En quoi un rituel incite-t-il, à exercer un travail

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En quoi un rituel incite-t-il, à exercer un travail
En quoi un rituel incite-t-il,
à exercer un travail alchimique sur soi-même ?
La franc-maçonnerie intrigue les profanes qui supposent des secrets là où il n’y en a pas.
Mais les mêmes curieux ignorent les secrets réels, ceux qui sont cachés au fond de nousmême depuis notre initiation et depuis que la franc-maçonnerie nous a fait renaître à une
autre vie. Nous l’avons souvent entendu, et nous pouvons aussi ne pas être d’accord, elle
est pour chacun d’entre nous ce que nous en faisons.
En ce qui concerne l’alchimie, l’analyse me semble plus compliquée, et je ne suis pas le
seul. Ses origines sont anciennes, et la triple source égyptienne, romaine et grecque
constitutive d’Hermès Trismegiste via Thot et Mercure plante déjà un décor passionnant.
Hermès-Mercure représente à lui seul le Dieu de la Guérison, du Commerce, de la
Communication. L’étude de cette divinité dans son pays d’origine seulement pourrait déjà
nous occuper de longues heures. Mais le propos n’est pas là.
La richesse de la littérature alchimique a généré des allégories et une imagerie qui ont
intrigué, inquiété, bref cela a beaucoup fait parlé. Je me limiterai dans un premier temps à
des considérations générales sur l’alchimie sans entrer dans les détails propres à cet art,
pour ensuite évoquer les représentations alchimiques que nous avons rencontrées depuis
notre entrée en Franc-maçonnerie.
La définition de ce que pourrait être un travail alchimique dans notre ordre maçonnique nous
amènera enfin à évoquer ce caractère incitatif propre à ce degré.
Le langage et l’iconographie alchimique, par leurs aspect désuets, anciens et incomprispeuvent être des facteurs bloquants quant à leur étude. Ceux qui s’y intéressent pourraient
même passer pour des farfelus aux yeux de ceux qui estiment « avoir les pieds sur terre ».
Dépassons ce constat pour aller plus loin et rapprocher l’alchimie de notre démarche
initiatique maçonnique. La complexité de l’Art royal commence déjà avec le schéma ternaire
des philosophes hermétiques où l’âme de l’alchimie se trouverait à Alexandrie. Son corps
avec cette abondance de pratiques empiriques, de savoir technique, de maximes et
d’images allégoriques, c’est aux Arabes qu’on le doit. Son esprit enfin est étroitement lié à la
philosophie de la nature telle qu’on la trouve en Grèce déjà au V° siècle avant J-C.
L’alchimie est une conception de l’Univers. L’Univers a pour origine l’Unité qui se fractionne
de plus en plus jusqu’à notre monde tel qu’il est autour de nous.
Le premier fractionnement donne la Dualité : les Ténèbres et la Lumière.
Puis après un nouveau fractionnement apparaissent les trois principes de l’alchimie : Le Sel,
le Souffre et le Mercure.
Le Sel est la matière brute qui ne peut plus être dégradée.
Le Souffre est l'énergie brute qui est présente mais qui n’est ni différenciée ni orientée.
Le Mercure est l’information qui va orienter, ordonner et structurer l’énergie du Souffre.
Aucun de ces principes ne peut s’exprimer seul pour recréer toutes les structures de notre
Univers.
La quête de l’alchimiste est de rechercher et de percevoir ces trois principes qui seraient
comme les trois notes de l’accord parfait. Lorsque cet accord est obtenu, il apparaît une note
supplémentaire qui est la note de l’Univers, directement en rapport avec l’Unité. Pour
chercher cette note, l’alchimiste utilise la matière palpable de notre monde.
Ce travail de laboratoire conduit l’alchimiste aux phases d’Extraction - Dégradation –
Putréfaction (Œuvre au Noir), de Purification pour s’approcher le plus possible de l’accord
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parfait (Œuvre au Blanc), Maturation et Multiplication de la matière contenant le message
juste et parfait (Œuvre au Rouge). Mais au-delà de ce travail sur la matière, l’alchimiste doit
procéder à sa propre purification. C’est pour cela que l’on dit que l’alchimie est un dialogue
avec la matière et aussi avec la Nature.
