RACINES182 - avril08 XP7

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RACINES182 - avril08 XP7
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Dossier coordonné par
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Christine Grandin
Je n’aime pas
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fête
Anticonformisme face à la société de consommation,
familles éclatées, mais aussi souvenir dramatique ou déni de son âge,
pourquoi refuse-t-on de fêter son anniversaire ?
B ascule de vie
Certaines personnes se saisissent inconsciemment d'un de leurs
anniversaires pour opérer une “bascule
de vie” : choisir ses 20 ans pour perdre
sa virginité, avoir un enfant avant 35
ans, décider une émancipation conjugale ou professionnelle à 40 ou 50
ans, trouver la volonté de divorcer ou
prendre la décision d'arrêter de fumer.
Certains anniversaires deviennent
ainsi des tournants de vie, des
échéances incontournables ou des passages à l'acte afin de pouvoir réaliser
certains désirs, ou vivre passions et
rêves restés jusqu'alors en suspens.
Avant qu'il ne soit trop tard …
L’avis
Par
de l’expert
Christian Heslon, maître de conférences en psychologie,
chargé d’enseignement à l’IPSA-UCO d’Angers
Aujourd'hui, l'anniversaire se
fête-t-il comme autrefois ?
Jusque dans les années 1950, en
France, on fêtait plutôt les fêtes individuelles du saint dont on portait le
prénom (tradition catholique). Et les
avancées en âge collectives par le
biais des bals et des banquets “de
classe”, c’est-à-dire de la classe d’âge
de conscription : cette tradition s’est
éteinte avec l’urbanisation et la fin de
la dernière guerre de conscription que
fut celle d’Algérie. Elle persiste encore
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sous une forme folklorique dans certaines régions rurales (FrancheComté, Ouest de la France), où la
“classe” se réunit parfois à l’occasion
des 40 ans de l’école communale,
quand on ne réinvente pas la “classe
08” qui réunit les natifs de 1908,
1918, 1928, 1938, 1948, 1958…
jusqu’à 2008.
On avançait ainsi en âge de façon
collective, avec toute une génération
qui vivait et avait vécu les mêmes événements de vie à peu près au même
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âge : communion, certificat d’études,
service militaire, mariage, naissance
des enfants.
Aujourd’hui, les parcours de vie sont
moins définis par des normes d’âge
précises : on se marie et se démarie à
tout âge, de même que l’on a des
enfants plus tard, mais aussi parfois à
cinq ou dix ans d’écart dans une même
génération de parents. Du coup, les
avancées en âge sont plus variables
d’une personne à l’autre, d’où la mode
de la fête anniversaire qui répond à
cette individualisation.
Aborde-t-on de la même façon
l'anniversaire de ses 50 ans ou
celui de ses 90 ans ?
À l’évidence, non. Les 50 ans marquent un tournant. C’est aussi le demisiècle, on voit sa jeunesse s’éloigner,
une bonne partie de la vie adulte
s’achever et la retraite se profiler.
Cependant, une fête anniversaire réussie, avec sa dose de surprise, de retrouvailles avec des personnes perdues de
vue et de véritable affection, consolidera l’estime de soi, et aidera à se donner une sorte de “seconde jeunesse”.
La fête anniversaire n’est bien sûr
qu’un ingrédient, tout dépend de la
santé, de la sécurité matérielle, des relations sociales et des amitiés. Sans compter qu'elle peut aussi faire ressurgir des
tensions et des conflits familiaux, comme
toutes les autres fêtes de famille
d’ailleurs. Mais elle réunit, en principe,
les amis et la famille, c’est-à-dire des
personnes choisies avec lesquelles on
a, normalement, des relations positives
qui atténuent les éventuelles histoires
de famille.
Tout autre est l’anniversaire des 90
ans, qui concerne déjà moins de personnes. Il peut y avoir deux cas de
figure : soit on n'appréciera pas qu’on
le fête, se sentant trop vieux ou vieille
et trop peu digne d’intérêt, redoutant
au fond que cet anniversaire soit le dernier. Ce sera essentiellement une question d’image de soi positive ou négative.
Or elle est souvent négative dans la
vieillesse, notamment s’il y a dépendance. Mais il se peut aussi que les 85,
90, 95 ou 100 ans soient vécus comme
un exploit, facteurs de fierté et donc
fêtés avec enthousiasme.
