Les combattants de la guerre civile écrivent l`histoire du Liban dans

Transcription

Les combattants de la guerre civile écrivent l`histoire du Liban dans
Supplément du projet
Édition N°14, Décembre 2016
au Liban
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Documentation
Les combattants de la guerre civile écrivent
l’histoire du Liban dans un message de paix
Caroline Akoum*
Dans une démarche qui vise à réduire les distances historiques entre les générations, le site électronique de l’association « Combattants pour la paix »
a décidé de donner la parole à ceux qui ont participé à la guerre civile. Il a voulu de cette manière écrire une page de l’histoire du Liban qui continue à
constituer un sujet de division entre les différentes parties libanaises. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a été jusqu’à présent impossible de publier
un manuel d’histoire unifié.
Cette expérience, qui est en harmonie avec
l’époque moderne que nous vivons, revêt une
grande importance dans la mesure où elle
porte sur un sujet particulièrement délicat
et sensible pour le Liban et la région, à savoir
la guerre et la paix civile. Elle intervient à un
moment particulier où de nombreux pays
arabes traversent une guerre civile. Dans
ce contexte précis, qu’une personne ayant
participé à une guerre civile puisse raconter
son expérience et les leçons qu’elle en a
tirées, surtout quand elle se transforme de
« combattant de la guerre » en « combattant
de la paix » est de la plus haute importance.
C’est pourquoi, le fait de réunir des
témoignages audiovisuels de combattants
venus de tous les courants et ayant des
allégeances différentes permet de définir
l’histoire de la guerre, ainsi que les contours
de l’avenir, surtout si cette expérience se
renouvelle sans que les parties concernées
n’aient tiré les leçons des événements passés.
« Arriver au savoir est facile avec la
multiplication des moyens d’informations,
mais il est bien plus difficile d’atteindre
la vérité ». C’est par cette phrase que le
président de l’association « Combattants
pour la paix » Ziad Saab, qui est lui aussi un
ancien combattant, présente cette expérience
unique. Il précise qu’il travaille avec tous
les Libanais dans leur grande diversité pour
que chacun puisse exposer son expérience,
dans le but de parvenir à se transformer « de
combattant de la guerre en combattant de
la paix ». Il ne se contente pas de recueillir
les témoignages, il cherche aussi à en faire
profiter les jeunes. Il organise pour cela des
rencontres avec des élèves de différentes
écoles. En un an et demi, 85 rencontres de
ce type ont été organisées et elles ont pu
réunir 6.000 élèves. Il mise aussi sur ce site
web qui vise à attirer le plus grand nombre
de Libanais, tout en permettant de partager
des expériences similaires, afin d’atteindre
l’objectif qu’il s’est fixé.
Ce site, (http://fightersforpeace.org/) qui a été
précédé par l’ouverture de plusieurs comptes
appartenant à l’association sur les réseaux
sociaux, a pour objectif de briser le barrage
existant entre les anciens combattants et
les citoyens libanais. Ces derniers pourront
ainsi, à travers ces témoignages, apprendre
l’histoire de la guerre racontée par ceux qui
l’ont faite. De plus, le site vise à enrichir cette
expérience et à élargir le cercle de ceux qui la
connaissent, non seulement au Liban mais
aussi au sein de la diaspora ainsi que dans les
pays arabes. Christina Forch, responsable du
contenu du site qui a été créé avec l’appui du
projet de « construction de la paix » dans le
cadre du programme des Nations Unies pour
le développement (Pnud) et de l’ambassade
de Norvège au Liban, espère d’ailleurs que
cette expérience servira d’encouragement aux
pays déchirés actuellement par la guerre à la
reproduire. Selon elle, cette tribune constitue
une présentation de l’association et de ses « 25
combattants » et elle aspire à devenir dans des
étapes ultérieures une tribune ouverte à tous
et en particulier à ceux qui souhaitent raconter
leurs souvenirs de la guerre civile, qu’ils
aient été des combattants, des volontaires,
des secouristes ou des citoyens ordinaires,
indépendamment de leurs appartenances
politiques, régionales ou religieuses.