La philosophie hermétique a généré un langage figuré nécessaire chaque fois qu’il s’est agi
de faire prendre corps à des notions transcendantes. Les allégories et symboles sont là pour
nous aider dans ce sens, mais cela demande de gros effort pour « décoder » ce qui est
présenté à nos yeux depuis notre initiation. Notre démarche initiatique commence par cette
épreuve de décodage. C’est pourquoi nous travaillons d’abord notre pierre brute avec le
maillet et le ciseau, que nous passons ensuite de la perpendiculaire au niveau, puis de
l’équerre au compas.
Le premier lieu où nous avons été mis en contact avec l’alchimie est le cabinet de réflexion
avec l’épreuve de la terre. Commence alors la grande aventure de celui qui va renaître en
entamant un cycle de vie qui nous a tous chamboulé. Le processus de purification des
alchimistes commence dès cet instant. Depuis le VITRIOL de l’apprenti « Visite la Terre et
en Rectifiant, tu trouveras la Pierre Occulte » jusqu’au combat du Maître contre l’ignorance le
fanatisme et l’ambition déréglée. Les rituels nous ont présenté les symboles qui nous ont
permis de nous reconstruire en épurant notre pensée profane pour qu’elle réponde à
l’exigence maçonnique de quête de Vérité et de sagesse.
Le Maître découvre l’allégorie de “la grande faucheuse” avec un rituel qui rend grâce à la
dépouille de Hiram. Sur ordre l orsqu’il s’agit de “transporter les restes si chers et si
précieux”, c’est pour en faire quoi et comment agir ?
Un travail alchimique passe par là. D’abord la chair quitte les os en voulant relever Hiram,
puis tout se désunit. Le Vénérable réussit enfin à relever Hiram avec l’aide des deux
Surveillants car l’union fait la force. Et surtout il nous montre l’importance du rythme ternaire,
qui, ne faisant qu’un, permet de donner la vie, alors que les tentatives pour relever Hiram
avaient commencé par un échec.
L’histoire de toute la vie est aussi l’histoire de nos échecs, sur lesquels nous devons rebâtir
pour mieux réussir. Il faut toujours tirer un enseignement de nos échecs, et cette obstination,
nous la retrouvons chez les alchimistes, qui, je pense -quelles que soient les époques
auxquelles ils ont œuvré - ont fait preuve d’abnégation. Je ne rentrerai pas dans les
considérations de recherches d’élixir de longue vie chères à certains alchimistes, mais il
m’apparaît plus raisonnable de me tourner vers le symbole d’une maçonnerie signe de vie
perpétuelle. Notre vie maçonnique a commencé dans le silence, elle se prolonge par le
travail, elle se terminera sans doute par le silence, je ne le sais pas encore, toujours est-il
que nous nous débattons dans nos mystères, nos questionnements, car nous avons la
chance d’en avoir un. « La chose du monde la moins compréhensible, affirmait Einstein,
c’est que le monde soit compréhensible ». C’est sans prétention, mais il est assez naturel,
pour le commun des mortels – les êtres vivants dotés d’une âme – d’avoir cette forme de
questionnement sans être pour autant un scientifique hors pair. L’inconcevable reste
inconcevable même pour les plus grands cerveaux. Notre humble satisfaction, c’est de
travailler sans cesse et sur tous les plans au progrès de son humanité. En cela, la démarche
initiatique maçonnique, est une démarche alchimique. Elle s’effectue par paliers successifs
Le journal de la GLDF de Juin 6004 avait édité un dossier sur l’Alchimie. François B.
rappelait dans son article que l’alchimie pose le principe que tout est vivant, que tout évolue,
que la conscience est en tout. La science cherche comment la matière a créé la vie,
l’alchimie déclare que c’est la vie qui créé la matière pour les besoins de son évolution. Je ne
suis pas un scientifique et encore moins un alchimiste, mais je reconnais que je suis plutôt
d’accord avec la deuxième proposition.