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Pour aller plus loin
On peut retrouver
dans le dernier livre de Christian Heslon, Petite psychologie de l'anniversaire (Dunod
éditions, 18,50 €), l'analyse très
détaillée et fort intéressante de
ses propos tenus ci-dessus. On
découvre dans cet ouvrage de
référence, très facile à lire, et
en sept chapitres, l'anniversaire
dans nos sociétés, sa signification, ses effets cachés, la culture du
"vieillir jeune", les cycles de la vie et
Comment nos anniversaires peuvent-ils nous affecter ?
Les rituels de l’anniversaire permettent d’assimiler son âge et d’apprivoiser
son vieillissement : bougies que l’on
souffle, vœux que l’on fait, gâteau que
l’on partage, chanson que l’on entonne,
cadeau que l’on offre, réjouissances
qui réunissent et photos d’archives que
l’on ressort.
Mais l’anniversaire donne aussi lieu
à d’autres réactions encore trop
méconnues des médecins et des psychologues : le “birthday blues”,
forme de déprime à l’approche de sa
date anniversaire de naissance, liée
à l’inquiétude ou à la tristesse que
provoque la crainte de vieillir ; le
“birthday stress”, qui dénote une
fragilité accrue autour de sa date de
naissance et peut conduire au déclenchement de certaines maladies.
Enfin, le “syndrome d’anniversaire”, épisode de souffrance
psychique ou de maladie corporelle
qui survient chez plusieurs membres
d’une même famille toujours aux environs de la même date. La psychologie transgénérationnelle explique ce
phénomène par un événement traumatique tenu secret, survenu à cette
même date chez un ancêtre 40 ou 60
ans auparavant. Mais d’autres études
concluent à une simple coïncidence
mathématique de dates.
Mais ces réactions dépendent aussi
de la qualité de sa vie actuelle, jugée
heureuse et satisfaisante ou malheureuse et frustrante. Ou du bilan de vie
que l’on fait plus ou moins consciem-
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notre inconscient, comment
découvrir son âge subjectif
ou pourquoi la "séniorité"
modifie les âges de la vie.
Dans un autre
registre, plus anecdotique et humoristique, Comment survivre aux fêtes
(Hachette pratique, 6,90 €)
consacre un chapitre à
“Comment survivre à un anniversaire ?”, le sien…
ment. Plus il est positif, plus les dates
anniversaires seront bien vécues.
Qu'est-ce que l'âge subjectif ?
Qu'implique-t-il ?
C'est l’âge que l’on ressent au fond
de soi, l’âge que l’on aimerait avoir,
l’âge auquel on s’identifie. Jusqu’à 30
ans, cet âge subjectif, mesuré par différents tests psychologiques, est égal
ou supérieur à l’âge chronologique,
celui de l’état-civil.
C’est à partir de 30/35 ans qu’on
commence à vouloir être moins vieux
que l’on est. Ainsi, vers 40 ou 50 ans,
on se sent souvent psychologiquement
10 ou 15 ans de moins que son âge.
Le phénomène peut continuer jusqu’à
60, 70, voire 80 ans et plus, âges auxquels bien des gens se sentent 20 ou
25 ans de moins qu’ils n’ont. C’est
plutôt un signe de bonne santé psychique : il maintient en projet, reflète
le goût de vivre et traduit la confiance
dans la vie.
Mais il se peut que certains événements nous fassent brutalement
“prendre un coup de vieux” : ruptures,
accidents, maladies, décès. L’âge subjectif s’élève alors jusqu’à rejoindre
ou dépasser l’âge chronologique.
De même, les anniversaires qui nous
rappellent à notre âge chronologique
interrogent notre âge subjectif. Mais
c’est en général quand on se sent plus
jeune que son âge qu’on appréciera
de les fêter. Sauf si l’âge subjectif reste
bloqué à 20 ou 25 ans, auquel cas on
n’appréciera pas, à 40 ou 50 ans, de
se voir rappelée la réalité de son âge !
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Témoignages
Fête ou
pas fête ?
Une date tragique
n jour qui correspondait à ma
date anniversaire, trois jeunes,
deux garçons dont l'un est un de nos
fils, et une fille, décident de faire une
excursion : le tour de l'île d'Yeu à vélo.
Bonne idée sans doute.
Sauf que ce jour-là le vent soufflait en rafales et la mer était déchaînée. Que s'est-il passé ? Toujours
est-il qu'une lame plus forte que les
autres emporta les deux garçons.
“U
Leur amie, un peu en retrait, en
réchappa. La mer rendra le corps de
notre fils. Son ami disparut à jamais.
