Un tsunami est-il possible au Maroc

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Un tsunami est-il possible au Maroc
Un tsunami est-il possible au Maroc?
Le Courrier de l’Atlas
N° 46, lundi 14 mars 2011
Le tremblement de terre et le tsunami qui ont meurtri le Japon le 11 mars dernier et le sud de l’Espagne le
11 mai ont ressuscité les craintes sur un possible séisme de grande magnitude qui pourrait frapper le
royaume. Et rappellent que le Maroc est non seulement exposé mais a déjà connu un spectaculaire te
tragique tsunami il y a quelques siècles.
Peu évoqué, le tremblement de terre de Méknassa Azaytouna (en 1755) est pourtant le plus important séisme qui
ait frappé le Maroc au cours de son histoire. Plus connu comme le «terrible tremblement de terre de Lisbonne», ce
séisme d’une magnitude proche de neuf sur l’échelle de Richter avait presque totalement détruit la capitale
portugaise, causant pas moins de 60.000 morts. Le royaume n’a pas été épargné, ni par les secousses et encore
moins par le tsunami qui allait s’ensuivre.
«Lors du tremblement de terre de 1755, dit de Méknassa Azaytouna chez les historiens marocains (ou de
Lisbonne) toute la côte ouest marocaine de Tanger et jusqu’au nord d’Agadir a été inondée par des vagues, des
localités comme Asilah, Larache, Salé, El Jadida et Safi ont subi des dégâts considérables et les vagues ont
atteint 10 à 15 m de hauteur dans ces deux dernières localités. La côte méditerranéenne n’est pas à l’abri non plus
du risque de tsunami (lors du séisme de 1522, la côte comprise entre Al Hoceima et Kalaâ Iris a été submergée
par les eaux) mais à un niveau inférieur par rapport à la côte atlantique, car les séismes de la Méditerranée sont
moins violents que ceux de l’Atlantique », nous explique le sismologue Taj-Eddine Cherkaoui.
Le tsunami de 1755
Le tremblement de terre de 1755 a été d’une rare violence. Et les récits des historiens, rapportés dans une
étude de Taj-Eddine Cherkaoui ont fait part de l’ampleur des dégâts de cette catastrophe naturelle.
L’historien marocain En Nassiri a fait part de ses observations dans Kitab el Istiqsa : «En 1169 de l’hégire, se
produisit le grand tremblement de terre au Maghreb, qui détruisit presque complètement Méknassa Azaytouna et
fit un nombre incalculable de morts. Parmi les esclaves seulement, il mourut près de 5.000 personnes».
Selon El Qadiri dans Nashr el Mathani : « A Fès, comme à Meknès, presque tous les édifices furent détruits, en
particulier la grande mosquée et 3.000 personnes périrent sous les ruines. Des gens à Fès démolirent leurs
maisons de crainte de les voir s’effondrer sur eux».
Les villes côtières ne furent pas en reste, subissant de plein fouet un tsunami des plus dévastateurs. Le Kitab el
Istiqsa rapporte par exemple qu’à Salé, «Il y eut de grands dégâts, plusieurs maisons étant tombées ; la mer
inonda toutes les rues et magasins. La mer se retira sur une grande étendue, des gens étaient allés voir ce
phénomène quand tout à coup la mer revint brutalement vers le rivage, et dépassa de beaucoup sa limite
habituelle, tous ceux qui étaient en dehors de la ville de ce coté là furent engloutis».
La même source rapporte qu’à El Jadida, «les eaux de l’Océan s’élevèrent au dessus de la muraille d’El Jadida et
se répandirent dans la ville. Un grand nombre de poissons restèrent dans la ville quand la mer fut rentrée dans ses
limites habituelles ; la mer déborda aussi sur les terrains de pâture et de culture ainsi que sur les redoutes qu’elle
rasa complètement. Les bateaux et les canots du port furent presque tous brisés».
On retrouve d’autres détails de la catastrophe dans le récit du Père gardien du couvent royal de Meknès et vicepréfet apostolique des Saintes missions, rapporté dans une étude de l’ingénieur Najib Cherfaoui : «À Tanger, l’eau
se retire des sources pendant vingt-quatre heures. Il s’ensuit une vive émotion, accentuée par un grondement
continu et souterrain qui persiste plusieurs jours après la catastrophe. La lagune de Mar Chica (Nador) se ferme et
s’assèche. Le port de Badis disparaît. À Larache, l’Oued Loukkos perd un bras et l’île antique de Lixus se retrouve
au milieu des terres. L’estuaire du Bou Regreg à Rabat glisse vers le sud (causant des dégâts sur le site inachevé
de la Mosquée Hassan) et le port de Salé s’enlise sous les sables. Les effets de la catastrophe se ressentent
aussi à l’intérieur du pays, à Fès, Meknès et Marrakech.»