La nature a un but et un seul : l’évolution de l’Essence de la Vie, l’âme du monde ou la
Materia Prima des Anciens, et ceci se fait par un processus unique qui est celui de vie-mort-
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renaissance accompagné de phases de purification ou de remise en ordre des éléments,
des choses ou des êtres, la partie opératoire étant consacrée à cet aspect.
Notre devise « Ordo ab Chao », ne peut pas être comprise dans le sens de la suppression
du chaos pour parvenir à l’ordre. Mais en partant du chaos, nous tirons les enseignements
du désordre pour remettre en ordre ce qui doit l’être. Toute la complexité tient dans les choix,
préférences des éléments à remettre en place, dans le temps et dans l’espace pour y
parvenir.
Dans de nombreux mythes, l’idée de l’ordre se réalise à partir du chaos initial. Avant l’Ordo il
y avait le chaos.
L’acte Ordo ab Chao est un acte de séparation, de transformation du chaos, qui va donner
une forme à l’informe, une densité au vide, c’est un acte créateur.
Et nous allons l’appliquer à nous même pour développer le discernement à comprendre et
ordonner le monde dans lequel nous errons. J’emploie volontairement le terme, « nous
errons » car la mutation constante et rapide du monde dans lequel nous évoluons crée plus
de confusion que de clarté dans les esprits. Or, nous cherchons la lumière. « L’éclat du jour
a chassé les ténèbres et la grande Lumière commence à paraître » (commence
seulement…).
La matière que nous sommes chargés de transmuter, c’est nous-même ! Et c’est le
processus initiatique qui nous le permet agissant ainsi sur l’esprit et donc sur notre
comportement. Il faut un certain temps pour aboutir à cette assimilation. Aboutir n’est pas
tout à fait juste, cela laisse entendre que le travail pourrait être achevé. Parvenir serait plus
juste. Le temps en question n’est pas compté puisque nous œuvrons hors du temps.
Le mot le plus important pour traiter cette quatrième partie est le verbe «inciter ». Je ne
doute pas en effet que notre Président ait pesé très exactement chacun des mots dans le
titre du sujet qu’il m’a proposé. Le rituel du quatrième degré nous INCITERAIT donc à
exercer ce travail alchimique.
Le premier caractère incitatif qui me soit apparu est le signe d’ordre que nous exécutons. On
nous a clos les lèvres. Je prends cet acte sous son angle - non pas ici du secret- mais celui
de la fermeture hermétique. La même fermeture nécessaire aux alchimistes opératifs.
Toutefois, pour revenir au sceau du secret, lors de l’ouverture des travaux, le premier
inspecteur répond au Président en se glorifiant d’être à ce degré.
La planche que j’ai présentée au Parthénon avant d’être initié degré s’intitulait : « La Chair
quitte les os ». Ce travail m’avait amené à approcher sans le savoir le sujet de l’alchimie.
D’ailleurs, parmi les questions qui m’ont été posées, celle concernant les éléments
alchimiques m’avait troublée et je n’avais pas pu y répondre. J’étais bien conscient que
l’Eau, la Terre, l’Air et le Feu que j’avais évoqués dans ma planche étaient certes des sujets
que je pouvais retrouver en alchimie.
Oui, et donc ?
Il m’apparaît aujourd’hui, que jusqu’au jour où j’ai été initié au Parthénon, j’étais comme
Monsieur Jourdain, je côtoyais l’alchimie sans le savoir. En ce sens, je pense que les rituels
jusqu’au troisième degré sont développés autour de l’alchimie, et que le F.M. en loge bleue
vit « avec » sans y prendre plus garde que cela. D’ailleurs, lors de notre initiation à ce degré°
degré, ce qui obstrue nos yeux nous rappelle que l’on ne voit pas bien, et que l’on ne
comprend pas bien. Le travail alchimique consiste bien pour celui qui veut s’y pencher à
toujours s’efforcer de découvrir l’idée sous le symbole. Le mot en tant que tel ne saurait à lui
seul être justement confondu avec l’idée car il est imparfait. Le langage est le propre de
l’homme, et l’homme dans toute son imperfection est à la recherche de la vérité. Comment
savoir si le mot exprime une idée vraie, ne sachant pas nous-même exprimer une idée vraie.