Pendant ce temps, avec quelques
amis, nous fêtions mon anniversaire, quand le message de la gendarmerie nous a appris la triste
nouvelle. Je ne ferai pas plus de
commentaires…”
Jacqueline, Sud-Vendée.
L’âge, c’est dans la tête
ai passé le “demi-siècle” en
octobre dernier, et j'avoue que
j'appréhendais un peu ce “tournant”. En fait, franchement, cela
n'a rien changé pour moi. D'ailleurs
je n'ai pas fait de fête pour cette
occasion, ma famille étant un peu
dispersée, ce n'était pas facile de
rassembler tout le monde.
Les anniversaires sont un prétexte pour faire la fête, surtout, entre
copains et copines, quand on est
plus jeunes. De toute façon, l'âge
c'est surtout dans sa tête. Tant que
l'on paraît plus jeune que son âge,
pourquoi le cacher ?
J'
Monique, 50 ans.
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Parfois, ce désintérêt pour les anniversaires a aussi des raisons
psychologiques. Quand la date
anniversaire de naissance
réveille trop le souvenir d’une
autre date, soit dramatique
(décès d’un être cher), soit déjà
prise (Noël, 14 juillet) ; Quand
la personne vit un moment
d’isolement, de repli ou de
maladie qui la conduit à se
sentir indigne d’être fêtée ;
quand l’âge que l’on a (âge
chronologique) est tellement
éloigné de celui que l’on aimerait avoir (âge subjectif), qu’on
ne peut admettre de fêter la
réalité de son âge.
Mais si le refus de fêter
tout anniversaire est lié à l’une
ou l’autre de ces raisons, celui
de fêter un anniversaire en particulier masque l’attente inavouée que nos proches
(conjoints et enfants) n’oublient
pas de nous le fêter par surprise… C’est en général le cas
des femmes, qui n’oublient pas
les dates mais préfèrent les
anniversaires de leurs enfants
aux leurs, quand les hommes
oublient plus souvent les dates
anniversaires, mais apprécient
d’être au cœur de la fête.
C. H.
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Témoignages
Joyeux
anniversaire !
Pas le jour même
élas, je suis née un 2 janvier :
autant vous dire que les gens
n'ont plus envie de faire la fête après
celles de Noël ou du Nouvel an !
H
Alors j'attends, un peu, quelques
semaines, si je veux fêter le mien, en
organisant une bonne soirée…
Claude, 63 ans.
40 ans, le spleen
our mes 40 ans, j'avais prévenu
la famille : “Cette année, je ne
veux pas de fête, pas de cadeau".
C'était un dimanche, alors j'ai traîné
longtemps sous la couette. Je n'ai
même pas voulu passer à table à
midi. Mais au vu de la mine attristée de mon mari et de ma fille, j'ai
finalement transigé et accepté un
gâteau d'anniversaire après le
dîner en comité très restreint : mon
mari, ma fille, ma sœur et ma
meilleure amie. A table, mon mari
m'a tendu un panier rempli de
petits papiers. Sur chacun d'eux,
une énigme à déchiffrer qui correspondait à un cadeau. Il m'a
offert 40 cadeaux tout au long de
la journée ! Magnifique témoignage d'amour. Je crois que j'aurai
peut-être une nouvelle crise de
spleen pour mes 50 ans !”
P
Véronique, par internet.
Pourquoi
chante-t-on
Happy birthday
to you en soufflant
des bougies ? Tous les
anniversaires comportent les mêmes ingrédients ou des rituels
immuables : bougies,
gâteau, chanson,
cadeau surprise.
Quels en sont les
symboles ?
Les bougies, “flammes de vie” destinées à être soufflées, sont les comptables
des années vécues. Curieusement, moins
on a de souffle, plus on a de bougies !
La chanson d'anniversaire, “Happy
birthday” ou l'ancienne ritournelle, “Bon
anniversaire, nos vœux les plus sincères !”
célèbre l'instant ou bien distille la probabilité plus grande chaque année, de voir
disparaître un être cher. Depuis quelques
années, on lui ajoute une chanson personnalisée, composée sur un air connu
par la famille ou les amis.
Le gâteau fait la part belle à la convivialité des retrouvailles, au partage de
cet événement avec ceux que l'on aime.
Quand au cadeau “surprise”, on le préfère chargé d'affectif (fait maison), objet
chargé de mémoire familiale que l'on
offrira pour l'occasion, ou enfin personnalisé et correspondant à une aspiration
secrète ou connue de la personne fêtée.
C. H.
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