Agadir, Al Hoceïma…
Depuis, d’autres tremblements de terre ont frappé le Maroc, ne dépassant que rarement la marque des six degrés
sur l’échelle de Richter. Les plus meurtriers ont été ceux d’Agadir en 1960 et celui d’Al Hoceïma en 2004. Le
séisme d’Agadir, d’une magnitude de 5,7 sur l’échelle de Richter a été de loin le plus meurtrier et le plus
dramatique avec pas moins de 12.000 victimes qui ont péri sous les décombres et les toits des maisons. Plus des
deux-tiers de la ville, constructions et infrastructures, ont tout simplement disparu. Quant au tremblement de terre
d’Al Hoceïma, d’une magnitude de 6,3 sur l’échelle de Richter, il a coûté la vie à 629 personnes. Des centaines de
maisons ont été détruites dans les campagnes et pas moins de 950 habitations urbaines ont subi le même sort.
«D’après les données de la sismicité historique et instrumentale, nous avons pu identifier les régions les plus
exposées aux séismes : Agadir et Al Hoceima, plus d’autres régions à un degré inférieur. Beaucoup d’efforts ont
été déployés depuis une quinzaine d’années pour améliorer la qualité des constructions, car si le bilan d’Agadir a
été aussi lourd, cela était dû essentiellement à la mauvaise qualité des constructions et la construction sur des
sols meubles qui amplifient l’action des ondes sismiques», explique le sismologue Taj-Eddine Cherkaoui.
Plusieurs études font état d’un risque de méga-tsunami qui laminerait toute la façade atlantique du Maroc. Déjà en
2001, un article, signé par l’Américain Steven Ward et le Britannique Simon Day et publié par la prestigieuse revue
scientifique Geophysical Research Letters défendait cette thèse.
Selon eux, «le flanc ouest du volcan Cumbre Vieja, situé sur l’île de Palma est instable et pourrait, à la suite d’une
future éruption, s’écrouler dans l’océan». Il s’agirait dans le pire des scénarios d’un énorme morceau long de 25
km, large de 15 et épais de 1.400 mètres qui se détacherait, soit un total de 500 kilomètres cubes de terres et de
roches. Et cette montagne d’eau pourrait atteindre 50 mètres de hauteur, une fois arrivée sur les côtes
marocaines.
Mais, au-delà de ces prévisions calamiteuses, le Maroc gagnerait à installer une véritable stratégie en matière de
prévention contre les risques sismiques. Si on ne peut pas encore prévoir les séismes, il est impératif de prendre
en considération ce risque naturel par exemple dans les plans d’aménagement. Mais aussi, en faisant plus d’effort
dans le volet de la sensibilisation, ciblant le grand public. Le cas japonais l’a bien montré : une population
sensibilisée au risque de tremblement de terre est plus apte à faire preuve d’une grande maîtrise d’elle même, y
compris au plus fort des secousses.
Y. B.
Entretien avec Taj-Eddine Cherkaoui, géophysicien et sismologue
«Il y a encore à faire en ce qui concerne l’information et la sensibilisation de la population»
Quels sont les risques d'un tremblement de terre de forte magnitude et d'un tsunami au Maroc?
La position géographique du Maroc, à proximité de la limite entre les deux grandes plaques lithosphériques
Afrique-Eurasie, fait que la sismicité dans plusieurs régions du pays est essentiellement gouvernée par le
rapprochement entre ces deux plaques. Cependant, il faut bien signaler également que le Maroc n’est pas le
Japon, ni le Nord de l’Algérie, ni l’Italie, ni la Grèce. La probabilité d’avoir un séisme de magnitude supérieure à 7
est faible, sur presque 110 observations sismologiques instrumentale, seul le séisme d’Al Hoceima avait une
magnitude supérieure à 6.
