description du même type.
6 Le récit du coup d’État, entièrement subjectif, est celui d’un «galopin de sept
ans» qui ne comprend rien à la politique et rapporte des propos entendus au style
indirect libre («de qui l’on craignait le retour»; «dont on attendait beaucoup»;
«n’était-il pas trop du parti-prêtre»), puis au style direct (dialogues avec le père, p. 42
l. 35-38, l. 42-46). Les commentaires enfantins («Moi, ça m’était bien égal»; «Ah!
certainement oui, que non, je n’y comprenais rien») tranchent avec le vocabulaire
politique des grandes personnes («Assemblée»; «élections»; «Chambre», etc.). C’est
évidemment ce «“papa” qui m’était un dieu» qui résume l’événement («C’est très
grave, mais ça a l’air très calme»).
Étape 4 [Confessions d’un « moutard de neuf à seize » : sevrage
difficile et « garçonneries », pp. 200-201]
1 Deux longues phrases complexes composent le paragraphe introductif des
confessions annoncées. La première commence par la proposition principale, au pré-
8
sent de l’écriture; elle se compose d’un verbe déclaratif, suivi d’un COD entouré de
nombreuses expansions, dont l’une sous forme d’une proposition relative («des
nuances […] qui ont […] leur importance») développée par une proposition
conjonctive concessive («encore qu’elle soient puériles»). Chaque nouvelle caractérisation est retardée par des précautions oratoires («selon moi»; «à mes yeux») pour
finir par un suspense, dès qu’est lâché l’adjectif «adolescentes», qui corrige «puériles»
et relance par une tournure présentative et typique de la langue parlée : «et c’est le
diable, alors, à confesser», elle-même développée par une temporelle redondante :
«quand elle fut la mienne». La seconde phrase, encore plus longue et plus complexe,
repousse à la fin le noyau principal : «j’essaierai […] de dire la vérité vraie sur moi»,
qui fait suite à une accumulation de modalités redondantes et ampoulées (p. 53,
l. 7-10) et de références (l. 10-14). Ces deux phrases, «tortillées» à l’extrême, sont
censées rendre compte de l’embarras et du trouble précédant l’aveu, ce qui explique
leur place dans le récit. Les chapitres précédents relataient le temps de l’innocence.
5 Les guillemets des lignes 10-15 rapportent au style direct le monologue intérieur du petit Paul, tandis que les parenthèses (l. 33-34) sont un commentaire de
Verlaine adulte se remémorant l’épisode. Ce récit de la fugue est très représentatif de
l’utilisation stylistique de la syntaxe dans le texte autobiographique qui rend compte
de l’émotion passée et présente. Le vocabulaire enfantin («Papa», «Maman») et la
syntaxe familière («qu’est-ce que dira le maître de pension?») contrastent avec les
phrases longues du commentaire adulte (l. 15-21). La caractérisation souligne la taille
du héros de cette aventure («petit» quatre fois, «jeune», «naïve», «craintif»), et
l’écart temporel – plus de 40 ans! – se trouve réduit par la magie de l’écriture qui rend
extraordinairement proche et vivante «cette époque [qui reculait] formidablement
vite». Difficile de ne pas voir dans la reviviscence de cette scène l’un des «aveux» les
plus importants des Confessions : celui d’un sevrage trop précoce littéralement épouvantable (l. 2) annonçant les dépendances de l’âge adulte.
8 Il n’existe aucun verbe-noyau dans ce long paragraphe, mais une succession de
phrases nominales descriptives, développant la phrase nominale initiale : «Laides,
église et chapelle». «L’une» annonce la description de l’église (l. 1-8), «l’autre» celle
de la chapelle (l. 8-16). Les seuls verbes actualisés sont ceux de l’incise précisant le
point de vue : «je le dis […]» ou ceux des propositions relatives (explications) : «un
flot de galopins […] qui chantaient»; «les “gosses” […] dont j’étais». Le regard ironique de l’enfant est visible dans les éléments de base de la description et le détournement des cantiques. L’ironie de l’adulte relaie celle de l’enfant en nommant ce qu’il
9
ignore et en ridiculisant le mauvais goût des lieux et les clichés linguistiques (l. 16,
19, 24) de ceux qui les fréquentent.