« Ce projet est appelé à évoluer, ajoute encore
Christina Forch. Nous voulons qu’il devienne
un outil pour écrire la mémoire collective de
la guerre civile au Liban, en l’absence d’un
manuel d’histoire unifié. Et cela, à travers le
fait d’exposer des points de vue et des versions
différentes ». Elle a toutefois précisé qu’il ne
s’agit pas de faire la promotion de la violence,
mais de raconter les expériences pour appeler
au changement.
De son côté, Ziad Saab estime que la richesse
de cette expérience est justement dans le fait
qu’elle reflète des points de vue différents, en
raison des divergences entre les combattants
eux-mêmes, alors qu’il est impossible de
publier un manuel d’histoire unifié parce
qu’il exige justement une logique unifiée
pour l’écrire en toute neutralité. Il a toutefois
rappelé que les témoignages des combattants
de la guerre civile et les parcours différents
qu’ils ont vécus après la fin de la guerre ne
figureront pas dans un manuel d’histoire quel
qu’il soit.
Ziad Saab ne cache pas le fait que ce site
place l’association devant un grand défi :
celui de casser l’image banale du combattant
ainsi que les préjugés qui l’accompagnent.
Il ajoute qu’après avoir dépassé cette
première étape, les jeunes adressent des
messages positifs aux anciens combattants.
Ces messages touchent énormément les
anciens combattants, beaucoup plus que
les commentaires des personnes plus âgées.
Parce qu’ils leur donnent le sentiment d’avoir
réussi à expliquer aux jeunes la réalité de ce
qu’ils ont vécu et les raisons qui les avaient
poussés à prendre les armes et à tuer d’autres
combattants, dans un souci de leur éviter de
se lancer dans une aventure similaire.
« En dépit de cette volonté de faire profiter
les jeunes de notre expérience, nous ne
considérons pas que nous détenons la
vérité, explique Ziad Saab. Nous voulons
simplement les pousser à la rechercher
eux-mêmes, en semant le doute dans leurs
esprits sur les versions uniques qu’ils peuvent
recevoir. Nous voulons éveiller leur curiosité
pour qu’ils aient eux-mêmes envie de partir
en quête de la vérité. Nous y parvenons dans
une certaine mesure grâce à nos contacts
directs avec les jeunes ou à travers les réseaux
sociaux et maintenant à travers ce site web.
Face à la division verticale de la société
libanaise ces derniers temps, que ce soit sur
le plan partisan ou confessionnel, ce site a
constitué, selon Ziad Saab, une sonnette
d’alarme adressée à de nombreuses parties
libanaises et en particulier aux écoles. Cellesci ont d’ailleurs commencé, par le biais de
leurs directions, à contacter l’association
pour organiser des rencontres avec les élèves.
Des rencontres se sont ainsi tenues dans plus
de 85 établissements scolaires en 18 mois,
alors que le plan initial ne prévoyait que 35
rencontres pendant cette période.
Pour Christina Forch, il y a plusieurs façons
d’écrire l’histoire, mais celle qui se base sur
la reproduction des expériences personnelles
par le biais des témoignages de ceux qui les
ont vécues, notamment s’ils sont enregistrés
visuellement et auditivement, a un impact
très important dans les esprits et ceux des
jeunes en particulier. C’est donc ce que
cherche à offrir la tribune des combattants
pour la paix. « Ces combattants s’en iront
dans quelques années, affirme-t-elle, mais
leurs témoignages constitueront la mémoire
de ce pays et ils se transmettront aux
générations futures pour que celles-ci en
tirent les leçons pour l’avenir. La responsable
du contenu du site souhaite aussi que cette
expérience ne se limite pas uniquement aux
Libanais mais s’élargisse au monde arabe et
en particulier aux pays de la région qui sont
actuellement secoués par des guerres civiles
où les fils d’une même nation s’entretuent.
