Apologie du poète : Jean Malrieu par Yvon le Men Jean Malrieu, la
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Apologie du poète : Jean Malrieu par Yvon le Men Jean Malrieu, la
Apologie du poète : Jean Malrieu par Yvon le Men Jean Malrieu, la parole donnée J’avais traversé la France pour rencontrer Jean Malrieu à cause d’un vers qui s’échappa de l’un de ses livres, Le bruit court qu’on peut être heureux. Je l’ai pris au mot. Si le bruit court, je vais le rattraper et découvrir celui qui l’a dit. Et pour la première fois qu’un poème avait une conséquence concrète dans ma vie, j’enfourchai ma voiture et j’allai voir ce qui se cachait derrière ce vers. Il y a toujours un poète derrière un poème. On l’oublie trop souvent. Un homme derrière ses mots, un acte derrière une parole. Je tombai amoureux de lui et je puis dire que ce fut réciproque, même s’il avait quarante ans de plus que moi. Nous étions à niveau, lui, l’aîné, moi, le cadet, et ensemble deux amis, deux camarades de travail. Il m’apprit que la poésie, si elle est inspiration, est aussi un métier comme n’importe quel métier. Je ne l’écoutai pas sur le moment. Mais, plus tard, quand le temps fut venu, je m’en souvins. J’ai toujours craint qu’il y ait une contradiction entre la vie et l’écriture. A la limite, écrire c’est détourner la vie par des mots qui empêchent les rivières de couler, l’air de monter et le sang de nous réchauffer. Assis à nos tables, la vie file et ne nous attend plus. Et pourtant, il faut en passer par là. Pour que la vie, en nous, prenne du sens. Il faut la retenir, la regarder par l’écriture, les yeux dans les yeux. Il faut, par le langage, la vérifier, peser son poids de vérité, au prix parfois de l’abandon des autres qui nous reprochent notre présence au monde par une absence à leurs jours. C’est ainsi. Nous ne pouvons agir autrement. Tout ce que nous entreprenons s’incarne, ainsi que dans l’Evangile, par des noms, des verbes. Si je ne nomme pas, je ne sais pas. Chez Jean Malrieu, tous les noms étaient propres et montaient du corps au cœur et du cœur à la tête. Même si, parfois, il lui suffisait d’écrire pour être. D’où sa passion des lettres. Elles reposent aujourd’hui dans mes tiroirs et m’empoignent quand je les relis comme si elles avaient été écrites hier soir. C’était il y a trente ans et par chance nous n’avions ni l’un ni l’autre le téléphone. Oui, Jean écrivait beaucoup – tous les dimanches et les jeudis – et quand il n’écrivait pas de mots nouveaux, il recopiait des mots anciens, de sa belle écriture de maître d’école. Il n’était pas au sens strict un intellectuel, même si, comme toute grande poésie, la sienne enfantait de la pensée, de l’intelligence, créait plus vite que son ombre, tranquillisait nos contradictions, équilibrait nos paradoxes. …Si le bonheur n’est pas au monde nous partirons à sa rencontre. Nous avons pour l’apprivoiser les merveilleux manteaux de l’incendie. Si ta vie s’endort, risque-la. Vingt ans après, ces vers se sont retournés. Ce qui était un risque hier ne l’est plus aujourd’hui. Mais il y en a d’autres qu’il me faudra prendre. Ce ne sont pas des mots d’ordre mais d’harmonie. Ils ouvrent, ouvrent encore car, à n’importe quel âge de la vie, si ta vie s’endort, risque-la.