9 Le mot «confessions» a ici le sens chrétien du sacrement de pénitence qui se
compose de trois actes : confession, contrition, satisfaction. L’éducation religieuse de
Verlaine a été «raisonnable» (l. 31-39). La conversion à laquelle il fait allusion est celle
qui suivit son emprisonnement à Mons et lui inspira Sagesse. Plus de vingt ans séparent l’écriture des Confessions de celle de Sagesse, vingt années non exemptes «d’erreurs» que Verlaine semble vouloir faire passer comme autant «d’erreurs» de jeunesse.
10 «Quittons» est une adresse au lecteur : connivence rhétorique (cf. «pacte»
autobiographique). «On», pronom personnel indéfini, représente les lycéens dont
fait partie Verlaine. «Nous» représente les mêmes, mais actualise un «je» + «eux»
comme le souligne le passage au présent, renforcé par l’adverbe «encore» : c’est la
marque de la reviviscence du passé, par la rémanence d’images apparemment anodines. Ici, la présence des lions constitue le détail accrocheur du souvenir et donne
un caractère mythique à une anecdote prosaïque (Paris/Babylone!). Verlaine se définit comme «cancre», ce que confirme en partie son classement (l. 109-110) mais un
cancre futur bachelier, et «Prince des Poètes»… fausse modestie?
12 Verlaine revient sur le récit de sa vie de collège, déjà abordée dans un chapitre
précédent, dans sa version édulcorée. Il la complète ici par l’aveu – souvent différé –
de ce qu’on appelait alors des pratiques honteuses. Il avoue donc avoir été travaillé à
l’âge pré-pubertaire par une sexualité exigeante qu’il n’avait pu calmer autrement que
par la masturbation : occupation essentielle de ses huit années d’études, dit-il. En
termes de confession chrétienne, il s’agit d’un péché grave, mais nous sommes dans
une confession littéraire, c’est donc, avec humour, à ses lecteurs et surtout lectrices,
que le pêcheur réclame le pardon.
Étape 5 [« Éveil puéril de l’homme de Lettres » : sensualité
« ridicule » et essais « détestables », pp. 202-203]
1 L’auteur semble vouloir adopter l’humble posture du confessé face à son confesseur en suivant le rituel du parfait catholique : la confession est précédée d’un examen de conscience, occasion pour le pénitent Verlaine de revenir sur les circonstances
10
atténuantes du péché de luxure («luxurieux point ne sera, de corps ni de consentement», 6e commandement). Il joue sur les mots («conscience»/«inconscience»,
«énoncer»/ «dénoncer»), s’accuse de ses mauvais penchants, mais tourne en dérision
ses «remords» (la contrition chrétienne) et rejette la responsabilité de ses mauvaises
habitudes… sur ses confesseurs. Le comique de la démonstration relativise beaucoup
le sérieux du sacrement. En associant l’éveil des sens à l’éveil poétique, Verlaine fournit une excuse à la faute, et une explication au mérite : il s’agit de la même manifestation d’un tempérament sensible et sensuel.
Étape 6 [« Initiation aux choses de l’existence » : la femme,
la mort, l’absinthe, pp. 204-205]
1 La chronologie des faits concernant l’éveil des sens est assez rigoureuse :
– 7 ans : la fièvre et les délices des caresses maternelles (chap. 6);
– 9-16 ans : l’horreur du sevrage (chap. 7) avec, à l’âge de 13-14 ans, les masturbations en tout genre (chap. 12);
– 16 ans : les «garçonneries» et premiers «poèmes saturniens»;
– 17 ans : le bachot et le bordel.
Ce peut-être une façon rhétorique d’amener la confession des péchés de plus en
plus «gros» en simulant un examen de conscience rigoureux. L’allitération en «t» des
lignes 6-11 (p. 94) suggère le caractère obsessionnel du désir sexuel adolescent.
Quant au poète quinquagénaire qui en rend compte, ses calembours (paranomastiques) montrent l’autodérision dont il est capable («hantait»/«tentait»/«la hanter»/
«la tenter»/«Mais l’entêté», etc.). Autodérision qui n’entame en rien la lucidité du
poète : la restriction de la ligne 6 est plus importante qu’il n’y paraît; la Femme est
pour Verlaine une obsession onirique.
