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07 FEV 13
Hebdomadaire Paris
Surface approx. (cm²) : 520
N° de page : 8
14 BOULEVARD HAUSSMANN
75438 PARIS CEDEX 09 - 01 57 08 50 00
Page 1/2
Le garçon qui voit les pensées
RÉCIT
Andrea, dix-huit ans, autiste,
a traversé l'Amérique à moto
avec son père
qui raconte leur épopée,
pittoresque et poétique.
ASTRID DE LARMINAT
N'AIE PAS PEUR
SI JE T'ENLACE
De Fulvio Ervas,
traduit de l'italien
par Marianne
Faurobert, Liana
Levi, 270 p., 19 €.
Andrêa, autis
et bourlingueur
LIANALEVI
7952325300507/XTT/AHR/1
P
OUR FÊTER les dix-huit
ans de son fils, Franco
Antonello a eu une idée
folle. Un jour de mai, il va
à la rencontre d'Andréa
qui revient seul à pied de l'école et lui
fait part de son projet : tenter avec lui
la traversée des États-Unis à moto.
En guise de réponse, Andrea entre
dans la cour d'une maison pour rectifier la tenue du linge, trop mollement suspendue.au fil à son goût.
Andrea est un garçon autiste, or
on sait que les personnes autistes
sont à l'aise dans la routine, certainement pas sur les routes. Malgré
les mises en garde de son entourage,
son père persiste dans son projet
inconsidéré. Il ne sait pas bien ce
qu'il cherche en entreprenant cette
odyssée, mais il en espère quelque
chose. Peut-être rêve-t-il que ce
voyage initiatique éveille son fils à
la vie adulte, lui qui est voué à
demeurer dépendant comme un
enfant. La veille du départ, pourtant, il se demande : « Et si c'était
Andrea qui m'emmenait avec lui ? »
Une chose est sûre, Franco et le
lecteur que cette histoire vraie écrite par l'auteur italien Fulvio Ervas
embarque à leur suite ne partent pas
tant à la découverte de l'Amérique
que de cette terra incognito qu'est
Andrea. Oralement, le jeune homme ne s'exprime que par des mots
morcelés. Mais avec l'aide d'un
ordinateur, et en présence de sa
mère, il a appris à écrire des phrases. Un jour, il dit ainsi à son père :
« Tu crois que je suis normal, chiant
et mal élevé, je suis sensible, différent
et très seul. »
C'est parti. Père et fils ont loué
une Harley rouge à Miami. Direc-
Eléments de recherche : ÉDITIONS LIANA LEVI : maison d'édition située à Paris (5ème), toutes citations
07 FEV 13
Hebdomadaire Paris
Surface approx. (cm²) : 520
N° de page : 8
14 BOULEVARD HAUSSMANN
75438 PARIS CEDEX 09 - 01 57 08 50 00
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Andrea et Franco sur leur Hariey
Davidson. En Italie, leur livre s'est
vendu a 220 000 exemplaires.
à chaque fois, cette deuxième partie
du voyage est moins pittoresque
mais plus intense. En Amérique du
Sud, on entre dans une autre
dimension. Andrea n'est plus dévisage comme un garçon non conforme mais envisagé comme un être
hors du commun.
Assis à côté du Bon Dieu
lion Key West, puis l'Alabama, la
Louisiane, le Texas, l'Arizona, jusqu'en Californie Les façons de faire
d'Andréa corsent l'aventure.
Un road mevie épique
D'un point de vue poétique, c'est un
enchantement. D'un point de vue
pratique, voyager avec lui n'est pas
une sinécure. Exemple : pour faire
connaissance avec quelqu'un, et sa
curiosité pour l'autre est insatiable,
Andrea a besoin de lui toucher le
ventre À l'aéroport, passé le portique, un douanier l'arrête ; il l'enlace. « Jl risque des baffes en touchant
les pompistes mais bénéficie de la clémence de la gent féminine. » Andrea
est un beau garçon, 1,80 m, épaules
larges, musclé. Les filles se donnent
du coude en le regardant dans la rue.
