QUELQUES REFLEXIONS SUR L`ESPRIT PSYCHANALYTIQUE
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QUELQUES REFLEXIONS SUR L`ESPRIT PSYCHANALYTIQUE
QUELQUES REFLEXIONS SUR L’ESPRIT PSYCHANALYTIQUE. Gabriela Legorreta Ce texte condense le texte qui a été distribué en préparation à la réunion scientifique du mois d’octobre 2015 ainsi que celui de la présentation orale lors de cette réunion L’esprit psychanalytique, qu’est ce qu’on entend par ça ? Une aptitude? Une disposition? Un état d’âme? Un regard particulier? Une réceptivité? J’aimerais aborder cette question sous l’angle de la réceptivité. Une réceptivité envers soi-même, envers ceux qui décident de s’engager dans un processus analytique et envers la réalité dans ses multiples dimensions sociales et culturelles qui ne cessent de nous solliciter. Où situer les origines de cette réceptivité, de cette disposition ? Est-elle innée? Peut-on l’apprivoiser? Peut-on la transmettre? Que dire de l’origine de cet esprit analytique pour toute personne qui s’engage dans le chemin pour devenir et rester psychanalyste ? J’aurais tendance à penser que cet esprit psychanalytique prend sa source dans la souffrance personnelle, dans la reconnaissance des limites d’une disposition purement rationnelle à sortir d’une impasse personnelle. Elle s’origine dans l’intuition personnelle de l’existence de quelque chose d’insaisissable qui nous habite, qui nous échappe et qui nous amène sans trop le savoir à une recherche de soi dans l’écoute de l’autre, dans l’invitation à la parole libre. L’écoute analytique mettra en mouvement un parcours qui ne cessera de nous surprendre, ne serait-ce que par l’inévitable réalisation des forces qui, en elles-mêmes résistent à donner accès au monde de l’inconscient. Cette « traversée », comme dirait Pontalis, qu’est l’analyse, ce travail analytique qui donne accès à l’expérience de l’inconscient, laisse des traces, augmente la réceptivité envers la réalité et les différents espaces du psychisme. La psyché s’enrichit, se flexibilise, procurant plus de potentiel pour penser et éprouver ce qui était impensable. Les deux protagonistes de l’analyse seront récompensés de leur travail ardu quand ils éprouveront le plaisir qui accompagne des moments charnières, ceux où quelque chose du domaine de l’inconscient arrive à se transformer et devient domaine du psychisme. On ne cesse de s’étonner du génie de Freud, de son propre esprit psychanalytique qui lui a permis de créer la théorie et la pratique analytiques. Cet esprit l’a conduit à proposer le dispositif analytique qui permet l’émergence des processus inconscients. En analyse, il s’agit donc d’établir des conditions pour que cet esprit analytique, cette réceptivité puissent s’élargir et aller à contre-courant du mouvement naturel du psychisme à s’enfuir, à se cacher, à se rendre inaccessible. C’est donc une réceptivité qui demande d’aller toujours contre la tendance du moi à assimiler toute l’expérience à ce qui est familier. Une réceptivité qui exige pour l’analyste et l’analysant de se donner un écart de temps pour résister à la tentation de tout assimiler à ce qu’on croit comprendre, à renoncer temporairement à une position de « savoir » et se prêter à se trouver, en suivant la notion de vacillement identitaire proposée par de M’Uzan, dans un état où on ne peut plus s’appuyer sur un sentiment de certitude identitaire, où nos frontières deviennent moins définies; où on est appelé à rester en suspens pour permettre que quelque chose nous surprenne. On pourrait parler d’une réceptivité qui exige à la fois une position passive et active simultanément, une sorte de tension. C’est donc une disposition qui nous amènera inévitablement à la résistance et au paradoxe qu’elle présente pour l’analyse. En se posant comme obstacle à l’analyse, elle nous indique du même coup le chemin à suivre. Cette réceptivité n’est pas bien sur exclusive aux psychanalystes. Les poètes par exemple (ou tout artiste) possèdent à la fois une grande sensibilité et une sorte de perméabilité psychique qu’on pourrait croire innées de telle sorte qu’ils sont touchés, ou plutôt traversés, par l’autre en soi, par l’altérité, par l’insaisissable. Ils sont habités par ces expériences qui, par le biais d’un processus de transformation, aboutissent à la création de poèmes porteurs de cette force transformatrice. L’esprit psychanalytique ne s’enseigne pas. Cette réceptivité ne peut s’obtenir que par l’expérience, par l’effort assidu de soutenir cette curiosité, cette ouverture, cette perméabilité envers soi-même et l’autre. L’analysant partira après sa traversée en ayant élargi cet esprit psychanalytique qui lui sera désormais plus accessible. Quant au psychanalyste, lui aussi aura élargi cette capacité, mais de par son métier il sera toujours appelé à conserver cette réceptivité. Quand on pense à l’exigence émotive et psychique inhérente à maintenir cette position, à être ouvert et se laisser traverser par des forces qui nous déstabilisent, on peut se demander quelles sont les conséquences de garder cette