2 La passivité du narrateur commence aux préparatifs de l’«orgie à la tour» : un
camarade plus âgé fournit l’adresse (l. 22-25), le collégien répond à un «appel»
(l. 33), même l’entrée dans la maison est énoncée à la forme passive (je fus «introduit»). Il en va de même pour l’escalier qu’on lui fit monter (l. 48). L’imprécision du
portrait féminin renforce la passivité de celui qui se contente d’«illusions», tandis que
le décor reste gravé comme celui des autres premières fois. Le passé simple, qui
marque le début de la description (qu’on attendait à l’imparfait), s’explique doublement par le caractère ponctuel d’un événement unique (pas le bordel, mais le dépucelage) et par le caractère révolu du fait et du lieu, disparu.
11
9 Deuxième chagrin annoncé, la mort d’Élisa est un motif récurrent de l’œuvre
de Verlaine. Le récit qui en est fait ici est intéressant dans sa progression musicale, qui
commence «moderato» sur le ton de la chronique avec les circonstances de la maladie d’Élisa (l. 117-129), continue par le récit déjà plus inquiet de l’aggravation du
mal (l. 130-153), se poursuit par le déchaînement des éléments, accordés à l’état d’esprit de Verlaine (l. 154-169) que la disparition d’Élisa – signalée par le glas – bouleverse littéralement (l. 169-185). La cacophonie qui s’en suit est encore une fois accordée au désordre vestimentaire et psychologique du désespéré (l. 186-197). Les changements de tonalité correspondent aux variations psychologiques, sensibles également dans la progression lexicale : «syncope effrayante» (l. 129), «anxiété horrible»
(l. 139), «quelle anxiété» (l. 166), «Fou» (l. 168), «abominable cortège» (l. 174). La
désorganisation de la syntaxe suit la même progression, comme en témoigne la ponctuation de plus en plus abondante et expressive; le point d’orgue, après le silence des
points de suspension (l. 197) est un magnifique exemple de cadence mineure parfaitement adaptée à la situation de régression infantile…
Étape 7 [Lettres à la fiancée : La Bonne Chanson, pp. 206-207]
1 «Cet état de choses» désigne le désordre engendré par l’ivrognerie et établit une
liaison chronologique, et logique, avec le désir d’ordre que représente le mariage.
L’image de la vertu apparaît comme un rempart contre le vice qui dure «depuis environ quatre longues années consécutives»; la construction de la phrase met en valeur
l’apparition au milieu du paragraphe et sa désignation à la fin du paragraphe, tout le
reste relevant des circonstances («lorsque m’apparut […] celle qui devait être ma
femme»). La précédente évocation était plus anodine («Un jour, je vis […]», p. 106,
l. 44-46) et la suivante plus développée (chapitre 5, pp. 120-122). On notera que,
même dans la plus brève évocation, Mathilde est vêtue de sa robe «grise et verte»,
celle que Verlaine immortalisera dans La Bonne Chanson. On remarquera aussi que
le plus long portrait de Mathilde est un portrait «rêvé».
9 On peut insister, dans l’introduction, sur le caractère fantasmé du portrait (question 3) et son caractère d’«esquisse» (p. 117, l. 20) au sens pictural du terme. La composition suit l’ordre du dessin : la silhouette est indiquée à grands traits avec un retour
sur le visage, où sont placés la bouche, les yeux puis – dernière touche – le détail des
mains. Si le «sujet» peint est d’une banalité rare : «petite», «rondelette», «cheveux
châtains», « nez […] moyen », « dents d’albâtre », yeux «gris », « mains toutes
petites»…, sa représentation est extraordinairement suggestive. Le regard du poète y
12
projette ses propres émotions qui animent chaque trait, la bouche par le sourire puis
la parole (l. 38-52), les yeux par le regard (l. 55-61) et les mains par les caresses (l. 6268). La fonction d’un tel portrait est double : manifeste poétique d’un art de la nuance
(palette en demi-teintes) et portrait imaginaire de la femme, où la Vierge rejoint la
mère dans le rêve de «l’amie», c’est-à-dire de l’âme sœur, au sens plein du terme.