Ceci peut être expliqué par le contexte géodynamique et tectonique du Maroc : il n’y a pas de zone de subduction
(une plaque qui s’enfonce sous une autre), comme c’est le cas au Japon par exemple et la vitesse de
rapprochement entre les deux plaques Afrique-Eurasie est faible, de l’ordre de 0,5 cm/an. Au niveau du détroit de
Gibraltar, cette vitesse augmente en allant vers l’est de la Méditerranée. Il est à signaler que cette vitesse est de
l’ordre de 8,5 cm/an (17 fois plus) au Japon. Pourtant, chaque année, on enregistre dans notre pays des
tremblements de terre ressentis par la population et dans certains cas provoquant localement des dégâts qui
peuvent être importants. Tout le monde a encore présents dans la mémoire les séismes catastrophiques d’Agadir
en 1960 avec ses 12.000 morts et celui d’Al Hoceima en 2004 et ses 630 victimes.
Les dégâts provoqués par ces tremblements de terre ont montré la vulnérabilité des constructions de nos villes
vis-à-vis de l’action sismique, alors que la sismologie nous enseigne que le séisme qui s’est produit par le passé
dans une région se reproduira sans aucun doute dans le futur dans la même région. De tels événements n’ont pas
seulement un impact physique, en plus de perte de vies humaines, ils peuvent également ruiner l’économie d’un
pays, ses structures sociales, ses infrastructures et moyens de communication et ses moyens de production.
Quels sont les moyens de prévention dont dispose le royaume ?
Les moyens de prévention contre le risque sismique sont tout d’abord la surveillance sismique, l’identification et la
délimitation des zones sismiques et l’évaluation de ce risque. Il y a ensuite la construction parasismique dans les
zones exposées au risque sismique, ainsi que l’information et la préparation de la population pour faire face aux
séismes. Si des efforts importants ont été réalisés pour les deux premiers points, je crois qu’il y a encore
beaucoup à faire en ce qui concerne l’information et la sensibilisation de la population. Nous avons vu le
comportement exemplaire de la population japonaise lors du dernier tremblement de terre du 11 mars. Sans cela,
le bilan aurait été beaucoup plus lourd.
Que fait l'État marocain concrètement par rapport au risque sismique ?
Jusqu’au début des années soixante, le Maroc ne comptait qu’une seule station sismologique, installée en 1937
par l’Institut scientifique à l’observatoire géophysique Averroès (à 30 km au sud de Casablanca). Mais après le
séisme catastrophique d’Agadir, les autorités du pays ont pris conscience de ce fléau naturel et beaucoup de
décisions ont été prises : création d’un réseau de surveillance sismologique, l’application d’un code de
construction parasismique, dit Norme Agadir 1960, pour la reconstruction de la ville d’Agadir avec l’intention
d’établir un code de construction parasismique pour l’ensemble du territoire national. Ce projet de code s’est
heurté à plusieurs obstacles d’ordre scientifique et politique.
Ce n’est qu’à partir de l’an 2000 que nous avons commencé à travailler sérieusement sur un nouveau code de
construction parasismique, qui a donné naissance au RPS 2000, applicable depuis février 2002. Ce dernier sera
révisé une dernière fois cette année pour donner naissance au RPS 2000 version 2011.
Faut-il penser par exemple à construire des habitations résistant aux secousses sismiques ?
Faute de pouvoir prévoir les séismes (date, magnitude et lieu), le seul moyen pour se prémunir du risque sismique
est la construction parasismique.
Toujours par rapport aux séismes, qu'en est-il en termes de recherche scientifique marocaine dans ce
domaine ?
Les chercheurs marocains font du bon travail, malgré le fait que le nombre de sismologues au Maroc soit très
réduit. La sismologie dans notre pays a commencé en 1913 à l’Institut scientifique chérifien (devenu Institut
scientifique, Université Mohammed V - Agdal). Bien entendu, les premiers travaux de recherche étaient assurés
par les Français, mais à partir des années 1970, les premiers Marocains ont commencé à publier dans ce
e
domaine, d’ailleurs très récent (la sismologie a vu le jour au 20 siècle. Depuis le début des années 80, les
chercheurs marocains ont fait d’importants efforts pour mieux connaître la sismicité du pays, identifier les zones à
haut risque sismique et évaluer ce risque. Des missions de terrain et des études ponctuelles sont menées dans
des régions comme Al Hoceima et Agadir, pour mieux connaître la sismicité dans ces régions et comprendre son
mécanisme. Par ailleurs, le code de construction parasismique est un produit purement marocain.
Younes Baâmrani