C’est aussi ce qui a rendu l’alchimie aussi obscure à ceux qui cherchaient à percer ses
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mystères. Les alchimistes qui ont le plus progressé sont certainement ceux qui se sont
attachés à découvrir l’idée sous le symbole.
La notion de devoir qui nous est fermement et régulièrement rappelée à ce degré nous
rappelle que le Franc-maçon est dans l’action. Le Maître secret prend pleinement
conscience de ce rôle. Il a appris à maîtriser ses passions lors des précédents grades, au
quatrième, il en est vainqueur. Les lauriers en sont le symbole. L’alchimiste travaille
longuement, et avec obstination avant d’être couronné et à ce sujet, peut-il l’être un jour ?
L’alchimiste s’approche sans doute du but mais sans l’atteindre et persévère ainsi.
On nous rappelle que l’idéal de la F.M. est l’accomplissement du devoir porté jusqu’au
sacrifice. La maxime du Taciturne « il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de
réussir pour persévérer » nous prévient déjà qu’il ne faut pas se décourager, et que c’est le
devoir qui peut nous sauver. Le devoir étant l’action c’est pour cela que le rituel incite, et
même plus, il impose, il force !
Le simple fait d’avoir travaillé ce sujet me permet de porter dorénavant un autre regard
pendant les tenues en loge bleue. Mais le chemin est très long car je n’ai aucune prétention
pour me déclarer féru en la matière.
Après l’apprentissage on nous enseigne la gloire au travail, dorénavant c’est la gloire du
secret ! Un secret que l’on retrouve dans l’adage alchimique ; « Savoir, oser, faire, se taire ».
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Savoir : Fraîchement initié, l’apprenti cherche au fond de lui même avec sa propre
sensibilité, les éléments de réponse à son début de questionnement maçonnique.
Plus tard, il devra par la soif de savoir se mettre en quête d’autres éléments de
réponse, c’est pour cela que le Compagnon commence à voyager pour se former à la
connaissance du monde. Il n’a pas toutes les clés, et doit travailler pour savoir. Les
sept arts libéraux sont là pour lui rappeler.
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Oser : J’ai toujours considéré que le franc-maçon n’existe pas pour adopter une
attitude de « suiviste » mais d’instigateur. Il existe pour rayonner de par le monde, et
à ce titre il se doit de faire des propositions pour avoir la prétention d’apporter une
pierre importante à l’édifice de l’humanité.
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Faire : Dans le prolongement de ce que je viens de décrire, le franc-maçon s’inscrit
dans de domaine de l’action. A quoi bon, s’écouter parler entre nous, se payer de
mots, et ne pas transmettre au dehors l’œuvre commencée dans le Temple.
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Se taire : Je m’en tiendrai au constat suivant : notre action s’inscrit dans le cadre de
la discrétion et de l’humilité. Nous ne sommes pas là pour faire état de ce que nous
sommes. Nous agissons parce que nous avons compris que cela était nécessaire, et
que cela répond à notre démarche, à notre quête.
Conclusion.
Le regard que je portais sur l’alchimie avant d’être initié en FM me laissait comme seule
impression qu’il s’agissait de chimistes curieux de tout et d’amoureux de la nature, mettant
une touche de spiritualité dans leurs recherches afin de vivre la conscience en paix avec le
Créateur. Je comprends aujourd’hui que c’est plus que cela et que la FM a tiré aussi ses
sources multiples au sein de l’alchimie. Car il s’agit bien d’une racine traditionnelle
importante de notre ordre initiatique. De la même manière que l’alchimie a évolué, la FM
pratiquée aujourd’hui n’est plus tout à fait celle pratiquée au XVIII° siècle. Tout comme les
membres de l’ordre en question.
La découverte de notre nature spirituelle entre dans notre démarche maçonnique. Elle
m’apparaît à ce jour fondamentale. Le travail alchimique exercé de façon consciente ou
inconsciente est constitutif de notre démarche initiatique mais il est stérile si nous ne
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recherchons pas cette nature spirituelle. C’est certainement pour cela que nous travaillons
hors du temps profane, dans un temps sacré, pour aller plus loin et prétendre alors à un
travail alchimique efficace.
Pascal.
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