Christina Forch affirme que cette tribune
sera ouverte à tous, quelles que soient
les orientations et qu’elle ne sera pas
tendancieuse. Par conséquent, les expériences
qui y seront racontées seront basées sur des
histoires personnelles, loin des accusations
lancées entre partis, responsables politiques
ou religieux. L’objectif est donc d’éloigner la
violence qui ne peut en aucun cas constituer
une solution aux conflits.
Ziad Saab développe la même idée, assurant
que « la divergence dans les points de vue ne
modifie pas le message principal que nous
voulons adresser à la société ». « Nous, dans
cette association, nous avons commencé
par être un noyau de cinq personnes. Nous
sommes aujourd’hui 25 et nous représentons
un exemple clair de ces divergences. Nous nous
sommes combattus les uns les autres, chacun
à cause de ses appartenances partisanes ou
de ses croyances et nous nous retrouvons
aujourd’hui autour d’une même idée, celle
du refus de la violence. Cela ne signifie pas
que nous avons les mêmes visions et opinions
politiques. Ce que nous voulons dire aux
jeunes et à la société en général, c’est que
les divergences ne sont pas nécessairement
des conflits et que quelles que soient leur
importance, il y a encore beaucoup de points
sur lesquels nous pouvons nous entendre et
qui doivent nous éloigner de la guerre et de la
confrontation. Cela s’applique parfaitement à
la situation actuelle », ajoute le président de
« Combattants pour la paix ».
* Journaliste
Il y a trois ans, la ville de Tripoli a été déchirée par des affrontements entre les communautés
sunnite et alaouite. Ces accrochages ont réveillé dans les esprits le spectre de la guerre civile
qui s’est déroulée entre 1975 et 1990. Le Liban a eu un moment peur de voir ces combats
s’étendre à d’autres régions du pays, plongeant celui-ci dans une nouvelle guerre civile.
C’est alors qu’un groupe d’anciens combattants dans des factions politiques et religieuses
adverses ont choisi de se réunir et de marquer leur ferme opposition à la violence et
l’hostilité. C’est comme cela qu’est née l’association « Combattants pour la paix ».
Cette association, la seule au Liban qui regroupe d’anciens combattants appartenant à
des horizons politiques et religieux différents, ne cherche pas seulement à faire participer
les jeunes et les activistes de la société civile à son action, elle veut aussi intégrer dans
ses rangs le plus grand nombre possible d’anciens combattants pour parvenir à une paix
civile durable et réussir une réconciliation véritable au Liban. « Les combattants pour la
paix » affirment aussi qu’ils souhaitent dépasser les frontières du Liban pour élargir leur
expérience aux pays voisins qui traversent une guerre civile et connaissent une violence
terrible, comme la Libye, l’Irak et la Syrie. Comme les combattants d’hier sont devenus
militants pour la paix, ils visent à montrer à travers leurs témoignages et leurs expériences
aux combattants actuels qu’il leur est possible de trouver des voies pour sortir du cercle
vicieux de la violence dans lequel ils sont enfermés, et trouver la paix intérieure qui leur
permettra de pacifier leurs sociétés.
L’action de cette association dont l’objectif est de bâtir la paix, la cohésion sociale et la
réconciliation se fait sur six axes :
- La visite des écoles et des camps de réfugiés ainsi que d’autres établissements pour
organiser des débats et des échanges directs.
- La création d’un musée électronique regroupant les témoignages des anciens
combattants et contribuant ainsi à forger une mémoire collective.
- L’établissement de contacts directs avec les collectivités locales à travers une participation
à des activités choisies.
- La mise en place d’un espace sûr de réflexion, de méditation, de soutien moral et social
aux anciens combattants.
- Offrir des formations autour de la construction de la paix et de la réconciliation.
- Établir des contacts avec d’anciens ou d’actuels combattants dans d’autres pays.