Renforcement des droits des victimes de dommages corporels
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Renforcement des droits des victimes de dommages corporels
Paris, le 18 février 2010 Proposition de réforme 10-R002 Renforcement des droits des victimes de dommages corporels La présente proposition de réforme s’inscrit dans l’objectif de rapprochement des procédures de réparation des dommages corporels. Dans une première proposition de réforme émise sur ce thème, le Médiateur de la République a préconisé l’adoption d’une méthodologie commune à tous les dispositifs d’indemnisation des dommages corporels (cf. proposition de réforme 10R001). En complément, la présente proposition de réforme énonce plusieurs pistes destinées à renforcer les droits des victimes dans l’ensemble des procédures d’indemnisation, alors que ces droits sont aujourd’hui disparates d’un dispositif à l’autre. Sont ainsi concernés les dispositifs suivants : les procédures juridictionnelles d’indemnisation, aussi bien devant le juge judiciaire qu’administratif ; le dispositif de réparation des accidents de la circulation mis en place par loi n°85-677 du 5 j uillet 1985, dite loi Badinter ; le dispositif de réparation des dommages corporels résultant d’accidents médicaux ou d’infections nosocomiales institué par la loi n°2002-303 du 4 m ars 2002, dite loi Kouchner, ainsi que les procédures d’indemnisation des dommages corporels causés par des infections spécifiques résultant de vaccinations obligatoires ou de transfusions sanguines ayant entraîné la contraction du virus du sida ou de l’hépatite C ; l’indemnisation des victimes de l’amiante par le FIVA ; les dispositifs d’indemnisation des dommages résultant d’actes de terrorisme ou d’infractions d’une particulière gravité. Dans ce cadre, le Médiateur de la République préconise l’adoption des quatre mesures suivantes : 1°) Harmoniser les délais d’accès aux procédures de réparation. 2°) Renforcer le principe du contradictoire pour de s droits de la défense mieux respectés. 3°) Assurer un meilleur respect des délais, tant po ur la remise de l’offre que pour le paiement des indemnités. 4°) Généraliser le droit de dénonciation de la tran saction. Harmoniser les délais d’accès aux procédures de réparation Le délai pendant lequel la victime d’un dommage corporel peut demander réparation diffère d’une procédure à une autre. Dans l’état actuel du droit coexistent en effet trois délais principaux: • Les actions en réparation se prescrivent par un délai de 10 ans, à compter de la consolidation du dommage initial ou aggravé, pour les procédures devant le juge judiciaire, les accidents de la circulation, les actions en réparation d’un accident médical ou pour les victimes des actes de terrorisme. • En application de la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics, le délai d’action est de 4 ans devant le juge administratif, Amélioration de la protection sociale des travailleurs de l’amiante l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM) pour les actions en réparation des dommages imputables à des vaccinations obligatoires ou à des contaminations consécutives à des transfusions, et le Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante (FIVA). • Les demandes de réparation adressées aux fonds de garantie doivent être présentées dans les 3 années qui suivent le fait générateur du dommage ou dans l’année qui suit une décision d’indemnisation définitive mais non honorée (Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages – FGAO en matière d’accidents de la circulation ; Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions d’une particulière gravité – FGTI). La variété actuelle des délais de prescription des actions en réparation génère un traitement inéquitable des victimes. Pour y remédier, le Médiateur de la République propose de généraliser la règle de la prescription décennale à compter de la consolidation du dommage initial ou aggravé pour l’ensemble des actions en réparation des dommages corporels. Il est à noter que deux précédents jouent en faveur de cette réforme. La loi dite Kouchner du 4 mars 2002 a déjà modifié la règle de la déchéance quadriennale en prévoyant que les actions en responsabilité médicale engagées contre des établissements de santé publique se prescrivent par dix ans (cf. l’article L. 1142-28 du code de la santé publique). La loi n°2008-561 du 17 juin 2008 a réformé, quant à elle, la prescription civile en