10 On peut adopter la même démarche dans le commentaire du paysage c’est-àdire partir des circonstances (l. 39-46) de la promenade qui fournissent la progression de la description (effet travelling). Une première partie pourrait être consacrée à
l’inventaire du paysage «plat d’aspect» en termes géographiques, puis en termes picturaux : contraste des lignes horizontales et verticales. L’état d’esprit du promeneur
est étroitement associé au paysage contemplé : paisible quand le paysage est «charmant», angoissé quand il devient inquiétant. On remarquera que le vocabulaire psychologique est presque absent et que la montée de l’angoisse est entièrement prise en
charge par le paysage avec lequel a fusionné «l’âme» du poète dans le mouvement de
la promenade, à tel point que c’est la forêt qui éprouve «des joies comme folles et des
tristesses jusqu’à des terreurs». La différence entre cette description et les descriptions
romantiques ou symboliques de paysages/état d’âme est dans le mouvement de la
conscience : au lieu d’une projection de sentiments (joie/tristesse) sur un lieu qui par
contamination devient joyeux ou triste, c’est le lieu qui frappe les sens et pénètre la
conscience flottante du «rêveur» (ou du «voyant»).
Étape 8 [« Prémices intellectuelles » de la volupté : le temps des
fiançailles, pp. 208-209]
1 La succession des compléments circonstanciels de temps marque la répétition
et la durée : ils forment une amplification des valeurs duratives et itératives de l’imparfait. Cette 1re phrase du 1er paragraphe donne sa tonalité au chapitre : les fiançailles sont le temps de l’attente (sentiment de durée) et de la frustration (répétition
des «prémices»). Le passage entre tirets (l. 5-6) renvoie au «présent» de l’écriture
(1894) pour lequel le futur («l’avenir») des fiançailles est le mariage, puis le divorce,
c’est-à-dire le «triste passé» de l’écriture. Ce procédé grammatical (l’incidente), récurrent dans les Confessions, souligne la permanence du sentiment pour Mathilde…
«malgré tout»! La parenthèse apporte un éclaircissement, non à l’histoire du couple,
mais au récit qu’on a pu en faire. «Finalement» peut être remplacé par «objectivement», «vivacité» par «audace» (dans le sens de crudité), «tout-à-la-joie» par «bonheur». Les marques d’atténuation sont dans la caractérisation («pauvres», «ridicule»,
13
«moindre», etc.) et les figures – euphémismes et périphrases («vénérables choses-là»,
«désirs tout, ou presque, à la chair»). Le «vous» s’adresse à Mathilde et signale le respect du fiancé courtois. Les allitérations en «r», «vr», «pr», «fr», «br» et les assonances en [ε] suggèrent le tournoiement… vrombissant de l’abeille butineuse. Image
on ne peut plus pertinente du flirt (flirtation, dirait Verlaine!).
3 «Veuves» et «moroses» s’accordent avec «années», ce qui fait des «misérables
années […] veuves», un hypallage, figure spécifique du sensualisme verlainien (cf.
«désirs […] fauves», p. 137, l. 42-43; «jours […] coquets», p. 138, l. 49). Le chapitre 11 ne déparerait pas l’un des romans fin de siècle étiquetés «décadents».
Huysmans ou d’Annunzio (voire O. Wilde) auraient pu mettre en scène ce personnage de poète moderne, courtisant une jeune vierge, si innocente qu’elle croit que
l’on fait les enfants en s’embrassant sur la bouche, dans un décor bourgeois (Second
Empire) qui mélange l’imagerie saint-sulpicienne (la chambre) et les fanfreluches
rococo (le boudoir). Au théâtre, on serait dans le «boulevard», voire le «vaudeville»,
avec mère entremetteuse, dialogue à double sens et quiproquos. Sans oublier la
«chute» comique de la fin (p.156, l. 100-102).