ouverture à l’autre compte tenu de toute la demande psychique et émotive exigée? Après avoir écrit mon commentaire en préparation à la réunion scientifique, ma réflexion m’a amenée à d’autres idées que je vais partager brièvement avec vous. C’est en m’attardant à la notion de passivité que j’ai continué à réfléchir sur le travail psychique exigé par la réceptivité que l’on associe à l’esprit analytique : un travail qui exige une disposition à la fois passive et active. Référant à Freud, C. Chabert, dans son dernier livre L’amour de la différence, nous rappelle que la passivité, dans sa définition originaire, relève simplement de l’excitation produite par l’autre : être passif, c’est accepter d’être excité, c’est-à-dire modifié par l’action de l’autre en soi. Dans la cure, cela implique la capacité d’être modifié par le fait de l’analyse. M. Parsons avec sa notion de « internal frame » (ou « cadre interne ») clarifie cette question. Il propose que l’analyste favorise les conditions d’une écoute analytique tournée vers l’intérieur, une écoute authentiquement flottante face à ses propres processus intérieurs. Autrement dit, l’analyste fait usage de sa réceptivité analytique envers lui-même et s’utilise comme caisse de résonance à l’écoute des échos de la vie psychique du patient. Cette écoute nécessite un contenant interne. Toujours suivant la notion de cadre interne de Parsons, de la même façon que le cadre analytique définit et protège un espace temporaire, le cadre interne définit et protège lui aussi une arène dans l’esprit de l’analyste où il est libre de considérer tout ce qui advient dans une perspective psychanalytique. Le cadre intérieur est un espace tourné vers soi-même, nécessaire pour l’analyste afin qu’il puisse être véritablement à l’écoute de lui-même. Il s’agit donc d’éléments psychiques appartenant à la psyché de l’analyste qui ont le potentiel de faire avancer l’analyse, qui sont une source de créativité. On pense ici à Pontalis et à sa « pensée rêvante », une attention flottante mobile, active, présente aux mouvements de l’âme. On pense aussi aux recommandations de Freud qui nous en met en garde de ne pas confondre les rêves et leurs contenus manifestes : « intéressez-vous plutôt aux transformations, formations, déformations, à ce qui se condense et se déplace, à la mobilité des pensées et des humeurs. Et que votre attention demeure en « égal suspens », ne se fixe pas, qu’elle ne privilégie aucun élément de langage, aucun registre de l’imaginaire, aucune production psychique- fût-ce le rêve ». L’analyste a besoin de se montrer disponible à être touché psychiquement à divers niveaux. La rencontre analytique a le potentiel d’élargir la capacité psychique de l’analyste. Cette disponibilité exige de l’analyste une attitude de confiance envers luimême et envers sa capacité à maintenir une perspective analytique. Je pense à N. Zaltzman qui disait :« c’est essentiel de croire, de faire confiance à la méthode analytique ». Cette confiance lui donnera la liberté d’accueillir toutes ses expériences intérieures et d’entendre ce qui se passe en lui. En prenant cette perspective, on peut donc parler de l’esprit analytique comme d’une forme de liberté d’expérience de soi. Je crois que Bion parlerait de cette expérience comme de la capacité de rêver en état de veille : le travail inconscient liant divers éléments de l’expérience. « Rêver » veut donc dire être connecté plus profondément à la réalité en la percevant sous l’angle de notre propre imagination. L’analyste fera un lien entre ce qu’il perçoit de l’extérieur (l’analysant) et la façon dont son imagination travaille à l’intérieur, ce lien rendra une expérience qui sera à la fois perçue et imaginée. Ferro, en poursuivant cette perspective de Bion, suggère une image pour décrire le rapport dynamique entre contenant et contenu : on pourrait imaginer le contenant comme composé de fils émotionnels qui ont leur origine dans l’esprit de l’analyste et s’étendent vers l’esprit de l’analysant et vice-versa. À chaque fois qu’il y a union entre les deux, un autre petit fil s’ajoute au contenant, l’élargissant continuellement. Au fur et à mesure que le contenant est fortifié et enrichi par des nouveaux fils, la grandeur et la nature des émotions qu’il contient grandissent aussi. Les fruits cultivés par l’esprit psychanalytique résulteront en un élargissement du potentiel psychique à la fois chez le patient et chez l’analyste. Bibliographie Parsons, M., 2007 External and internal aspects of clinical technique. Texte présenté lors du symposium de la Société Psychanalytique Canadienne. Montréal, Pontalis, J-B., (1997) Ce temps qui ne passe pas. Connaissance de l’inconscient. Gallimard Chabert, C. (2015) L’amour de la différence. Petite bibliothèque de psychanalyse. PUF. Bion WF. (1962) Learning from Experience London : Heinemann. Reprinted in Seven Servants. New York : Arson, 1977 Ferro, A. (2015) Freud’s “Formulations on the Two Principles of Mental Functioning”: Its Roots and Development (In press). Freud, S. L’interprétation des rêves.