harmonisant le délai de prescription à 5 ans ; une dérogation est toutefois prévue par l’article 2226 du code civil concernant l’action en responsabilité pour un dommage corporel où le délai de prescription est porté à 10 ans. S’agissant des demandes de réparation adressées aux fonds de garantie, il conviendrait de compléter cette réforme en prévoyant que la demande doit être présentée dans les 5 années (délai de prescription de droit commun) qui suivent une décision d’indemnisation définitive mais non honorée. Renforcer le principe du contradictoire pour des droits de la défense mieux respectés Le respect du contradictoire constitue un principe fondamental du droit, garant d’une procédure équitable et de décisions d’indemnisation mieux acceptées. Or le droit à l’assistance est inégalement consacré d’un régime à l’autre. Par ailleurs, l’effectivité de ce droit est souvent relative, toutes les procédures ne prévoyant pas d’aides financières pour supporter les frais d’une telle assistance. A/ La consécration d’un droit général à l’assistance des victimes Dans les procédures juridictionnelles, l’assistance de la victime parait suffisamment garantie, le 1 ministère d’avocat y étant obligatoire . La situation apparaît beaucoup moins favorable dans le cadre des procédures de réparation amiable. Le droit à l’assistance est généralement évoqué mais jamais obligatoire. Plus encore, 1 Il convient cependant de relever que le code de justice administrative prévoit un certain nombre d’exceptions à la règle de l’assistance obligatoire, notamment dans les litiges devant les tribunaux administratifs en matière de travaux publics, de contrats relatifs au domaine public, de contravention de grande voirie, ou concernant les litiges dans lesquels le défendeur est une collectivité territoriale ou un établissement public en relevant (cf. l’article R.431-3 de ce code). Dès lors, la question de l’assistance devant les TA en plein contentieux ne peut être totalement écartée. LE MEDIATEUR DE LA REPUBLIQUE SERVICE PRESSE & COMMUNICATION 01.55.35.22.40 Page 2 Amélioration de la protection sociale des travailleurs de l’amiante il apparaît que la victime use rarement de ce droit dont elle ignore la plupart du temps l’existence. L’avènement des procédures amiables s’est donc traduit par une dégradation des conditions d’assistance des victimes alors qu’il contribuait, dans le même temps, au désengorgement des juridictions. Pour favoriser, dans les procédures de réparation amiable, un droit effectif à l’assistance des victimes, il conviendrait de : - Généraliser le droit pour la victime de se faire assister, à son libre choix, d’un avocat et, en cas d’examen médical, d’un médecin-conseil ; il serait également souhaitable que le demandeur puisse faire appel à une association de défense des victimes, à condition que celle-ci soit habilitée à exercer cette mission (par exemple par le biais d’une procédure d’agrément) et offre une assistante gratuite, ce afin d’éviter l’intervention dans ce marché de sociétés de recours agissant dans un but lucratif et dont la compétence est sujette à caution. - Mettre à la charge du responsable de l’indemnisation une obligation d’information à cet égard. Dans ce but, il pourrait être envisagé d’étendre à toutes les procédures de réparation amiable une disposition introduite par la loi Badinter concernant les accidents de la circulation. L’article L. 211-10 du code des assurances oblige l’assureur, lors de sa première correspondance, à informer la victime qu’elle peut se faire assister d’un avocat et, en cas d’examen médical, d’un médecin, le non respect de cette obligation pouvant entraîner la nullité de la transaction. B/ Améliorer les conditions de financement de l’assistance de la victime Dans les procédures juridictionnelles, tout requérant peut bénéficier de l’aide juridictionnelle dans les conditions prévues par la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 qui l’a instituée. En revanche, la plupart des procédures amiables ne prévoit aucune aide financière pour alléger le poids que représentent, pour les personnes les plus défavorisées, les frais liés à l’assistance d’un conseil. Seules dérogent à la règle deux procédures de réparation : La procédure d’indemnisation des dommages résultant d’infractions graves ouvre droit à l’aide juridictionnelle (la procédure s’effectuant pour partie devant une juridiction et pour partie devant le fonds d’indemnisation). Depuis 2007, l’ONIAM