Prostitution Marcus André Vieira La prostitution étant définie de
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Prostitution Marcus André Vieira La prostitution étant définie de
Prostitution Marcus André Vieira Clique aqui para ampliar Referência : Vieira, M. A. Prostitution. In : Gauthier, Anne-Charlotte (Org.). Un réel pour le XXI siècle, Paris, Scilicet, 2014, pp. 263-265. La prostitution étant définie de façon générale comme une prestation sexuelle contre rémunération, à quel titre le psychanalyste aurait-il quelque chose à en dire ? Nous pouvons néanmoins réfléchir sur ce qui fait que la prostituée habite à tel point les rêves et les fantaisies des analysants. Freud y fut attentif. Il a décrit comment un homme peut échafauder des châteaux en Espagne, dès lors qu’il n’y a pas de confusion entre la mère vénérée à la maison et la prostituée dans la rue. Ce serait pure contingence de trouver celle qui permettrait l'unification du courant tendre et du courant sensuel1. L'essentiel, cependant, est de reconnaître combien la mère concentre les deux rôles, objet primordial élevé à la sainteté ou rabaissée à la condition de marchandise2. Lacan généralise cette thèse freudienne et appelle normalisation œdipienne la « promotion corrélative et brisée de l'objet du désir en deux moitiés irréconciliables »3. Ainsi, la mère perd ses pouvoirs érotiques pour se présenter soumise au désir du père. Une grande partie des femmes est héritière de cette mère « dépossédée »4. Quelques unes cependant concentrent les pouvoirs du courant sensuel dirigé originellement vers la mère, ce qui pour Freud caractérise la prostituée. La mère se présente avec la puissance libidinale de l’objet par excellence. Néanmoins, en ravalant la mère, l’impossible jouissance de celle-ci devient réalité. Ce n'est pas seulement à cause du paiement, mais par le crédit accordé aux « composantes 1 . Freud S., « Sur le plus général des rabaissements de la vie amoureuse » [1912], Contribution à la psychologie de la vie amoureuse, La vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, pp. 55-65. 2 . Miller J.- A., « Seminario “Logicas de la vida amorosa”, Jornadas del Campo Freudiano en Argentina, Buenos Aires 1989 », Logicas de la vida amorosa, Buenos Aires, Manantial, 1991”, p. 27. 3 . Lacan J., Le séminaire, livre V, Les formations de l'inconscient, Paris, Seuil, 1998, p. 328. 4 . Ibid. perverses »5 de la sexualité. Ici pervers ne définit pas une structure ou une déviance sexuelle, mais une réduction du partenaire à un objet partiel. La prostituée est une partie de la Chose maternelle ; elle la représente par métonymie, mode par lequel Freud caractérise le fétiche. C’est ce qui fait dire à Lacan que « le phallus[…] est ce qui habite la prostituée »6. L'équation prostituée = phallus est claire dans le fantasme masculin de l'acte sexuel avec une femme dotée d’un pénis, ce qui conduit certains hommes à rechercher un travesti et certains travestis à se livrer à la prostitution. Ceci peut les mener loin, car dans la prostitution masculine, la référence à la figure féminine, encore en scène dans le travestisme, risque de s'éclipser et le phallus de peut alors concentrer en soi toute la jouissance de l'objet. Freud nous autorise pourtant à aller au delà du fantasme masculin, en reconnaissant dans la prostitution une prédisposition présente « pratiquement chez tous les hommes civilisés »7, « l’égale prédisposition à toutes les perversions [étant] un trait universellement humain et originel »8. Dans ce sens, selon Lacan, deux « perversions » doivent être distinguées. Freud rapproche la prostituée non seulement de la mère phallique, de la perversion masculine standard, mais également de la perversion polymorphe de l'enfant : « prédisposition » que « dans son activité professionnelle, la prostituée met à profit»9. Cependant, dans la prostitution sont mis en œuvre aussi bien la réduction du partenaire à l’objet partiel et le clivage du refoulement, que la présence de l’informe qui renvoie le sujet à une jouissance sans objet prédéfini. 