Le soir, à l'étape, son père, frustré
de ne pouvoir échanger avec lui,
relit certains des messages qu'il
avait écrits par le passé. « Je sens le
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ventre des personnes et je sais qui
c'est. » Mais tout le monde n'apprécie pas. Un jour, un garçon dont il
avait presse le ventre le catapulte
sur le capot d'une voiture. Regard
inconsolable et sourire pâle
d'Andréa. « Tu le comprends que je
contrôle pas ? »
II y a des morceaux d'anthologie
dans ce road mevie. Hall du Carlton, à Santa Monica : un mariage
bat son plein. Andrea se précipite
sur la mariée et l'embrasse fougueusement sur la bouche. Le
marié se rue sur lui comme un
grizzly, mais Andrea l'embrasse à
son tour. Éclats de rire. Franco
s'explique. Tout est bien qui finit
bien, sauf pour le personnel de
l'hôtel qui l'alpague : « Dites à
votre fils que ceci n 'est pas un artichaut mais un ficus. » Andrea en
effet a la manie mystérieuse de
faire des confettis avec les feuilles
et les papiers.
À Puertos Barrios, on les invite à
consulter un chatrian. Quelques
jours apres, Andrea accepte d'écrire
sur l'ordinateur, pour la première
fois depuis leur départ : « hommes
semblables d'esprit chaman je suis
comme lui. Toutes les pensées des
gens dans les rues Andrea voit et
sent » Une marchande de glace
veut le garder avec lui parce qu' « il
possède une aura et qu'il est assis à
côte du Bon Dieu ». L'employée
d'une agence de voyage murmure à
son père que son fils est son ange et
qu'il doit se réjouir d'avoir un tel
enfant car c'est un cadeau du ciel.
Point de vue du père : « Moi, je pense
qu'il souffre et je ne serais heureux
que si je pouvais le liberer de cette prison qui l'enferme »
Le point culminant de ce voyage
est peut-être la rencontre fortuite
Andrea adore aussi repeindre les qu'ils font sur une route cabossée du
salles de bains d'hôtel de dentifrice. Costa Rica. Notre couple picaresque,
Un soir, dans un restaurant de cro- tels Don Quichotte (Andrea) et
codiles à La Nouvelle-Orléans, il Sancho (Franco), avise une cahute
dessine des idéogrammes au ket- adossée a la forét autour de laquelle
chup sur des serviettes en papier gravitent des poules et deux cochons.
qu'il a au préalable soigneusement Trois hommes en sortent, leur font
étalées sur une table. Point de vue signe, les invitent à entrer. Au fond
pratique : « Des efforts tous les jours de la piece, dans la pénombre, un
mais inutiles et désolé à cause de mon garçon de vingt ans, Jorge, gît sur un
autisme ». Point de vue poétique : matelas elimé Franco, qui a reconnu
« Les couleurs sont mes humeurs et chez lui les signes de l'autisme, est
révolté. Quelle misère ! Et pourtant,
les mots que je n'arrive pas à dire. »
Quand ils atteignent enfin le bord Jorge rit. Les deux voyageurs n'arridu Pacifique, Franco a le sentiment vent plus à quitter ce taudis enchand'être arrivé nulle part. Blues. Il ne té. Le lendemain, dans la salle du
peut se résoudre à rentrer. Direc
petit déjeuner de leur hôtel, Andrea
tion le Mexique, en avion. De là, en dit soudain . « Jorge content ». Son
voiture, ils se laisseront dériver jus- père s'insurge. Le fils répète ; « Jorge
qu'à un village du Brésil.
content ». A cet instant, l'adulte norMalgré quelques avanies - une mal se sent « balourd, incapable de
panne sèche puis une roue crevée voir les choses en profondeur ».
À la fin du récit, l'énigme
en zone montagneuse - dont une
farceuse mais bienveillante provi- d'Andréa reste entière. Mais il nous
dence semble les sauver in extremis a ouvert le regard au mystère. •
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