indemnise les frais de conseil engagés par la victime par une somme plafonnée à 700 euros. Cette aide est versée a posteriori et uniquement si la demande d’indemnisation a abouti à une offre de l’ONIAM. En outre, lorsqu’elle est prévue, l’aide juridictionnelle ne couvre que les frais liés à l’assistance d’un avocat et non ceux liés à l’assistance éventuelle d’un médecin-conseil. Pour garantir le droit à l’assistance des victimes n’ayant pas les moyens matériels de se faire assister, il est proposé de réactiver le recours à l’aide à l’accès au droit pour l’assistance des victimes dans les procédures non juridictionnelles, en évaluant notamment l’intérêt 2 des pistes de réforme proposées dans le rapport Darrois . L’aide juridique comporte en effet deux volets : l’aide juridictionnelle d’une part, l’aide à l’accès au droit d’autre part, qui comprend l’« assistance au cours des procédures non juridictionnelles » (article 53 - 2°de la loi du 10 juillet 1991). 2 Rapport sur les professions du droit, présenté par la commission Darrois en mars 2009. Cette commission a préconisé de restituer aux conseils départementaux de l’accès au droit un rôle majeur dans l’aide à la résolution amiable des litiges. Pour renforcer et diversifier le financement de l’aide juridique, elle a proposé la création d'un fonds d'aide qui serait géré par un Haut-Conseil des professions du droit. Le garde des Sceaux, Mme Michèle Alliot-Marie, vient de confier à M. Philippe Belaval, conseiller d'État et Jean-Loup Arnaud, conseiller à la Cour des compte, une mission sur les moyens de mettre en œuvre cette proposition. LE MEDIATEUR DE LA REPUBLIQUE SERVICE PRESSE & COMMUNICATION 01.55.35.22.40 Page 3 Amélioration de la protection sociale des travailleurs de l’amiante Cette utilisation possible de l’aide à l’accès au droit est cependant restée ineffective, notamment faute de dispositions réglementaires définissant les critères d’admission ou les conditions de désignation et de rétribution des professionnels du droit prêtant leur concours. Une autre voie serait d’étendre explicitement le domaine de l’aide juridictionnelle aux procédures amiables en réparation de dommages corporels. L’article 10 de la loi susvisée permet en effet d’ores et déjà d’accorder l’aide juridictionnelle en matière « gracieuse ou contentieuse », « ainsi qu’en vue de parvenir à une transaction avant l’introduction de l’instance ». Des délais mieux respectés A/ Le délai de remise des offres Les compagnies d’assurance et les fonds d’indemnisation doivent généralement remettre leurs offres dans des délais qui varient de 2 à 8 mois. Dans l’état actuel du droit, le non respect des délais de remise des offres est différemment pris en compte. Le retard peut, par ordre croissant de gravité : soit n’avoir aucune conséquence ; soit ouvrir un droit d’action en justice pour la poursuite de la procédure d’indemnisation ; soit ouvrir droit, pour la victime, à des dommages et intérêts ; soit son auteur peut se voir infliger une pénalité financière qui ne revient pas à la victime. En outre, certaines procédures d’indemnisation relevant de l’ONIAM n’instaurent aucune obligation de présenter une offre dans un certain délai ; il est seulement prévu que le silence de l’office au-delà d’un délai de 6 mois vaut rejet implicite de la demande. Pour remédier à cette situation, le Médiateur de la République propose tout d’abord d’étendre à toutes les procédures d’indemnisation relevant de l’ONIAM l’obligation de faire explicitement une offre au demandeur dans un délai fixé par la loi (qui ne saurait excéder 3 8 mois) . Il propose en outre d’harmoniser les sanctions prévues par les procédures 4 d’indemnisation non juridictionnelle en cas de non respect de ces délais (ou en cas d’offre manifestement insuffisante, qui équivaut à l’absence d’offre). On pourrait envisager à cette fin de transposer dans l’ensemble des dispositifs d’indemnisation 5 amiable dépendant d’organismes publics la disposition prévue par l’article L.422-2 du code des assurances, applicable à la réparation par le FGTI des dommages subis par les victimes d’actes de terrorisme, et disposant que « Les offres tardives ou manifestement insuffisantes peuvent ouvrir droit à des dommages et intérêts au profit de la victime ». B/ Le délai de paiement des indemnités Les textes régissant les procédures amiables enserrent le paiement de l’indemnité dans un délai d’un mois, à l’exception des indemnités versées par le FIVA qui doivent intervenir dans un délai de deux mois. Les retards de paiement sont, dans certaines procédures, sanctionnés par le versement d’intérêts. Dans l’intérêt des victimes, il conviendrait de généraliser le mécanisme de sanction prévu par certains dispositifs en cas de non paiement des indemnités dans le délai imparti par la loi ou par le jugement. 