5 . Freud S., « Sur le plus général des rabaissement », op.cit. p. 61. . Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les formations de l'inconscient, op.cit., p. 328. 7 Freud S., « Sur le plus général des rabaissements »,op.cit., p. 60. 8 “Dans son activité professionnelle, la prostituée met à profit la même prédisposition polymorphe et, par, conséquent, infantile ; et si l’on considère le nombre immense de femmes prostituées et de celles à qui il faut accorder des aptitudes à la prostitution bien qu’elles aient échappée au métier, il devient en fin de compte impossible de ne pas reconnaître dans l’égale prédisposition à toutes les perversion un trait universellement humain et originel » Freud S., « Trois essais sur la théorie sexuelle » Paris, Gallimard, 1987, p. 119. 6 9 . Freud S., « Trois essais sur la théorie sexuelle » Paris, Gallimard, 1987, p. 119. Ce n'est pas un hasard si Walter Benjamin conçoit la figure de la prostituée entre deux seuils, dans sa fonction de limite (Schwelle)10. Notons le passage du régime du phallus, avec sa jouissance partielle et limitée, à l'objet comme informe, introduisant ainsi une jouissance supplémentaire, délocalisée, appelée par Lacan pas toute. Même assujettie à la fonction de fétiche, la prostituée garde le secret d'une extériorité au refoulement. En ces temps de déclin paternel, il est nécessaire de considérer le refoulement et sa partition entre amour et désir sous le prisme d'un « moyen d'adaptation à la survie »11. Celui-ci fait fonctionner les choses en laissant couler l'excès de notre jouissance vers l'alternance entre l’idéal et le déchet. Ce serait un des divers moyens de faire place, dans l'espèce humaine, à l’inhumain de sa jouissance. On peut craindre que d'autres moyens viennent à prévaloir comme, par exemple, un ordre de fer remplaçant l'empire paternel. De ce fait, on peut s’effrayer de la tendance à considérer la castration non pas dans sa contingence essentielle (en ceci que presque tout objet peut incarner la jouissance), mais à partir de protocoles imaginaires rigides. Dans les fondamentalismes en action, au lieu de poser que « toute femme peut être une prostituée » ou qu’« elle a quelque chose d'une... », on va jusqu’à affirmer qu'elle l'est et qu'elle doit accepter d'avoir sa jouissance, supplémentaire ou hors la loi, restreinte aux moyens des procédés cruels d’une castration réelle. Le capitalisme réclame, pour la stabilisation des désirs, l’inclusion de la prostituée dans la chaine infinie de la consommation. Le corps, ici unité minimale de propriété privée, peut (et doit) être transformé en marchandise, d'où la tendance à légaliser la prostitution. Les femmes néanmoins ont toujours quelque chose de plus – par exemple, ce qu'elles taisent. Les fantaisies érotiques qu'elles sont amenées à vivre, en rêve ou dans la réalité, deviennent, une fois passées à l‘écrit, des best-sellers. La question pour le psychanalyste serait peut-être de rendre possible pour quelqu'un, de garder le silence. Non pas celui du secret ou du sacré, mais celui qui tait les milliers 10 Benjamin W., Paris, capitale du XIX siècle, Le livre des passages, Paris, Éditions du Cerf, 1989, p. 512-513. 11 Lacan J., Le séminaire, livre XIX, ... ou pire, Paris, Seuil, 2011, p. 78. de sens d'une histoire qui s'appuie sur des fragments si singuliers qu'ils résistent à être rendus publics. C'est un discours sans Autre, sauf dans les cas où l’analyste incarne cet Autre, éventuellement et temporairement. Une analyse serait ainsi une des rares possibilités aujourd'hui pour quelqu'un de conserver ses secrets, étant donnée la certitude, là apprise, qu'il n'y aura pas de dernier mot sur le plaisir. C'est ce que les femmes nous ont toujours appris, car elles connaissent le peu d'importance des secrets d’alcôve au regard de la singularité de la jouissance - jouissance sans paroles, sauf celles qui s’entendent quand plus personne ne se soucie de les écouter).