Étape 9 [« Début du mariage en temps de guerre » : de l’ordre à
l’insurrection, pp. 210-211]
1 Le récit du mariage met l’accent sur les noms des invités – peu nombreux – mais
tous célèbres à des titres divers. On y retrouve les amitiés littéraires et politiques
(Valade, Pelletan, Louise Michel). Ces noms, auxquels il faut ajouter celui du «beaufrère de Victor Hugo», contrastent avec la modestie de la cérémonie et l’anonymat
des mariés (l. 106-107). Les sentiments du jeune marié se lisent dans sa façon de
monter le marchepied de la voiture qui le conduit à la mairie (l. 90-92) et de
répondre au maire (l. 108-109). Empressement à conclure! Quant au regard de
Verlaine, il tourne en dérision et les personnages (calvitie du marié, embonpoint de
la mariée, myopie du témoin) et la cérémonie (l. 96-105). La chute du chapitre fait
le lien avec humour : le seul intérêt de la chose est de mettre fin au supplice de l’attente.
6 «Naturellement», parce qu’il est de leur bord politique, Verlaine fait entrer ses
amis communards chez lui. Les «précautions» désignent la dissimulation des traces
qui pourraient coûter la vie aux insurgés en fuite, et à celui qui les a abrités. La
«défaite» est celle de la Commune (fin mai 1871) qu’a soutenue Verlaine qui s’était
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engagé comme garde national, mais semble vouloir relativiser ici son engagement
politique : sa priorité du moment est d’ordre sexuel plutôt que révolutionnaire – il a
des vues sur la bonne, et la présence de ses amis le contrarie, dit-il, à moins qu’elle ne
lui serve de caution politique. Tous les faits cités sont authentiques : incendie de
l’Hôtel de Ville, explosion de la poudrière du Luxembourg et massacres «d’insurgés»
(«semaine sanglante»).
8 On tentera d’éviter une construction calquée sur l’énumération («défauts»/
«vices»/«malchance») qui aboutirait à un catalogue des traits de caractère de l’auteur
(difficilement contestables). Il s’agit de juger l’œuvre, qui ne comporte pas que cela…
On évitera également le résumé chronologique de «l’ensemble» de l’œuvre :
enfance/adolescence/âge adulte. On pourrait s’attacher à distinguer ce qui relève,
dans les Confessions, de l’autoportrait de l’individu – son caractère, «défauts» et
«vices», liés à sa nature (tempérament) – de ce qui relève de son destin «plus ou
moins» malchanceux (malheurs privés et collectifs). Chacune de ces parties pouvant
être problématisée : les «défauts» et les «vices» – ivrognerie et sensualité débridée –
peuvent être vus comme les envers de qualités et de vertus – sensibilité et «amativité».
Quant au destin, il ne comporte pas que malchances et l’ensemble de l’œuvre
témoigne aussi du tempérament et d’une vie d’artiste exceptionnels.
Étape 10 [Bilan de lecture : une vie, une œuvre, une voix,
pp. 212-213]
5 Les notions étudiées dans les rubriques «À savoir» peuvent se regrouper en trois
parties, qui constituent trois niveaux de lecture de l’œuvre. Le premier concerne le
genre. Les étapes 2, 3, 9 cernent le projet autobiographique et proposent une lecture
«naïve» des Confessions : autoportrait sincère, récit d’une expérience vécue qui ne
cherche pas à masquer l’intime mais n’exclut pas le romanesque (personnages et situations). Un deuxième niveau de lecture s’appuyant sur les moyens stylistiques mis en
œuvre (étapes 4 et 7) permet de cerner l’originalité du texte autobiographique verlainien. Enfin un troisième niveau de lecture révèle ce que n’annonçait pas le titre :
un manifeste poétique en trois temps : genèse (étape 5), thématique (étape 8) et technique (étape 7).
7 Le groupement de textes permet de confronter les Confessions de Verlaine à la
définition qu’en donne Philippe Lejeune. On n’aura aucun mal à confirmer son
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appartenance au genre, à l’issue de cette étude. Le second texte est une autobiographie déguisée (il suffit de changer l’énonciation des deux premières lignes pour obtenir la critique de Verlaine par Huysmans). Quant aux deux fragments extraits de
Roland Barthes par lui même, ils viennent d’une autobiographie «récusée», mais étonnamment proche des «notes» verlainiennes, que l’on a pu considérer sans mal
«comme dit[es] par un personnage de roman».
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9
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