3 Les procédures concernées sont : réparation par l’ONIAM des dommages imputables à des vaccinations obligatoires ; réparation par l’ONIAM des dommages corporels imputables à une mesure d'urgence prise en cas de menace sanitaire grave. 4 S’agissant des tribunaux, il ne peut être envisagé de les soumettre à une obligation de délai, la seule limite à la souveraineté du juge étant de ne pas dépasser un « délai raisonnable » pour le rendu de son jugement. 5 S’agissant des assureurs, des sanctions adaptées sont déjà prévues lorsqu’ils s’abstiennent de présenter une offre dans le délai exigé. LE MEDIATEUR DE LA REPUBLIQUE SERVICE PRESSE & COMMUNICATION 01.55.35.22.40 Page 4 Amélioration de la protection sociale des travailleurs de l’amiante Le Médiateur de la République propose, dans ce but, d’introduire dans l’ensemble des dispositifs d’indemnisation la règle selon laquelle les sommes non versées dans le délai imparti produisent de plein droit intérêt au double du taux légal à compter de l’expiration de ce délai et jusqu’au jour du paiement effectif. Généraliser le droit de dénonciation de la transaction Si la victime accepte l’offre d’indemnisation présentée par l’assureur ou le fonds d’indemnisation, l’acceptation vaut transaction au sens de l’article 2044 du code civil. Cette transaction est normalement intangible : la victime ne peut ni se rétracter, ni dénoncer la transaction en justice. Par exception, les procédures d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation et des victimes d’actes de terrorisme ont prévu que la victime peut dénoncer la transaction dans un délai de quinze jours suivant sa conclusion (délai qui est porté à trente jours dans la proposition de loi n°2297, en cours de discussion, visant à am éliorer l’indemnisation des victimes de dommages corporels) et que toute clause par laquelle une partie renoncerait à cette faculté doit être réputée nulle et non avenue. L’acteur en charge de l’indemnisation est obligé, dans son offre d’indemnisation et dans la transaction, d’informer la victime qu’elle dispose de cette faculté. Afin d’offrir la possibilité à l’ensemble des victimes de dommages corporels de disposer d’un délai de réflexion lui permettant éventuellement de revenir sur son acceptation de la transaction, le Médiateur de la République préconise d’étendre à toutes les procédures de réparation amiable le droit de dénoncer la transaction durant un délai de tente jours suivant sa conclusion. Harmoniser le traitement fiscal des indemnités Les indemnités allouées aux victimes en réparation de dommages corporels ne font pas aujourd’hui l’objet d’un traitement fiscal uniforme. La prise en compte des indemnités dans le calcul de l’impôt sur le revenu diffère selon le régime d’indemnisation (capital ou rentes), le type de décision (transactionnelle ou juridictionnelle) et le taux d’incapacité. Ces disparités produisent une iniquité entre les victimes, ayant un impact direct sur le montant final de l’indemnité. Ainsi, les indemnités en réparation du dommage corporel allouées sous forme de capital ne sont pas imposables au titre de l’impôt sur le revenu. Les indemnités allouées sous forme de rentes sont, quant à elles, imposables au titre de l’impôt sur le revenu (article 1-A et 79 du code général des impôts). Cette différence de traitement apparaît d’autant plus curieuse que les rentes peuvent faire l’objet d’une capitalisation. S’ajoute une iniquité entre les rentes indemnitaires elles-mêmes, puisque le CGI prévoit des exonérations au profit de certaines rentes indemnitaires. Il conviendrait donc de revoir le traitement fiscal des indemnités afin de le rendre plus cohérent et équitable. Dans la mesure où certaines indemnités bénéficient d’ores et déjà d’une exonération de l’impôt sur le revenu, il paraîtrait équitable d’étendre cet avantage à l’ensemble des indemnités allouées en réparation du dommage corporel. La mise en œuvre de cette réforme devrait faire l’objet d’une évaluation préalable de ses conséquences financières. LE MEDIATEUR DE LA REPUBLIQUE SERVICE PRESSE & COMMUNICATION 01.55.35.22.40 Page 5